logo fond

Index de l'article


Homélies Fêtes et Dimanches

 

 

 

 

 

nef

 

 

 


29ème dimanche-B, homélie de frère Bartomeu

Chers frères et sœurs, dans la lecture du livre du prophète Isaïe tout à l’heure nous avons entendu : « Broyé par la souffrance, le Serviteur a plu au Seigneur. Mon serviteur, justifiera les multitudes, il se chargera de leurs fautes. » Ces paroles nous ont évoqué forcément la semaine sainte, la passion de Jésus. C’est que cette lecture a été choisie pour nous introduire à la lecture de l’Évangile que nous venons d’entendre. Et, en fait, avec la lecture suivie de l’Évangile selon saint Marc, déjà depuis quelques dimanches nous accompagnons Jésus lorsqu’il « commença à leur enseigner qu’il fallait que le Fils de l’homme souffre beaucoup, qu’il soit rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, qu’il soit tué, et que, trois jours après, il ressuscite » (Mc 8,31). Et ensuite : « ils traversaient la Galilée, et Jésus ne voulait pas qu’on le sache, car il enseignait ses disciples en leur disant : “Le Fils de l’homme est livré aux mains des hommes ; ils le tueront et, trois jours après sa mort, il ressuscitera.” Mais les disciples ne comprenaient pas ces paroles et ils avaient peur de l’interroger » (Mc 9,30-32).
« Les disciples ne comprenaient pas ces paroles. » Voici que Jacques et Jean, les fils de Zébédée, au lieu de chercher à être « le dernier de tous et le serviteur de tous » (Mc 9,35), demandent à siéger l’un à la droite et l’autre à la gauche de Jésus, dans sa gloire. Ils n’avaient vraiment rien compris !
Mais leur incompréhension a offert à Jésus l’opportunité de revenir sur ses paroles pour nous aider à les comprendre. « Le Fils de l’homme – nous dit-il – n’est pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude. » « Donner sa vie en rançon pour la multitude. » « Mon serviteur, justifiera les multitudes, il se chargera de leurs fautes, » disait le prophète.
Et à Jacques et Jean, qui ne savaient pas ce qu’ils demandaient, Jésus leur dit : « La coupe que je vais boire, vous la boirez ; et vous serez baptisés du baptême dans lequel je vais être plongé. » Et la coupe et le baptême sont des images de la passion du Fils de l’homme, qui sera livré aux mains des hommes ; ils le tueront et, trois jours après sa mort, il ressuscitera.
Ces paroles sont pour nous aussi, qui, comme les fils de Zébédée, ne devons pas chercher à siéger à la droite ou à la gauche de Jésus, dans sa gloire, mais à boire la coupe qu’il a bue et être baptisés du baptême dans lequel il a été plongé, et à nous identifier ainsi avec lui.
Et ce baptême et cette coupe sont tout d’abord les sacrements. « Nous qui avons été baptisés dans le Christ Jésus, c'est dans sa mort que tous nous avons été baptisés » (Rm 6,3), écrira saint Paul aux Romains. Et aux Corinthiens il écrira : « La coupe de bénédiction que nous bénissons, n’est-elle pas communion au sang du Christ ? » (1 Co 10,16).
C’est en vivant comme baptisés dans sa mort et comme en communion au sang du Christ que nous pourrons dire, comme l’écrira saint Paul aux Galates : « ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi » (Ga 2,20).

 


24ème dimanche B, homélie de Frère Marie

Is 50, 5-9 ; Ps 114 ; Jc 2, 14-18 ; Mc 8, 27-35

Chaque dimanche nous célébrons le mystère Pascal, au cœur de notre foi. Ce mystère pascal qui nous plonge dans la vie du Christ lui-même. Et cependant la question nous est toujours posée : « Pour vous qui suis-je ? ». Avec Pierre nous répondons : « Tu es le Christ ! ».
Et voici que brusquement Jésus se présente comme étant le Fils de l’homme, dans l’humilité et l’abaissement le plus profond, la dérision et la mort. Il n’avait plus apparence humaine nous dit le prophète Isaïe. Certes il nous annonce la Résurrection mais à travers ce qui nous semble si absurde. Du coup comment comprenons nous Dieu ? Comment comprenons nous le Christ ?
Dans toute la tradition messianique le titre de Fils de l’homme représente un Messie glorieux, ce titre est attaché à l’avènement glorieux du Règne de Dieu sur cette terre et au jugement. C’est bien ainsi que le comprennent Pierre et les disciples, et c’est bien ainsi que nous même aimerions bien le comprendre, un Messie qui va enfin effacer tous les impies et les iniquités de la terre.
Comment la vie glorieuse pourrait-elle surgir de ce qui, à vue humaine, n’est qu’un échec, une mort infâme sur une croix. L’inacceptable, l’incompréhensible, le scandale, telle est la réaction de Pierre, des disciples, notre réaction. C’est bien pourtant à travers ce scandale qui nous dépasse que s’opère l’œuvre de rédemption de l’humanité. L’apôtre Paul nous le rappelle bien : « Nous proclamons un Messie crucifié, scandale pour les Juifs et folie pour les nations païennes, mais pour ceux que Dieu appelle, qu’ils soient Juifs ou Grecs, ce Messie, Christ, est puissance de Dieu et sagesse de Dieu. Ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes et ce qui faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes ». 1 Co 1, 22ss
Nous avons bien du mal à percevoir que là se donne l’amour de Dieu en plénitude. Cet amour que nous sommes invités à recevoir et contempler au long de notre vie, car nos mots, nos théories seront toujours bien faibles ou en-deçà pour en pénétrer la profondeur vivifiante de l’amour divin. Porter sa croix comme nous y invite Jésus à sa suite, n’est pas une affaire de dolorisme, mais c’est plutôt nous laisser envelopper au cœur même de nos faiblesses par cette présence victorieuse et aimante qui nous ouvre de nouveaux chemins de vie, qui nous fait renaître à notre liberté d’enfants de Dieu.
Ce scandale à vue humaine va rejoindre au plus profond la situation de tant d’hommes et de femmes et bien souvent la nôtre quand la souffrance, l’échec, la désillusion rendent le sens de la vie humaine si absurde, sans horizons. Jésus est allé au-devant de la mort, de toutes ces souffrances, parce qu’il a voulu venir jusqu’à nous, être avec nous. Dieu n’est pas saisissable, mais il a voulu se planter au cœur de notre monde qu’il avait créé, ce monde marqué par l’histoire de l’égoïsme de l’homme et de son aveugle liberté. Cependant le cœur humain reste marqué par ce désir secret du bonheur. Ce bonheur dont on ne sait par quel bout le prendre, ce bonheur entaché par ce suprême adversaire de l’homme qu’est la mort, qui fait tout dévier. C’est bien au cœur de ce qui semble anéantir la vie, de ce qui semble la vider de toute logique que se manifeste dans toute son ampleur l’intervention de Dieu dans nos vies.
Nous pouvons comprendre la réaction indignée de Pierre, elle nous rejoint. Ce n’est que Dieu qui nous fait passer de la mort à la vie. Jésus, par sa vie, sa mort et sa résurrection, nous enseigne que nous sommes destinés, faits pour la transfiguration, c’est-à dire pour la gloire divine, pour la plénitude de vie. Mais cette transfiguration nous demande l’acceptation et la reconnaissance à travers nos vies de la défiguration du Crucifié qui traverse tant de visages de nos frères et sœurs en humanité. Notre foi en Christ s’authentifie dans une solidarité avec l’humanité au cœur même de ses ombres et de ses espérances. Dieu ne nous fait pas vivre sur un rêve de puissance, ni dans le meilleur des mondes, mais il nous conduit au cœur de notre réalité, et au cœur de notre liberté, là où se choisit le bien ou le mal, l’amour ou la haine, là où sa parole de vie nous rejoint. « Pour vous qui suis-je ? ». Nous découvrons, nous apprenons le Christ dans un enracinement permanent en lui, dans son amour, pour non seulement supporter le scandale de la croix, mais surtout pour manifester la puissance de sa vie.

 


14 septembre, Exaltation de la Sainte Croix et bénédiction des cloches, homélie du P. Abbé Vladimir

La fête que nous célébrons aujourd’hui nous montre le renversement des valeurs que Jésus, le Christ, le Fils de L’homme fait entrer dans le monde par sa mort et sa résurrection dont la Croix est le signe. Pour l’empire romain, la croix est d’abord un instrument de torture terrifiant par sa violence. Les premiers chrétiens, au temps des persécutions, ne commenceront à la représenter que de manière allusive. Elle est l’ancre marine que l’on trouve sur certains tombeaux dans les catacombes signifiant le repos de l’âme arrivé à bon port en dessinant déjà la forme de la croix. Elle deviendra ensuite arbre de vie, signe de l’amour de Dieu dont on trouve la trace dans tout le cosmos ce qui lui donne pleinement son sens diront certains Pères de l’Église. « La croix est semé partout dans l’univers » dit une homélie du troisième siècle. Cette croix, nous la retrouvons sur une des deux cloches que nous allons bénir à la fin de notre célébration, cloche destinée à la chapelle Sainte Croix portant gravée sur elle un passage de l’Évangile de Jean évoquant celui que nous venons d’entendre : « Quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes ».
« Le Christ s’est abaissé devenant obéissant jusqu’à la mort de la Croix, c’est pourquoi Dieu l’a exalté » nous dit la lettre aux Philippiens et c’est dans ce mystère que nous est donné la preuve que Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pour le juger mais afin, que, par lui, le monde soit sauvé. Et c’est une bonne nouvelle pour chacun d’entre nous car tous nous avons besoin d’être pardonnés et sauvés.
Ce n’est que plus tard que les chrétiens commenceront à représenter sur la Croix, le Christ dans son humanité par laquelle il est descendu jusqu’à nous. C’est le cas du crucifix cistercien qui se trouve dans l’abside de cette église comme pour celui de Saint Damien devant lequel Saint François d’Assise pria et où il reçut mission de reconstruire l’église qui tombait en ruine. Croire au Fils de l’homme, celui qui est descendu pour nous sauver, c’est croire au crucifié celui qui du haut de la Croix comme celui que nous contemplons ce matin entouré de lumière nous tend les bras comme en souriant dans le salut qu’il nous accorde. Et ce salut n’est pas le fruit de nos efforts, de mérites que nous aurions gagné à la force du poignet, il est un don gratuit qui fait que le jugement devient salut.

C’est ce salut, qu’en sonnant, les cloches que nous allons bénir nous rappellent. La croix est pour nous une invitation malgré nos limites et nos faiblesses à nous engager pour être des signes de salut, pour reconstruire chacun à notre manière et à notre place notre monde qui en a tant besoin. Le don gratuit du salut nous établit dans la paix. La Croix est comme un pont nous aidant à surmonter toutes nos divisions, toutes les frontières qui nous séparent.
Par le signe de la Croix, demandons la paix .

 

 


22ème dimanche B, homélie de Frère Bartomeu

(Marc 7, 1-8.14-15.21-23)

Chers frères et sœurs, tous les Juifs, mais particulièrement les pharisiens, étaient très attentifs aux observances qui assuraient et exprimaient leur pureté, pureté qui était comme le sacrément de la sainteté de leur vie. C’est pourquoi ils s’étonnent de voir que « quelques-uns des disciples de Jésus prenaient leur repas avec des mains impures, c’est-à-dire non lavées. » Alors ils demandent à Jésus : « Pourquoi tes disciples ne suivent-ils pas la tradition des anciens ? Ils prennent leurs repas avec des mains impures. »
Et voici que, comme en d’autres occasions semblables, Jésus attire l’attention sur ce qui est le plus important, vers ce qui est vraiment important. Et il le fait en leur rappelant – à eux pour qui la Loi et les Prophètes sont si importants – une parole du prophète Isaïe : « Isaïe a bien prophétisé à votre sujet, hypocrites, ainsi qu’il est écrit : Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi. C’est en vain qu’ils me rendent un culte ; les doctrines qu’ils enseignent ne sont que des préceptes humains. » (Isaïe 29,13).
« Leur cœur est loin de moi. » Jésus qui dira un jour : « Là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur » (Matthieu 6,21), rappelle cette parole du prophète : « Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi. »
« Et il disait encore ensuite à ses disciples, à l’écart de la foule : C’est du cœur de l’homme que sortent les pensées perverses. » En effet, c’est bien du cœur de l’homme que sortent les pensées perverses, mais c’est tout aussi du cœur de l’homme que sortiront les pensées bonnes.
Lorsque un docteur de la Loi lui demanda, pour le mettre à l’épreuve : « Maître, dans la Loi, quel est le grand commandement ? » Jésus lui répondit : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit » (Matthieu 22,35-37).
Et, après avoir dit : « Voilà le grand, le premier commandement », il ajoute : « Et le second lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. De ces deux commandements dépend toute la Loi, ainsi que les Prophètes » (Mt 22,38-40). Ce second commandement aussi nous devons donc l’observer de tout notre cœur.
Saint Jacques nous a montré, avec d’autres paroles, comment vivre ainsi : « Accueillez dans la douceur la Parole semée en vous ; c’est elle qui peut sauver vos âmes. Mettez la Parole en pratique, ne vous contentez pas de l’écouter : ce serait vous faire illusion. Devant Dieu notre Père, un comportement religieux pur et sans souillure, c’est de visiter les orphelins et les veuves dans leur détresse, et de se garder sans tache au milieu du monde. » (Jacques, 1,21-22.27).
C’est alors que, même avec les mains non lavées, se réalisera en nous la parole de Jésus : « Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu » (Matthieu 5,8).

 


Fête de  St Bernard de Claivaux, homélie du P. Abbé Vladimir

 

« Vous êtes le sel de la terre », « Vous êtes la lumière du monde »
Chers Frères et Sœurs,
Ces mots que le sauveur adresse à ses disciples ne sont pas à comprendre comme une injonction ou un commandement. En effet, Jésus ne leur dit pas : « Soyez le sel de la terre » ou « soyez la lumière ». Il vient de leur dire : « Heureux les pauvres de cœur, Heureux les miséricordieux ». C’est dans la continuité des béatitudes, la charte du Royaume et de la vie en Christ qu’il leur proclame : « Vous êtes le sel de la terre, vous êtes la lumière du monde ». Cette Parole est une parole performative réalisant en eux ce qu’elle proclame. Elle provient de celui qui est par excellence sel et lumière et donc totalement donné aux autres car le sel n’a de sens que donnant du goût à quelque chose d’autre er la lumière comme éclairant un autre. Elle ne retentit pas que pour ceux que Jésus enseigne sur la montagne. Ce vous qui résonne à deux reprises, ne désigne pas que les disciples. Saint Bernard a reçu aussi ces paroles dans le monde du XII siècle pour briller éclaire et donner la sagesse qui est comme du sel. C’est chacun d’entre nous qui peut se laisser aujourd’hui transformer à son tour par ces mots. Il y a une chaine de transmission du Christ jusqu’à nous, fondée sur des témoins comme l’a été de manière exemplaire le fondateur et l’abbé de Clairvaux que nous fêtons aujourd’hui mais reposant aussi sur de simples personnes comme vous ou moi. Comme le sel et la lumière donnent goût et connaissance, regardons et écoutons saint Bernard nous enseigner et nous montrer comment être les uns pour les autres sel et lumière comme il l’a été lui-même pour son époque.
Mais quels sont ce sel et cette lumière dont l’Évangile nous parle. La lumière est ce qui nous révèle la vérité et le sel ce qui nous la fait gouter. Il n’est donc pas d’autre lumière que celle de l’amour et de la miséricorde et pas d’autre sel que la compassion.
Si Dieu est vérité et lumière, pour Bernard le premier degré de la connaissance de Dieu est la connaissance de nous même dont il dit qu’elle est une connaissance dans les larmes. Elle est une double lumière à la fois sur la miséricorde de Dieu et sur notre misère. Comme il le dit lui-même : « « Pour moi, tant que je regarde en moi-même, « mon œil demeure dans l’amertume ». Mais que je regarde en haut et que je lève les yeux vers le secours de la divine miséricorde, aussitôt la joyeuse vision de Dieu adoucira l’amère vision de moi-même ». Et c’est ainsi que nous pouvons être lumière pour les autres. Et goutant combien le Seigneur est bon et miséricordieux, répandons avec largesse le sel de la bonté et de la compassion sur nos frères et sœurs. Sinon comme le dit Bernard lui-même: « Il est à craindre, si vous ne voyez que la misère du prochain sans faire attention à la vôtre, que vous n’éprouviez de l’indignation plutôt que de la commisération, que vous ne vous sentiez moins porté à secourir qu’à juger et plus disposé à détruire avec fureur qu’à instruire en esprit de douceur, selon ces paroles de l’Apôtre : « Vous autres qui êtes spirituels, ayez soin de les relever dans un esprit de douceur ; »
Cela ne vient pas de nous-mêmes et de nos efforts mais d’une transformation que le Verbe provoque en nous lorsqu’il nous visite et fait retentir en nous ses paroles. Cela n’est pas que pour nous, nous sommes sel et lumière pour tous car le salut nous rassemble dans un corps. C’est ainsi que nous pouvons comprendre l’action de saint Bernard qui disait de lui-même qu’il était la chimère de son siècle tout occupé qu’il était du salut des autres.
Inspiré et éclairé par lui, portons en nous tous les hommes et spécialement les plus pauvres et les plus pêcheurs.

 


19ème dimanche B, homélie de Frère Marie

Jn 6, 41-51 ; 1 R 19, 4-8 ; Ps 33 ; Ep 4, 30-5, 2

En ce dimanche les lectures nous parlent de pain, de faim, de désert aride, de découragement et de désespérance, mais elles nous parlent aussi de désir, d’espérance, de foi et de plénitude de vie.
Nous pourrions dire que ces lectures nous parlent de nous-mêmes à travers nos états d’âmes, nos soifs, nos désirs. Elles nous parlent de nos sentiments d’impuissance devant les multiples impasses de notre monde qui nous semblent si insolubles. Cependant, ces lectures nous parlent de quelque chose de plus, elles nous parlent d’une vie offerte, une vie donnée en partage, une vie offerte en abondance.
« Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel, nous dit Jésus. Si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c’est ma chair,
donnée pour la vie du monde. »
Le Christ pain de vie ; Christ chemin, vérité et vie, n’est pas un concept mais c’est le don de la vie divine accueillie dans la foi. Notre vie profonde et éternelle dépend de lui. Par notre adhésion de foi nous sommes marqués du sceau de l’Esprit du Christ, du sceau du Saint Esprit de Dieu : « Ne le contristez pas ! » Nous dit St Paul.
« Oui, cherchez à imiter Dieu, puisque vous êtes ses enfants bien-aimés. Vivez dans l’amour, comme le Christ nous a aimés. » Et surtout évitez cette amertume qui vient trop souvent empoisonner nos vies. Bien trop souvent nous ressemblons au prophète Elie accablé d’amertume et au seuil de la désespérance, dans son désert, qui arrête son chemin et se couche sous un buisson comme dernier refuge. Il ne veut plus avancer, ni rien voir, ni rien entendre comme si la vie le quittait.
Mais le Christ ne nous abandonne pas. Il est le pain de vie et il le restera pour toujours. Quelques soient nos écarts, nos découragements ou nos doutes, il est là à nos côtés. Tout comme l’ange pour Elie, par petites touches il nous sollicite : « Ouvre les yeux, regarde juste à côté de toi, il y a un pain pour ta vie, lève-toi et mange ».
Cet ange peut représenter les multiples médiations qui nous aident à ouvrir les yeux, une rencontre, une retraite spirituelle, d’autres évènements. Mais ce que nous dit l’expérience d’Elie, comme ce que nous dit aussi le Christ, c’est que notre chemin de vie ne s’arrêta pas là et que nous besoin de ce pain qui descend du Ciel et donne la vie au monde pour marcher à nouveau dans l’espérance : « Lève-toi, et mange, car il est long, le chemin qui te reste. » Élie se leva, mangea et but. Puis, fortifié par cette nourriture, il marcha jusqu’à la montagne de Dieu. C’est la marche d’une vie. Oui Dieu est là, il t’appelle à la vie.
St Benoît dans sa Règle des moines reprend cet appel fondamental de Dieu à la vie : « Qui veut la vie ? Qui désire le bonheur ? » Si tu entends cet appel et si tu réponds : « Moi », Dieu te dit : « Si tu veux la vraie vie avec Dieu pour toujours : Alors, empêche ta langue de dire du mal. Tourne le dos au mal et fais le bien. Cherche la paix et poursuis-la toujours » Alors mes yeux vous regarderont, mes oreilles écouteront vos prières. Avant que vous m'appeliez, je dirai : « Me voici ! ». Cette vie, frères et sœurs, nous concerne tous.
« Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel, nous dit Jésus : si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. »
Ce pain de vie que nous ingérons et qui nous fait un avec lui, nous transforme. Il nous forme à l’image du Christ, afin que soyons plein de générosité et de tendresse, afin que nous puissions découvrir la force du pardon, afin que nous soyons des artisans de paix, et que nos vies répandent la bonne odeur du Christ, en Eglise et dans le monde.

 


Fête de la Transfiguration, homélie du P. Abbé Vladimir

Chers Frères et Sœurs,
Jésus emmène Pierre, Jacques et Jean à l’écart sur une haute montagne et il fut transfiguré devant eux. La vision des disciples en est totalement changée. Ce qui advient n’est pas tant une aventure pour Jésus qu’une expérience bouleversante pour les trois disciples. C’est leur regard qui est changé radicalement. Il leur est donné de percevoir ce que les mots ne peuvent décrire de manière adéquate, Jésus transfiguré, ayant à leur yeux changé de forme, c’est ce que le mot transfiguré veut dire littéralement, pour apparaître revêtu de la gloire de Dieu qui est sienne de toute éternité. Cette vision des trois apôtres n’est pas faite pour durer car bientôt, ils ne verront plus que Jésus seul, revenu à la normale pourrait-on dire. Et pourtant, combien il est bon et heureux pour eux d’être là, à l’écart sur la montagne. L’hymne de la lettre aux Philippiens chante l’œuvre et la gloire du sauveur en utilisant le même mot que notre évangile : « Celui qui était dans la forme de Dieu s’est dépouillé prenant la forme de l’esclave devenant semblable aux hommes. C’est pourquoi Dieu l’a exalté et lui a donné le nom qui est au dessus de tout nom ». À l’écart sur la montagne, Pierre Jacques et Jean contemplent autant qu’il leur est possible la gloire à laquelle le sauveur donne à l’humanité d’accéder lorsqu’il sera ressuscité d’entre les morts. Ils ne peuvent le comprendre encore. C’est pourquoi Jésus leur demande pour un temps le silence. Ils en témoigneront plus tard : « Nous étions avec lui sur la montagne sainte ».
La vie monastique, des Pères du désert à Seraphim de Sarov en Orient, de saint Benoît à Thomas Merton en Occident, témoigne dans la faiblesse de cette aspiration du cœur de l’homme à être transformé par la lumière de l’amour de Dieu. Elle le fait dans l’humble quotidien, en écoutant la voix du Fils Bien Aimé, en lui demandant de changer le regard de notre cœur.
Le récit de la Transfiguration est ainsi pour nous une parole prophétique. Fixons notre attention sur elle, comme sur une lampe brillant dans un lieu obscur jusqu’à ce que paraisse le jour. Mettons nous à l’écart, tournons notre regard vers la montagne pour que comme dit le psaume dans la lumière de Dieu, nous voyions la lumière. 

 

 


18ème Dimanche - B, homélie du P. Abbé Vladimir

Jea 6, 24-35

Chers Frères et Sœurs,

Le passage de l’Évangile que nous venons d’entendre est pour nous ce matin une parole vivante plus incisive qu’un glaive à deux tranchants. Cette parole nous parle de nous-mêmes pour nous aider à discerner les intentions de notre cœur et nos actions. Elle nous parle des signes. La foule est partie à la recherche de Jésus parce qu’elle a vu un signe mais il y a une méprise à la fois sur ce signe et sur ce que signifie un signe. L‘Évangile selon saint Jean est rempli de signes parce que nos vies sont pleines de signes si nous disposons à les accueillir. « Tel fut le premier des signes de Jésus » nous est-il dit à la fin du récit des noces de Cana. Cette foule a mangé du pain à satiété et veut faire de Jésus son roi. Ce signe avait pourtant été donné à chacun d’entre eux et aux disciples pour leur permettre de découvrir qui est Jésus et pour qu’ils croient en lui. Le signe est un don pour la foi. Il nous tire vers le haut. « Le pain de Dieu, c’est celui qui descend du ciel et qui donne la vie au monde ». La foule demande un signe qui soit comme une répétition du passé, un signe qui viendrait d’en bas, rassurant, à son niveau. Parfois, nous aussi, nous sommes tentés de demander de tels signes apparemment à notre portée, nous renvoyant dans le passé, des signes d’en bas. L’unique signe, celui qui les récapitule tous, c’est Jésus, le pain de vie, descendu du ciel, celui qui fait toutes choses nouvelles. Ce signe, c’est le Père qui nous le donne, en nous donnant son Fils, l’image du Dieu invisible. Pourtant ce signe nous est aussi donné par le fils de l’homme, celui qui descend du ciel. Il y a une identité mystérieuse entre le donateur et le don. Et cela sera pleinement manifesté sur le Croix lorsque le sauveur donnera sa vie pour tous les hommes après s’être donné lui-même comme nourriture de vie lors de la dernière cène, après s’être donné lui-même en signe de réconciliation et de pardon lors du lavement des pieds. D’une certaine manière tous les signes que le Père nous donne par son Fils sont résumés, accomplis dans le signe de la Croix.
Et c’est ce signe qui a été fait sur nous au jour de notre baptême pour nous donner la vie, ce signe que nous faisons sur nous tous les jours pour célébrer la vie que nous avons reçu, c’est par lui que nous discernons ce qui est bon. Folie aux yeux des hommes, sagesse pour le croyant. Ce signe il se déploie dans toute sa richesse et sa nouveauté lorsque nous accueillons Celui qui vient à nous pour nous donner sa vie, dans sa Parole, dans ses sacrements, dans nos frères jusqu’aux plus pauvres et aux plus différents, lorsque nous l’accueillons au plus intime de nous–même quand il nous donne sa paix, qu’il nous réconcilie. Signe humble et toujours nouveau non affirmation d’une fausse gloire du passé, signe de pardon et de miséricorde inépuisable et non signe de pouvoir et de domination, signe de partage et de communion et non signe identitaire nous séparant les uns des autres, signe du service mutuel que nous nous donnons les uns aux autres.
« Celui qui vient à Lui n’aura plus jamais faim ; celui qui croit en Lui n’aura plus jamais soif ». Ce signe, nous ne pouvons l’accueillir qu’en le donnant à notre tour à l’image de Celui qui nous donne sa vie. Il a mangé avec les publicains et les pécheurs, il nous dit qu’au banquet du royaume les pécheurs et les prostituées nous précéderons. Ce signe nous le célébrons dans l’eucharistie, mémorial de la dernière cène où le Christ voulut s’offrir et se donner pour tous.

 


Fête de Saint Benoît, homélie de Frère Marie

Lorsque St Benoît instaure ses monastères et écrit sa Règle des moines au 6ème siècle, son monde est aussi troublé que le nôtre. Un monde de conflits, de bouleversement de société et d’affrontements culturels et politiques. Beaucoup de monde circule en quête de lieux référant et de paix.
Ce qui résonne de la Règle de St Benoît, c’est un appel et une urgence. Voici que dans la foule Dieu appelle : « Qui désire la vie ! qui veux voir des jours heureux ! Qui désire le bonheur ? »
Si tu lui réponds : « c’est moi », Dieu te répond : « Si tu veux avoir la vie véritable et éternelle, interdis ta langue du mal et de toute parole trompeuse ; détourne-toi du mal et fais le bien ; cherche la paix avec ardeur et persévérance ». Vaste programme, et cependant si actuel et si urgent. Pour le mettre en œuvre nous avons besoin de découvrir cette paix en nous-même, condition indispensable pour la mettre en œuvre entre nous.
L'Eglise et le monde, ont besoin que les monastères soient des lieux un peu à l’écart de la communauté ecclésiale et sociale pour se retirer dans la solitude et le silence, conditions nécessaires pour une prière apaisée et profonde. La communauté de St Benoît accueille au seuil de son cloître pour offrir à l’Eglise et au monde le cadre d'une communauté assurant l’Opus Dei, le « service divin ». Ce service divin s’exprime par le service d’une prière ininterrompue, à travers les sept temps de prière de la journée, mais ce service divin s’exerce aussi à travers la mise en œuvre d’une vie fraternelle. Mise en œuvre d’une fraternité qui s‘exerce à l'amour fraternel, à l'obéissance mutuelle, à la pureté du cœur, au juste et au bon usage des biens de ce monde. Une fraternité qui s’exerce à poursuivre la paix, à marcher sur les chemins de l'Evangile.
Les monastères sont des lieux de présence de Dieu. Des lieux où chacun peut être accueilli tel qu’il est sous un regard libre et bienveillant. Quand le pape St Grégoire écrit la vie de St Benoît, il le définit comme ‘homme de Dieu’, comme quelqu’un qui habitait avec lui-même sous le regard de Dieu. Cette soif de vraie vie personnelle propre à l'idéal monastique garde toute son actualité. Ce désir de retrouver notre vie personnelle dont nous avons soif et que le développement de notre modernité et de notre culture ambiante à la fois étouffe et en éveille la nécessité. Plus que jamais il manque à notre société le silence avec son authentique parole intérieure, il lui manque l'ordre, la prière, la paix. A chacun il lui manque lui-même.
Le cadre de la vie bénédictine permet ce retour à soi-même dans la présence bienfaisante de Dieu, c’est un chemin de profonde réconciliation.
Cette réconciliation ne s’arrête pas à l’individu. La Règle de St Benoît insiste sur l’idéal évangélique de cheminer ensemble. Le souci de la charité fraternelle et du service commun tient beaucoup de place. Les moines ont le souci du monde, de l’humanité. Ils ont le souci d’un monde juste et en paix. Cette humanité est la leur. St Benoît à l’exemple du Christ ne fait pas acception de personnes. Pour St Benoît, l’accueil est inconditionnel, le Christ est présent à travers toute humanité, pauvres, pèlerins, visiteurs, frères et sœurs dans la foi. Chez St Benoît il n’y a pas de clivages identitaires, le Christ est pour tous. Ceci n’empêche pas une lucidité sur la complexité de la nature humaine et donc la nécessité d’une Règle pour éviter les attitudes ou les comportements inadaptés, mais la visée est le bien et la vérité au service de tous, et surtout la recherche incessante de la paix, celle que le Christ a instaurée, à laquelle il nous appelle et nous exhorte à en être les inlassables artisans.

