3ème dimanche de Pâques, homélie du P. Abbé Vladimir
Chers Frères et Sœurs,
Nous voici en chemin ce matin avec les deux disciples qui s’en retournent à Emmaüs. Et ce chemin que nous parcourons aujourd’hui tous ensemble est comme une parabole de notre vie. Alors qu’ils sont en train de marcher, les deux disciples voient cet étranger s’approcher et cheminer avec eux. Nous qui entendons l’Évangile régulièrement, nous savons que cet étranger est Jésus, le Ressuscité mais eux le voient et ne le reconnaissent pas. Lorsque le jour baisse, à la fraction du pain ils le reconnaissent et aussitôt il disparait à leurs regards et ils ne le voient plus.
Et pour nous, ce matin, c’est une évidence que dans nos vies, il ne faut pas tant chercher à voir qu’à reconnaître puisqu’en ces jours qui sont les derniers, l’invisibilité ne signifie plus l’absence. La disparition du Ressuscité à leurs regards aurait pu laisser ces deux disciples désemparés mais, bien au contraire, elle les met en route, conduits par la transformation qui est advenue en eux. Ils l’ont reconnu à la fraction du pain. On pourrait penser que ce geste répété à chaque repas par chaque père de famille juif jusqu’à aujourd’hui, geste dont la description renvoie par les mots même utilisés à l’épisode de la multiplication des pains est la cause de cette reconnaissance. Or ce n’est pas ce que nous dit Luc si nous sommes bien attentifs. Ce geste familier n’en est que l’occasion. Si les yeux des disciples s’ouvrent à ce moment là, c’est parce que Jésus l’a voulu ainsi. C’est Lui qui nous donne de le reconnaître après l’avoir pris d’abord pour un autre, le jardinier, un fantôme ou un étranger au bord du lac comme dans la plupart des récits des manifestations du Ressuscité. C’est la grâce, c’est l’Esprit du Ressuscité qui permet cette reconnaissance en transformant les deux disciples. Et cette transformation renvoie tout autant à l’écoute des Écritures qu’à la fraction du pain. C’est d’ailleurs ce que les disciples disent avoir expérimenté. « Ils se dirent l’un à l’autre : « Notre cœur n’était-il pas brûlant en nous, tandis qu’il nous parlait sur la route et nous ouvrait les Écritures ? » et « À leur tour, ils racontaient ce qui s’était passé sur la route, et comment le Seigneur s’était fait reconnaître par eux à la fraction du pain ».
Avant sa Résurrection, dans ce qui n’est encore qu’une annonce et qu’une préfiguration, Jésus alors que le jour commence à baisser prit les « cinq pains et les deux poissons, et, levant les yeux au ciel, il prononça la bénédiction sur eux, les rompit et les donna à ses disciples pour qu’ils les distribuent à la foule ». À la banalité du geste répond alors un résultat impensable et matériel. Le soir du premier jour de la semaine, alors que le jour a déjà baissé, le Ressuscité « ayant pris le pain, prononça la bénédiction et, l’ayant rompu, il le leur donna ». Il n’y a alors plus à voir comme pour toutes nos célébrations que des signes simples. Aucun signe merveilleux n’est donné aux deux disciples pour qu’ils le reconnaissent, juste une transformation intérieure qui est en vérité le commencement du monde nouveau, du Royaume qui vient. Nous n’avons rien d’autre à désirer.
Et nous voici sur la route, sur ce chemin qu’est la vie monastique. Et, à nous aussi, il nous est donné au quotidien non de voir mais de reconnaître. Par une grâce totalement gratuite, il nous est donné pour paraphraser saint Bernard non de savoir de manière froide mais d’expérimenter. Et sur cette route, le Seigneur vient à notre rencontre pour cheminer avec nous. Il s’approche sous de multiples visages, parfois très déroutants, parfois très étrangers, parfois très dérangeants. Et si nous laissons nos cœurs ouverts, il nous donne la grâce de le reconnaître et d’être transformé par Lui et en Lui. Mais déjà, il aura disparu à la fraction du pain nous invitant sans cesse à avancer sur la route et à nous donner et à partager.
Seigneur je te rends grâce pour ces années passées à cheminer avec toi. Conduis nous tous ensemble jusqu’à toi.