8ème dimanche ordinaire A, homélie de frère Marie
Is 49, 14-15 ; Ps 62, 2-3.8.9 ; 1 Co 4, 1-5 ; Mt 6, 24-34
De notre évangile de ce jour je retiendrai ce verset comme base de notre méditation :
« Cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice »Mt 6, 33
Ce sur quoi nous interpelle Jésus en cet évangile, c’est bien sur cette notion de primauté, de ce qui vient d’abord et qui donne sens et finalité à notre vie. Pour signifier cela que nous dit-il ? Vous ne pouvez servir deux maîtres, vous ne pouvez servir Dieu et l’Argent. Ou bien on haïra l’un et aimera l’autre, ou bien on s’attachera à l’un et on méprisera l’autre.
L’idée biblique de service renvoie à une appartenance, à une disponibilité totale envers celui que l’on sert. Appartenir c’est être attaché à quelqu’un, et aimer, dans le sens biblique, avant d’être une affaire de sentiment est une mise à disposition totale dans le service de l’autre, une attention qui nous engage. De même la notion de haïr, ne signifie pas d’abord une réaction passionnelle, mais signifie premièrement l’idée de se détacher, de devenir indifférent à l’égard de quelqu’un. Donc ne plus l’aimer , ne plus s’en occuper ; haïr c’est dénier l’existence de l’autre, on le rejette hors de notre horizon de vie.
On comprend mieux ainsi le choix que Jésus pointe quand il nous dit, vous ne pouvez aimer deux maîtres.
Ce que nous dit encore Jésus, c’est que pour choisir et s’engager il faut sortir de la confusion, et pour cela il faut en premier lieu prendre, ou reprendre, conscience du don merveilleux qui nous est fait : le don de la vie et le don de la création qui nous entoure, le don aussi que nous sommes, ou que nous devrions être, les uns pour les autres. Il se trouve d’ailleurs que bien souvent cette prise de conscience passe par des confrontations à nos fragilités ou à nos impuissances. Une prise de conscience qui, de façon parfois obscure nous fait aspirer à Dieu, dans l’espérance d’un secours et d’une libération comme cette parole du Psaume : « Je n’ai de repos qu’en Dieu seul car mon salut vient de lui. Lui seul est le rocher qui me rendra inébranlable » Ps 62
Il nous faut sortir de la confusion entre la fin et le moyen ; l’évangile remet clairement les choses à l’endroit, l’argent est un moyen et non une fin en soi. Dieu est notre fin, la vie qu’il nous donne est le véritable chemin de notre bonheur. L’argent, comme tout ce que nous pouvons posséder, est un moyen pour servir la vie et non pour l’asservir.
Si l’argent, comme le bien-être matériel, devient une fin en soi, il devient une idole redoutable aux pieds de qui on immole, et les créatures, et la création. Car les créatures et la création deviennent des moyens pour servir la convoitise de l’argent et du pouvoir. D’aucuns nous diront qu’à travers cela nous fuyons l’angoisse de la mort, mais la réalité c’est que nous sommes par nous-mêmes bien impuissants à l’enrayer et on use de bien des substrats pour nous anesthésier.
Par ce genre de soucis, nous dit Jésus, nous n’ajouterons pas une longueur à notre vie. Les publicités et les propositions alléchantes de tous bords, comme bien d’autres choses, nous chantent cela à longueur de jour, santé, insouciance, bonheur : « Confiez vos placements à tel ou tel banquier et vous vivrez tranquille et heureux », le tout illustré d’une poignée de main et d’un sourire béat et confiant. Un philosophe répondait avec humour et justesse lors d’un débat sur cette science montante du transhumanisme : « Admettons que la technologie supprime l’angoisse de mourir, restera l’angoisse de tomber en panne ».
Le paradoxe c’est que dans tout cela la vie, ou l’engagement envers la vie devient gênant, contraignant, et donc on en vient à un bonheur égoïste, individuel, qui finalement rejoint la notion de haine, on exclue ce qui nous demande trop de nous-mêmes pour le bien d’autrui. Et pourtant c’est par autrui que notre vie se révèle et prend du sens.
Il y a vraiment un hiatus entre une vision d’un bonheur matériel et éphémère et un bonheur qui puise sa richesse dans la présence et la promesse du Christ, mort et ressuscité pour nous et qui achemine notre humanité vers sa plénitude. « Je suis venu non pour être servi, mais pour servir, nous dit-il…et il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis ». Voici l’engagement du Christ envers l’humanité, envers son Père des Cieux et envers nous. Nous transmettre la vie pour laquelle nous sommes faits.
Cependant à l’écoute de notre évangile, ne nous y trompons pas, Jésus ne nous demande pas de vivre comme l’oiseau sur la branche, ou d’amour et d’eau fraîche. Les paroles de Jésus ne nous enseignent ni une confiance passive, ni le mépris des besoins du corps, ni un optimisme insouciant, mais il nous oriente vers l’essentiel, découvrir les trésors cachés de notre humanité, telle qu’elle est voulue et désirée par Dieu, une humanité qui trouve son origine et sa plénitude dans le don. La merveille des merveilles que l’homme doit à Dieu seul, c’est la vie.
Rechercher le royaume de Dieu et sa justice, c’est nous porter, tendre sans cesse, vers ce que le Christ nous a révélé de la beauté et de la profonde dignité de notre humaine condition, car nous sommes inscrits dans le cœur et les entrailles de Dieu, le Christ nous y a inscrits à jamais.
Notre justice est vraiment de nous servir les uns les autres, par tous les dons et les moyens que Dieu nous a procurés, notre justice est de nous aimer les uns les autres, par l’amour du Christ que l’Esprit Saint répand en nos cœurs, et qui nous enseigne à bien user de la création comme moyen de manifester et œuvrer à la manifestation du Royaume de Dieu, semé ici-bas et pleinement achevé avec le Christ, dans le partage de sa gloire, avec notre Père dans les Cieux.