 


Fête des Saints apôtres Pierre et Paul, homélie de Frère Marie

Aujourd’hui en une même solennité l’Eglise célèbre les Sts Pierre et Paul, colonnes de l’Eglise et témoins d’une seule et même foi, d’un seul baptême, d’un seul Dieu et Seigneur de tous. A travers eux nous rendons grâces pour tous les apôtres et tous les témoins de l’Evangile à travers le temps qui ont témoigné et vécu cette même foi.
Pierre a connu le Christ Jésus dans sa chair, il a connu l’homme de Nazareth, à travers sa parole, ses gestes, son procès, sa mise en croix et sa résurrection. Pierre a écouté et regardé Jésus, il l’a suivi par une inspiration du Père, par une action de l’Esprit Saint qui lui faisait confesser l’impensable : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ». « Nul ne peut venir à moi, a dit Jésus, si le Père qui m’a envoyé ne l’attire » Jn 6, 44.
Paul, le zélé de la Loi, a découvert Jésus à travers les membres du corps du Christ, ses disciples qu’il persécutait comme étant une secte pernicieuse. Mais sur le chemin de Damas Le Christ Jésus a déchiré le voile de la Loi : « Qui es-tu Seigneur ? demanda Paul : Je suis celui que tu persécutes », lui répondit Jésus. Paul n’a pas connu le Christ selon la chair, mais l’a connu selon l’Esprit : « Nul ne peut dire Jésus Christ est Seigneur si ce n’est par l’Esprit Saint » 1 Co 12, 3. Paul a rencontré dans le ressuscité, l’homme nouveau, il n’y a plus ni juifs ni païens, mais Dieu a fait des deux, en Christ, un homme nouveau. Nous devons remettre à jour cette mémoire d’universalité en Christ, quand tant de discours actuels résonnent de rejets de l’étranger, de relents de racisme et de clivages de toutes sortes.
Oui ces deux colonnes de l’Eglise sont aussi des hommes pécheurs, l’un a renié, l’autre a persécuté. Les deux ont connu le regard du Christ sur eux, ce regard d’amour et de pardon. Ils ont reconnu leur péché et leur faiblesse à la lumière de la miséricorde et de la compassion du Christ. Ils en ont été libérés, de cette liberté d’enfant de Dieu dont Paul se fera le chantre. Leur enseignement et leur vie est devenu pour l’humanité un témoignage de confiance et de consolation.
En remettant les clés du Royaume à Pierre, Jésus établit l’Eglise comme sacrement de réconciliation entre Dieu et les hommes, comme sacrement de miséricorde et de pardon. Cette miséricorde de Dieu qui est appel à la conversion pour que notre cœur brûle de l’amour pour l’humanité, sans nous laisser enfermer dans la conscience de nos faiblesses. « Ma grâce te suffit, elle se déploie dans ta faiblesse » disait Jésus à Paul.
Oui il leur a fallu quitter, quitter beaucoup de choses, surtout beaucoup d’eux-mêmes, quitter leurs idées toutes faites, leur vision de Dieu, leur vision des autres et d’eux-mêmes. Il leur a fallu apprendre en premier lieu le pardon de Dieu, et le pardon mutuel. A l’école du Christ il leur a fallu apprendre à aimer et à se laisser aimer, à travers la douceur et l’humilité, à la suite du Maître ils ont appris à donner leur vie pour que les autres aient la vie.
Comme l’écrivait St Bernard : « ils nous ont été donnés pour maîtres et médiateurs, ce sont eux qui nous ont fait connaître les chemins de la vie… »
Ce qui les a saisis dans ce Jésus, c’est cette sagesse et cette folie de Dieu qui a renversé leur sagesse et leur prudence humaine. C’est à travers la faiblesse de la croix, à travers le visage du crucifié, que se manifeste le Roi de gloire. 1 Co 2, 1s
Les apôtres ont découvert que c’est à travers cette faiblesse de Dieu, que chaque homme peut se laisser atteindre dans sa propre faiblesse, que le mystère du Christ mort et ressuscité peut se manifester en chacun de nous et donner sens à toute vie.

 


Homélie du P. Abbé Vladimir,( mémoire de l'icône de la Vierge de tendresse de  N-D de Vladimir)

Chers Frères et Sœurs,

L’Évangile de Marc ne nous fait pas un tableau idéalisé du groupe des apôtres. Ils sont comme nous, lents à comprendre, prêts à se quereller et à discuter entre eux pour savoir qui est le plus grand. Comme nous, ils sont appelés, choisis, réunis mais ayant sans cesse besoin d’être enseignés.
Jésus appela les Douze et leur dit : « Si quelqu’un veut être le premier,
qu’il soit le dernier de tous et le serviteur de tous. »
Et comme exemple de ce renversement des valeurs, de ce paradoxe dont tout l’Évangile jusqu’à la Croix est rempli, il leur présente un petit enfant, image de la pauvreté et de la fragilité dans laquelle nous pouvons l’accueillir. Et cela renvoie à l’expérience même de Jésus en ce qu’elle rejoint la notre. Ce matin, nous avons chanté. « Réjouis-toi par qui la créature se va recréant, Réjouis toi par qui le créateur devient petit enfant » Jésus a été et reste comme chacun d’entre nous ce petit enfant ayant été nourri, réchauffé, protégé par sa mère. Il a eu besoin d’elle. C’est ce qu’expriment toutes les vierges à l’enfant que nous avons dans nos églises. C’est dans ce mystère plein d’humilité de la mère et de l’enfant contemplé par les bergers et les mages que nous sommes recrées et rejoignons notre vérité. Nous sommes de vrais pauvres plus que nous pouvons l’imaginer. Nous avons besoin. . .

 


Lundi de Pentecôte, Ste Marie Mère de l'Eglise, homélie de frère Marie

Ac 1, 12-14 ; Ps 86 ; Jn 19, 25-34

Tous, d’un même cœur, étaient assidus à la prière, avec des femmes, avec Marie la mère de Jésus, et avec ses frères.
Au lendemain de la Pentecôte, alors que nous sortons de ce long temps de Pâques, nous entrons, accompagnés par Marie dans le quotidien de notre foi, ou en inversant les termes, dans l’exercice de notre foi à l’épreuve du quotidien.
Aujourd’hui Marie nous est présentée à deux endroits cruciaux de la vie du Christ et de l’Eglise. Marie se tenant debout au pied de la croix recevant de Jésus sa mission de Mère, et Marie se tenant en prière au milieu des disciples, frères et sœurs de Jésus.
Au pied de la croix Jésus donne mission à Marie d’accomplir son pèlerinage de la foi dans les douleurs de l’enfantement, en ouvrant sa maternité à l’universalité du genre humain.
Marie ne peut posséder Jésus comme fils, que si elle reconnaît en lui « le frère aîné d’une multitude de frères ». « Femme voici ton fils », dit Jésus en désignant son disciple. Et Jésus nous invite à recevoir Marie comme Mère, comme il nous invite aussi à nous recevoir les uns les autres comme filles et fils d’un même Père, Dieu et Seigneur de tous.
Il n’est de véritable connaissance de Dieu que dans son amour universel et dans le service de tous ceux que Dieu aime.
Plus que jamais nous vivons dans un monde ou les diversités se rencontrent, se croisent, s’affrontent. Les actualités rendent criantes les fractures violentes et les fragilités multiples de notre monde, de notre société et les fragilités mêmes de l’Eglise. Tout cela nous révèle aussi l’incontournable défi de la solidarité sans laquelle notre humanité ne peut vivre. Marie se tient là debout devant son Fils en croix comme un phare de foi, d’espérance et d’amour, image accomplie d’une Eglise présente sur les points de fractures de l’humanité. Marie est l’icône d’une Eglise qui espère et qui accueille, mais aussi d’une Eglise servante qui agit. Plus que jamais nous avons besoin de percevoir ce visage-là de l’Eglise.
Avec Marie la prière appelle cette Sagesse d’en haut à descendre dans nos cœurs et dans le monde.
Nous ne nous rassemblons pas pour prier juste pour nous réconforter les uns les autres, mais nous prions surtout pour que la justice et la paix se fassent dans nos cœurs et dans le monde.
Le creuset de la prière nous fait humblement porter l’humanité dont nous sommes si solidaires.
Jésus nous invite à prier vraiment avec un cœur de pauvre à partir duquel nous pouvons tout espérer. Que Marie Mère de l’Eglise, en tête de notre pèlerinage de la foi, nous soutienne et nous guide dans le quotidien de notre foi, dans la force de l’Esprit Saint !

 


Dimanche de la Pentecôte, homélie du P. Abbé Vladimir

Chers Frères et Sœurs,
Le passage des Actes des Apôtres que nous venons d’entendre nous montre l’Esprit sous la forme de langues de feu descendant sur les apôtres. Le Christ commence ainsi à accomplir ce qu’il avait annoncé dans l’Évangile. Il envoie ses disciples jusqu’aux extrémités du monde pour annoncer la Bonne Nouvelle. Comme le dit la prière d’ouverture de la messe de ce jour, Dieu commence à sanctifier son Église chez tous les peuples pour répandre son Esprit sur l’immensité du monde. Mais ce don de l’Esprit est offert en ce jour à chacun d’entre nous et à chaque communauté pour ramener l’homme et l’humanité à l’Unité, unité dont la source est la Trinité, unité qui rassemble tout en préservant la distinction. Toutes les lectures de cette célébration nous permettent de méditer sur ce qu’est cette véritable unité qui nous est donné comme un héritage à faire fructifier.
Dans les Actes, nous voyons les apôtres se mettre à parler en d’autres langues selon le don de l’Esprit et chacun, venant de toutes les nations sous le ciel, les comprend. Contrairement à Babel, l’Unité que Dieu nous offre est une unité de traduction, de transmission, une unité réconciliant la multiplicité des langues et des expressions. L’Esprit nous apprend à parler et donc à comprendre la langue de l’autre, sa manière de penser. Et cela ne peut se faire, sans écoute et sans apprentissage. Dieu, dans le Christ, a parlé la langue des hommes et écouter sa Parole pour revenir à l’unité, c’est écouter les langues, les idées, les sentiments, les expressions et les besoins des autres dans lesquels l’unique Parole de Dieu s’exprime dans une richesse inépuisable. Il n’y a pas de langue sacrée. Il ne s’agit pas tant de s’affirmer, de défendre une identité, une idée que d’écouter avec bonté, bienveillance, douceur et maitrise de soi pour s’enrichir et pour entrer en dialogue. Et pour écouter, il faut prendre le temps et sortir de la peur. C’est le don que nous donne l’Esprit lui qui assouplit tout ce qui est raide et rend droit ce qui est faussé.
Pour écouter, il faut se laisser conduire par l’Esprit. Car l’unité que Dieu veut pour nous n’est pas d’abord de nature institutionnelle, elle n’est pas le résultat d’un consensus mais un don que nous devons accueillir, marchant sous la conduite de l’Esprit, allant de l’avant. Si nous marchons sous la conduire de l’Esprit, nous sommes invités à aller de l’avant, tendus vers les réalités d’en haut. L’unité n’est pas derrière nous, dans un passé idéalisé, elle est devant nous et ne sera consommé que dans la plénitude du Royaume qui vient. Marcher sous la conduite de l’Esprit, c’est marcher ensemble, de manière synodale puisque étymologiquement le mot synode veut dire « chemin fait ensemble ». Marchons ensemble sans nous laisser diviser par les œuvres de la chair, haines, rivalités, jalousies, emportements, intrigues, sectarisme. Avec le Christ Jésus, crucifions la chair avec ses passions et ses convoitises pour faire notre le fruit de l’Esprit, paix, patience, bonté, bienveillance, douceur. C’est à cette unité qui nait de l’écoute que veut nous conduire la synodalité à laquelle nous invite le Pape François. C’est un don de l’Esprit lui qui est celui qui guérit en nous ce qui est blessé par la multiplicité de nos égoïsmes.
Mais l’Esprit qui fait l’unité est aussi l’Esprit de vérité qui nous conduit à la vérité toute entière. Cette vérité, c’est d’abord la personne du Christ, lui qui est la pleine révélation du Père puisque tout ce que possède le Père est à lui. Dans cette vérité, nous ne pouvons que grandir en écoutant et en cheminant ensemble. Saint Benoît dans la conclusion de sa Règle nous parle du bon zèle dont la description est très proche du fruit de l’Esprit dont nous parle la lettre aux galates. Celui-ci nous fera parvenir tous ensemble à la vie éternelle.
Chers Frères et Sœurs,
Dans cette grande communion en marche vers l’unité qu’est notre église avec toutes ses blessures, écoutons ce que nous dit une Règle monastique très ancienne, la Règle de Macaire possiblement ne des premières règles de ce monastère au cinquième siècle : « Compte bien que tes frères (et sœurs pourrions nous ajouter) seront tes parents pour l’éternité ». Alors, écoutons-nous, servons – nous, dialoguons les uns avec les autres. C’est cet engagement qui construit l’amour, qui est l’amour même.
« Viens Esprit Saint, donne mérite et vertu, donne le salut final, donne la vie éternelle »

 


Fête de l'Ascension, homélie du P. Abbé Vladimir

Chers Frères et Sœurs,
En ce jour nous faisons mémoire de l’Ascension, c’est à dire de l’exaltation de Jésus. La vie humaine du Ressuscité est désormais dans un autre registre, celui de la gloire et du royaume. L’élévation spatiale que les Actes des apôtres décrivent n’est qu’une représentation symbolique de cette exaltation de l’humanité du Christ réalisée dans toute sa plénitude après être passée par la mort, et la mort de la Croix. Et pourtant, que ce soit dans l’Évangile que nous venons d’entendre, où dans les Actes des Apôtres, cette élévation au dessus de tout n’est pas présentée comme la conclusion de la vie de Jésus mais comme un nouveau début. Celui qui fait toutes choses nouvelles nous invite dans un commencement qui concerne chacun d’entre nous, un commencement qui n’aura pas de fin. C’est ce que, de manière paradoxale, la prière d’ouverture de ce jour nous dit. L’Ascension qui pourrait sembler une prise de distance nous rapproche du Christ dans la gloire, comme un corps uni à sa tête et nous propose de vivre avec lui. Nous qui participons à cette célébration, nous sommes invités à vivre comme un corps nouveau en ayant déjà en nous et entre nous, les sentiments qui sont dans le Christ Jésus, à vivre déjà des mœurs du Royaume. À cette invitation, nous pouvons répondre librement mais si nous répondons, tout devient nouveau et bien des choses nous deviendront d’une certaine manière étrangères. Ce n’est pas pour rien que le mot paroisse qui nous semble familier dérive d’un mot qui dans l’antiquité désignait la résidence dans un pays étranger. C’est celui que la Bible au livre de la Genèse utilise pour parler d’Abraham qui résida en Egypte comme un étranger. Et nous savons combien toute l’Écriture insiste pour nous rappeler que tous nous avons été étrangers et que c’est l’un des visages que le Christ prend pour venir à notre rencontre.
Proclamez l’Évangile à toute la création dit le Sauveur dans l’Évangile de Marc. Dans les Actes, il invite ses apôtres à être ses témoins jusqu’aux extrémités de la terre, non a rétablir la royauté en Israël. Cette bonne nouvelle car c’est ce que signifie le mot Évangile concerne donc tous les hommes jusque dans leur manière d’opérer dans le monde qu’ils doivent cultiver, dont ils doivent prendre soin et non l’exploiter. Et cela est encore plus vrai dans leurs relations avec les autres hommes. Si l’Évangile est destiné à tous, jusqu’aux extrémités de la terre, c’est qu’il peut se traduire dans toutes les langues ce que nous fêterons à la Pentecôte. Il est à la fois universel et prenant une tonalité singulière dans chacune de nos cultures, variété dont se construit le corps du Christ. Aujourd’hui le christianisme vit un moment historique qui peut sous certains aspects nous dérouter mais que nous, moines cisterciens, qui vivons dans un ordre international percevons très bien. D’une religion massivement à domination européenne, il est en train de devenir une religion avec de multiples centres, de multiples échanges. Quelque chose de nouveau est en train de se construire comme lorsque l’Évangile est passé aux grecs puis aux barbares dont nous sommes d’une certaine manière les héritiers. Il n’y a qu’à regarder le nombre de prêtres d’origine non européenne qui servent dans nos paroisses, ces maisons d’étrangers, pour nous en convaincre. Dans un regard de foi, nous pouvons discerner que c’est ainsi que le corps du Christ grandit vers toute sa plénitude. C’est ainsi aussi que toute l’humanité s’enrichit car les replis sur soi et la défense d’un monde autocentré ne conduisent qu’à la violence et à la guerre.
Alors que nous vivons dans ce que le Pape François appelle une troisième guerre mondiale par morceaux, écoutons ce que l’Esprit dit aux Églises : « ayez beaucoup d’humilité, de douceur et de patience, supportez-vous les uns les autres avec amour ; ayez soin de garder l’unité dans l’Esprit par le lien de la paix ». L’humilité qui n’a rien à voir avec la servilité mais qui est le refus de vouloir l’emporter sur les autres à tout prix, la douceur qui est le signe d’une vraie force, la patience qui seule nous permet d’aimer en vérité .
Ayons beaucoup d’humilité, de douceur et de patience et construisons ainsi la paix que le Christ nous a laissé.

 


 6ème dimanche de Pâques-B, homélie de Frère Marie

Jn 15, 9-17 ; Ac 10, 25-35 ; 1 Jn 4, 7-10 ; Ps 97

Chers frères et sœurs,
Le Christ Jésus nous affirme qu’il ne nous appelle plus serviteurs mais amis, amis parce qu’il nous a fait connaître tout ce qu’il a entendu de son Père.
Et, ce que le Christ nous a fait connaître de la véritable nature de Dieu, c’est que Dieu est amour. C’est à cette découverte des diverses expressions de l’amour de Dieu et de son agir, que nous invite les lectures de ce dimanche.
L’amour de Dieu se manifeste dans son universalité.
« En vérité, Dieu ne fait pas de différence entre les hommes, mais quelle que soit leur race, il accueille les hommes qui l’adorent et font ce qui est juste. »
Par cette exclamation de Pierre, c’est une nouvelle étape qui s’ouvre dans l’histoire du christianisme, les païens reçoivent à profusion le don de l’Esprit Saint. L’offre divine du salut est élargie à toute l’humanité. Offrir l’Evangile aux nations païennes ne résultent pas d’un choix stratégique des premiers chrétiens, mais de l’action divine et de son amour pour l’humanité. Aujourd’hui nous devons aussi être attentifs aux signes de l’agir divin dans le monde, dans la société très pluraliste et sécularisée qui nous entoure. L’amour de Dieu nous pousse à contempler et à nous laisser interpeller pour élargir notre vue et nos cœurs, pour pouvoir rejoindre et accueillir les germes que Dieu peut faire jaillir au cœur des nombreuses questions existentielles de notre monde.
Tout en ayant conscience de cette universalité du salut du Christ et de l’accueil de Dieu sans acception de personnes, nous savons d’expérience que c’est un long labeur de conversion de nos mentalités, pour faire passer dans nos vies les effets concrets d’une telle assertion. Il est toujours difficile d’ouvrir sa porte au différent ou à l’étranger. Nous savons que les murs de séparations et de haine qui traversent l’humanité ne trouvent leur point d’anéantissement que dans le Christ élevé en croix et dans le don de la vie et de l’amour qui en découle. Dieu a envoyé son Fils unique dans le monde pour que nous vivions par lui, c’est ainsi que Dieu a manifesté son amour.
Seul l’amour entre Jésus et son Père est parfaitement identique, dans une union parfaite de volonté. Quand il nous invite à aimer comme il nous a aimé, Jésus porte la question de l’amour au niveau d’un désir et d’un modèle vers lequel nous devons tendre. Il nous oriente vers une qualité de vie chrétienne qui ne trouve pas sa source dans une quantité du faire, mais qui trouve sa source dans la puissance qu’a l’amour de Dieu à nous transformer. L’amour de Dieu agit comme un appel à ouvrir des espaces de vie et de relation, sous la conduite de l’Esprit Saint. C’est un chemin de lente transformation de nos cœurs et de nos mentalités. C’est aussi un chemin d’humilité car nous sommes pétris de beaux désirs et de résistances, mais c’est aussi une sollicitation permanente à nous dépasser un peu plus. L’amour vrai tend à nous faire oser un peu au-delà de nos limites, à sortir de nos conforts ou de nos peurs.
Aimer est un acte de présence. Une présence qui sait se faire prière, proximité de vie, reconnaissance, respect et main tendue. Aimer s’exprime par des petits gestes et des actes généreux, par la compassion et la miséricorde, par l’accueil, par des engagements au service du bien commun de l’humanité.
Laissons le Christ et l’Esprit nous guider.


4ème dimanche de Pâques-B, homélie de frère Bartomeu

Jean 10, 11-18

Chers frères et sœurs, au cœur du Temps Pascal – ce Jour de Pâques qui dure cinquante jours – nous entendons chaque année cet enseignement, propre à l’évangile selon saint Jean, où Jésus prend l’image du berger et des brebis pour dire le mystère de sa personne, réalité de notre foi qui nous dé-passe, qui transforme notre vie, que nous devons chercher à comprendre et à vivre toujours plus profondément. C’est pour cette raison que nous enten-dons ces pages de l’évangile selon saint Jean au cœur du Temps Pascal.
Nous nous souvenons de la parabole, où celui qui avait cent brebis et en avait perdu une avait abandonné les quatre-vingt-dix-neuf autres dans le désert pour aller chercher celle qui s’était perdue, et quand il la retrouva, il la prit sur ses épaules, tout joyeux et, de retour chez lui, il rassembla ses amis et ses voisins pour leur dire : “Réjouissez-vous avec moi, car j’ai retrou-vé ma brebis, celle qui était perdue !” (Lc 15,4-6)
Mais voici que le bon pasteur qu’est Jésus donne sa vie pour ses bre-bis. « Moi – nous dit-il – je suis le bon pasteur, qui donne sa vie pour ses bre-bis. » Et il ajoute : « Voici pourquoi le Père m’aime : parce que je donne ma vie. » Mais il poursuit : « Je donne ma vie, pour la recevoir de nouveau. Nul ne peut me l’enlever : je la donne de moi-même. J’ai le pouvoir de la donner, j’ai aussi le pouvoir de la recevoir de nouveau. » Et il conclut : « Voilà le com-mandement que j’ai reçu de mon Père. »
C’est ce que nous vivons en la célébration de Pâques. Il donne sa vie, pour la recevoir de nouveau, nul ne peut la lui enlever, il la donne de lui-même, et c’est pour cela que le Père l’aime. Il a le pouvoir de la donner et il a aussi le pouvoir de la recevoir à nouveau, et ceci c’est le commandement qu’il a reçu du Père. En une autre occasion il dira : « Il faut que le monde sache que j’aime le Père, et que je fais comme le Père me l’a commandé. » (Jn 14,31)
Que la méditation de ces paroles de Jésus ne nous quitte plus. Elles ont le pouvoir de transformer notre vie. Dans ce donner sa vie pour nous, ses brebis, il y a l’amour du Père pour lui et de lui pour le Père. Le Père l’aime et lui il aime le Père, et c’est dans cet amour réciproque entre le Père et lui, qu’il donne sa vie pour ses brebis et qu’il la reçoit de nouveau dans la résur-rection.
Et il connait ses brebis et ses brebis le connaissent, comme le Père le connaît, et qu’il connaît le Père. Amour et connaissance se correspondent, s’identifient même : le Père l’aime et il aime le Père, le Père le connaît et il connaît le Père. Et nous-mêmes nous sommes dans cet amour et cette con-naissance parce qu’il connaît ses brebis et ses brebis le connaissent, comme le Père le connaît, et qu’il connaît le Père.
Que cette nouvelle célébration du mystère pascal nous fasse entrer davantage dans cet amour, dans cette connaissance, dans cette vie. Nous les avons reçus au baptême et nous les recevons chaque fois que nous célébrons le mystère de la foi qu’est l’eucharistie. Ils nous font vivre dans notre vie de chaque jour.

 

 


Mercredi dans l'octave de Pâques, homélie de frère Marie

Le Seigneur s’est toujours souvenu de son alliance, nous fait chanter le psaume. (Ps 104)
En cette alliance l’espérance ne trompe pas.
Les disciples d’Emmaüs quittent Jérusalem, tout tristes, leur espérance en l’avènement de Jésus a été ensevelie au tombeau, dans le tombeau de leurs cœurs. Oui, il est vrai, ils ont entendu dire que des femmes été allées au petit matin à la tombe et qu’elles l’avaient trouvé vide, mais lui, Jésus elle ne l’ont pas vu. Le cœur des disciples étaient aussi vides que la tombe.
Pourtant les femmes disaient aussi que des anges leur étaient apparus et leur avaient annoncé : Jésus est vivant. Ces anges sont les témoins du Ciel, les témoins de la Gloire, les témoins de l’invisible.
A travers cette page des pèlerins d’Emmaüs c’est notre vide qui est visité, visité par le vivant lui-même, comme pour les pèlerins d’Emmaüs notre foi a besoin d’être réveillée, elle a besoin de sortir du tombeau, du tombeau de nos désillusions, de nos désespérances, du tombeau de nos fatigues de croyants.
Tout l’art du Christ est de ressusciter ses disciples, de les faire advenir à sa lumière, de leur faire découvrir sa présence au milieu d’eux et de les ouvrir à l’intelligence de la foi.
Comme pour les pèlerins d’Emmaüs Jésus nous ressuscite à travers deux tables. La table des Ecritures. La Bible est le livre d’espérance. L’espérance biblique surgit au cœur du pire, et pour l’homme biblique il y a encore pire que la mort, le pire est dans ce doute : « Dieu aurait-il abandonné son peuple ? Nous aurait-il rejetés définitivement à cause de nos fautes ? » Or, la folie de la Croix vient apporter une réponse inouïe à cette angoisse désespérante, celle de l’amour de Dieu qui redonne vie.
L’autre table est celle du partage du pain, ce pain de communion qui nous unit en lui, en son corps vivant. C’est aussi le pain de la charité qui nous tourne vers les autres et surtout vers les plus pauvres.
Oui, Seigneur, ton alliance et ton espérance ne trompent pas.


 Lundi de Pâques, homélie de frère Marie

Chers frères et sœurs, voici que le Christ Jésus nous fait chanter avec le psaume : « Je voyais le Seigneur devant moi sans relâche : il est à ma droite, je suis inébranlable. » Ps 15
Oui, le Christ Jésus, qui a traversé les affres de la passion, qui a traversé les ténèbres de la mort, nous entraîne dans sa louange, son action de de grâce et sa confiance en la présence indéfectible et aimante du Père, dans son infinie confiance dans le secours et la puissance de l’Esprit Saint.
Sur la croix au moment redoutable du passage, de son humanité meurtrie son cri avait jailli : « Mon Dieu, mon Dieu pourquoi m’as-tu abandonné ! » Ce cri est le nôtre devant tout ce qui meurtri notre humanité, devant tout ce qui meurtri notre foi, devant tout ce qui fait vaciller notre espérance. Et cependant du fond même de son esprit Jésus avait dit cette autre parole : « Père, entre tes mains je remets mon esprit ! »
« Oui, tu ne peux m’abandonner à la mort ! » C’est dans cette infinie confiance que le Christ Jésus est relevé d’entre les morts.
C’est maintenant dans la lumière de son amour et de sa résurrection que le Christ vient à notre rencontre, comme il vient à la rencontre des saintes femmes aux premières lueurs du matin de Pâques. Il vient à notre rencontre avec sa salutation de paix, il vient non pour juger, mais pour sauver. Il nous donne son souffle pour annoncer au monde entier : Il est vivant, c’est bien lui, nous le voyons ! Au fond même de notre cœur, dans le souffle de son Esprit il nous dit : « C’est moi, ne crains pas, je suis le vivant à jamais, celui qui a donné sa vie pour toi. »
C’est le mystère de l’Eglise, corps du Christ. Cette Eglise corps du Christ que nous formons, qui est le corps blessé, meurtri, et qui est le corps guéri, réconcilié, ressuscité. C’est le mystère du corps de l’humanité qu’il a embrassée, une humanité si imparfaite et aimée, humanité assumée dans cette grâce infinie qui nous devance pour que nous puissions entrer et le suivre dans les œuvres de sa grâce.
Oui, le Christ Jésus nous invite et nous entraîne dans sa confiance : « Il est à ma droite, je suis inébranlable. Ma chair elle-même reposera dans l’espérance : tu ne peux m’abandonner au séjour des morts ni laisser ton fidèle voir la corruption. Tu m’as appris des chemins de vie, tu me rempliras d’allégresse par ta présence. »
Sa présence est là, qui assume notre faiblesse et nous entraîne en son infinie confiance sur son chemin de vie.

 


Jour de Pâques, homélie du P. Abbé Vladimir

Chers Frères et Sœurs,

Dans l’Évangile que nous venons d’entendre, il y a les signes que perçoivent Marie Madeleine et les deux disciples, Pierre et l’autre disciple, celui que Jésus aimait. Marie Madeleine se rend au tombeau de grand matin et elle s’aperçoit que la pierre a été enlevée et que le corps de Jésus n’est plus là. Vite, elle court pour raconter cela aux deux disciples qui se mettent à courir vers le tombeau. L’autre disciple court plus vite, se penche et voit les linges posés à plat. Simon Pierre qui arrive ensuite, entre dans le tombeau et aperçoit les linges et le suaire roulé à part, à sa place. C’est alors qu’entra l’autre disciple. « Il vit et il crut » nous dit l’Évangile. Peu à peu, avec les disciples, nous passons des signes à la révélation de la Résurrection de Jésus, le crucifié. À la différence de Lazare sorti du tombeau avec ses bandelettes, Jésus qui s’est relevé d’entre les morts, pour une vie nouvelle, a abandonné les habits qui le recouvraient dans leur ordre et chacun à leur place.
« Il vit et il crut ». Nous ne sommes pas ici dans le domaine de l’évidence rationnelle mais par la foi, un dévoilement du mystère se produit, dévoilement qui éclaire le sens de toutes les Écritures. Le Christ n’est plus ici, non qu’il ait été enlevé par quelqu’un mais il inaugure le monde nouveau. Ce que décrit Jean est du même ordre, que ce que Luc décrit dans son Évangile en parlant des disciples en route vers Emmaüs et auquel un mystérieux compagnon de voyage explique les Écritures, compagnon qu’ils reconnaitront à la fraction du pain.
Être disciple du Christ, comme le sont devenus les nombreux catéchumènes qui ont été baptisés cette nuit et pour qui nous prions, ce n’est pas seulement avoir des signes, c’est se laisser conduire par la grâce de la foi qui nous ramène aux Écritures qui donnent à nos vies et à toutes choses un sens nouveau. Comme le dit Pierre dans les Actes des Apôtres, c’est à Jésus que tous les prophètes rendent témoignage. Comme nous le dit aussi la lettre aux Colossiens, recherchons les réalités d’en haut.

Chers Frères et Sœurs,
Cette course au tombeau, si nous osons nous exprimer de cette façon, est une image de notre vie. Elle est marquée comme celle du disciple bien aimé par le sceau de la résurrection. Notre vie puisque nous sommes passés par la mort avec le Christ est maintenant cachée avec le Christ en Dieu. Vivons de cette vie nouvelle qui est communion et amour. Recherchons la vraie liberté, celle du Christ, celle d’une vie donnée, totalement, jusqu’à la fin.
« L’Esprit et l’Épouse disent : « Viens ! » Celui qui entend, qu’il dise : « Viens ! » Celui qui a soif, qu’il vienne. Celui qui le désire, qu’il reçoive l’eau de la vie, gratuitement ».


Nuit de Pâques, homélie du P. Abbé Vladimir

Chers Frères et Sœurs,

Voici qu’en ce matin de Pâques, nous sommes avec les femmes pour nous rendre au tombeau. Même si l’Évangile de Marc nous a montré combien Jésus avait été seul, abandonné par ses disciples dans sa Passion, ces femmes étaient déjà là, observant de loin Jésus qui meurt sur la Croix et assistant, sans y prendre part, à son ensevelissement. De grand matin, elles se rendent au tombeau après avoir acheté des aromates pour embaumer le corps de Jésus. Rien ne se passe pourtant comme elles semblent l’avoir prévu. Elles s’inquiétaient de la lourdeur de la pierre mise à l’entrée du tombeau mais elles sont saisies de frayeur à cause de ce qu’elles voient. Elles étaient parties pour embaumer le corps d’un mort qu’elles avaient suivi depuis la Galilée. Elles cherchaient quelqu’un qui n’est plus là mais qui est devenu encore bien plus présent mais d’une autre manière. Elles voulaient procéder à une œuvre qui n’a plus lieu d’être faite mais il leur est demandé d’aller annoncer la résurrection aux disciples et à Pierre. À la place d’un corps, elles reçoivent une parole d’un mystérieux jeune homme vêtu de blanc qu’elles découvrent dans le tombeau, assis à droite. « Jésus de Nazareth, le Crucifié, il est ressuscité, il n’est plus ici, il vous précède en Galilée ». Ce message, nous savons qu’il va transformer toute leur vie car il n’est pas la conclusion d’une histoire mais un commencement. Ce message s’adresse encore aujourd’hui à chacun d’entre nous.

Chers Frères et Sœurs,
Dans notre monde où la mort de toute manière semble parfois prendre le dessus, comme les femmes, revenons au tombeau pour entendre l’apôtre nous dire : « Par le baptême qui nous unit à la mort du Christ, nous avons été mis au tombeau avec lui, pour que nous menions une vie nouvelle, comme lui ». L’homme ancien qui est en nous a été fixé à la croix pour que nous soyons affranchis du péché. Célébrer la résurrection, c’est vivre notre baptême. C’est nous laisser mettre en chemin comme les femmes. Cela n’a pourtant pas été facile pour elles. Le verset d’Évangile qui suit notre lecture nous dit qu’elles étaient toutes tremblantes et hors d’elles-mêmes. Célébrer la Pâque, c’est accepter ce passage qui nous décentre de nous-mêmes pour nous faire vivre de la vie nouvelle que nous recevons de la Croix. C’est être vivants pour Dieu en Jésus Christ.

Chers Frères et Sœurs,
Nous allons renouveler les promesses de notre baptême. Que, par cet engagement, nous recevions la grâce de nous laisser conduire par le Christ qui sans cesse nous précède pour nous conduire à la vie.


Vendredi saint, homélie du P. Abbé Vladimir

Chers Frères et Sœurs,
Hier soir nous faisions mémoire de la dernière cène et nous entendions lire ce passage de l’Évangile de Jean : « Avant la fête de la Pâque, sachant que l’heure était venue pour lui de passer de ce monde à son Père, Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout ». Aujourd’hui, nous méditons sur la Passion du Sauveur, Celui qui nous donne la vie et nous venons d’entendre : « Après cela, sachant que tout, désormais, était achevé pour que l’Écriture s’accomplisse jusqu’au bout, Jésus dit : « J’ai soif. » et juste ensuite : « Quand il eut pris le vinaigre, Jésus dit : « Tout est accompli. » Puis, inclinant la tête, il remit l’esprit. ». Contemplons le Christ mourant sur la Croix. En lui toutes les promesses arrivent à leur aboutissement. Par lui, tout est accompli. Il attire à lui tous les hommes. Il a été « comme un agneau conduit à l’abattoir mais c’étaient nos souffrances qu’il portait, nos douleurs dont il était chargé ». Nos fronts sont marqués du signe de sa croix et c’est, par elle, qu’avec le monde entier, nous recevons le salut et la vie. Lorsqu’il avait demandé à boire à la Samaritaine, sa soif annonçait celle qu’il exprime librement du haut de la Croix. Cette soif exprime l’intensité de l’amour du Père qui est en lui et qui veut se répandre comme une eau vive. C’est un cri qu’il adresse à chacun d’entre nous. Fixons le regard de notre cœur sur la Croix du Christ.

« Un des soldats avec sa lance lui perça le côté ; et aussitôt, il en sortit du sang et de l’eau. Celui qui a vu rend témoignage, et son témoignage est véridique ; et celui-là sait qu’il dit vrai afin que vous aussi, vous croyiez ».
Chers Frères et Sœurs,
Jusque dans la mort, le Sauveur accomplit les Écritures. Jésus bien que passé par la mort est source de vie jusque dans sa mort. « En effet, ils sont trois qui rendent témoignage, l’Esprit, l’eau et le sang, et les trois n’en font qu’un ». Contemplons avec les yeux de la foi Celui qui a été élevé, Celui qui est déjà dans la gloire. Il veut attirer à lui tous les hommes. Laissons nous attirer c’est à dire convertir par lui pour à notre tour témoigner de l’amour et de la paix qu’il veut donner à toute l’humanité. La lettre aux hébreux nous dit qu’il a appris par ses souffrances l’obéissance. Non qu’il en eut besoin mais il l’a fait pour nous. En Jésus, mourant sur la croix, la communion avec le Père est pleinement consommée et c’est d’elle que jaillit pour nous l’Esprit. Apprenons de lui l’obéissance c’est à dire la pleine disponibilité à manifester l’amour du Père pour que le monde croie.


Jeudi Saint, homélie du P. Abbé Vladimir

Chers Frères et Sœurs,

En cette fin de journée, voici qu’en faisant mémoire de la dernière cène qui est le sacrement de l’amour de Dieu, nous sommes invités à répondre à cet amour qui est venu nous chercher et nous trouver. Saint Augustin commentant l’Évangile que nous venons d’entendre avec le récit du lavement des pieds dit que « l’homme orgueilleux périrait à jamais si le Dieu humble ne le trouvait pas ». Rendons grâce car Dieu, dans le Christ, sans cesse et jusqu’à aujourd’hui vient à notre rencontre. L’humilité de Dieu, celle du Verbe fait chair, le lavement des pieds en est le sacrement c’est à dire le signe efficace exactement comme l’est le sacrifice nouveau, ce repas qui est aussi sacrement. Dieu est venu chercher l’homme en se faisant homme. « Il s’est anéanti, il s’est abaissé devenant obéissant jusqu’à la mort et à la mort de la Croix » dit la lettre aux Philippiens. Comme le dit saint Bernard en commentant ce texte : « Le Christ s’est immergé au plus épais et au plus profond de l’universelle misère ». C’est cette humilité et cet amour qui vont jusqu’au don total de la vie sur la Croix que nous célébrons dans le lavement des pieds qui est ainsi sacrement du pardon et de la miséricorde de Dieu. Le Dieu humble vient guérir notre orgueil. Il descend dans notre misère. C’est à cause de cela que Pierre doit accepter de se laisser laver les pieds par le Christ. C’est à cause de cela que nous devons nous laver les pieds les uns les autres. Il nous faut accepter d’être rejoint et trouvé non seulement par le Christ mais par nos frères jusque dans notre misère. Il nous faut aussi nous mettre à leur service pour les rejoindre dans leur misère. Il nous est donné ce soir d’accepter de nous laisser laver les pieds, de nous laisser servir, de nous laisser pardonner comme il nous est donné dans le même mouvement de servir nos frères et de les pardonner. C’est dans ce double mouvement qui est d’abord un don que nous répondons à l’amour gratuit de Dieu. Jésus sait que Pierre va le renier. Bientôt, il va lui dire : « Amen, amen, je te le dis : le coq ne chantera pas avant que tu m’aies renié trois fois » et pourtant il lui dit qu’il est pur car capable d’être rejoint par lui dans sa misère et d’être pardonné et de renaître par ce pardon. Le mystère est entier mais c’est ce dont Judas dans son amour dévoyé ne semble pas capable.
Chers Frères et Sœurs,
Laissons nous réconcilier par le Christ. Renaissons à la vie nouvelle.
Ce qu’il avait annoncé en libérant le peuple de la servitude en Egypte, Dieu le réalise en plénitude et pour tous en nous donnant son Fils. C’est lui qui est notre paix et notre réconciliation. En versant son sang, il nous a donné son amour nous laissant un exemple pour que nous marchions sur ces traces. Avançons sur ce chemin qui est celui de la paix pour construire la paix.


Dimanche des Rameaux, homélie du P. Abbé Vladimir

Chers Frères et Sœurs,

Après avoir fait mémoire de l’entrée de Jésus à Jérusalem en célébrant le règne qui vient, celui de David notre Père. Après avoir chanté notre joie et notre foi en Celui qui nous sauve reprenant un verset de psaume : « Hosanna, Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur », nous nous unissons à tous les chrétiens dans la contemplation du mystère de notre salut, les souffrances et la mort de notre Sauveur, le. Nous le faisons dans la foi et dans l’espérance de partager cette vie qu’il a donné pour chacun d’entre nous et pour tous les hommes.
Nous venons d’entendre comment Jésus a été abandonné par ses disciples jusqu’à celui qui s’enfuit tout nu, comme il a été trahi par Judas, renié par Pierre, accusé de blasphème par les prêtres, rejeté en faveur d’un meurtrier par la foule et moqué par tous. Le récit de l’Évangile de Marc est celui qui nous montre avec le plus de force l’abandon de celui qui s’est anéanti jusqu’à la mort de la croix. Pour les Écritures et en particulier les psaumes, seul le vivant peut louer Dieu. C’est ce que chante le Cantique d’Ézéchias dans le livre d’Isaïe : « La mort ne peut te rendre grâce, ni le séjour des morts, te louer. Ils n’espèrent plus ta fidélité, ceux qui descendent dans la fosse. Le vivant, le vivant, lui, te rend grâce ». Pourtant Jésus s’abaissant jusqu’à la mort, semble totalement abandonné lorsqu’il crie : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as tu abandonné ».
Contrairement aux apparences, c’est dans ce cri que toutes les Écritures sont accomplies. Jésus rassemble en lui tous les justes persécutés qui chantent et appellent Dieu dans les psaumes et qui malgré leur détresse ne sont pas abandonnés par Celui qui écoute le moindre cri de l’homme. « Même l’ami qui avait ma confiance et partageait mon pain m’a frappé du talon » chante un psaume et Jésus annonce que c’est celui qui se sert avec lui dans le plat qui le trahira. « Tu éloignes de moi amis et familiers » chante un autre psaume et les disciples l’abandonnèrent et s’enfuirent tous nous dit le récit évangélique de l’arrestation du Sauveur.
« Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as tu abandonné ». C’est encore aujourd’hui le cri de tous ceux qui meurent sous les bombes et les missiles, qui sont enlevés, séquestrés et torturés dans de nombreuses régions du monde. C’est le cri des migrants dont le bateau s’enfonce dans la mer et très peu pour les secourir. C’est le cri des vieillards vivants dans la solitude la plus extrême et que presque personne ne vient visiter, c’est celui des souffrants dans les hôpitaux, les prisons et tant d’autres endroits. Il a pris sur lui toutes nos souffrances.
Tous l’ont abandonné et pourtant les femmes, Marie Madeleine, Marie et Salomé espérant contre toute espérance sont là observant de loin. Tous se moquaient de lui et pourtant, le centurion seul face à la croix s’écrie : « Vraiment cet homme était Fils de Dieu ». Les prêtres et les anciens l’ont accusé de blasphème pour obtenir sa mort mais Joseph qui attendait lui aussi le règne qui vient eut l’audace d’aller chez Pilate pour demander le corps de Jésus.
« Tu m’as répondu » chante le psaume. Et nous en ce dimanche, avec les femmes, le centurion et Joseph d’Arimathie, demeurons fermes dans l’espérance, une espérance active qui nous fait nous pencher sur le cri des abandonnés. C’est sa mort en Croix qui manifeste que Jésus de Nazareth est le Juste, l’Élu, le Sauveur. Accueillons ce témoignage jusque dans celui des pauvres et humiliés qui le représentent aujourd’hui pour avoir part, tous ensemble, à la plénitude de la vie en ressuscitant avec le Christ.

 


Solennité de Saint Joseph, homélie du P. Abbé Vladimir

Chers Frères et Sœurs,

Alors que nous nous acheminons vers la fin de ce carême, aujourd’hui en fêtant saint Joseph, nous entendons l’apôtre nous dire que l’on devient héritier grâce à la foi. « La foi qui est une façon de posséder ce que l’on espère, un moyen de connaître des réalités qu’on ne voit pas » comme le dit la lettre aux hébreux. Cette foi, nous pouvons la contempler en Joseph qui est l’homme juste par excellence puisque c’est la foi qui rend juste. C’est grâce à la foi de Joseph que Jésus devient héritier d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. C’est grâce à la foi de Joseph qu’il est Fils de David, Roi, Christ et Messie. Mathieu veut ainsi déjà nous faire comprendre qu’en Celui auquel Joseph donnera le nom de Jésus, c’est à dire Le Seigneur Sauve, tout est accompli, un Sauveur nous est donné. Et tout cela se réalise dans le silence. Joseph qui est l’homme de la foi est aussi l’homme silencieux par excellence. Luc, dans le récit de l’annonce faite à Marie, nous montre le dialogue entre Marie et le Messager divin. Rien de tel dans le passage de l’Évangile que nous venons d’entendre où il nous est simplement dit que Joseph, à son réveil, fit ce que l’ange lui avait prescrit. C’est ce qu’il fera une deuxième et une troisième fois lors de la fuite et du retour d’Egypte et, ceci, afin que l’Écriture soit accomplie. La foi de Joseph est une foi qui écoute, qui obéit, qui agit. Il y a un trouble en Joseph que l’Évangile ne détaille pas et que les traditions orientales et occidentales interpréteront de manière différente. Mais ce trouble qui semble mettre un obstacle au projet de salut de Dieu puisqu’il a le projet de renvoyer Marie en secret se résout grâce à l’obéissance de la foi de Joseph, l’homme qui écoute dans le silence : « Joseph, ne crains pas de prendre, chez toi, Marie ton épouse ». Comme le dit encore la lettre aux hébreux, grâce à leur foi, les justes même après leur mort nous parlent encore. Joseph nous parle encore aujourd’hui, il est pour nous un exemple, un modèle et un intercesseur.

L’oraison de la fête de ce jour nous dit que s’il fut confié à Joseph à l’aube des temps nouveaux la garde des mystères du salut, il est donné à l’Église c’est à dire à chacun d’entre nous de veiller sur leur achèvement. Espérant contre toute espérance, cela nous est donné grâce à la foi. Ne craignons pas mais écoutons. À chacun d’entre nous, à la mesure de notre foi, le Père nous demande de communier à l’œuvre de salut de son Fils, de l’accueillir, de le suivre. En ces temps qui ne sont pas simples, qui peuvent sembler même inquiétants, écoutons dans le silence ce que l’Esprit dit sans nous laisser troubler. Notre faiblesse, c’est notre force pour que la grâce de Dieu se déploie dans la faiblesse et que nous soyons ainsi de fidèles témoins des mystères du salut.

 


4ème dimanche de Carême, homélie du P. Abbé Vladimir

évangile de la guérison de l'aveugle né Jean 9

Chers Frères et Sœurs,
Nous venons d’entendre le long récit de la guérison d’un aveugle de naissance tiré de l’Évangile selon saint Jean. « L’homme qu’on appelle Jésus a fait de la boue, il me l’a appliquée sur les yeux et il m’a dit : “Va à Siloé et lave-toi.” J’y suis donc allé et je me suis lavé ; alors, j’ai vu. » répond cet homme à ceux qui l’interrogent. Au début du carême, les cendres nous ont rappelés que nous sommes poussière. C’est comme par une nouvelle création où la poussière est remodelée que ce pauvre, ce mendiant aveugle accède à la lumière. Et cette histoire parle aussi de chacun d’entre nous.
Déjà au commencement, le prologue de l’Évangile de Jean disait : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu. . . En lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes ; la lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont pas arrêtée ». Ce long récit de la guérison d’un aveugle né et la controverse qu’elle provoque ne fait, d’une certaine manière, que développer dans un récit ce que chante le prologue : « Le Verbe était la vraie Lumière, qui éclaire tout homme en venant dans le monde. Il était dans le monde, et le monde était venu par lui à l’existence, mais le monde ne l’a pas reconnu ». Avec l’aveugle né, nous voyons le Verbe à l’œuvre pour sauver, pour guérir en donnant la lumière.
En ce jour avec tous les catéchumènes qui se préparent au baptême et en particulier avec Christopher, nous demandons cette lumière qui est à la fois vie et connaissance. Recevoir cette lumière c’est devenir un homme nouveau en accueillant la grâce non seulement de la foi mais aussi de l’espérance et de la charité. C’est une nouvelle naissance qui fait de nous des fils de Dieu.
Cette lumière, nous la demandons aussi pour chacun d’entre nous. Nous l’avons reçu au jour de notre baptême, mais nous devons nous laisser conduire par elle jour après jour. Il faut que l’homme nouveau grandisse en nous jusqu’à la plénitude et jusqu’au plus intime de notre cœur, nous devons nous laisser éclairer par elle.
Après n’avoir pas condamné la femme adultère alors qu’il était dans le temple, Jésus avait déjà affirmé qu’il est la lumière du monde. Jésus, le Verbe est le Dieu qui sauve et guérit. Il est celui qui fait miséricorde et pardonne. Car Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour le condamner mais bien pour le sauver.
Si les Pères appelaient le baptême illumination, c’est bien parce qu’il est don et accueil de cette lumière qui est pardon, qui est vie nouvelle dans l’Esprit et nouvelle connaissance dans la foi et la charité. Cette lumière est aussi celle de l’humilité. Nous ne pouvons pas nous sauver nous même, nous ne pouvons pas éclairer nos ténèbres nous –mêmes et lorsque nous les découvrons, nous sommes plutôt tentés de refuser cette lumière qui les éclaire que de l’accepter. C’est le sens de tout le combat, tous les discussions, tous les refus que l’Évangile nous décrit dans ce récit. Il y a toujours quelque chose en nous qui combat et refuse la lumière. C’est le but et le sens du carême que de reprendre conscience de cela. Nous pouvons dire avec l’aveugle né : « Je crois, Seigneur » mais nous devons supplier en même temps : « Seigneur fais grandir en moi la foi, fais ».

Seigneur, fais que nous soyons des témoins de la foi pleins d’assurance et de courage. Fais qu’éclairés par ta lumière, nous devenions des artisans de paix et que nous devenions capable de te reconnaître tout au long de nos journées dans nos frères, dans les pauvres, les étrangers, dans tous ceux que le monde rejette.


 3ème dimanche de Carême - B, homélie de frère Marie

Jean 2, 13-25 ; 1 Corinthiens 1, 22-25

« Alors que les Juifs réclament des signes miraculeux, et que les Grecs recherchent une sagesse, nous, nous proclamons un Messie crucifié. » Oui, scandale pour les uns, folie pour les autres. Folie de Dieu, qui dépasse notre entendement.
Jésus dévoré par le zèle de la maison de Dieu, chasse les vendeurs du Temple. L’approche de la grande fête de Pâque représentait pour eux un commerce florissant. Et pourtant par le prophète Isaïe le Seigneur avait bien déclaré : « Que me fait la multitude de vos sacrifices. Le sang des taureaux, des agneaux et des boucs, je n'en veux plus. Quand vous venez vous présenter devant moi, qui vous demande de fouler mes parvis ? » « Ôtez plutôt de ma vue vos actions mauvaises, apprenez à faire le bien, à pratiquer la justice… ».
Jésus rappelle avec toute sa vigueur la véritable signification de ce lieu : « Enlevez cela d’ici. Cessez de faire de la maison de mon Père une maison de commerce. » Oui, le Temple a pour mission d’être la maison de Dieu, la maison de prière.
Durant l’exode, à travers l’immensité du désert, Dieu se rendait présent à son peuple dans la tente de la rencontre, qui abritait l’Arche d’alliance et les tables de la Loi. Dieu nomade et compagnon de son peuple… En terre promise Salomon bâtit le Temple dans lequel fut transféré l’arche d’alliance, nouvelle tente de pierre. Temple de pierre qui ne peut contenir Dieu, mais sur lequel repose son Nom, un Nom accueillant. Un Nom destiné à tous les peuples de la terre.
Salomon éleva cette prière : « Si donc, à cause de ton nom, un étranger, qui n’est pas de ton peuple Israël, vient d’un pays lointain prier dans cette Maison, toi, dans les cieux où tu habites, écoute-le. Exauce toutes les demandes de l’étranger. Ainsi, tous les peuples de la terre, comme ton peuple Israël, vont reconnaître ton nom et te craindre. Et ils sauront que ton nom est invoqué sur cette Maison que j’ai bâtie. » Cependant ce Temple subira les vicissitudes de l’histoire d’Israël, il sera détruit, reconstruit. Et voici que Jésus annonce : « Détruisez ce sanctuaire, et en trois jours je le relèverai. » Devant cette annonce qui semble insensée, l’évangéliste précise : Mais lui parlait du sanctuaire de son corps. Aussi, quand Jésus se réveilla d’entre les morts, ses disciples se rappelèrent qu’il avait dit cela, et ils crurent.
En Jésus, c’est la parole vivante de Dieu, dans le don d’Amour du Père, qui devient tente de la rencontre. Où tous sont accueillis.
Oui, c’est à travers le scandale d’un Messie crucifié que Jésus le Christ s’unit à nous et nous unit à lui à travers sa mort et sa résurrection.
Jésus nous révèle l’amour du Père, qui veut que, par le Fils, tous les hommes soient sauvés. Amour qui va jusqu’au bout, là où nous n’avons plus de mots, là où nous perdons pied, là où nos pensées, notre sagesse humaine est débordée par l’excès des pensées de Dieu, par l’excès de sa folie. Cette folie d’amour de Dieu qui est sagesse de Dieu. Contre toutes les apparences, il s’agit de vie. Et de grâce. Et de paix. Il s’agit, non pas du règne du mal que nous connaissons trop, mais de la victoire de l’amour. Dans le Temple nouveau de Dieu, Corps du Christ, vient se faire entendre et prendre en charge notre monde, avec toutes ses chutes et ses douleurs, ses appels et ses révoltes, tout ce qui crie vers Dieu, aujourd’hui, depuis les terres de misère ou de guerre, dans les foyers déchirés, les prisons, sur les embarcations surchargées de migrants…
Il s’agit aussi de l’espérance, qui jaillit de l’amour fou de Dieu et que le Christ Jésus nous partage dans l’Esprit Saint. Notre prière devient le fil conducteur de notre humanité réconciliée avec Dieu, en Jésus, d’une humanité qui espère se réconcilier entre elle. Fidélité invincible de Dieu à notre humanité qui fait de nous des temples saints.


2ème dimanche de Carême-B, homélie de frère Bartomeu

Marc 9,2-10

 

Chers frères et sœurs, chaque année, après avoir suivi Jésus au désert le premier dimanche du carême, en ce deuxième dimanche nous l’accompagnons, avec Pierre, Jacques et Jean, sur une haute montagne. Et là nous entendons à nouveau la voix que nous avions déjà entendu au Jourdain (Mc 1,11) et qui dit : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé ». Avec cette fois-ci une invitation pressante : « Écoutez-le. »
Et voici qu’en descendant de la montagne, Pierre, Jacques et Jean se demandaient entre eux ce que voulait dire : “ressusciter d’entre les morts”. Souvent, en particulier dans l’évangile selon saint Marc, nous voyons que les disciples ne comprennent pas ce que fait et dit Jésus (Cf. Mc 6,52 ; 7,18 ; 8,17-18.21). Mais, est-ce que nous-mêmes nous comprenons ce que veut dire “ressusciter d’entre les morts” ?
Il faut peut-être qu’aujourd’hui nous oublions un peu la fête de la Transfiguration du Seigneur, le 6 août, fête où nous contemplons « Jésus-Christ, resplendissant de la gloire du Père, effigie de sa substance » (He 1,3), et où nous voudrions, comme Pierre, dresser trois tentes.
La plus ancienne tradition de notre liturgie est de lire cet évangile en ce deuxième dimanche du carême, alors que nous nous acheminons avec lui vers la Pâque. Jésus avait commencé à enseigner aux disciples qu’il fallait que le Fils de l’homme souffre beaucoup, qu’il soit rejeté par les anciens, les chefs des prêtres et les scribes, qu’il soit tué, et que, trois jours après, il ressuscite (Mc 8,31). Et quand il défend à Pierre, Jacques et Jean de raconter à personne ce qu’ils ont vu sur la montagne, c’est qu’on ne peut le comprendre qu’après avoir vécu avec lui la passion et la croix. C’est la Pâque.
Et voici que, « soudain, regardant tout autour, ils ne virent plus que Jésus seul avec eux. » Comme l’écrivait Paul aux Philippiens, alors qu’il se trouvait lui-même en prison à Éphèse, « il s’agit de connaître le Christ et la puissance de sa résurrection, de communier aux souffrances de sa passion, en reproduisant en nous sa mort, dans l’espoir de parvenir, nous aussi, à ressusciter d’entre les morts » (Ph 3,10-11). Ne voir plus que Jésus seul avec nous.
Nous savons que si nous avons été baptisés en Jésus-Christ, « nous avons été baptisés – c’est-à-dire immergés – dans sa mort pour que nous menions une vie nouvelle, nous aussi, de même que le Christ, par la toute-puissance du Père, est ressuscité d’entre les mort » (Rm 6,3-4). Une vie nouvelle : « Nous savons que nous sommes passés de la mort à la vie, parce que nous aimons nos frères » (1 Jn 3,14).
Nous aussi, comme les apôtres, nous ne voyons plus que Jésus seul. Nous le verrons même dans la solitude de la croix. N’oublions pas alors la voix du Père : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé », et écoutons-le.
Avec le psaume nous avons chanté : « Je marcherai en présence du Seigneur sur la terre des vivants » (Ps 114,9). Marchons en sa présence sur la terre des vivants. « Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous? Il n’a pas épargné son propre Fils, mais il l’a livré pour nous tous : comment pourrait-il, avec lui, ne pas nous donner tout ? » (Rm 8,31-32).
Ce temps du carême est un temps d’entrainement à marcher sur la terre des vivants en présence du Seigneur en ne voyant que Jésus seul. Écoutons-le.


Fête de la Chaire de St Pierre, homélie de frère Marie

Mt 16, 13-19

« Pour vous qui suis-je ? » demande Jésus à ses apôtres.
Simon-Pierre répondit : " Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant. " Jésus reprit : " Tu es heureux, Simon fils de Jonas, car ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais c’est mon Père qui est dans les cieux. ». Cette reconnaissance de Pierre, et des autres apôtres, n’est pas seulement une formulation, elle est une révélation, une révélation qui vient du Père, dans l’Esprit Saint. Une révélation à laquelle ils ont dû adhérer non seulement de bouche, mais surtout de cœur et par leur chemin de vie à la suite du Christ ; leur vie même a été un chemin de reconnaissance du visage de Dieu en Christ Jésus, vrai Dieu et vrai homme.

Oui dans ce chemin de reconnaissance, il leur a fallu quitter beaucoup de choses à la suite du Christ. Quitter surtout beaucoup d’eux-mêmes, quitter leurs idées toutes faites, quitter leur vision de Dieu, leurs visions des autres et d’eux-mêmes. Il leur a fallu apprendre en premier lieu le pardon de Dieu, apprendre le pardon mutuel. A l’école du Christ il leur a fallu apprendre à aimer et à se laisser aimer, à travers la douceur et l’humilité, à l’image du Maître ils ont appris à donner leur vie pour que les autres aient la vie. Il a fallu à Pierre et aux autres apôtres accueillir le scandale d’un Christ, Messie crucifié, avant d’être ressuscité. Là se fonde le mystère de l’Eglise.
Les apôtres ont découvert que c’est à travers cette faiblesse de Dieu, que chaque homme peut se laisser atteindre dans sa propre faiblesse, que le mystère du Christ mort et ressuscité peut se manifester en chacun et donner sens à toute vie.
Que l’Esprit Saint nous ouvre plus profondément au mystère du Christ qui nous conduit tous vers le Père.


 Mercredi des Cendres, homélie du P. Abbé Vladimir

Chers Frères et Sœurs

« Voici maintenant le moment favorable ». Alors que nous sommes au premier jour de ce temps de carême, en ce jour de salut, l’Évangile que nous venons d’entendre nous donne trois conseils précieux pour cheminer à la suite du Christ jusqu’à la Pâque.
Il y a d’abord ces 3 colonnes de notre vie que sont la prière, l’aumône et le jeune. Par elles, nous entrons en relation avec Dieu, le prochain et nous même. Par elles, nous apprenons à recevoir comme un don le monde que Dieu nous donne et à le respecter non à l’exploiter. Pas de véritable communion et pas de partage sans elles. En ce temps de carême, avec la grâce de Dieu, essayons de redonner un nouveau dynamisme à ces relations. Il n’y a pas de jeune que de nourriture, il n’y a pas d’aumône que d’argent, il n’y a pas de prière que lorsque nous sommes réunis ensemble à l’église mais, à chaque instant, nous devons chercher Dieu.
Par ces trois piliers, nous apprenons et ce serait le deuxième conseil, le rapport entre l’intériorité et l’extériorité. Dans l’homme rien n’est purement intérieur et rien n’est uniquement corporel. S’il faut déchirer nos cœurs comme nous y invite le prophète, le jeune nous aide à le faire. S’il faut apprendre à prier, la veille peut nous stimuler. Pour vaincre ce que saint Benoît appelle la volonté propre, partager, donner quelque chose de bien concret que ce soit du temps, un objet peut être une aide précieuse.
Et tout cela, l’Évangile nous demande de le faire dans le secret. Le Père est présent dans le secret, il nous voit et ce regard, c’est la Miséricorde. Pendant ce temps de carême, prenons du temps pour demeurer dans le secret, cet autre nom du désert. Évitons ce qui risque de nous tirer hors de ce lieu intérieur. Arrêtons-nous car comme le rappelle le Pape François dans son message pour le carême, agir c’est aussi s’arrêter. Et s’arrêter pour accueillir. Accueillir Dieu dans sa Parole et dans ses sacrements, accueillir notre frère et nous accueillir nous –même.
Oui, frères et Sœurs, alors que nous allons recevoir les cendres qui en sont le signe « Convertissons nous et croyons à l’Évangile ».


Fête de la présentation de Jésus au temple, homélie du P. Abbé Vladimir

Chers Frères et Sœurs,

Voici que quarante jours après avoir célébré la naissance du Sauveur, nous célébrons sa présentation au temple. Et nous pouvons chanter avec le prophète : « Dieu, nous revivons ton amour au milieu de ton temple » ou comme le chante la version latine que reprend la liturgie et que les premiers cisterciens ont beaucoup médité : « Nous avons reçu, ô Dieu, ta miséricorde au milieu de ton temple ». C’est bien ce que chante Siméon, poussé par l’Esprit Saint : « Mes yeux ont vu le salut que tu préparais à la face des peuples ». « Tu sauves Seigneur, l’homme et les bêtes : qu’il est précieux ton amour, ô mon Dieu ». Dans la nuit de Noël, l’ange annonçait aux bergers : « Aujourd’hui, dans la ville de David, vous est né un Sauveur qui est le Christ, le Seigneur ». Aujourd’hui dans le temple, Siméon bénit Dieu pour cet enfant « lumière qui se révèle aux nations et donne gloire à ton peuple Israël ». Tout cela s’accomplit dans l’humilité, la pauvreté, la simplicité. Rien ne distingue cet enfant des autres enfants sinon qu’il nait dans une étable et est déposé dans une mangeoire et que les deux petites colombes sont l’offrande des familles pauvres. Et pourtant cet enfant dont Anne parle à tous ceux qui attendaient la délivrance de Jérusalem sera un signe de contradiction et l’âme de sa mère sera traversée d’un glaive. Dans le temple, cet enfant nous est révélé aujourd’hui, lumière des nations et signe de contradiction. C’est la lumière même qui éclairant les ténèbres devient signe de contradiction. Au Seigneur Tout Puissant la lumière et à nous les chaines de nos contradictions. Mais au milieu du temple est la miséricorde. C’est cette lumière que nous avons portée en procession en entrant dans l’église. Saint Bernard nous dit que cette procession met en relief l’amour fraternel et la vie commune. Ce n’est qu’ensemble, un cœur et une âme, que nous pouvons chanter : « Dieu, nous revivons ton amour au milieu de ton temple ». Comme le dit encore saint Bernard : « Ce n’est pas une médiocre vision de Dieu que d’expérimenter combien il est bon et se laisse fléchir, car « il est vraiment bienveillant et miséricordieux, et il pardonne volontiers la méchanceté ». Sa nature est la bonté, et ce qui lui est propre, c’est de toujours faire miséricorde et d’épargner ». C’est ce que nous révèle ce petit enfant, présenté aujourd’hui dans le temple. Il nous invite humblement à nous présenter ensemble devant lui. « Il a partagé notre condition et parce qu’il a souffert jusqu’au bout l’épreuve de sa Passion, il est capable de nous porter secours, nous qui sommes encore dans l’épreuve ».
Par grâce et par miséricorde, consacrés et devenus fils et filles par le baptême, nous sommes invités à nous présenter devant Dieu, d’une certaine manière les mains vides. Ouvrons notre cœur à la miséricorde car c’est dans notre cœur que le Christ vient faire sa demeure.
« Ce qu’il dit, c’est la paix pour son peuple et ses fidèles
Et la gloire habitera notre terre.

 

 


Profession temporaire de notre frère Albéric, homélie du P. Abbé Vladimir

Cher Frère Albéric, chers frères,
Le rituel de la profession monastique t’invite à t’unir à Dieu et à suivre le Christ dans le prolongement de la grâce de ton baptême par qui tu es devenu enfant de Dieu. C’est ce que chacun d’entre nous a vécu en s’engageant dans la vie monastique et c’est ce que nous sommes invités à refaire, revivifier chaque jour. Marcher à la suite du Christ, la Règle nous le propose pratiquement à chaque page. Par le baptême, nous avons été consacré à Dieu, nous avons été reformé à l’image de Dieu par le Christ et celui-ci nous invite à le rencontrer, à le reconnaître et à dialoguer avec lui dans cette manière d’avancer sous la conduite de l’Évangile qu’est la vie monastique. Nous sommes transformés, transfigurés chaque jour par le Sauveur de tous les hommes lorsque nous chantons les psaumes, lorsque nous lisons et méditons l’Écriture puisque le Verbe de Dieu est semé partout en elles. Nous l’accueillons dans nos frères en particulier les plus fragiles d’entre eux. Nous le recevons dans les hôtes et tous ceux que nous accueillons. Nous participons à son œuvre de création par notre travail même le plus obscur.
Cher Frère Albéric,
C’est pour vivre en plénitude cela que tu vas t’engager à l’obéissance, à la stabilité et à cette manière de vivre qu’indique la Règle. Par l’obéissance, tu rendra vivante en toi cette parole de l’apôtre : « Que chacun de vous ne soit pas préoccupé de ses propres intérêts ; pensez aussi à ceux des autres. Ayez en vous les dispositions qui sont dans le Christ Jésus . . . il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix ». La stabilité te permettra de creuser toujours davantage pour chercher Dieu, plus intime que ton intime dans la solitude et le silence tout autant que dans la communion fraternelle et le service mutuel. En suivant la voie étroite et exigeante qu’indique la Règle, tu tendras à cet amour de Dieu et du prochain, qui lorsqu’il est parfait, bannit la crainte, et qui est répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint, cet Esprit que nous avons reçu au baptême.
Dans l’Évangile que nous venons d’entendre, par trois fois le Christ demande à Pierre s’il l’aime. En sollicitant un triple aveu d’amour, il donne à l’apôtre la grâce de dépasser son triple reniement. L’amour parfait auquel nous appelle saint Benoît celui qui nous est donné par le Saint Esprit lorsque nous sommes descendu jusqu’au sommet de l’humilité est un amour qui jaillit du pardon reçu. Comme Pierre, comme tous les saints, comme tous ceux qui nous ont précédé dans la vie monastique, nous sommes tous des pécheurs pardonnés. Chaque jour en récitant le Notre Père, nous nous abandonnons à la miséricorde de Dieu pour pouvoir nous aussi faire miséricorde. C’est au cœur de notre vocation monastique car cet au cœur de notre vocation chrétienne, nous qui confessons un seul baptême pour le pardon des péchés. L’amour qui bannit la crainte nous ouvre à un abandon confiant à la providence divine mais puisque l’amour lui-même est connaissance suivant l’expression souvent employé par nos Pères cisterciens, il fait grandir notre foi et nous aide à toujours plus reconnaître le Christ en cheminant jusqu’à la rencontre.
Cher Frère Albéric, Chers Frères,
« Suis-moi » dit Jésus à Pierre. « Suis-moi » dit-il à chacun d’entre nous. Qu’au premier comme tout au long des jours, il nous soit donné de courir sur la voie des commandements de Dieu avec une ardeur toujours nouvelle, le cœur dilaté dans une ineffable douceur d’amour, et que nous nous soutenions ainsi les uns les autres pour parvenir tous ensemble à la vie éternelle.

 

 


3ème dimanche B, homélie de frère Marie

Mc 1, 14-20 ; Ps 24 ; Jo 3, 1-5.10 ; 1 Co 7, 29-31

Au cours des âges la connaissance du monde et de l’univers a changé. Nous savons que l’humanité se trouve embarquée dans une seule et même barque, nous habitons une seule et même maison commune, comme aime à le répéter le Pape François. Force, nous est de constater, qu’il ne suffit pas d’être dans la même barque pour être solidaires les uns des autres. Tant de fractures et de divergences divisent la fraternité humaine. Le seul trait commun que l’humanité a toujours constaté malgré elle, est celui de notre finitude. Ne nous y trompons pas : il passe ce monde, tel que nous le voyons, nous rappelle St Paul.
La parole de Dieu vient nous ouvrir les yeux du cœur et de l’esprit sur un monde que nous ne voyons pas. Le monde de la Bonne-Nouvelle, l’Evangile que le Christ proclame. Cette bonne nouvelle est une parole de bénédiction pour tout homme, elle est porteuse de notre bien.
Une première ouverture se trouve dans la prédication de Jonas. Jonas est envoyé à Ninive, cette ville païenne dans laquelle évolue le mal et sa proclamation prend la forme de l’annonce d’un châtiment : Encore quarante jour et Ninive sera détruite. L’annonce peut paraître abrupte. Mais quarante jours ce n’est pas de l’immédiat, quarante jours représentent l’espace de la miséricorde divine, l’espace d’une écoute, d’un désir de salut.
Nous avons là une illustration de l’alliance renouvelée par Dieu à la sortie du déluge : « Je ne maudirai plus jamais le sol à cause de l’homme. Certes le cœur de l’homme est porté au mal dès sa jeunesse, mais jamais plus je ne frapperai tous les vivants comme je l’ai fait…Dieu dit : Je vais établir mon alliance avec vous…et avec tous les êtres vivants ». Il suffit d’une seule journée pour que ces païens de ninivites se convertissent et fasse pénitence, y compris les animaux. Dieu ne veut pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive ; le livre de Jonas nous dit que Dieu est miséricorde et cette miséricorde est universelle. L’Amour de Dieu ne connaît pas la ségrégation et la première ouverture à laquelle nous sommes appelée est de faire notre cette bienveillance divine qui veut la vie de tout homme, une vie sur laquelle repose la bénédiction inscrite au cœur de la création. Oui, il y a du mal dans le monde, dans le cœur de l’homme, mais la parole de Dieu vient nous dire que la bénédiction est première et que la miséricorde est destinée à tout homme, car aux yeux de Dieu tous sont appelés à la vie.
C’est que le Christ Jésus nous annonce ; la proximité du règne de Dieu, l’appel à l’accueillir et à en vivre en vérité.
Cette bonne nouvelle du Christ est comme un souffle qui vient ranimer les braises de notre espérance et de notre désir, enfouies sous les cendres de ce monde qui passe.
Oui, le feu de l’espérance qu’il allume dans le cœur de Simon, d’André, Jacques et Jean, est le même feu qu’il allume dans nos cœurs, un feu qui nous fait changer de statut. Nous devenons à la suite du Christ des pèlerins du règne divin en ce monde, des migrants et des messagers de la bonne nouvelle. Notre pèlerinage prend son temps, il nous faut des étapes, de la patience envers nous-mêmes et envers les autres, mais il faut surtout toute la patience et la miséricorde du Christ pour nous guider, nous accompagner, pour nous relever. Il faut que l’Esprit Saint façonne nos cœurs pour nous pousser à l’aventure.
Jésus passe en ce monde, il est venu lumière dans d’en haut dans le mystère de la naissance, dans le mystère de la chair, dans la disparition de la mort, et il resurgit dans le passage de la Pâque, dans la lumière de l’Esprit.
Cependant Jésus ne passe pas comme le monde passe, ou comme nos vies semblent passer, non, Jésus demeure en nos vies, il nous fait passer avec lui. Là se trouve toute la dynamique de ce royaume des Cieux auquel nous participons en tant que coopérateurs, et qui nous rend dépositaires d’une bonne nouvelle et d’une bénédiction à faire entendre en ce monde. A faire voir par notre conversion, par nos vies, et par ce que nous croyons.

 


Solennité de Saint Honorat, homélie du P. Abbé Vladimir

Chers Frères et Sœurs
Nous voici réunis en ce jour pour célébrer dans la joie celui qui est comme la figure emblématique de la vie monastique pour les générations de moines qui ont vécues sur cette île. Au fil des siècles, les moines vivant sur cette île ont toujours pris exemple sur sa sainteté. Il ne fait pourtant aucun doute que ceux-ci dans le cours du temps ont eu de sa sainteté des visions différentes. Autre est la vision des moines bénédictins médiévaux procédant à diverses réécritures de la vie d’Honorat, autres celle des bénédictins de la Congrégation Sainte Justine de Padoue qui au début du seizième siècle ont pour programme de réforme monastique d’unir l’Évangile à Cicéron, c’est à dire à la culture antique et qui vont éditer la vie d’Honorat par Hilaire d’Arles et d’autres textes du monachisme lérinien primitif. Autre aussi la vision que pouvait avoir d’Honorat, Dom Barnouin qui fut le premier abbé cistercien de ce monastère au XIX siècle et la vision que nous pouvons en avoir aujourd’hui.
Mais ce qui est important et traverse les siècles, c’est qu’Honorat aujourd’hui comme hier est pour nous un exemple et un soutien pour marcher à la suite du Christ, l’attendre, le servir, le désirer. « Soyons comme des gens qui attendent leur maître à son retour des noces, pour lui ouvrir dès qu’il arrivera et frappera à la porte ». Saint Honorat n’est là que pour nous conduire au Christ. La sainteté, c’est la communion avec le Christ et Honorat est en cela un modèle et un guide, lui en qui l’amour du Christ l’a emporté dès la jeunesse. Dès sa jeunesse comme le dit Hilaire : « il a gardé intacte pour le Christ la liberté acquise par la grâce du Christ ». Dans la vie d’Honorat par Hilaire d’Arles qui est le texte le plus ancien que nous possédons sur lui, il n’y a pas de nom qui revienne plus souvent que celui du Christ. Sa vie tout entière est conduite par le Christ et manifeste l’amour du Christ. Chez Honorat, comme chez chacun d’entre nous, il y a comme une double direction dans cet amour. Lorsqu’Hilaire nous dit qu’en lui, « c’est le désir et l’amour du Christ qui l’ont emporté », nous pouvons le comprendre d’une double manière. D’une part, c’est la grâce du Christ et son amour qui nous libère comme ils ont libéré Honorat et c’est un don à recevoir que de se savoir aimé. Comme le dit encore Hilaire, c’est « le Christ qui élève Honorat jusqu’à lui », et c’est à partir de ce don que toute sa vie se construit. Nous ne sommes pas Honorat mais efforçons nous de regarder notre vie comme un don, comme une preuve de l’amour du Christ, un amour à accueillir et dont nous témoignons en le manifestant. L’autre mouvement est l’amour qu’Honorat a pour le Christ, amour actif qui ne demande qu’à grandir durant toute sa vie à tel point que vers la fin de sa vie, il répétait son nom dans son sommeil. Cet amour coïncide pour lui avec l’amour du désert. Bruler de l’amour du Christ, c’est pour lui bruler de l’amour du désert. Quelle que soit notre vocation, cela nous montre qu’il n’y a pas d’amour véritable de Dieu sans choix et donc sans renoncement. Et pour nous, qui sommes les disciples d’Honorat, cela nous montre clairement que pour avoir le Christ pour trésor, il nous faut renoncer à tout ce qui n’est pas lui. Et c’est ainsi que nous voyons notre Honorat renoncer à sa famille, à ses biens pour s’établir sur ce désert insulaire. Mais bruler de l’amour du Christ, c’est aussi pour lui bruler de l’amour des hommes, les frères de sa communauté pour lesquelles il se montre un pasteur attentif à chacun, les hôtes et les pauvres qu’il reçoit et secourt, les chrétiens du diocèse d’Arles qui étaient divisés et qu’il va faire renaitre à la communion de l’amour. Comme le dit la lettre aux hébreux : « Que demeure l’amour fraternel ! N’oublions pas l’hospitalité : elle a permis à certains, sans le savoir, de recevoir chez eux des anges. Souvenons-nous de ceux qui sont en prison, comme si nous étions prisonniers avec eux. Souvenons-vous de ceux qui sont maltraités, car nous aussi, nous avons un corps ».
Chers Frères et Sœurs,
La vie chrétienne, la vie monastique, ce n’est pas une identité, c’est une réponse à l’amour du Christ qui nous élève sans cesse en nous permettant de nous dépasser et d’aller comme au delà de nous-mêmes.
Qu’en ce jour notre joie soit parfaite et que nous grandissions dans l’amour de tous les hommes sans restriction comme Honorat qui accueillait des hommes de toute origine dans sa commuanuté.

 


Fête du baptême du Christ, homélie du P. Abbé Vladimir

Chers Frères et Sœurs,
Le baptême du Christ au Jourdain a une place spéciale dans l’Évangile de Marc. Si Mathieu et Luc que nous avons écouté pendant le temps de Noël nous racontent, chacun d’une manière qui lui est propre, comment Jésus, né à Bethleem, est manifesté aux bergers et aux mages comme Christ, Sauveur, Roi, Fils et Seigneur, si Jean nous dit que le Verbe s’est fait chair et que nous avons vu sa gloire, pour Marc, la manifestation, la révélation de Jésus de Nazareth en Galilée a lieu lorsqu’il est baptisé par Jean dans le Jourdain. Jean affirme de Celui qui est plus fort que lui : « je ne suis pas digne de m’abaisser pour défaire la courroie de ses sandales ». Au Jourdain, dans le désert, Celui qui est le plus fort se fait baptiser par Jean. Il manifeste ainsi la profondeur de son humilité. Descendant dans le Jourdain, Jésus rend visible à nos yeux « qu’ayant la condition de Dieu, il s’est anéanti, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes. ». Voici la Bonne Nouvelle que nous célébrons aujourd’hui.
Et remontant de l’eau, Jésus vit les cieux se déchirer. Le Sauveur accomplit les Écritures. Il est Celui qu’annonçait Isaïe : « Voici mon serviteur que je soutiens, mon élu qui a toute ma faveur. J’ai fait reposer sur lui mon esprit ; aux nations, il proclamera le droit. », Celui que chantaient les psaumes : « Tu es mon Fils ; moi, aujourd’hui je t’ai engendré ». Mais déchirant les cieux, il fait toutes choses nouvelles, il unit le ciel et la terre, il est l’Unique. La voix du Père se fait entendre et l’Esprit descend comme une colombe. « Au commencement, le souffle de Dieu planait au-dessus des eaux. Dieu dit : « Que la lumière soit. » Et la lumière fut ». Jésus qui a été baptisé est aussi le tout autre, le commencement de la création nouvelle. C’est dans réalité de notre chair que le Fils unique est apparu et la nature humaine en est renouvelée, radicalement, totalement.
Jésus de Nazareth est baptisé dans le Jourdain. Il annonce ainsi le baptême dans l’Esprit Saint par qui nous sommes devenus des fils adoptifs. Et ce n’est pas sans signification que la colombe soit un symbole de paix. L’alliance entre Dieu et tout vivant annoncé par la colombe que Noé vit revenir portant dans son bec un rameau d’olivier est porté à son accomplissement au Jourdain, dans le désert. Nous souvenant du Jourdain, en descendant par l’humilité, comme des fils et donc des frères, engageons nous pour la paix.

 


1 janvier, fête de Ste Marie Mère de Dieu, homélie de frère Bartomeu

Chers frères et sœurs, aujourd’hui, avec tout le monde, nous fêtons le premier jour d’une nouvelle année, en fait l’année 2024 depuis Jésus Christ. C’est pour cette raison qu’avec la première lecture et le psaume nous avons entendu et nous avons demandé la bénédiction : « Que le Seigneur te bénisse et te garde ! Que le Seigneur fasse briller sur toi son visage, qu’il te prenne en grâce ! Que le Seigneur tourne vers toi son visage, qu’il t’apporte la paix ! » « Que Dieu nous bénisse, et que la terre tout entière l’adore ! »
Mais si l’année civile fait histoire, l’année liturgique c’est le temps fait sacrement. Et dans la liturgie, aujourd’hui, huitième jour après la Nativité du Seigneur, le jour de la circoncision où l’enfant reçut le nom de Jésus, nous célébrons la solennité de sainte Marie Mère de Dieu. Et entre le jour de Noël et aujourd’hui il n’y a pas eu un changement d’année mais une continuité du mystère. L’année liturgique c’est le temps fait sacrement.
Notre célébration n’est pas une simple mémoire d’un fait historique, pour important qu’il soit. La célébration liturgique nous fait entrer dans le mystère de Jésus Christ, selon l’expression de saint Léon le Gran : « Ce qu’on avait pu voir de notre Rédempteur est passé dans les sacrements. » (Sermon sur l’Ascension du Seigneur II,2).
Et « sacrements » a ici une signification plus large que quand nous parlons des sept sacrement au sens stricte. Sacrements c’est toute la célébration de la liturgie, c’est notre profession de foi. Le titre même de Mère de Dieu que nous donnons à Marie est un sacrement, car il dit notre foi en Jésus Christ, duquel nous proclamerons tout à l’heure dans la Profession de foi : « Engendré, non pas créé, consubstantiel au Père, et par lui tout a été fait. Par l’Esprit Saint, il a pris chair de la Vierge Marie, et s’est fait homme. » C’est cela ce qui nous fait dire de Marie qu’elle est Mère de Dieu, et en lui donnant ce titre nous proclamons notre foi en Jésus Christ vrai Dieu et vrai homme.
Et devant ce grand mystère, devant ce grand sacrement, Marie nous montre le chemin quand, tandis que tous s’étonnaient de ce que leur racontaient les bergers, « Marie retenait tous ces événements et les méditait dans son cœur. »
Ainsi nous aussi, après nous être étonnés, nous retenons tous ces événements et nous les méditons dans notre cœur. C’est ce que nous faisons en vivant l’année liturgique : retenir tous ces événements et les méditer dans notre cœur. Oui, l’année liturgique c’est le temps fait sacrement.

 


Fête de St Etienne, homélie de frère Marie

Hier nous fêtions la naissance d’un enfant, le Verbe de Dieu en notre chair, aujourd’hui à travers St Etienne nous fêtons l’Eglise naissante qui témoigne de sa foi en Christ. Le sang des martyrs est semence de chrétiens, disait Tertullien au 2ème siècle. Cette semence est toujours d’actualité.
Il y a les témoins de notre temps que l’Eglise ne cesse de béatifier ou canoniser, et il y a aussi tous les témoins inconnus de l’aujourd’hui qui subissent des persécutions de toutes sortes à cause de leur foi. Ce sont d’autres ‘Etienne’, des baptisés, temples de l’Esprit Saint.
Ne sommes-nous pas aussi des témoins de la foi, des baptisés enracinés en Christ, des temples de l’Esprit Saint ?
L’Evangile reste un signe de contradiction qui vient éveiller nos consciences de chrétiens au cœur d’un monde si préoccupé de performance et de réussite, si préoccupé d’une course au pouvoir ou d’un ‘bien-être’ si égocentré qu’il en oublie le sort du pauvre, qu’il en oublie la dignité fondamentale de toute vie pour qui le Christ a versé son sang.
Etienne rempli de l’Esprit Saint, avait son regard tourné vers le ciel, nous dit le récit des Actes des apôtres, et il contemplait les cieux ouverts et le Fils de l’homme debout, vivant, à la droite de Dieu. Nous sommes invités, avec Etienne, à tourner nos regards vers les réalités d’en haut. Nous tourner vers les réalités d’En-haut ne nous arrache pas aux réalités de la terre, bien au contraire, cela nous les fait aimer comme Dieu les aime, jusqu’à donner son Fils, son Unique.
Seul le regard de la foi, sous l’action de l’Esprit Saint, peut nous faire contempler dans l’enfant de la crèche le Verbe de Dieu fait homme, comme seul le regard de la foi, sous l’action de l’Esprit Saint, peut nous faire contempler dans le mystère pascal ce même Verbe de Dieu qui s’anéantit jusqu’à la mort sur une croix, pour briser la chaine de la violence, faire tomber les murs de séparation, briser la haine, et qui est exalté dans la gloire du Père, d’où nous sont communiquées toutes grâces.
Car Dieu n’a de cesse de nous rejoindre, de vouloir nous relier, non seulement à lui, mais aussi nous relier au mystère de toute femme, tout homme, dont Dieu en son Fils s’est fait solidaire. La vie du Christ nous fonde sur le Roc, elle nous construit en humanité et en enfants de Dieu, elle nous rend témoins de la vie offerte.
L’évangéliste Matthieu nous dit que lorsque nous témoignons de la foi, c’est l’Esprit Saint qui parle en nous, qui nous donne le langage de l’Esprit.
L’Esprit Saint vie imprime en nous la vie du Christ par la charité, une charité active : une charité qui se fait don de nous-mêmes et fraternité.
Comprendre et intégrer la vie de Jésus c’est aussi ouvrir un dialogue constant avec le monde, au-delà des clivages identitaires, idéologiques ou religieux. En bien des contextes nous savons que c’est un dialogue difficile, risqué, voire au risque du don de sa vie.
L’Esprit Saint, qui est l’amour de Dieu, ne cesse de gémir en nous, car cet amour est en quête de partage, en quête de communion et de fraternité, en quête de justice et de paix. Un amour tendu vers l’autre pour faire du lien. Le Christ fait de nous des êtres d’alliance. Comme nous le rappelle l’apôtre Paul, cet amour est folie aux yeux des pouvoirs de ce monde, car il est accueil, don et pardon. N’éteignions pas l’Esprit. N’ayons pas peur d’être des signes de contradiction au cœur de ce monde. Avec Etienne ouvrons notre cœur aux réalités d’en-haut.
St Etienne que nous fêtons en ce jour a laissé naître le Christ en lui, il est devenu temple de l’Esprit du Christ, il est devenu expression de son amour pour l’humanité, cette humanité qui a tant besoin de lumière, de discernement, de compassion et de miséricorde. 

 


Nuit de Noël, homélie du P. Abbé Vladimir

Chers Frères et Sœurs,

Voici le signe qui nous est donné, un nouveau né emmailloté et couché dans une mangeoire. Il y a exactement 800 ans, dans la nuit de Noël 1223, François d’Assise fit cette chose étonnante que de reconstituer la crèche dans une grotte à Greccio. Thomas de Celano, son premier biographe nous raconte qu’il voulait faire mémoire de cet enfant, né à Bethléem et voir sa pauvreté, comment il était couché dans une crèche, à côté d’un bœuf et d’un âne et posé sur le foin. Mais les choses ne sont pas passées comme nous pourrions nous l’imaginer lorsque nous regardons une crèche aujourd’hui. Dans cette grotte avec la mangeoire, le bœuf, l’âne et le foin, il n’y a personne pour représenter Marie, Joseph et l’enfant nouveau né. Ce n’est pas une crèche vivante comme certains en font aujourd’hui. Il y a juste François et ses compagnons, les habitants de Greccio dont le Seigneur du lieu et la Parole car on célèbre la messe et François qui est diacre lit l’Évangile. « La Parole de Dieu vivante et efficace repose dans une mangeoire » comme l’a écrit un cistercien du XII siècle, Guerric d’Igny. Et cet enfant qui est le Verbe fait chair nait en nous si nous l’accueillons dans l’humilité et la pauvreté et il nous fait renaître par sa naissance. Dans l’Évangile le Sauveur affirme lui–même : « Qui est ma mère, et qui sont mes frères ? Puis, étendant la main vers ses disciples, il dit : « Voici ma mère et mes frères. Car celui qui fait la volonté de mon Père qui est aux cieux, celui-là est pour moi un frère, une sœur, une mère. » Voici qu’en cette nuit, nous sommes tous autour de la mangeoire à écouter la voix des anges. « Un enfant nous est né, un fils nous a été donné ». Nous sommes tous invités à être de la famille de cet enfant qui est Dieu. Dieu s’est fait pauvre pour nous enrichir, il s’est fait faible et sans défense. « Il renverse les puissants de leur trône, il élève les humbles ». Thomas de Celano nous dit encore que l’un des assistants vit dans la crèche un petit enfant dont le saint s’approchait comme pour l’éveiller de la torpeur du sommeil. L’enfant Jésus, dans le cœur de beaucoup a été laissé à l’oubli explique t’il.

En cette nuit, veillons le et prenons soin de lui. « La grâce de Dieu s’est manifestée pour le salut de tous les hommes ». Mais dehors et jusque dans nos cœurs, il y a la guerre. Prenons soin de lui en devenant des instruments de paix. « Il n’y avait pas de place pour lui dans la salle commune ». Veillons le en prenant soin des pauvres et des étrangers, en leur faisant au moins une place dans notre cœur. Il serait curieux d’être devant cette crèche en mettant en avant le contraire de ce qu’elle signifie. « J’étais pauvre, étranger ou malade », j’étais un enfant et vous m’avez accueilli.
En la nuit de Noël 1886 une jeune fille normande, Thérèse Martin, dit avoir été transformée par cette grâce dont parle la lettre à Tite. « En cette nuit, où Jésus se fit faible et souffrant pour mon amour, Il me rendit forte et courageuse » écrit dans le journal d’une âme celle que nous connaissons sous le nom de Thérèse de l’Enfant Jésus.
En cette nuit de Noël, formant tous ensemble une crèche, demandons au Verbe qui s’est fait Petit Enfant de nous délivrer de toute peur. Demandons lui la grâce de nous accueillir les uns les autres en honorant tous les hommes comme le demande la règle de saint Benoît puisque le Verbe, Celui qui est dans la gloire de toute éternité, s’est livré aux mains des hommes en devenant l’un de nous. Et cela, hormis le péché qui justement nous entraine toujours dans la peur.

 


24ème dimanche Avent (et 24 décembre), homélie de frère Marie

Le roi David dit au prophète Nathan : « Regarde ! J’habite dans une maison de cèdre,
et l’arche de Dieu habite sous un abri de toile ! ». Dieu répondit à David : « Est-ce toi qui me bâtiras une maison pour que j’y habite ? ». Dieu n’est pas venu s’enfermer dans un palais de cèdre, il est venu habiter notre humanité pour nous conduire en son palais de gloire. Jésus lui-même dira que le Fils de l’homme n’a pas de pierre où reposer la tête. De même il répondra au sujet du temple : « Détruisez ce temple et moi je le relèverai en trois jours – mais il parlait du temple de son corps ». Ce corps qui est aussi le nôtre. Oui, le Verbe s’est fait chair et il est venu pérégriner avec nous.
En entendant résonner la salutation de l’Ange à Marie : « Réjouis-toi, comblée de grâce, le Seigneur est avec toi. », nous entendons les pas de celui qui s’approche, qui vient pour combler le monde de sa paix, de sa justice, de sa vie et de son amour.
Nous comprenons que si cette salutation est portée par un Ange, elle ne vient pas portée par le bruit des médias, ou le bruit des mille et une rumeurs de ce monde. Non, cette salutation résonne dans un espace de silence, d’écoute attentive, elle résonne dans un cœur éveillé, un cœur qui espère, un cœur qui désire. Cette salutation résonne dans un cœur rempli et nourri par les promesses de Dieu qui traversent l’histoire. Elle résonne dans un cœur qui croit que tout est encore possible à Dieu, cet espace est le cœur de Marie. Oui, il fallait un cœur vierge, un cœur ouvert à l’inattendu de Dieu, pour que l’impossible se réalise.
Cet impossible qui vient contredire l’impression que le mal est vainqueur en ce monde. Cet impossible qui nous pousse à croire que l’amour est encore possible.
Le père cistercien Aelred de Rievaulx écrivait : « Par la conception du Seigneur et sa naissance, le monde entier a commencé à émigrer et à passer du pouvoir du diable au Royaume du Christ. » (Aelred de Rievaulx, sermons pour l’année, S 38, 2)
Cette venue du Christ que nous célébrons nous invite à émigrer vers notre révélation d’enfants de Dieu, par les chemins de la foi, par la mise en œuvre de l’Evangile, par la mise en œuvre de l’amour fraternel. Le oui de Marie unit au oui de Jésus, nous ouvre le chemin vers la terre de l’offrande de nous-mêmes, pour que cet impossible de Dieu fasse irruption en nos vies et en notre monde.
Le Prince de la paix, le Fils du Très-Haut toque à nos portes, il est à notre écoute et il se penche sur notre humanité humiliée. Notre humanité humiliée par ses peurs, humiliée par ses violences, ses convoitises et ses haines. Il se penche sur notre humanité humiliée dans le visage de l’étranger, dans le visage du migrant, du pauvre et du désespéré. Il se penche sur notre humanité humiliée par l’impuissance et la mort. Cette humanité humiliée le Christ la prend dans ses bras, la prend en son corps, pour l’élever, la consoler et la réconcilier dans la gloire du Père.
Oui, accueillir cette Paix du Christ et en être les artisans, est la vocation de l’humanité dans le dessein créateur et aimant de Dieu. C’est le long et patient labeur de Dieu pour faire advenir l’humanité à sa plénitude de vie et c’est un long travail de l’homme sur lui-même.
« Comment cela va-t-il se faire, puisque je suis vierge ? » dit Marie, « L’Esprit Saint viendra sur toi – lui dit l’Ange – La puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre. ». Oui, Marie est vierge non seulement de corps, mais surtout de cœur. Marie n’est pas mue par l’emprise de nos peurs qui font obstacles à l’impossible de l’Esprit divin. Son cœur accueille ce que l’homme ne peut concevoir, elle croît profondément en la parole de Dieu qui avait promis et qui maintenant réalise. Le Oui de Marie ouvre la porte à l’avènement du Prince de la Paix en ce monde, elle reçoit en elle le germe qui deviendra pain de vie, ce pain de vie qui sera déposé au soir de Noël dans une mangeoire. Par son « Oui », Marie ouvre la route à l’humanité sous la guidance du Pasteur de nos âmes. Ecoutons la voix du Prince de la Paix et partageons son œuvre de Paix, afin d’être appelés fils et filles du Très-Haut, et comme lui ouvrons nos cœurs à l’impossible, ouvrons notre capacité d’aimer.

 


33ème dimanche A, homélie du P. Abbé Vladimir

Chers Frères et Sœurs,

Jésus parle en paraboles. Juste avant d’entrer dans sa passion, il nous parle du Royaume. Ce Royaume qu’il va inaugurer par sa mort et sa résurrection, ce Royaume caché et pourtant déjà présent et agissant, ce Royaume que nous attendons et pourtant pour qui déjà nous travaillons. Pour parler de ce mystère, il utilise le langage des paraboles. Celles-ci ne sont jamais une description ; nous ne pouvons pas non plus nous en servir pour juger et condamner les autres mais elles retentissent encore aujourd’hui comme un appel à la conversion adressé à chacun d’entre nous, un appel à devenir chaque jour davantage des fils de la lumière.
Voici que le Royaume est comme l’histoire d’un homme qui part en voyage, il appela ses serviteurs et leur confia ses biens, avec largesse et sans restriction aucune. Et il partit pour longtemps.
Toute vie chrétienne est une attente. C’est ce que nous disait la parabole des dix jeunes filles invitées au festin des noces que nous avons entendue dimanche dernier. Notre vie personnelle et communautaire est donc une espérance et une veille. Le Royaume nous est confié et nous sommes invités à lui faire donner son fruit. Cela a des implications très concrètes mais si l’agir et la manière de faire sont importants, c’est l’attitude intérieure, c’est la motivation qui nous permet de discerner ce qui nous fait avancer ou non.
Les deux serviteurs qui sont invités à entrer dans la joie de leur maître ont pris des risques. Aussitôt, sans délai, ils ont pris le risque de faire fructifier ce qu’ils ont reçu. En entrant dans l’action, ils auraient pu avoir peur de tout perdre. Un proverbe rabbinique antérieur à notre évangile dit en effet, qu’il est impossible de conserver en sécurité de l’argent sinon sous la terre. Ils n’ont pas recherché la sécurité. En vérité, ils se considèrent plutôt comme des associés de leur maître et ne gardent rien pour eux tant ils vivent dans la confiance, persuadés que leur sort et leur avenir est lié à celui de leur maître. En entrant dans la joie, ils deviendront comme des amis. Pour entrer dans la joie, prenons des risques.
Tout autre est le troisième serviteur, lui qui a peur et recherche avant tout la sécurité car il n’a pas confiance en son maître lui qu’il décrit comme moissonnant là où il n’a pas semé. Mais contemplant ce serviteur, utilisons le à notre profit pour discerner les moments où nous avons peur lorsque le manque de confiance nous empêche d’avancer dans la joie, lorsque nous n’avons pas confiance ni dans le don qui nous a été fait, ni dans les autres.
Chers Frères et Sœurs,
Aujourd’hui, l’église nous invite à célébrer la journée mondiale des pauvres. La Pape François dans son message pour cette journée utilise une phrase du livre de Tobie : « Ne détourne ton visage d’aucun pauvre ». Et si ces talents, nos trésors, c’étaient les pauvres. Grâce à eux le royaume est déjà présent et nous fait vivre. La charité, amour répandu dans nos cœurs par le Saint Esprit ne doit pas y rester enfermée. Car c’est dans les autres, que le Christ vient à notre rencontre le plus objectivement.

 


29ème dimanche A, homélie de frère Marie

Mt 22, 15-21 ; Th 1, 1-5b ; Is 45, 1.4-6 ; Ps 95

Chers frères et sœurs, comme à chaque célébration eucharistique c’est notre foi qui nous rassemble. Comme nous le rappelle l’apôtre Paul, dans notre prière commune nous faisons mémoire de cette foi que la parole de l’Evangile de Jésus-Christ, par la puissance de l’Esprit Saint, a engendrée en nous. Ce n’est pas une foi morte, c’est une foi active qui doit porter témoignage da la présence de Dieu en ce monde. Une foi qui s’accompagne d’une charité qui se donne de la peine pour changer le monde, car elle découle de l’amour de Dieu pour chacun de nous. Une foi qui témoigne d’une espérance qui tient bon au cœur des défis de ce monde, car cette espérance est fondée sur la victoire du Christ Jésus, victoire de sa vie sur la mort, victoire de son amour sur la haine et victoire de sa douceur et de sa vérité sur la violence.
Mais une grande question nous habite : Comment mettre en œuvre notre foi chrétienne dans un monde, une société, une culture ambiante dont bien des aspects nous semblent si contradictoires ? Nous savons combien les réponses chrétiennes à cette question seront diverses selon nos tendances religieuses, traditionnelles, progressistes etc. ou selon nos sensibilités politiques ou sociales…les débats peuvent être féroces et sources de divisions.
Face à cette grande question Jésus nous donne aujourd’hui un enseignement. Ses adversaires lui tendent un piège, sur cette même question : Toi qui enseignes toujours le chemin de Dieu en vérité sans te laisser influencer par personne : Est-il permis, oui ou non, de payer l’impôt à César, l’empereur ? – Que dis-tu ?
Jésus ne laisse pas enfermer dans ce piège, il n’est ni un agitateur politique, ni un fanatique religieux. Il ne cherche pas à opposer un pouvoir politique et un pouvoir de Dieu. Le Fils de Dieu ne cherche même pas à imposer un pouvoir théocratique. Jésus est venu combattre les forces du mal qui empoisonnent l’esprit des hommes. Jésus a enseigné que le royaume de Dieu a fait irruption, non à côté ou à part de notre monde, mais au cœur même du monde, pour ouvrir un nouveau chemin de vie et de lumière en ce monde.
Sa réponse est claire : Il y a un discernement à faire, nous dit-il, et ce discernement, il est à faire en conscience, à la lumière de votre foi, de votre charité et de votre espérance. C’est à la lumière de l’Evangile qu’il nous faut dénouer l’amalgame entre ce qui appartient à César et ce qui appartient à Dieu. Nous sommes à l’effigie du Christ, à l’image de Dieu, c’est-à-dire que cette image de Dieu en nous, nous pousse à la vraie liberté des enfants de Dieu, pas à des formes aliénantes de soumissions, qu’elles soient religieuses ou politiques. En conscience, notre vocation chrétienne est de faire briller cette image de Dieu en ce monde à travers nos engagements religieux, sociaux ou politiques, pour devenir, à l’image du Christ Jésus, des serviteurs de la parole et de l’amour de Dieu pour ce monde qui a tant besoin d’idéal et d’espérance. Des serviteurs de la beauté de la vie. Pour être au service de la dignité d’enfant de Dieu qui nous habite tous. Ainsi nous rendrons à Dieu ce qui est à Dieu et nous prendrons notre part au bien de ce monde.

 

 


Fête de la dédicace de l'église N-D de Lérins, homélie du P. Abbé Vladimir

Chers Frères et Sœurs,

« Comme des pierres vivantes, entrons dans la construction de la demeure spirituelle ». C’est ce à quoi nous invite la deuxième lettre de Pierre en cette fête de l’anniversaire de la dédicace de notre église. Faire cela, c’est nous mettre à la suite du Christ lui qui est la pierre vivante par excellence rejetée par les hommes mais choisie par Dieu. « C’est en lui que toute construction s’ajuste et grandit ». L’édifice de pierres dont nous célébrons la consécration n’est que l’image, le signe qui nous appelle à construire l’édifice spirituel qu’est notre communauté, véritable lieu de la présence de Dieu. « En effet, quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là, au milieu d’eux. ».
La dédicace la plus importante, celle que nous célébrons aujourd’hui est donc celle de notre communauté. Saint Augustin dit que la dédicace de cette demeure spirituelle se réalise déjà en celui qui est notre tête, le Christ qui est à la fois pierre d’angle et fondations. Il nous faut alors dit-il « ne mettre rien avant le Christ, exactement comme on ne met rien avant les fondations . Ne mettre rien avant le Christ c’est déjà ce que saint Cyprien demandait aux chrétiens en commentant le Notre Père « Ne faire passer absolument rien avant le Christ parce que le Christ n’a rien fait passer avant nous ». Il nous a tout donné, il s’est fait péché pour nous et nous a donné la vie. C’est en suivant le chemin qu’il a ouvert pour nous, c’est en marchant sur ses traces que nous sommes par anticipation des habitants heureux de cette demeure qui descend du ciel, qui nous est donné. Le grand saint Antoine, le Père des moines, sortant de 20 années de solitude dans le désert n’a pas d’autre message à donner à ceux qui viennent le consulter : « Il disait à tous de ne rien préférer de ce qui est dans le monde à l’amour du Christ ».
Dans cette église où nous nous réunissons pour prier, pour louer Dieu et le supplier, exerçons nous donc à ne préférer absolument rien au Christ comme la Règle de saint Benoît nous y invite à son tour . Ce ne peut être qu’une démarche communautaire. Si nous avons été appelés, un par un, par notre nom pour construire cette demeure spirituelle, nous ne pouvons la construire que tous ensemble. Et si l’une des pierres vient à manquer, quelque chose assurément manquera à l’édifice. Ne rien préférer à l’amour du Christ. Pour saint Benoît cela s’incarne dans des actes bien concrets : « S’honorer et se supporter mutuellement avec une très grande patience, ne pas rechercher ce qui est utile pour soi, mais bien plutôt ce qui l’est pour autrui, s’obéir à l’envi ». Dans notre monde abimé et violent, mettons tout l’élan de notre désir à construire une demeure de paix, un lieu de communion. Efforçons nous de faire sans relâche ce qui non seulement nous profitera pour toute l’éternité mais nous fait déjà gouter quelque chose du Royaume qui vient. Voici que le Christ est là à la porte et qu’il frappe.

 


27ème dimanche A, homélie de frère Bartomeu

Chers frères et sœurs, nous pourrions dire que Jésus était bien méditerranéen comme nous. Alors que nous avons fini les vendanges il y a quelques semaines, aujourd’hui c’est le troisième dimanche où, dans son enseignement en paraboles, Jésus nous parle d’une vigne. En plus aujourd’hui nous en a parlé déjà aussi le prophète Isaïe, et le Psaume nous en a fait une prière.
Il y a deux semaines, dans l’évangile, « le maître d’un domaine sortait dès le matin afin d’embaucher des ouvriers pour sa vigne. » Dimanche dernier, un homme qui avait deux fils disait d’abord à l’un puis à l’autre : « Mon enfant, va travailler aujourd’hui à la vigne. »
Et aujourd’hui, dans la troisième parabole, un homme qui était propriétaire d’un domaine, qui avait planté une vigne, l’avait entourée d’une clôture, y avait creusé un pressoir, y avait bâti une tour de garde, avait loué cette vigne à des vignerons, et était partit en voyage, « quand arriva le temps des fruits, il envoya ses serviteurs auprès des vignerons pour se faire remettre le produit de sa vigne. » Voici que le temps des vendanges est arrivé et il faut bien que les vignerons remettent le produit de sa vigne au propriétaire du domaine.
Quelle est cette vigne ? Qui sont ces vignerons ? « La vigne du Seigneur de l’univers – nous a dit le prophète Isaïe – c’est la maison d’Israël. » Et, dans le langage des paraboles, nous sommes les ouvriers embauchés dès le matin, vers neuf heures, vers midi, vers trois heures, ou même seulement vers cinq heures du soir, nous sommes les fils à qui le père dit : ‘Mon enfant, va travailler aujourd’hui à la vigne’, nous sommes les vignerons auxquels il a loué cette vigne et desquels il attend qu’ils lui remettent le produit de sa vigne.
Ces paraboles parlent de nous. Et que nous disent-elles ? Que même si nous ne sommes allés travailler à la vigne qu’à cinq heures du soir, nous aurons la pièce d’argent, salaire d’une journée, parce que le maître du domaine est bon, que même si nous avons répondu au père : ‘Je ne veux pas’, nous pouvons nous repentir et aller encore travailler à la vigne.
Mais il faut à la fin que nous remettions au propriétaire le produit de sa vigne. Qu’il n’ait pas à nous dire : « Pouvais-je faire pour ma vigne plus que je n’ai fait ? J’attendais de beaux raisins, pourquoi en a-t-elle donné de mauvais ? » Il nous a envoyé même son fils ! La parabole, qui dans le récit de l’évangile fait partie des controverses de Jésus à Jérusalem qui mèneront à la passion et la mort de Jésus, a aussi une lecture dans laquelle nous en sommes les destinataires.
Notre responsabilité est grande : « À qui l’on a beaucoup donné, on demandera beaucoup : à qui l’on a beaucoup confié, on réclamera davantage » (Luc 12,48). Qu’il n’ait pas à nous dire : « Le royaume de Dieu vous sera enlevé pour être donné à d’autres qui lui feront produire ses fruits. »
Mais voici que, dans notre faiblesse, le psaume nous a donné les paroles de notre prière : « Dieu de l’univers, du haut des cieux, regarde et vois : visite cette vigne, protège-la, celle qu’a plantée ta main puissante. Jamais plus nous n’irons loin de toi : fais-nous vivre et invoquer ton nom ! Seigneur, Dieu de l’univers, fais-nous revenir ; que ton visage s’éclaire, et nous serons sauvés. »

 


Notre Dame des douleurs, homélie de frère Marie

Jean 19, 22-25

Marie, la mère de Jésus se tient là en présence d’autres femmes, debout sous la croix de son fils. C’est un moment terrible de douleur pour le cœur d’une mère, comme tant de cœurs de mères déchirés et blessés en ce monde. Cependant Marie est debout, comme un arbre d’espérance et de foi planté au cœur d’un drame. Elle est debout car en elle son Fils a planté une graine, une promesse de Dieu fidèle. Marie jusqu’au cœur de ce drame devient coopératrice de cette promesse de Dieu.
Avec Marie nous sommes posés au cœur du paradoxe de notre foi chrétienne, le paradoxe d’une victoire au cœur des ténèbres. Au cœur des drames de l’humanité une question hante nos esprits : Où est Dieu ? – Que fait-il ?
Le Christ lumière de vie s’immerge dans le drame du monde. Aucun dieu n’est pensé ainsi, comme étant partie prenante du drame humain.
Le Christ verbe fait chair, lumière du monde, est entré comme un petit vers lumineux dans le fruit amer de ce drame, pour l’anéantir de l’intérieur. Il n’est pas en dehors.
En Christ, Dieu reste fidèle à lui-même, il reste un Dieu d’amour, de vérité et de lumière. Sur la croix le Christ brise la chaîne mimétique de la violence, et il condamne toute forme d’injustice et de haine. C’est pourquoi en St Jean, la croix est pour Jésus le lieu de sa vraie royauté, celle de l’amour qui triomphe, celle de l’ultime sagesse de Dieu qui brise le cercle vicieux de la convoitise et de l’orgueil qui empoisonnent le monde.
L’autre paradoxe au cœur de ce drame, c’est que du haut de la croix Jésus établit du lien. Jésus dit à sa mère et à son disciple se tenant au pied de la croix : femme voici ton fils, et au disciple, voici ta mère. Oui, au cœur de ce drame Jésus inaugure une nouvelle famille, une famille humaine liée par le lien du don de sa vie, par le don de son amour divin, par le don de sa lumière, cette lumière d’espérance et de paix qui ne trompe pas.
Oui, avec Marie ne fuyons pas le drame humain, mais avec elle en contemplant la croix, tenons ferme la promesse divine et avec elle soyons les témoins et les acteurs de cette espérance que nous donne la victoire du Christ.

 


23ème dimanche A, homélie de frère Marie

Chers frères et sœurs
Comme nous y invite le psaume 94, nous avons écouté la parole du Seigneur, nous avons tendu l’oreille de notre cœur. C’est dans notre aujourd’hui que l’Eglise sort de son trésor une parole de vie, une parole destinée à nous rendre plus éveillés à la présence du Christ parmi nous, parole vivante et éternelle, parole pénétrante et efficace, une parole destinée à nous rendre participants de sa sainteté.
La parole de ce jour nous invite comme le prophète Ezéchiel, à être des guetteurs, des veilleurs, et principalement sur deux points importants de notre vie de chrétiens, à savoir : la concorde et la charité. Ces deux pôles ne peuvent exister sans l’autre.
La finale du passage évangélique de ce jour nous introduit à la concorde par cette parole : « Si deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là, au milieu d’eux ».
Le principal témoignage auquel sont appelés les disciples du Christ est d’œuvrer à leur unité.
Œuvrer à l’unité ce n’est pas faire ‘un’ numériquement, mais c’est vivre en communion, en accord autour d’une source commune. Cette source est la vie du Christ lui-même qui nous rassemble en un corps unique dont les membres ne peuvent s’articuler que par des liens de charité. Qui dit liens de charité, dit aussi miséricorde et vérité, car ce corps mystique que nous formons passe aussi par les douleurs de l’enfantement, il est en Christ, mais il n’est pas encore entièrement réalisé en nous, ni entre nous.
Le témoignage du vivre ensemble auquel le Christ nous appelle est un chemin constant de conversion, personnelle et communautaire, encore plus c’est un chemin d’amitié et de sainteté, un chemin de réconciliation qui nous rassemble. La communauté chrétienne se doit de symboliser la possibilité pour les hommes de vivre ensemble dans la paix et la communion fraternelle. Pour être vrai, tout langage parlé doit un langage vécu.
Or la première conscience que l’Eglise porte d’elle-même, est qu’elle le fruit d’un amour démesuré. L’Eglise est la première réconciliée, le Christ au soir de la Cène donne la coupe à ses disciples en disant : « Buvez-en tous, ceci est le sang de l’Alliance, versé pour la multitude, pour le pardon des péchés ». Sur le fondement de cet amour, de ce pardon, l’Eglise vit chaque jour en elle le combat du péché et de la grâce, l’Eglise qui a pour mission d’appeler les hommes à la conversion ne peut le faire qu’à partir de sa propre conversion, l’humble témoignage d’une conversion à sans cesse actualiser et poursuivre.
« L’accomplissement parfait de la Loi, c’est l’amour. », nous rappelle St Paul.
Cet amour ne vise pas seulement notre comportement envers notre prochain, il vise aussi le souci de son bien, de son bien spirituel, moral et humain. Nous-mêmes et le prochain nous sommes insérés dans un même corps de grâce qu’est l’Eglise, dans un même corps de solidarité qu’est l’humanité, ce corps qui a pour vocation de vivre en communion. Dès lors il est de l’ordre de la charité d’œuvrer à tout ce qui peut favoriser cette communion dans tous les secteurs de la vie humaine, et de s’engager pour porter un témoignage clair contre tout ce qui est nocif à la dignité humaine, à sa vie et à son devenir tel que l’Eglise le perçoit à la lumière du Christ. L’Eglise a reçu la mission et le pouvoir de réconcilier, et la mission de porter témoignage au monde d’une parole de vie, au risque de la contradiction.
Mais nous devons toujours avoir en mémoire l’avertissement du Christ de ne pas se porter en juge de l’autre ou de ne pas vouloir enlever la paille de l’œil de son frère alors que nous sommes encombrés d’une poutre dans le nôtre. Quelles que soient les adaptations pratiques et sages pour le faire, la charité nous donne le souci de gagner notre frère, c’est-à dire de préserver et faire grandir la communion fraternelle pour le bien de tous et plus largement pour le bien de l’humanité. C’est bien à l’amour vrai que nous manifesterons les uns envers les autres que nous rendrons le meilleur témoignage.

 


22e dimanche A, homélie de frère Bartomeu

Chers frères et sœurs, dans la lecture de l’évangile que nous entendons les dimanches – cette année celui selon saint Matthieu – dimanche dernier Jésus était encore en Galilée, « dans la région de Césarée-de-Philippe » (Mt 16,20). Mais nous venons d’entendre que désormais commence une étape décisive de sa vie : « Jésus commença à montrer à ses disciples qu’il lui fallait partir pour Jérusalem, souffrir beaucoup de la part des anciens, des grands prêtres et des scribes, être tué, et le troisième jour ressusciter. » « Souffrir beaucoup, être tué, ressusciter ». Tout à l’heure, dans la Profession de foi, nous dirons : « Il souffrit sa passion et fut mis au tombeau. Il ressuscita le troisième jour, conformément aux Ecritures. » C’est le cœur de notre foi.
Mais voici que « Pierre, le prenant à part, se mit à lui faire de vifs reproches : “Dieu t’en garde, Seigneur ! cela ne t’arrivera pas.” » C’était la première fois que les disciples entendaient l’annonce de la passion et Pierre ne pouvait pas le comprendre. Alors « Jésus, se retournant, dit à Pierre : Passe derrière moi, Satan ! Tu es pour moi une occasion de chute : tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes. »
Quel contraste avec ce que Jésus lui avait dit dimanche dernier : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église » (Mt 16,18). — C’est au diable, alors que le tentateur s’était approché de lui au désert, que Jésus avait dit : « Arrière, Satan ! » (Mt 4,10). Et maintenant il dit à Pierre « Passe derrière moi, Satan ! » — Dimanche dernier il lui avait dit aussi : « Heureux es-tu, Simon fils de Yonas : ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père qui est aux cieux » (Mt 16,17). Et maintenant il lui dit : « tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes. » — Et alors qu’une fois il avait dit : « Celui qui est une occasion de chute, pour un seul de ces petits qui croient en moi, il est préférable pour lui qu’on lui accroche au cou une de ces meules que tournent les ânes, et qu’il soit englouti en pleine mer » (Mt 18,6), il dit maintenant à Pierre : « Tu es pour moi une occasion de chute. »
Il nous viendrait spontané de dire : pauvre Pierre ! Ses pensées n’étaient pas celles de Dieu, mais celles des hommes. Mais est-ce que nous, qui nous disons chrétiens, nos pensées sont bien celles de Dieu ? C’est pourquoi ce que Jésus a dit alors à ses disciples s’adresse à nous, qui sommes aussi ses disciples : « Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive. » Et l’image de la croix que chacun doit prendre nous fait comprendre que chacun doit s’identifier à Jésus qui « souffrit sa passion et fut mis au tombeau, et ressuscita le troisième jour, conformément aux Ecritures. »
« Jésus commença à montrer à ses disciples qu’il lui fallait partir pour Jérusalem… » C’est la première annonce de la Pâque, que nous célébrons chaque dimanche, Jour du Seigneur. « Nous annonçons ta mort, Seigneur Jésus, nous proclamons ta résurrection, nous attendons ta venue dans la gloire. »
L’eucharistie est le sacrement de notre identification avec Jésus Christ. Et toute notre vie doit être, selon la formule de saint Benoît, « participer par la patience aux souffrances du Christ pour mériter d’avoir part à son royaume. » (Règle de saint Benoît. Prologue, 50)

 


Solennité de l'Assomption de Marie, homélie du P. Abbé Vladimir

« Mon âme exalte le Seigneur, exulte mon esprit en Dieu, mon Sauveur ! Il s’est penché sur son humble servante ; désormais tous les âges me diront bienheureuse »
Chers Frères et Sœurs,

Cette prière de Marie que nous chantons tous les jours durant les vêpres est par excellence la prière du croyant et elle nous fait grandir dans la foi si nous l’écoutons avec les oreilles de notre cœur.
Marie est entrée dans la plénitude de la vie, première de ceux dont parle le passage de la première lettre aux Corinthiens que nous avons écouté pour cette fête : « En effet, de même que tous les hommes meurent en Adam, de même c’est dans le Christ que tous recevront la vie, mais chacun à son rang ». Tout le passage de l’Évangile de Luc que nous venons d’entendre met en avant la foi de Marie, son obéissance et l’empressement qui en découle. C’est cette foi qui est un don de Dieu pour Marie comme pour nous qui lui permet de discerner et de chanter à la fois la profondeur de ce qui s’est réalisé pour elle avec la conception de cet enfant qui, encore dans le sein maternel, fait tressaillir l’enfant que porte Elisabeth et la réalisation de toutes les prophéties. C’est à cause de sa foi et de son obéissance qu’elle est entrée dans la vie et en elle nous recevons un modèle d’obéissance et de foi pour nous aussi recevoir la vie.
Si tu veux la vie, dis la règle de saint Benoît au candidat à la vie monastique mais cette offre s’adresse aussi à tous les chrétiens et par eux à tout homme. En Marie, nous avons le modèle de celle qui écoute.
Si tu veux la vie, écoute. Sois attentif à la Parole comme Marie à celle de l’ange qui lui annonçait ce qui peut sembler au delà du croyable. Écoute la Parole pour la méditer dans ton cœur et qu’elle donne naissance à l’homme nouveau en toi. Écoute la Parole pour donner sens à ta vie. Écoutons la Parole pour discerner que nous ne sommes que de très humbles serviteurs mais que le Seigneur se penche sur nous car il élève les humbles.
Écoutons parce que la foi nait de l’écoute. « Heureuse celle qui a cru » dit Elisabeth à Marie. C’est à la mesure de notre foi que nous recevons la vie et nous savons que si elle était grosse comme une graine de moutarde, nous déplacerions les montagnes. Certes, toutes les promesses du cantique de Marie ne sont pas encore accomplies car il y a encore des puissants qui dominent le monde et y sèment la violence. Mais par notre foi, à l’image de celle de Marie, comme voyant l’invisible, nous entrons déjà en contact avec le monde nouveau. Nous comprenons que maintenant déjà les humbles et les pauvres sont exaltés. Cela ne veut pas dire qu’ils soient transformés en riches et en puissants mais parce qu’ils sont devenus conformes au Christ, le serviteur souffrant par excellence, lui qui donne sa vie pour tous les hommes. Le tout-puissant, celui qui a renversé l’ordre et les valeurs du monde l’a fait du haut de la Croix.
Et c’est à lui, à sa Parole et à son Esprit que nous sommes obéissants, comme Marie. Recevant alors la vie, nous pouvons chanter : « Heureux ceux qui croient, heureux les pauvres, heureux les miséricordieux, heureux les humbles ».

 


Fête de la Transfiguration, homélie du P. Abbé Vladimir

Chers Frères et Sœurs ,

Dans le récit de la Transfiguration du Christ, il nous est raconté un évènement qui non seulement nous dit qui est vraiment Jésus de Nazareth, le Sauveur, mais d’une certaine manière dit chacun d’entre nous celui que nous sommes déjà sous le voile du mystère et celui que nous deviendrons en plénitude.. En effet, sur la montagne, nous voyons l’avenir divin de l’homme, inauguré par Jésus mais au bénéfice de chacun d’entre nous. À la fin du chapitre 16 de Mathieu, juste avant le passage que nous venons d’entendre, le Christ dit à ses disciples: « Amen, je vous le dis : parmi ceux qui sont ici, certains ne connaîtront pas la mort avant d’avoir vu le Fils de l’homme venir dans son Règne ». Ce n’est peut être pas déjà la parousie qu’il annonçait mais 6 jours après il va révéler à trois de ses disciples un avant-goût de la gloire à venir, ce qu’il adviendra lorsqu’il sera ressuscité des morts et qu’il ne faut pas révéler avant la sa mort et sa résurrection.
« Jésus fut transfiguré devant eux ; son visage devint brillant comme le soleil, et ses vêtements, blancs comme la lumière ». Il y a quelque chose dans cette scène qui évoque l’Exode lors du don de la loi à Moïse. Son visage rayonnait lui aussi de lumière lorsqu’il descendit de la montagne après avoir parlé au Seigneur même s’il n’en avait pas connaissance.
« De la nuée, une voix disait : Celui-ci est mon Fils Bien Aimé en qui je trouve ma joie, écoutez-le ». Cette voix exprime le mystère et nous le communique. Ceci vaut encore plus pour nous aujourd’hui qui écoutons le témoignage des apôtres : « Cette voix venant du ciel, nous l’avons nous-mêmes entendu quand nous étions avec lui sur la montagne sainte ». Il n’y a plus besoin de tente, ni de lieu pour capter un reflet de la gloire de Dieu puisqu’elle brille désormais dans le cœur des disciples et qu’elle se manifeste lorsqu’ils sont témoins dans l’amour. La Parole de Dieu n’est plus écrite sur les tables de la loi mais elle est une personne, celle qui est transfigurée sur la montagne. Cette parole vient habiter nos cœurs pour nous transformer, pour nous transfigurer. C’est sur elle que nous fixons notre attention.
« Écoutez-le ». Ce fils bien aimé, transfiguré que nous devons écouter, les Écritures l’annoncent à de multiples reprises. Il est le serviteur souffrant et pourtant bien aimé dont parle le prophète Isaïe. Il est le Fils unique, celui que tu aimes, celui qu’Abraham va conduire sur la montagne croyant devoir l’offrir en sacrifice, et c’était en figure. Et nous dit la tradition juive, les yeux d’Isaac furent obscurcis lorsque liés sur l’autel par dessus le bois, il vit comme un reflet de la gloire de Dieu. Il est celui dont le psalmiste chante : « Le Seigneur m’a dit : Tu es mon Fils, Moi aujourd’hui je t’ai engendré ». À la suite du Bien Aimé, notre avenir divin passe par la Croix. Le fils Bien Aimé, le serviteur dont Isaïe dit qu’il n’avait plus figure humaine a été transfiguré, défiguré et est ressuscité pour que cheminant avec lui, nous soyons reformés dans ce mystère à l’image et à la ressemblance. C’est ce que dit l’apôtre : « Nous tous, nous reflétons la gloire du Seigneur, et nous sommes transformés en son image avec une gloire de plus en plus grande, par l’action du Seigneur qui est Esprit. Car Dieu qui a dit : Du milieu des ténèbres brillera la lumière, a lui-même brillé dans nos cœurs pour faire resplendir la connaissance de sa gloire qui rayonne sur le visage du Christ ».
Chers Frères et Sœurs,
Contrairement aux apparences, dans le mystère que nous célébrons aujourd’hui, il y a plus à écouter qu’à voir. Ecoutez, c’est le premier mot des commandements donnés à Moïse sur la Montagne, c’est le premier mot de la Règle de saint Benoît. En écoutant les Écritures nous parler de la gloire de Jésus Sauveur, mettons nous à l’école de celui qui donne sa vie pour tous les hommes. Et que notre lumière soit connue de tous les hommes.

 

 


17ème dimanche A, homélie de frère Marie

Mt 13, 44-52 ; 1 Rois, 3, 5.7-12 ; Rm 8, 28-30 ; Ps 118

En ce jour Jésus nous invite à découvrir un trésor caché, à dénicher la perle rare, unique et de grande valeur, il nous invite à faire du tri pour garder ce qui est bon, pour garder ce qui donne consistance à notre vie, ce qui lui donne un goût d’éternité.
L’enseignement de Jésus nous fait pénétrer dans le mystère de sa propre vie qui nous ouvre au mystère de la nôtre.
Notre vie est comme un champ, nous dit-il, comme un champ que nous ne possédons pas car il nous difficile de l’habiter, nous ne savons pas trop comment bien le cultiver. Notre vie est comme ce négociant de perles toujours en quête et qui un jour revend son fonds de commerce pour acquérir l’unique perle de grande valeur. Comme ce négociant nous avons besoin de nous désencombrer, de nous défaire ou de nous écarter de ce qui semble nous retenir faussement à la vie, de ce qui semble lui donner une assurance mais qui au fond ne nous rend pas heureux, ne nous émerveille pas.
Jésus nous introduit dans un paradoxe, pour posséder nous devons nous déposséder. Pour posséder le champ qui renferme un trésor inestimable, ou pour posséder la perle unique de grande valeur, il faut nous déposséder, nous défaire de ce qui est superficiel, de ce qui nous alourdit, ou de ce qui nous est toxique. Au fond notre désir de vie, de bonheur, a besoin de se laisser appeler par Dieu, a besoin de se laisser toucher par l’amour de Dieu pour découvrir que cette vie qui nous donnée nous appartient, que ce monde que nous partageons n’est pas un terrain vague, mais qu’il nous appartient et qu’il faut le partager en bien.
Comme le roi Salomon, nous devons demander à Dieu un cœur qui écoute, un cœur qui se laisse imprégner de la sagesse pour mieux gouverner nos vies. Cette sagesse qui nous aide à discerner ce qui rend la beauté et sa juste valeur à notre humanité.
Mais comme le dit aussi Jésus, il y a ici plus que Salomon. Il y a plus sage que Salomon. La sagesse du Christ est folie aux yeux des hommes car elle est folie d’amour qui se donne à nous sans réserve, gratuitement, au prix de sa vie. Il est ce trésor caché mais bien présent dans le champ de nos vies, il est cette perle unique qui est merveille à nos yeux, qui nous décille, qui nous fait voir le sens de notre existence et le sens de notre monde dans une lumière nouvelle.
Nous ne voyons pas Dieu, nous ne voyons pas le Christ ressuscité, et pourtant il est ce trésor caché bien présent et agissant. La cupidité humaine lorsqu’elle découvre un trésor se l’accapare, dissipe ce qui s’y trouve. Le trésor du Christ, lui, tout caché qu’il soit est un trésor ouvert à tous ceux qui recherchent le sens profond et vrai de la vie. Il est un don, et son contenu sont tous les dons de l’Esprit Saint nécessaires pour habiter nos vies et notre monde en vérité sous le regard aimant de Dieu, pour tisser des liens de fraternité, des liens humains qui témoignent de la présence du règne de Dieu en ce monde, ce règne de Dieu qui lutte contre les tromperies et les œuvres du mal.
Oui, l’Esprit du Christ nous enseigne l’écoute et l’accueil, la grandeur d’âme, la bienveillance, la patience et la miséricorde, la quête de la justice et de la paix, nous pouvons élargir la liste à l’amour de Dieu et du prochain. Mais surtout, à laisser Dieu lui-même nous appeler au cœur de notre désir de vie et de bonheur, à nous laisser guider avec confiance dans la découverte du trésor inestimable et de cette perle merveilleuse qu’est la vie en Christ.
« Beaucoup demandent, qui nous fera voir le bonheur ? – Sur nous Seigneur que s’illumine ton visage ! » Oui, viens briller en nos cœurs, ta présence, ta bénédiction est notre bonheur !

 


Solennité de Ste Marie-Madeleine, homélie de frère Bartomeu

(Jn 20, 1.11-18 ; 2 Co 5, 14-17)

« Ressuscité le matin, le premier jour de la semaine, Jésus apparut d’abord à Marie Madeleine » (Mc 16,9). C’est ce que, de manière très concise, nous lisons dans le résumé qui clôt l’Évangile selon saint Marc : « Jésus apparut d’abord à Marie Madeleine. » Nous le lisons en fait aussi dans les trois autres Évangiles. Et c’est le fait qu’elle s’est trouvée être le premier témoin de Jésus ressuscité ce qui a donné une importance toute spéciale à Marie Madeleine. L’oraison au commencement de cette liturgie le reprenait : « Seigneur Dieu, c’est à Marie Madeleine que ton Fils unique a confié la première annonce de la joie pascale. »
Dans l’Évangile selon saint Jean nous avons entendu tout à l’heure : « Le premier jour de la semaine, Marie Madeleine se rend au tombeau de grand matin ; c’était encore les ténèbres. Elle s’aperçoit que la pierre a été enlevée du tombeau… » Et à la fin Jésus lui disait : « “Va trouver mes frères pour leur dire que je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu.” Marie Madeleine s’en va donc annoncer aux disciples : “J’ai vu le Seigneur !”, et elle raconta ce qu’il lui avait dit. » C’est pourquoi elle a été appelée l’Apôtre des Apôtres.
Et nous pouvons nous demander : comment se fait-il que Jésus soit apparu d’abord à Marie Madeleine ? En fait, si elle a été le premier témoin de Jésus ressuscité c’est parce qu’elle s’était trouvée aussi parmi les derniers témoins restés auprès de Jésus près de la croix. Alors que « tous les disciples l’abandonnèrent et s’enfuirent » (Mt 26,56), « près de la croix de Jésus se tenaient sa mère et la sœur de sa mère, Marie, femme de Cléophas, et Marie Madeleine » (Jn 19,25). Et lorsque Jésus avait été déposé dans le tombeau, « Marie Madeleine et Marie, mère de José, observaient l’endroit où on l’avait mis » (Mc 15,40-47). Après quoi, « le sabbat terminé, Marie Madeleine, Marie, mère de Jacques, et Salomé achetèrent des parfums pour aller embaumer le corps de Jésus » (Mc 16,1). Chaque fois nous avons les noms de plusieurs femmes, mais Marie Madeleine est la seule que nous trouvons chaque fois.
Elle est celle qui « se tient près du tombeau, au-dehors, tout en pleurs. » Ce sont d’abord les anges qui lui demandent : « Femme, pourquoi pleures-tu ? » Et c’est ensuite Jésus lui-même qui lui demande : « Femme, pourquoi pleures-tu ? Qui cherches-tu ? ». « On a enlevé mon Seigneur, et je ne sais pas où on l’a déposé. » « Si c’est toi qui l’as emporté, dis-moi où tu l’as déposé, et moi, j’irai le prendre. » Elle est celle qui pleure, celle qui cherche.
Et la réponse qui lui ouvre les yeux est l’appel de son nom : « Marie ! » Comme s’il reprenait ce que nous lisons dans le livre d’Isaïe : « Ainsi parle le Seigneur, ne crains pas, je t’appelle par ton nom… » (Is 43,1). À quoi elle répond : « Rabbouni !, c’est-à-dire: Maitre », en araméen, ce que, dans le texte de l’évangile écrit en grec, dit la familiarité.
Que Marie Madeleine soit pour nous comme une parabole : il nous faut être auprès de Jésus près de la croix pour devenir les témoins de Jésus ressuscité, qui nous appellera par notre nom. « Car – comme nous l’a dit l’Apôtre Paul – le Christ est mort pour tous, afin que les vivants n’aient plus leur vie centrée sur eux-mêmes, mais sur lui, qui est mort et ressuscité pour eux. » Notre vie non plus centrée sur nous-mêmes, mais sur lui, qui est mort et ressuscité pour nous. Marie Madeleine nous en est l’apôtre.


Solennité de St Benoît, homélie du P. Abbé Vladimir

« Voici que nous avons tout quitté pour te suivre »
Chers Frères et Sœurs,
Cette phrase de Pierre n’exprime pas une condition. Celle-ci s’exprimerait très certainement d’une autre manière comme par exemple par la phrase: « Si nous quittons tout pour te suivre, alors . . . ». Il y aurait probablement également dans ce cas un changement de perspective par le passage au singulier puisque c’est souvent en pensant chacun uniquement à nous même que nous posons des conditions: « Si je quitte tout pour te suivre » aurait été alors la phrase de Pierre. Mais c’est parce que Pierre n’exprime, ni une condition, ni un repli sur lui-même, c’est parce que sa phrase même si elle parle d’une part se situe dans le registre de la gratuité que Jésus loin de lui faire des reproches va lui répondre de manière très solennelle dans une destnée à tous : « Amen, je vous le dis. Vous qui m’avez suivi ».
« Voici que nous avons tout quitté pour te suivre ». Par ce pluriel Pierre exprime comme une résolution commune aux conséquences permanentes, un engagement à la suite du Christ et c’est de cet engagement que nait la communauté. Cela nous donne comme une compréhension nouvelle de cette phrase d’Évangile alors que nous fêtons saint Benoît. Car c’est bien à un nous qui implique une vraie communion que saint Benoît s’adresse aussi lorsqu’il écrit sa petite règle pour les cénobites. « Avançons donc sous la conduite de l’Évangile », « courons par les bonnes actions », cheminant ensemble dans l’école du service du Seigneur, le Christ nous conduira tous ensemble à la vie éternelle. Ce que nous avons en commun, ce qui fonde la communauté, ce ne sont pas d’abord des qualités, des manières de voir et de penser mais une réponse, un engagement, une écoute commune de cette voix du Seigneur qui nous invite. Quoi de plus doux que cette voix nous dit saint Benoît. La communauté et la communion naissent de ce que nous avons décidé de mettre ensemble.
Ainsi ce nous dont parle la règle de saint Benoît, ce n’est pas d’un groupe où tout le monde serait semblable, uniforme et penserait de la même manière (ce qui serait une secte) mais d’une communauté fondée sur l’écoute et le pardon, une communion qui respecte chacun dans son individualité mais où chacun veut cheminer ensemble. En ce temps où l’église réfléchit sur la synodalité, Benoît nous dit qu’elle ne peut naître que d’un désir porté par l’amour d’avancer ensemble, de nous accueillir et de nous accepter. « Supportons avec une très grande patience les infirmités d’autrui, tant physiques que morales, obéissons nous à l’envi » nous dit la Règle faisant écho à la lettre aux Éphésiens : « ayez beaucoup d’humilité, de douceur et de patience, supportez-vous les uns les autres avec amour ; ayez soin de garder l’unité dans l’Esprit par le lien de la paix ». Sans cette volonté qui est un don de Dieu que nous pouvons accueillir, toutes les techniques de communication et de partage ne sont que des illusions. Sans la volonté de nous pardonner, nous ne pouvons pas grandir ensemble comme corps.
La synodalité n’est pas une question de technique mais de désir commun, de volonté de cheminer ensemble. Par l’intercession de saint Benoît, demandons pour nous et pour toute l’église que ce désir grandisse.

 


12ème dimanche A, homélie de frère Marie

Voici que Jésus nous dit : « Ne craignez pas les hommes ; Ne craignez pas ceux qui tuent le corps sans pouvoir tuer l’âme – Ne craignez-pas, car votre vie est précieuse aux yeux de Dieu. »
Ce que nous devons craindre et qui porte atteinte à notre dignité d’enfants de Dieu, ce sont les séductions et les complicités que nous pouvons entretenir avec le mal, c’est cela qui est mortifère ; C’est pour cela que le Christ nous a appris à prier, tous les jours : délivre-nous du Mauvais.
Le Christ nous a délivré du pouvoir du Mauvais et de la mort. Face aux conséquences du péché qui entraîne la mort, la grâce du Christ s’est répandue en abondance sur la multitude, nous rappelle St Paul.
Le Christ est la réponse au cri du psalmiste : « je te prie, Seigneur : c’est l’heure de ta grâce ; dans ton grand amour, Dieu, réponds-moi, par ta vérité sauve-moi. Réponds-moi, Seigneur, car il est bon, ton amour ; dans ta grande tendresse, regarde-moi. »
En Christ Dieu répond et nous regarde, il pose sur nous son regard de bénédiction et de grâce.
Ce regard de bénédiction nous faire prendre conscience que la paix et la joie de notre vie se trouvent dans la dynamique de cette gratuité qui nous fait partager la joie du royaume des cieux. Ce regard de bénédiction est la vie même de Dieu qui nous est donnée en partage. Ce don n’est pas le fruit de nos mérites, mais le fruit du don gratuit de Dieu, car la grâce est la manifestation de son amour et de sa justice, cette justice qui est éternelle fidélité, jusqu’à donner sa vie.
Mais ce don, il nous est donné de le mettre en œuvre, il nous est donné d’être nous-mêmes l’expression de cette grâce. Il nous est donné d’en exprimer les vertus, d’en exprimer la force et la lumière de vie pour l’épanouissement du genre humain. Ce n’est pas un épanouissement individualiste, une réussite égocentrique, mais cet épanouissement passe par l’engagement de notre liberté, une liberté qui se laisse atteindre par ce regard bon de Dieu, une liberté qui a besoin d’être éduquée, travaillée par le regard que Dieu pose sur l’humain et sur la création. Une liberté au service de notre commune dignité.
Nous sommes des êtres auquel Dieu fait partager sa propre dignité, malgré nos faiblesses, ou malgré nos manques de fidélité. Dieu ne nous demande que notre humble et vraie confiance, notre humble amour. Nous pouvons nous sentir étrangers dans les tendances du monde, mais l’Esprit nous dit à travers le psaume : « Vie et joie, à vous qui cherchez Dieu ! » Car le Seigneur écoute les humbles.
Cette éducation à la grâce est un labeur auquel nous sommes invités à participer, et dans lequel nous sommes espérés, attendus, par Dieu, sans relâche, pour manifester la bénédiction de l’humanité.
Cette bénédiction qui s’exprime dans les mille facettes de l’accueil. Tous les actes de Jésus dans les évangiles sont des actes d’accueil. Les seuls rejets concernent les hypocrisies, les pièges des malveillants, les faux semblants, et les séductions de pouvoir. Mais toute pauvreté posée en vérité est accueillie.
Combien d’hommes et de femmes se laissent rejoindre par cette grâce du Christ en des circonstances inattendues, il frappe à toutes portes, sans regarder à notre dignité ou indignité aux yeux des hommes, à notre nationalité ou couche sociale. Il nous demande seulement d’être des témoins de cette infinie gratuité, des témoins de la joie et de cette espérance qui nous a rejoint au cœur même de notre humaine pauvreté pour nous enrichir de sa victoire sur le mal et sur la mort, pour nous enrichir des bienfaits de son Esprit Saint. Aussi, ne craignons pas, si nous déclarons pour lui, il se déclarera pour nous devant son Père qui est aux Cieux.

 


Fête du Saint Sacrement du Corps et du Sang du Christ, homélie de frère Bartomeu.

Chers frères et sœurs, chaque dimanche, Jour du Seigneur, nous célébrons l’eucharistie comme le Seigneur nous a dit de le faire en mémoire de lui (Lc 22,19 ; 1 Co 11,24-25). Nous la célébrons même chaque jour, en faisant alors en quelque sorte de notre vie un dimanche continu.
Et voici qu’aujourd’hui nous nous arrêtons pour comprendre mieux ce qu’est cette « nourriture inconnue de nos pères », comme la manne que le Seigneur avait donné dans le désert, ce chemin du peuple d’Israël dans le désert qui est l’image de notre vie.
Et c’est dans l’Évangile selon saint Jean – celui qui pourtant ne nous a pas reporté la cène où Jésus a institué l’eucharistie – c’est dans cet Évangile que Jésus nous explique longuement quel est ce pain qui est descendu du ciel, ce pain qui n’est pas comme celui que les pères ont mangé : « Eux, ils sont morts ; celui qui mange ce pain vivra éternellement. »
Nous venons d’entendre la lecture de la conclusion de ce discours de Jésus après la multiplication des pains et des poissons de l’autre côté du lac de Tibériade. « Moi – nous a-t-il dit –, moi je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel : si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour la vie du monde. »
Et aux Juifs qui se querellaient entre eux : « Comment celui-là peut-il nous donner sa chair à manger ? » Jésus leur dit : « Amen, amen, je vous le dis : si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez pas son sang, vous n’avez pas la vie en vous. Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle ; et moi, je le ressusciterai au dernier jour. En effet, ma chair est la vraie nourriture, et mon sang est la vraie boisson. Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi, je demeure en lui. »
Comme nous le lisons dans la lettre de saint Paul aux Galates, « nous tous que le baptême a unis au Christ, nous avons revêtu le Christ » (Ga 3,27). Et voici que nous qui par le baptême avons revêtu le Christ, lorsque par l’eucharistie nous mangeons sa chair et buvons son sang nous demeurons en lui, et le Christ demeure en nous.
Mais encore ce n’est pas un pain que nous mangeons chacun pour son compte. L’apôtre Paul nous l’a dit : « La coupe de bénédiction que nous bénissons, n’est-elle pas communion au sang du Christ ? Le pain que nous rompons, n’est-il pas communion au corps du Christ ? Puisqu’il y a un seul pain, la multitude que nous sommes est un seul corps, car nous avons tous part à un seul pain. » Cette communion au sang du Christ, cette communion au corps du Christ fait un seul corps de la multitude que nous sommes, car nous avons tous part à un seul pain.
Voici ce que nous revivons chaque dimanche, ce que nous revivons chaque fois que nous célébrons l’eucharistie. Puissions-nous dire, comme l’apôtre Paul : « Je vis, mais ce n’est plus moi, c’est le Christ qui vit en moi. » (Ga 2,20).

 


Dimanche de Pentecôte, homélie du P. Abbé Vladimir

Chers Frères et Sœurs,

Tout spécialement dans l’Évangile selon saint Jean, le Ressuscité fait un lien entre la venue du Saint Esprit et son départ. Et pourtant, c’est une Bonne Nouvelle qu’il nous annonce ainsi. La venue du Saint Esprit loin de remplacer le Christ Sauveur, loin de nous éloigner de lui, nous le rend présent d’une autre manière et c’est ce que nous célébrons aujourd’hui. Le don de l’Esprit et cette autre manière du Christ d’être présent sont liés dans le récit des Actes des Apôtres par un « tous ensemble ». « Ils se trouvaient réunis tous ensemble ». Tous furent remplis de l’Esprit Saint » et pour ce qui concerne les foules présentes à Jérusalem : « tous nous les entendons parler en nos langues des merveilles de Dieu ».
Comme le dit saint Paul : « Tous les membres, malgré leur nombre ne forment qu’un seul corps » et c’est le don de l’Esprit Saint. La vie nouvelle que nous recevons dans l’Esprit est une vie commune comme l’est celle de la Trinité. Nous avons reçu un esprit qui fait de nous des fils adoptifs et par lequel nous crions Abba Père. Cet Esprit nous fait entrer dans la vie trinitaire qui est communion parfaite.
Mais comme le disent aussi les Actes, c’est chacun de nous qui est concerné par le don de l’Esprit. En effet, chacun entend les apôtres dans sa langue maternelle. Si la Pentecôte est la guérison la réparation de la division de Babel, ce n’est pas que nous revenions à une seule langue. Dans le Christ, Dieu a parlé la langue des hommes et la Parole de Dieu s’articule dans la langue maternelle de chacun dans le monde entier. La Pentecôte, c’est le mystère de la traduction. Dieu a parlé la langue des hommes. Le Verbe s’adresse à chacun dans sa langue et cela peut remodeler chaque culture. De cette multiplicité nait une richesse de communion dans la diversité. De cette multiplicité nait la vie.
Déjà au niveau naturel et nous expérimentons en ce temps combien cela est important, la vie ne peut se maintenir qu’avec une grande richesse de diversité. C’est ce qu’on appelle la biodiversité. Par analogie, l’on pourrait dire que ce que nous fêtons en ce jour, c’est la biodiversité spirituelle qui permet à l’église de vivre pleinement. Saint Paul prend l’image du corps pour dire qu’à ce corps sont nécessaires, des dons variés de la grâce, des services, des activités, des charismes variés. Mais sans être infidèle aux Écritures, je voudrai prendre aussi l’image du champ ou du pré spirituel que l’on trouve dans la tradition monastique. L’Église, ce n’est pas de l’agriculture intensive où il faudrait sélectionner ce qui produit le mieux, ce qui est le plus brillant, le plus rentable. Et tout désherbant pour aboutir à cela est un instrument du mauvais. Si dans la parabole, il faut laisser pousser jusqu’à la fin le bon grain et l’ivraie, ce pré spirituel qu’est l’Église, il nous faut le cultiver comme en permaculture, certains que des fleurs apparemment sans beauté et sans intérêt sont d’une grande utilité. Les dons et les charismes, ce n’est pas d’abord ce qui est brillant ou nombreux, c’est l’humilité, le service, la recherche de la communion et de la paix. Voilà ce qu’il nous faut d’abord rechercher.

Chers Frères et Sœurs, laissons nous conduire par l’Esprit pour grandir dans la paix et la communion.

 


Jeudi de l'Ascension, homélie du P. Abbé Vladimir

Chers Frères et Sœurs,
La liturgie de ce jour nous offre un paradoxe. Les Actes des Apôtres nous montrent deux hommes en vêtements blancs disant aux Apôtres : « Ce Jésus qui a été enlevé au ciel d’auprès de vous, viendra de la manière que vous l’avez vu s’en aller vers le ciel » et dans l’Évangile de Mathieu nous entendons le Christ nous dire : « Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde ». Ce paradoxe qui n’est pas une contradiction est précisément ce que nous célébrons en cette fête de l’Ascension. Le Christ, dont nous attendons le retour, se rend aussi présent au jour le jour bien réellement même si c’est d’une autre manière. Et notre vie pour être pleinement humaine doit être toute entière tendue entre cet aujourd’hui où le Sauveur est avec nous et ce monde à venir où il reviendra pour tout restaurer en plénitude.
Cette présence pour l’évangéliste Mathieu passe par une ouverture à tous les groupes humains, sans aucune discrimination, ouverture qui se manifeste par un envoi. Sur la montagne le Christ annonce son Royaume, un Royaume universel qui n’aura pas de fin. Cette montagne où il a ordonné à ses disciples de se rendre s’oppose d’une certaine manière point par point à la très haute montagne où le tentateur avait montré à Jésus en les lui proposant tous les royaumes du monde et leur gloire. En effet, le pouvoir dont le Sauveur parle se manifeste dans l’annonce d’un salut ouvert à tous, en baptisant et en formant des disciples, par le service et non par la domination. Et c’est un point sur lequel, tous et moi le premier nous devons nous convertir car le service gratuit est une chose si précieuse et rare.
« Allez de toutes les nations, faîtes des disciples, baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit ».
C’est dans cette aventure qui se poursuit jusqu’à aujourd’hui que le Christ se rend présent, une aventure tourné vers l’avenir et non vers le passé, une aventure qui n’est pas la conservation d’une identité mais l’ouverture sur le Royaume qui vient.
Et dans cette ouverture sur le Royaume, c’est par l’accomplissement des commandements que nous rendons et percevons le Christ présent.
Ces commandements ne sont pas pesants, ils se résument, se condensent en la loi d’amour. Comme le dit la lettre aux Éphésiens : « En vivant dans la vérité de l’amour, nous grandirons pour nous élever en tout jusqu’à celui qui est la Tête, le Christ » et nous rendrons ainsi le Christ présent au milieu de nous. C’est la mission qu’il confie à chacun d’entre nous et pour laquelle nous avons tous un rôle à jouer. Mais comme il nous l’a dit, il se rend aussi présent lui-même, en personne, et nous donne de le rencontrer de multiples manières à, chaque instant. C’est ce que l’on découvre dans le même Évangile de Mathieu : « Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là, au milieu d’eux». Et ce peut être notre assemblée de ce matin. Mais Le Sauveur nous dira aussi lorsqu’il reviendra : « Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume préparé pour vous depuis la fondation du monde. Car j’avais faim, et vous m’avez donné à manger ; j’avais soif, et vous m’avez donné à boire ; j’étais un étranger, et vous m’avez accueilli ; j’étais nu, et vous m’avez habillé ; j’étais malade, et vous m’avez visité ; j’étais en prison, et vous êtes venus jusqu’à moi ! »
En cette fête de l’Ascension, laissons nous saisir par l’urgence de la conversion, elle qui nous détourne de l’accessoire pour nous centrer sur l’essentiel, le Christ présent et vivant au milieu de nous en nous donnant déjà les mœurs du Royaume.

 


5ème dimanche de Pâques, homélie de frère Marie

Chers frères et sœurs, Jésus en ce jour nous fait entendre : « Dans la maison de mon Père il y a beaucoup de demeures ». Le Verbe de Dieu, le Verbe de vie qui demeure en permanence auprès du Père, est aussi venu demeurer parmi nous en notre condition humaine. Le Verbe de Dieu, parfaite expression du Père, a fait de notre humanité le temple de son amour et de sa miséricorde. Dès le début de l’évangile, Jésus invite ses premiers disciples à demeurer près de lui, à demeurer avec lui : « Venez et voyez ! ». Cette invitation nous est toujours adressée.
Notre foi chrétienne n’existe que dans la dynamique de l’accueil et de la communion et que dans le désir de la rencontre.
Au soir même de sa résurrection Jésus souffle sur ses disciples l’Esprit Saint, l’Esprit de vie et de sainteté. Par le Christ cet Esprit d’amour, cette communion de vie du Père et du Fils, dès le baptême est répandu dans nos cœurs. S’il y a beaucoup de demeures dans la maison du Père, c’est que nous sommes tous appelés, par ce même Esprit, à devenir demeure de Dieu, à vivre dans cette communion divine. Cette communion divine fait appel à notre désir de vie heureuse, et nous découvrons vite qu’il n’y a de vie heureuse que s’il y a partage, bienveillance et gratuité.
Comme nous le dit si bien St Benoît dans sa règle des moines, si nous sommes ainsi accueillis dans la maison de Dieu, si nous sommes invités en sa demeure, nous devons aussi nous comporter selon les règles de notre hôte. Le paradoxe est que la demeure de Dieu en laquelle nous sommes invités et introduits, nous sommes aussi appelés à la construire, car Jésus fait de nous des pierres vivantes, des pierres saintes, aimées de Dieu.
Qu’elles sont donc ces règles qui incombent aux hôtes que nous sommes ?
La première règle est de suivre Jésus sur les chemins de l’Evangile. Jésus nous le dit sans détour : Je suis le chemin, la vérité et la vie. En nous laissant guider par lui, nous apprenons à aimer, et nous ouvrons les yeux de notre cœur et notre intelligence sur les horizons insoupçonnés de la beauté de notre humanité. Mais nous ne sommes pas les maîtres de cette humanité illuminée par la présence de Dieu, nous en sommes les disciples et les serviteurs, nous en sommes aussi les bénéficiaires.
L’Evangile nous enseigne comment vivre en hôtes dans la maison de Dieu : Si tu veux avoir la vie véritable et éternelle, interdit le mal à ta langue. Interdit à tes lèvres les paroles trompeuses ; détourne-toi du mal et fais le bien ; cherche la paix avec ardeur et persévérance. Et lorsque vous agirez de la sorte, mes yeux seront sur vous et mes oreilles attentives à vos prières, et avant même que vous ne m’invoquiez, je vous dirai : « Me voici ».
Oui, l’urgence demeure toujours la même car l’histoire de l’humanité et de l’Eglise sont toujours traversées par des temps troublés, l’urgence au présent est d’ouvrir nos cœurs à l’appel de l’Evangile. Et le cœur de l’Evangile est dans la gratuité de l’accueil et du don, dans le respect réciproque et la bienveillante miséricorde ; il est aussi dans la dénonciation et le rejet de toute forme de mal et dans la vérité et la mise en œuvre du bien que nous enseigne la Sagesse divine.
« Dans la maison de mon Père il y a beaucoup de demeures ». Ces demeures sont des demeures aux portes ouvertes, car elles abritent le mystère du Christ. Tout ce que vous ferez à l’un de ces plus petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous le faites, nous dit Jésus. Et encore qui vous accueille, m’accueille, et qui m’accueille accueille Celui qui m’a envoyé.
Oui, nous assure-t-il, nous ferons chez-lui notre demeure.


3ème dimanche de Pâques, homélie du P. Abbé Vladimir

Chers Frères et Sœurs,

Nous voici en chemin ce matin avec les deux disciples qui s’en retournent à Emmaüs. Et ce chemin que nous parcourons aujourd’hui tous ensemble est comme une parabole de notre vie. Alors qu’ils sont en train de marcher, les deux disciples voient cet étranger s’approcher et cheminer avec eux. Nous qui entendons l’Évangile régulièrement,  nous savons que cet étranger est Jésus, le Ressuscité mais eux le voient et ne le reconnaissent pas. Lorsque le jour baisse, à la  fraction du pain ils le reconnaissent et aussitôt il disparait à leurs regards et ils ne le voient plus.

Et pour nous, ce matin, c’est une évidence que dans nos vies, il ne faut pas tant chercher à voir qu’à reconnaître puisqu’en ces jours qui sont les derniers, l’invisibilité ne signifie plus l’absence. La disparition du Ressuscité à leurs regards aurait pu laisser ces deux disciples désemparés mais, bien au contraire, elle les met en route, conduits par la transformation qui est advenue en eux. Ils l’ont reconnu à la fraction du pain. On pourrait penser que ce geste répété à chaque repas  par chaque père de famille juif jusqu’à aujourd’hui, geste dont la description renvoie par les mots même utilisés à l’épisode de la multiplication des pains est la cause de cette reconnaissance. Or ce n’est pas ce que nous dit Luc si nous sommes bien attentifs. Ce geste familier n’en est que l’occasion. Si les yeux des disciples s’ouvrent à ce  moment là, c’est parce que Jésus l’a voulu ainsi. C’est Lui qui nous donne de le reconnaître après l’avoir pris d’abord pour un autre, le jardinier, un fantôme ou un étranger au bord du lac comme dans la plupart des récits des manifestations du Ressuscité. C’est la grâce, c’est l’Esprit du Ressuscité qui permet cette reconnaissance en transformant les deux disciples. Et cette transformation renvoie tout autant à l’écoute des Écritures qu’à la fraction du pain. C’est d’ailleurs ce que les disciples disent avoir expérimenté. « Ils se dirent l’un à l’autre : « Notre cœur n’était-il pas brûlant en nous, tandis qu’il nous parlait sur la route et nous ouvrait les Écritures ? » et « À leur tour, ils racontaient ce qui s’était passé sur la route, et comment le Seigneur s’était fait reconnaître par eux à la fraction du pain ».

Avant sa Résurrection, dans ce qui n’est encore qu’une annonce et qu’une préfiguration, Jésus alors que le jour commence à baisser prit les « cinq pains et les deux poissons, et, levant les yeux au ciel, il prononça la bénédiction sur eux, les rompit et les donna à ses disciples pour qu’ils les distribuent à la foule ». À la banalité du geste répond alors un résultat impensable et matériel. Le soir du premier jour de la semaine, alors que le jour a déjà baissé, le Ressuscité « ayant pris le pain, prononça la bénédiction et, l’ayant rompu, il le leur donna ». Il n’y a alors plus à voir comme pour toutes nos célébrations que des signes simples. Aucun signe merveilleux n’est donné aux deux disciples pour qu’ils le reconnaissent, juste une transformation intérieure qui est en vérité le commencement du monde nouveau, du Royaume qui vient. Nous n’avons rien d’autre à désirer.

Et nous voici sur la route, sur ce chemin qu’est la vie monastique. Et, à nous aussi, il nous est donné au quotidien non de voir mais de reconnaître. Par une grâce totalement gratuite, il nous est donné pour paraphraser saint Bernard non de savoir de manière froide mais d’expérimenter. Et sur cette route, le Seigneur vient à notre rencontre pour cheminer avec nous. Il s’approche sous de multiples visages, parfois très déroutants, parfois très étrangers, parfois très dérangeants. Et si nous laissons nos cœurs ouverts, il nous donne la grâce de le reconnaître et d’être transformé par Lui et en Lui. Mais déjà, il aura disparu à la fraction du pain nous invitant sans cesse à avancer sur la route et à nous donner et à partager.

Seigneur je te rends grâce pour ces années passées à cheminer avec toi. Conduis nous tous ensemble jusqu’à toi.

 


2ème dimanche de Pâques, homélie de frère Bartomeu

 

Chers frères et sœurs, dans la lecture de l’évangile nous venons d’entendre que les disciples se trouvaient réunis « le soir venu, en ce premier jour de la semaine… » Et ensuite que, « huit jours plus tard, les disciples se trouvaient de nouveau dans la maison… » Et voici que, depuis ce premier jour de la se-maine et ce huit jours plus tard, nous n’avons plus cessé de nous trouver de nouveau en ce jour qui est à la fois le premier et le huitième jour de la se-maine. Et que nous le comptions comme huitième jour d’une semaine de sept jours exprime qu’il est au-delà des réalités de ce monde.
Pour dire son importance, ce jour a reçu tout de suite le nom de « Jour du Seigneur », comme nous le trouvons déjà dans le Nouveau Testament, au commencement de l’Apocalypse de saint Jean où nous lisons : « Je fus saisi en esprit, le jour du Seigneur… » Jour du Seigneur, en latin « dies domini-ca », d’où vient notre « dimanche ». Rappelons-nous toujours que dimanche veut dire jour du Seigneur. C’est la chance de nos langues latines, alors que d’autres langues ont gardé le nom païen de jour du soleil.
Et en ce huitième jour, en ce jour du Seigneur, nous revivons ce que nous avons entendu dans la lecture des Actes des Apôtres : « Les frères étaient assidus à l’enseignement des Apôtres et à la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières. » C’est cela le dimanche : être assidus à l’enseignement qui nous vient des Apôtres et à la communion fraternelle, à la fraction du pain, l’eucharistie, et aux prières. C’est ce que nous vivons en ce moment.
Et ce que nous vivons le dimanche c’est ce qui nous fait vivre en tant que chrétiens. « Le dimanche – disait saint Jérôme – est le jour de la résur-rection, le jour des chrétiens, c’est notre jour. » Et saint Ignace d’Antioche, qui a vécu à la fin du premier siècle, écrivait que nous devons « vivre selon le dimanche », c’est-à-dire « vivre selon Jésus-Christ », car « c’est par ce mystère que nous avons reçu de croire et c’est pour cela que nous tenons ferme, afin d’être trouvés disciples de Jésus-Christ, notre seul maître. » Le dimanche n’est pas pour nous banalement un jour chômé. Il est le jour des chrétiens, nous qui vivons selon le dimanche, c’est-à-dire selon Jésus Christ.
Et lorsque comme Thomas nous dirions : « Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je ne mets pas mon doigt dans la marque des clous, si je ne mets pas la main dans son côté, non, je ne croirai pas ! », c’est ce jour que nous rappelle toujours la parole de Jésus à l’apôtre : « Heureux ceux qui croient sans avoir vu. »
C’est aussi ce que nous disait tout-à-l’heure la lettre de saint Pierre : « Lui, vous l’aimez sans l’avoir vu ; en lui, sans le voir encore, vous mettez votre foi, vous exultez d’une joie inexprimable et remplie de gloire, car vous allez obtenir le salut des âmes qui est l’aboutissement de votre foi. »
Chers frères et sœurs : bon dimanche !


Lundi de Pâques, homélie de frère Marie

Chers frères et sœurs, voici que le Christ Jésus nous fait chanter avec le psaume : Je voyais le Seigneur devant moi sans relâche : il est à ma droite, je suis inébranlable.
Oui, le Christ Jésus, qui a traversé les affres de la passion, qui a traversé les ténèbres de la mort, nous entraîne dans sa confiance, dans sa confiance en la présence indéfectible du Père, dans sa confiance dans le secours et la puissance de l’Esprit Saint.
Sur la croix au moment redoutable du passage, de son humanité meurtrie son cri avait jailli : Mon Dieu, mon Dieu pourquoi m’as-tu abandonné ! Ce cri est le nôtre devant tout ce qui meurtri notre humanité, devant tout ce qui meurtri notre foi, devant tout ce qui fait vaciller notre espérance. Et cependant du fond même de son esprit Jésus avait dit cette autre parole : Père, entre tes mains je remets mon esprit !
Oui, tu ne peux m’abandonner à la mort ! C’est dans cette confiance que le Christ Jésus est relevé d’entre les morts.
C’est maintenant dans la lumière de son amour et de sa résurrection que le Christ vient à notre rencontre, comme il vient à la rencontre des saintes femmes aux premières lueurs du matin de Pâques. Il vient nous souffler sa vie. Il nous donne son souffle pour annoncer au monde entier : Il est vivant, c’est bien lui, nous le voyons ! Au fond même de notre cœur, dans le souffle de son Esprit il nous dit : c’est moi, ne crains pas, je suis le vivant à jamais, celui qui a donné sa vie pour toi.
C’est le mystère de l’Eglise, corps du Christ. Cette Eglise corps du Christ que nous formons, qui est le corps blessé, meurtri, et qui est le corps guéri, ressuscité.
Oui, le Christ Jésus nous invite et nous entraîne dans sa confiance : Il est à ma droite, je suis inébranlable. Ma chair elle-même reposera dans l’espérance : tu ne peux m’abandonner au séjour des morts ni laisser ton fidèle voir la corruption. Tu m’as appris des chemins de vie, tu me rempliras d’allégresse par ta présence.
Cette présence est là, qui nous entraîne en sa confiance.

 


Dimanche de Pâques, homélie du P. Abbé Vladimir

Chers Frères et Sœurs,

En ce matin de Pâques, Marie Madeleine court au tombeau. Elle s’aperçoit que la pierre a été enlevée. Cette constatation tous les Évangiles nous la rapportent. L’Évangile selon saint Mathieu nous a dit cette nuit que c’est un ange qui a roulé la pierre. Il s’est passé quelque chose de très important. Non seulement la pierre a été roulée mais le corps de Jésus semble avoir été enlevé. C’est si important que Marie court prévenir Pierre et l’autre disciple, celui que Jésus aimait. Et les disciples courent au tombeau. L’un après l’autre et de manière différente, ils s’aperçoivent que les linges sont posés à plat et donc que le corps de Jésus n’est plus là. S’apercevoir, c’est une manière de regarder. C’est faire la constatation d’un événement inattendu voir troublant. La pierre qui était si lourde a été roulée et le corps n’est plus là. Mais s’apercevoir, ce n’est pas croire. Il manque encore quelque chose pour accéder à la foi.
« C’est alors qu’entra l’autre disciple, lui qui était arrivé le premier au tombeau. Il vit, et il crut ». Il y a une part de mystère que nous ne pouvons pas saisir mais ce disciple qui arrivé le premier s’était penché et avait aperçu les linges posés à plat entre et voit. Il voit et croit. Dans l’évangile de Jean, le verbe voir utilisé ici est toujours du registre de la foi. C’est ce que le Sauveur dit à Marthe pleurant la mort de son frère Lazare : « Si tu crois, tu verras la gloire de Dieu ». Croire en la résurrection, c’est changer notre manière de voir.
Mais nous pouvons encore avancer plus loin. Que voit l’autre disciple, celui que Jésus aimait sinon une absence. Il voit et il croit. Mais ce qu’il voit, c’est beaucoup plus avec le cœur qu’avec les yeux. A lui s’applique déjà par anticipation ce que Jésus dira à Thomas lui qui voulait toucher : « Heureux ceux qui croient sans avoir vu ». Par la foi, nous sommes comme voyant l’invisible et cela transforme notre manière de regarder le monde.
La foi, c’est un regard intérieur, purifié, gratuit qui ne cherche plus son intérêt et sa satisfaction. Pour le recevoir, saint Paul nous invite à nous purifier des vieux ferments. Demandons au Ressuscité qu’il purifie nos cœurs de tout ce qui nous empêche non pas d’apercevoir mais de le voir, de le découvrir. C’est à Lui que tous les prophètes rendent témoignage. C’est de lui que nous recevons la grâce du pardon et de la réconciliation. C’est lui que nous découvrons en méditant les Écritures.
Célébrons cette Pâques de manière nouvelle en nous laissant toucher et rejoindre par le Ressuscité. Il se manifeste à la fraction du pain et donc dans le partage. Il se manifeste sous une apparence étrangère puisque Marie le prendra pour le jardinier. Il se manifeste dans tous les hommes que nous devons servir.


Nuit de Pâques, homélie du P. Abbé Vladimir

Chers Frères et Sœurs,

En cette nuit qui tend vers sa fin, les femmes viennent pour regarder le sépulcre. Et voici que, comme au moment de la mort de Jésus la terre se met à trembler. Alors l’ange du Seigneur vint pour rouler la pierre. Par sa mort et sa résurrection, Jésus inaugure le monde nouveau dont ce tremblement de terre est le signe et l’ange le messager. Et ce monde nouveau est annoncé en quelques mots très simples par ce messager resplendissant, blanc comme la neige : « Soyez sans crainte. . . Jésus le crucifié, il n’est pas ici, car il est ressuscité, comme il l’avait dit. . . Vite, allez dire à ses disciples : « Il est ressuscité ». Et voici ces femmes, apôtres des apôtres, celles qui ne pouvaient à cause de leur amour abandonner complètement Jésus le Nazaréen, leur maître celui qu’elles avaient accompagné depuis la Galilée, mises en route par ces quelques mots. Et Jésus vint à leur rencontre pour leur joie et leur consolation mais c’était comme si le messager avait déjà tout dit tant le message dans le fond est simple : « Soyez sans crainte, allez annoncer à mes frères qu’ils doivent se rendre en Galilée ».
Chers Frères et Sœurs,
En cette nuit qui tend vers sa fin, nous qui avons été unis à la mort du Christ par le baptême pour que nous menions une vie nouvelle, nous qui sommes vivants pour Dieu en Jésus Christ, nous n’avons pas d’autre bonne nouvelle à entendre et à annoncer. Soyons sans crainte. De tous côtés, la guerre, la haine et la violence font rage mais le Ressuscité a brisé tous les murs de séparation et de haine et il nous appelle et nous envoie, Lui qui est notre Paix. Demandons à celui qui fait toutes choses nouvelles de nous donner sa paix. Comme ces femmes, comme les apôtres après avoir rencontré le ressuscité en Galilée à la montagne où il leur avait demandé de se rendre, laissons nous transformer en profondeur et convertir par l’Esprit de paix et de réconciliation que nous avons reçu au baptême. N’ayons plus peur car la peur de l’autre mène toujours à la violence. Faisons notre cette prière d’un jeune garçon d’un pays en guerre : « Jésus, s’il te plaît, fait que la paix règne dans le monde entier et que nous puissions être tous frères ». Cette paix, c’est ce que le Ressuscité veut que nous portions au monde parce que c’est le don par excellence qu’il fait à ses disciples. « Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu ».
Vite, allons dire, il est ressuscité. Pas tant par des paroles même si elles sont nécessaires que par notre manière de vivre. Laissons nous transformer en profondeur pour devenir des hommes nouveaux. C’est cette nouveauté qui fera de nous des témoins comme l’Église en a eu au fil des siècles. Restons en communion avec le Ressuscité pour que le Christ vainqueur de la mort soit présent à chaque instant de notre vie pour qu’elle puisse autant qu'il est possible annoncer le Royaume avec simplicité et humilité.


Vendredi Saint, homélie du P. Abbé Vladimir

Chers Frères et Sœurs,

Voici que tout est accompli. Le Sauveur du monde, Jésus le Nazaréen, le Verbe fait chair, Celui qui a habité parmi nous est sorti dehors portant la couronne d’épines et le manteau de pourpre.
« Voici l’Homme » dit Pilate à la foule qui crie et vocifère.
Voici l’homme. Même s’il est si défiguré qu’il n’a plus l’apparence d’un homme. « Méprisé, abandonné des hommes, homme de douleurs, familier de la souffrance, il était pareil à celui devant qui on se voile la face », selon ce qu’avait annoncé le prophète. Voici le serviteur. Cet homme dont Caïphe a dit : « Il vaut mieux qu’un seul homme meure pour le peuple ». Cet homme a été renié par ses disciples, il n’a pas opposé de résistance à ceux qui l’ont arrêté, condamné, flagellé, mis en Croix.
Voici l’homme. Levons les yeux vers celui que nous avons transpercé. De son côté coulent le sang et l’eau pour nous donner la vie.
Chers Frères et Sœurs,
Arrêtons pour un moment le regard de notre cœur sur cet homme, sur l’Homme par excellence, le Christ. « Il offrit avec un grand cri et dans les larmes, des prières et des supplications à Dieu qui pouvait le sauver de la mort, et il fut exaucé en raison de son grand respect. Bien qu’il soit le Fils, il apprit par ses souffrances l’obéissance et, conduit à sa perfection, il est devenu pour tous ceux qui lui obéissent la cause du salut éternel ». C’est chez cet homme au moment où il va remettre l’esprit que se manifeste au contraire des apparences toute notre dignité retrouvée, l’image et la ressemblance restaurées. Il est l’Homme par excellence, le modèle et l’exemple parce qu’il a aimé jusqu’à l’extrême et jusqu’au don total. Voici notre Roi, sans armes et sans défense car sa royauté n’est pas de ce monde sinon comme nous le voyons faire encore aujourd’hui des armées se seraient battues pour lui. Là où l’on suit son exemple, on grandit en humanité. Il récapitule en lui les justes et les prophètes mais aussi tous les abandonnés, les exilés, les prisonniers. Il s’est fait l’un de nous jusque dans la faiblesse la plus grande et c’est ainsi que se manifeste dans toute sa splendeur la gloire de Dieu.
Voici l’homme. Nous allons le déposer au tombeau où nous allons ressusciter avec lui. Il est Celui qui peut nous sauver, Celui qui peut nous guérir, Celui qui ne nous abandonnera pas. Il est Celui qui nous aime et nous connaît. Par ses blessures nous sommes guéris.
Laissons nous toucher par lui pour le reconnaître et le servir dans nos frères.


Jeudi Saint, homélie du P. Abbé Vladimir

Chers Frères et Sœurs,
« La nuit où il était livré, le Seigneur Jésus prit du pain, puis, ayant rendu grâce, il le rompit, et dit : « Ceci est mon corps, qui est pour vous. Faites cela en mémoire de moi. »
Faîtes cela en mémoire de moi. À ces Paroles du Sauveur que saint Paul rapporte font écho celles que l’Évangile de Jean nous a fait entendre après le lavement des pieds. « Vous aussi, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous. »
Mémoire et exemple, Sacrement et exemple comme le disent nos pères cisterciens. Le Dieu caché sous le voile de la chair, celui qui s’est anéanti prenant la condition de serviteur se donne totalement dans le Sacrement de son amour pour nous donner la vie en plénitude afin que nous suivions son exemple. Pas de sacrement sans imitation et puisque le Christ nous a laissé un modèle afin que nous suivions ses traces, pas d’imitation sans l’accueil de la vie qu’il nous donne en plénitude. Le sang avait été le signe du passage du Dieu Tout Puissant en Égypte pour libérer son peuple. Aujourd’hui, en cette célébration, avec son sang, il nous donne aussi son amour pour nous libérer définitivement. Seul son amour qui nous pardonne et nous transforme peut nous reformer à son image et à sa ressemblance. « Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout ». En lavant les pieds de ses disciples, geste dont nous peinons à nous représenter combien il peut être choquant dans le contexte du judaïsme de cette époque, le Christ nous invite à devenir les siens c’est à dire à entrer dans la folie de l’amour et de la Croix qu’il veut partager avec nous. « Aimez vous comme je vous ai aimé » va t’il dire dans son discours d’adieu.
« Faîtes cela en mémoire de moi », par ces paroles le Christ nous charge de l’offrir, de le manger, de l’imiter écrit Baudouin de Ford, un des pères de Cîteaux. La vie chrétienne, toute vie chrétienne est à la fois offrande et imitation. La lettre aux corinthiens et l’Évangile de Jean sont comme deux fenêtres complémentaires ouvrant sur le même mystère de l’amour de Dieu pour l’homme à l’image de ce qui est représenté sur le tabernacle de notre église. Mais quel est cet exemple que nous sommes invités à suivre. Il est double puisqu’il est à la fois de nous laisser laver les pieds comme Pierre et les autres disciples, de nous abandonner au Christ qui nous sauve en toute confiance mais aussi de nous laver les pieds les uns les autres, de donner notre vie pour le salut et la guérison de nos frères. Et cela d’abord dans l’intention et dans l’élan du cœur plutôt que dans l’imitation des gestes car chacun nous devrons le faire à notre manière. Nous ne pouvons célébrer l’Eucharistie sans chercher à construire un amour fraternel qui ne pose pas de limite au don. Rendons grâce pour l’amour que le Sauveur nous donne aujourd’hui. Accueillons le pour être transformé par lui.

 


Dimanche des Rameaux -A, homélie du P. Abbé Vladimir

Chers Frères et Sœurs,

À la question : « qui est cet homme ? », Celui qui entre à Jérusalem, les foules ont répondu avant que nous commencions notre procession : « C’est le prophète Jésus, de Nazareth en Galilée ». Et il y a là un paradoxe voir un scandale celui de la Croix du Christ. La figure du prophète qui entre à Jérusalem qui est pour les foules un motif de cris de joie et de louange, Jésus, dans l’Évangile selon Saint Mathieu l’utilise pour parler de lui-même en évoquant son rejet et sa mise à mort.

« Jérusalem, Jérusalem, toi qui tues les prophètes et qui lapides ceux qui te sont envoyés, combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants comme la poule rassemble ses poussins sous ses ailes, et vous n’avez pas voulu ! » s’écrit-il avant sa passion. Jésus est le juste mais persécuté et abandonné, le prophète mais mis à mort, le roi des juifs et ce motif de condamnation sera écrit sur le panneau que sa croix portera.

Et cela nos oreilles l’ont entendu, nos yeux l’ont vu. Voici ce que firent ceux qui étaient réunis chez le grand prêtre après l’arrestation du Sauveur de tous les hommes : « Alors ils lui crachèrent au visage et le giflèrent ; d’autres le rouèrent de coups en disant : « Fais-nous le prophète, ô Christ ! Qui t’a frappé ? ». Tout cela est arrivé pour que s’accomplissent les écrits des prophètes : « Alors fut accomplie la parole prononcée par le prophète Jérémie : Ils ramassèrent les trente pièces d’argent, le prix de celui qui fut mis à prix, le prix fixé par les fils d’Israël, et ils les donnèrent pour le champ du potier, comme le Seigneur me l’avait ordonné » comme nous l’avons entendu proclamer. Mais il y a bien plus que cela,  Jésus est le prophète, l’unique, le Fils bien aimé. Dans un grand cri, il nous livre la Parole définitive du Père, parole de salut et de miséricorde pour tous les hommes, parole d’amour de l’amour qui se donne totalement. Parole qui rejoint toute la souffrance et la faiblesse humaine.

Quelque part encore en nous, souvent de manière bien cachée, nous rêvons d’un sauveur performant, d’un guérisseur qui résolve tous nos problèmes et nous apporte une paix qui serait celle du monde. Mais paradoxalement, ce n’est que parce que Jésus de Nazareth est rejeté, condamné, mis à mort sur la Croix et enseveli que nous pouvons le reconnaître comme le juste, le prophète, le roi, le sauveur et le Fils comme le fait déjà, comme par anticipation le centurion : « Vraiment, celui-ci était Fils de Dieu ! ». C’est parce qu’il s’est anéanti, prenant la condition de serviteur jusqu’à la mort de la Croix que toute langue peut proclamer : Jésus Christ est Seigneur, à la gloire de Dieu le Père.

Et il nous laisse ainsi comme il l’avait annoncé une loi nouvelle donnée sur la montagne.

« Heureux êtes-vous si l’on vous insulte, si l’on vous persécute et si l’on dit faussement toute sorte de mal contre vous, à cause de moi. Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux ! C’est ainsi qu’on a persécuté les prophètes qui vous ont précédés ».

Seigneur, alors que nous célébrons ta passion qui nous sauve, apprends nous à te reconnaître dans ceux qui sont comme toi rejetés, méprisés, délaissés dans tous les pauvres et les étrangers que tu aimes.

 


3ème dimanche de Carême-A, homélie de frère Marie

Les lectures de ce dimanche nous font traverser l’épreuve de la soif. Il y a la soif d’eau, la soif de vivre, la soif de vérité, la soif d’aimer, autant de soifs qui marquent notre condition ‘d’hommes en route’.
Le peuple dans le désert chemine avec une promesse tenue à bouts de bras par Moïse, la promesse de la terre promise, terre de bénédiction et d’abondance. Et le peuple récrimine contre Dieu, contre Moïse, il cri, il éprouve la soif. A chaque soif, c’est comme si nous étions abandonnés à la mort, la confiance se tarit. Quand le petit enfant a faim ou soif, il gémit, il cri, mais à travers cette dépendance vis-à-vis de ses parents l’enfant apprend la confiance. La temporisation fait prendre conscience de la relation, conscience d’une alliance incontournable, pour vivre ensemble. La confiance prend du temps. La confiance en la promesse de Dieu, sa promesse de vie, est une lente migration. Le désert demande un bon guide. En cela notre foi ne repose pas sur des humains, mais sur Dieu. Chaque épreuve de la vie, chaque scandale de l’humanité, de violence et d’injustice, comme chaque scandale de l’Eglise, est comme un vent de sable, on perd les traces.
Le désert est une traversée, non une fin. Les déserts de nos vies, et nos soifs, nous enseignent à prendre conscience de notre pauvreté fondamentale, celle que nous partageons tous, et nous font prendre conscience que la vie est avant tout un don, que nous n’en possédons ni la source ni le terme. C’est au cœur de cette pauvreté que Jésus source de vie devient promesse et réalité, au cœur de cette pauvreté que se tisse une Alliance. Ne fermez pas votre cœur, mais écoutez la voix du Seigneur, nous dit le psaume.
Jésus aussi a soif. Il est la sixième heure, la plus chaude du jour, Jésus est fatigué, il s’assoit au bord du puits de Jacob, à Sykar en Samarie. Une Samaritaine s’approche pour puiser, et Jésus lui demande à boire. Les Samaritains sont considérés par les juifs pieux comme des déviants et sont méprisés, ils ne sont pas de l’Alliance. Mais Jésus a soif de l’Alliance et à travers la Samaritaine ce sont tous les Samaritains qui vont s’ouvrir à l’eau vive de la parole de Jésus, et si les Samaritains croient, alors le monde entier peut croire.
Il est la sixième heure, Jésus assis au bord du puits dit : j’ai soif. Jésus à soif de l’Alliance. La terre promise c’est l’humanité entièrement réconciliée avec Dieu : Tu aimeras ton Dieu, et ton prochain comme toi-même.
A l’autre bout de l’évangile de Jean, il sera la sixième heure et Jésus, au bout du chemin, sera assis au bord du puits de la Passion. Du haut de la croix il dira à nouveau : j’ai soif. Et il plongera dans le puits mortel de notre humanité pour en faire jaillir une eau vive, éternelle. De son sein couleront des fleuves d’eau vive, nous avait-il dit.
Notre soif se transforme en espérance, et, nous rappelle St Paul : l’espérance ne déçoit pas, puisque l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné.
La preuve que Dieu nous aime, c’est que le Christ est mort pour nous, alors que nous étions encore pécheurs. Le Christ Jésus ne nous demande rien d’autre que notre soif et de lui faire confiance.
Chaque fois que nous approchons de la parole de Jésus, nous approchons une eau vive, à chaque fois que nous approchons des sacrements de l’Eglise, nous approchons du côté ouvert de Jésus pour nous désaltérer au don de l’Esprit de Vie, ce côté percé qui nous ouvre à l’Amour de Dieu à jamais.

 

 


2ème dimanche-A, homélie du P. Abbé Vladimir

Chers Frères et Sœurs,

En ce deuxième dimanche de carême, voici que nous sommes à l’écart avec le Christ Jésus sur la montagne. Dans l’Évangile selon saint Mathieu, il y a de nombreuses montagnes où le Sauveur se manifeste. Dimanche dernier, nous avons entendu comment le diable emmène le Fils de Dieu là aussi sur une très haute montagne et lui montre tous les royaumes du monde et leur gloire. « Tout cela, je te le donnerai, si, tombant à mes pieds, tu te prosternes devant moi ». Cette haute montagne, tout au début de l’Évangile renvoie à une autre montagne où les disciples se rendent après la résurrection : « Les onze disciples s’en allèrent en Galilée, à la montagne où Jésus leur avait ordonné de se rendre. Quand ils le virent, ils se prosternèrent, mais certains eurent des doutes. Jésus s’approcha d’eux et leur adressa ces paroles : Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. Allez ! De toutes les nations faites des disciples : baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit ».
Après la résurrection, il n’y a plus aucune ambigüité possible sur l’autorité reçue par Jésus. Elle lui est donnée par son Père après sa mort et sa résurrection. Cette domination universelle ne peut être confondue avec aucune royauté de ce monde et nous y serons associés pour notre salut et celui du monde entier. Comme le dit la lettre à Timothée : « Notre Sauveur s’est manifesté, il a détruit la mort et il a fait resplendir la vie et l’immortalité ». De manière paradoxale, il l’a fait en se manifestant comme serviteur souffrant. Pour Pierre qui ne peut encore comprendre cela lorsque le Sauveur annonce sa passion aux apôtres mais aussi pour nous instruire, Jésus gravit une haute montagne et y est transfiguré. Comme le dit Léon le Grand commentant notre Évangile : « C’est par le labeur que l’on parvient au repos, par la mort que l’on parvient à la vie puisque le Christ a accepté toute la faiblesse de notre pauvreté ».
Et c’est cette pauvreté et cette faiblesse que nous avons tous en commun que nous voyons transformées, transfigurées sur la montagne. Moïse et Élie, la loi et les prophètes mais surtout deux prophètes puisque le deutéronome nous dit après la mort de Moïse qu’il ne s’est plus levé en Israël un prophète comme lui, s’entretiennent avec Jésus. Il n’y a auprès de lui ni David, ni Aaron. Jésus ne vient ni pour rétablir la dynastie de David et fonder un royaume, ni pour purifier et réorganiser le culte du temple dont il annonce qu’il sera détruit. C’est grâce aux prophètes et aux psaumes qui sont pour la tradition ancienne de l’Église un livre prophétique que nous pouvons comprendre en profondeur la passion, la mort et la résurrection du Sauveur. La royauté et le temple ont échoué et Jésus inaugure une voie nouvelle comme il l’avait déjà fait d’une certaine manière lors de son baptême dans le Jourdain. Il se fait serviteur, il se fait péché pour nous, il va gouter de la mort pour nous en nous invitant à marcher sur ses traces. C’est ce chemin que la transfiguration nous montre comme un chemin de lumière. C’est ce chemin auquel nous sommes tous invités, chemin d’humilité et d’obéissance si l’on en croit saint Benoît dans sa règle.
Écoutons la voix qui sort de la nuée : « Celui-ci est mon Fils bien aimé en qui je tr


Mercredi des Cendres, homélie de frère Marie

En célébrant l’entrée dans le temps du Carême, le mercredi des cendres nous ouvre ce long temps préparatoire à la célébration de Pâques. Chemin de préparation pour redécouvrir la grâce de notre vie baptismale. La cendre signe de pénitence, symbolise aussi nos limites et nos éphémères. La cendre nous invite à tourner nos regards vers ce qui ne passe pas. Mais la cendre n’est pas stérile. Sous la cendre couve le feu de l’amour de Dieu et notre cœur a besoin de se libérer, de se purifier pour le redécouvrir.
L’humain au cœur de ses désir est appelé avant tout à consentir à ses limites. Limites du savoir, limites de l’avoir, limites du pouvoir, limites envers son phantasme d’autonomie ; nous avons besoin de la grâce de Dieu. Nous avons besoin de cette grâce d’amour et de sanctification pour découvrir notre vrai visage d’enfant de Dieu. Nous avons besoin de Dieu et nous avons besoin des autres pour vivre cela, C’est une œuvre de réconciliation et d’Alliance. Même au cœur de l’Alliance l’homme éprouve ses limites et sa pauvreté pour répondre à la sainteté. Le malheur de l’homme et ses aveuglements procèdent avant tout dans le refus à ce consentement du réel qui le fonde. Le refus des limites de sa condition humaine et de sa dépendance envers sa source de vie, cette source de vie qu’est la Parole vivante de Dieu et de son souffle de vie qu’est l’Esprit Saint, celui qui réside en nos cœurs. Seule dépendance qui nous fait sortir des violences de ce monde.
Le temps du Carême nous invite sur ce chemin de réconciliation, ce chemin de l’Alliance. Cheminement en éprouvant la faim et la soif de la justice, en poursuivant la paix, en mettant en œuvre la charité fraternelle et surtout en nous confiant à Dieu avec un cœur de pauvre, en nous laissant purifier de nos égoïsmes, afin de célébrer dignement et joyeusement la Pâque du Christ.
Jésus nous enseigne sur les trois axes fondamentaux à travers lesquels notre foi se vit en acte et en vérité. L’aumône, la prière et le jeûne. Axes auxquels s’ajoutent deux attitudes qui s’opposent, l’attitude extérieure, ostentatoire, et l’attitude intérieure de l’ordre de la pureté d’intention et de la gratuité.
L’aumône nous situe dans le rapport avec le prochain, dans l’attention à travers la charité fraternelle, elle nous ouvre au visage de la sœur, du frère.
La prière, elle, est expression de la place de Dieu dans notre vie de foi, elle est reconnaissance et action de grâce de cette source de vie avec laquelle nous entrons en Alliance. Ce n’est pas l’étalage d’une attitude religieuse pour montrer aux autres que nous des hommes pieux, respectables. La prière nous situe dans l’humilité des pauvres, dans la reconnaissance de notre statut d’enfants du royaume, bien-aimés du Père. La prière nous ouvre le cœur et nous invite à la confiance.
Le jeûne, lui nous situe dans une juste relation au monde qui nous entoure. Relation si critique aujourd’hui. Il ne s’agit pas d’exploits, mais de vaincre les tendances de notre convoitise pour découvrir la valeur profonde de la vie qui nous est donnée et toute créature. Découvrir la juste utilisation de toute chose pour le bien commun. Le jeûne nous rend tout autant solidaires que co-acteurs du projet divin envers l’humanité et la création.
Aussi ces trois axes liés les uns aux autres, ont en commun le secret du cœur et la joie du Père.
Oui, nous entrons dans le temps favorable et le temps de grâce.

 


7ème dimanche A, homélie de frère Bartomeu

 Chers frères et sœurs, alors que nous allons commencer le carême, temps de conversion, nous avons entendu dans la lecture du livre des Lévites la parole du Seigneur à Moïse : « Parle à toute l’assemblée des fils d’Israël. Tu leur diras : Soyez saints, car moi, le Seigneur votre Dieu, je suis saint. »
Et qu’est-ce qui nous fera être saints, de la sainteté dont le Seigneur notre Dieu est saint ? Tout est résumé en : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. »
Jésus reprendra ce commandement et dira qu’il est le second commandement, qu’il est semblable au premier : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit », et que « De ces deux commandements dépend toute la Loi, ainsi que les Prophètes. » (Matthieu 22,36-40)
Comme en écho à cette parole du livre des Lévites, à la fin de la lecture de l’Évangile nous avons entendu que Jésus disait à ses disciples : « Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait. »
« Soyez saints, car moi, le Seigneur votre Dieu, je suis saint. » « Vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait. » Nous voici invités à la sainteté et à la perfection de Dieu lui-même ! N’est-ce pas inouï et incroyable ?
Écoutons comment Jésus explique le « Tu aimeras ton prochain ». Il nous dit : « Si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui encore l’autre. Et si quelqu’un veut te poursuivre en justice et prendre ta tunique, laisse-lui encore ton manteau. Et si quelqu’un te réquisitionne pour faire mille pas, fais-en deux mille avec lui. » Et encore : « Aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent, afin d’être vraiment les fils de votre Père qui est aux cieux ; car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, il fait tomber la pluie sur les justes et sur les injustes. »
Ce sont des exigences qui nous semblent bien difficiles, voire impossibles. Mais si nous voulons être vraiment les fils de notre Père qui est aux cieux… écoutons ce que de notre Père nous disait le Psaume : « Le Seigneur est tendresse et pitié, lent à la colère et plein d’amour ; il n’agit pas envers nous selon nos fautes, ne nous rend pas selon nos offenses. »
En effet, si nous aimons ceux qui nous aiment, quelle récompense méritons-nous ? Et si nous ne saluons que nos frères, que faisons-nous d’extraordinaire ?
Voici, chers frères et sœurs, un programme à notre mesure pour le carême dans lequel nous allons entrer dans trois jours : nous exercer à être prêts à faire deux mille pas lorsque nous sommes réquisitionnés pour en faire mille, nous exercer à être attentifs à chaque occasion de faire deux mille pas… afin d’être vraiment les fils de notre Père qui est aux cieux.
Voici un chemin à parcourir, une course à poursuivre.


Fête des Sts Cyrille et Méthode, homélie de frère Marie

Luc 10, 1-9

Jésus envoie les 72 disciples en avant de lui. Nous sommes de même, en tant que disciples du Christ envoyés en avant de lui. Ce que nous vivons avec lui, ce que nous en expérimentons est proclamation de sa venue en ce monde, si du moins notre cœur ne s’alourdit pas et reste ouvert à sa parole et à l’action de son Esprit.
Voici que je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups, dit-il à ses disciples.
Jésus désigne ainsi ce qui fait l’essence de tout apostolat, ou de toute évangélisation.
Ce n’est pas une épreuve de force, ni de pouvoirs humains.
L’annonce de l’Evangile ne fait pas appel à la contrainte, mais à l’écoute, à l’oreille des cœurs. Ecoute qui ne peut se faire qu’à travers une rencontre respectueuse et le dialogue.
Ecoute et dialogue qui sont le véritable terreau de la transmission d’une tradition vivante.
Les Sts Cyrille et Méthode nous donnent un exemple éminent de cette tradition vivante de l’Evangile. L’incarnation du message évangélique et des principaux piliers de la foi s’opèrent dans la particularité et la richesse des générations et des cultures. Nous sommes des passeurs de relai.
Les dérives des religions se passent quand elles vont non à la rencontre mais à la conquête, ou quand elles deviennent rigides et se durcissent dans leur mode d’exprimer leur foi, enfermant ainsi la dynamique de l’intelligence des croyants au risque de la rendre stérile.
La première chose qu’annoncent les disciples envoyés par Jésus, c’est la paix. Ce souhait de paix n’est pas qu’un souhait éphémère, c’est l’annonce que Dieu et là, présent, qu’il est lumière pour nos vies. Cette annonce est gratuite jusque dans son intention. Elle est partage de grâce.
St Paul nous dit que cette lumière qui brille dans nos cœurs est la connaissance de la gloire de Dieu qui rayonne sur le visage du Christ. Connaissance de la gloire de Dieu qui ouvre un horizon nouveau à notre humanité. Ce trésor nous le portons dans des vases d’argile car nous connaissons nos limites humaines, nos défaillances, nos peurs de la différence, nos peurs des résistances que nous pouvons rencontrer. Ce trésor est l’œuvre de l’Esprit Saint qui nous ouvre à l’amour, à la justice et à la paix, tels qu’ils se manifestent par le don du Christ, l’Agneau véritable qui enlève les péchés du monde. Ce n’est pas l’œuvre d’une conquête humaine, d’une loi du plus fort, mais c’est l’œuvre de la véritable et puissante douceur de Dieu qui seule peut rendre féconds nos dialogues au cœur de nos différences humaines.
Être envoyés comme des brebis au milieu des loups c’est être porteurs du message du Christ en s’engageant sans réserve au service de la fraternité humaine.

 

 


Fête de la présentation de Jésus au Temple, homélie du P. Abbé Vladimir

Chers Frères et Sœurs,

Comme toute la liturgie nous le dit, la fête que nous célébrons aujourd’hui est celle de la lumière. Dans le temple, Syméon reçoit l’enfant dans ses bras et le reconnait comme la lumière des nations. Cette lumière que nous avons reçue, qui nous est partagée, celle que nous nous sommes transmises, nous sommes entrés dans cette église en la portant symboliquement car elle nous unit et nous met en mouvement. Cette lumière nous l’avons reçue au baptême mais ce n’est qu’ensemble, dans la communion et en allant de l’avant que nous pouvons nous laisser éclairer par elle. Et pourtant si l’on peut s’exprimer de cette manière, il y a lumière et lumière. On ne peut fixer le soleil trop longtemps sans devenir aveugle. Il y a la lumière qui éblouit et celle qui, adaptée à notre faiblesse nous éclaire et nous permet de discerner ce qui nous entoure. Il y a aussi la vraie lumière et la fausse lumière. C’est ce que disaient déjà les Pères du désert de manière très forte dans ce court récit : « Le diable, transformé en ange de lumière, apparut à un frère : « Je suis l’ange Gabriel, lui dit-il, et je suis envoyé vers toi ». Le frère lui répondit : « Es-tu bien sûr de n’avoir pas été envoyé vers quelqu’un d’autre ? Car moi, je ne suis pas digne de recevoir la visite d’un ange ». Aussitôt le démon disparut ». Ce n’est que dans l’humilité que nous pouvons recevoir et transmettre la lumière de Dieu car c’est ainsi qu’elle est venue jusqu’à nous.
Aujourd’hui la lumière divine se manifeste dans et comme un petit enfant présenté par ses parents pour se conformer au rite de la loi. C’est ainsi que Syméon et Anne le reconnaissent à travers le voile du mystère qui est aussi celui de la chair. Comme le dit la lettre aux hébreux : « Puisque les enfants des hommes ont en commun le sang et la chair, Jésus a partagé, lui aussi, pareille condition . . . Car ceux qu’il prend en charge, ce ne sont pas les anges, c’est la descendance d’Abraham ».
Chers Frères et Sœurs,
En ces temps de trouble et de scandales qui défigurent l’église, laissons nous rejoindre par la lumière de cet enfant. Chantons avec le prophète :
« Seigneur, je n’ai pas le cœur fier ni le regard ambitieux,
Mon âme est en moi comme un enfant, comme un petit enfant contre sa mère.
Attends le Seigneur, Israël, maintenant et à jamais ; »
Il viendra sans tarder et nous le reconnaitrons à la fraction du pain qui est tout à la fois signe du partage et sacrement de la communion.

 


Fête des Saints fondateurs de Cîteaux, homélie du P. Abbé Vladimir

Chers Frères et Sœurs,
« Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux que l’on aime » dit le Seigneur Jésus à ses apôtres avant de donner sa vie pour tous les hommes car il aime et nous demande d’aimer tous les hommes, nos amis comme nos ennemis. Nos fondateurs, Robert, Albéric et Etienne mais en fait tout le groupe qui partit avec eux le 21 mars 1098 suivant les récits qui nous sont parvenus, ont reçu chacun dans sa singularité mais aussi tous ensemble un appel dans la foi à tout quitter pour suivre le Christ pauvre et son Évangile. Cet appel, ils l’on reçu dans la foi, gratuitement. C’est le saint appel dont parle la deuxième lettre à Timothée qui nous demande de compter sur « la puissance de Dieu qui nous a sauvés et appelés par un saint appel, non en vertu de nos mérites, mais en vertu de son propre dessein et de sa grâce ». Cet appel, nous sommes qui sommes leurs lointains héritiers, nous l’avons nous aussi reçu dans la foi, elle qui fait de nous des étrangers et des voyageurs. Notre vocation, c’est d’abord ce don, cet appel auquel nous consentons pour pouvoir y répondre. Notre vocation, comme celle de nos pères, ce n’est pas d’abord faire telle ou telle chose, ce n’est pas remplir un rôle mais c’est nous laisser transformer pour faire de notre vie un don dans l’amour sous la conduite de l’Évangile. Nous sommes tous des rescapés, avec le Christ nous avons traversé la mer pour que le Seigneur manifeste en nous la richesse de sa miséricorde. C’est pour cela que nous nous réunissons dans l’église de jour comme de nuit pour chanter sa victoire. Nous sommes ainsi les héritiers de Notre Père Etienne qui écrivait vers la fin de sa vie aux moines de Sherborne : « Avec mon bâton, j’ai traversé la mer de sorte qu’en moi, le plus petit d’entre vous tous. . . le Seigneur fit voir les richesses de sa miséricorde ». Oui le Seigneur nous a fait miséricorde.
« Chantons au Seigneur un chant nouveau »
Nous qui sommes des vases vides et fragiles, des vases d’argile, laissons nous remplir par le don de l’amour du Christ pour qu’il nous transforme. Et puisque l’amour lui-même est connaissance, si nous faisons de notre vie un don, nous yeux s’ouvriront et nous pourrons tout contempler gratuitement le monde et nos frères comme un don que le Seigneur nous fait.
Vivant d’une foi brulante, nous pourrons alors chanter comme le merle de la chanson, « chanter dans la nuit profonde, apprendre à voir, toute la vie.
Tu attendais juste ce moment pour être libre ».
« Car la foi est une façon de posséder ce que l’on espère, un moyen de connaître des réalités qu’on ne voit pas ».

 


Conversion de St Paul, homélie de frère Marie

 

Comme le dira St Paul dans ces lettres, ce n’est pas selon la chair qu’il a connu ou rencontré le Christ. Il l’a connu selon l’Esprit. Sa conversion, tout comme la nôtre, est l’œuvre de l’Esprit du Christ en lui. C’est cette rencontre du Christ ressuscité, dans l’Esprit Saint, qui en fera l’apôtre des nations. Dans les récits de cette rencontre, la lumière, la voix, désignent ce bouleversement profond qui s’opère en lui. Lui, Paul, l’homme fort de ses convictions, l’homme fort de son appartenance juive et de son zèle pour la Loi se retrouve dépouillé de ses certitudes, il tombe à terre. De fort qu’il était, il devient un homme faible, ouvert à l’irruption du mystère du Christ en sa vie. Cette lumière soudaine et forte de sa vérité, l’a rendu incapable de discerner par lui-même, il lui a fallu être pris par la main, être pris en charge par la communauté des disciples, ceux-là mêmes qu’il persécutait. Paul a découvert Jésus à travers les membres du corps du Christ que sont ses disciples : « Pourquoi me persécutes-tu ? » lui dit Jésus. Pour Paul, le zélé pour la Loi, le Christ a déchiré le voile de la Loi.
Paul n’a pas connu le Christ selon la chair, mais l’a connu selon l’Esprit : « Nul ne peut dire Jésus Christ est Seigneur si ce n’est par l’Esprit Saint » 1 Co 12, 3. Paul a rencontré dans le ressuscité, l’homme nouveau, il n’y a plus ni juifs ni païens, mais Dieu a fait des deux, en Christ, un homme nouveau, là est le grand retournement de Paul.
Paul le converti nous dit ceci : « Oui, elle a surabondé pour moi, la grâce de notre Seigneur, ainsi que la foi et l'amour qui est dans le Christ Jésus. Elle est digne de confiance, cette parole, et mérite d'être pleinement accueillie par tous : « Christ Jésus est venu dans le monde pour sauver les pécheurs dont je suis, moi, le premier » 1 Tm 1, 15

Oui Paul a dû apprendre en premier lieu l’immense miséricorde de Dieu, à travers laquelle la grâce surabonde sur le péché, et qui nous dit que tout être humain est digne d’être aimé. A l’école du Christ, à la suite du Maître, il a appris à donner sa vie en hostie vivante pour que les autres aient la vie. Car la conversion à l’amour de Dieu ne se paie pas de mots, elle est écoute et mise en pratique.
Ce long et beau combat de la foi, est passé par l’apprentissage de sa faiblesse,
Jésus a dit à Paul : « ma grâce te suffit, ma force se déploie dans la faiblesse. » 2 Co 12, 9
Mais à travers cette faiblesse demeure le désir de fraternité, le désir d’unité. Car ce désir nous parle de cet être nouveau engendré en Christ, être nouveau qui témoigne de l’amour fou de Dieu pour ce monde qui est sien.

 


3ème dimanche A, homélie de frère Marie

Is 8, 23b – 9, 3 ; Mt 4, 12-17

Les maîtres mots des lectures de ce dimanche sont ‘lumière’, ‘joie’. Pas n’importe quelle lumière, ni n’importe quelle joie. Les textes nous parlent d’une lumière qui émane d’une visite de Dieu, une visite de Dieu qui vient éclairer nos ténèbres. La joie est celle d’une libération, la libération de quelque chose qui nous pèse.
Nous participons tous à cette évidence qu’est la vie. Cette vie fragile, cette vie belle ou confuse, avec ses heurs et malheurs, avec ses lumières et ses ombres. Cette vie avec son bien et son mal, ses espoirs et ses désespérances. Cette vie à laquelle nous tenons tous reste cependant un mystère. Nous cherchons tous du sens à nos vies, du sens à nos histoires, du sens à notre monde et nous tâtonnons souvent comme des égarés. Les égarés ont besoin de sens et de lumière. Au cœur même de nos impasses ou de nos questionnements existentiels Dieu vient nous ouvrir une voie qui opère un nouveau commencement, qui opère une relation vivifiante et une compréhension inédite de notre existence.
C’est ainsi que commencent le texte d’Isaïe repris par l’évangile de ce jour : sur les égarés que nous sommes une lumière s’est levée, une lumière a resplendi qui a prodigué la joie. Une lumière qui a jeté ses premiers rayons sur le peuple d’Israël, mais sans dévoiler tout son mystère, et maintenant lumière révélée aux nations, à l’humanité entière.
Le Seigneur Jésus vient se manifester au carrefour des nations, nous dit l’évangéliste. Le Seigneur vient se manifester dans nos périphéries, dans nos zones ténébreuses, dans nos ignorances, jusqu’à recouvrir nos hontes de sa gloire nous dit le prophète Isaïe.
Le Seigneur Jésus porte avec lui une parole de vie qui ne passe pas, il ouvre une porte d’espérance qui se nomme royaume des Cieux. Le Christ commence sa prédication en disant : « convertissez-vous, le royaume des Cieux est tout proche. »
Dire le Royaume de Dieu s’est approché, c’est le dire présent au milieu de nous, parmi nous et faisant irruption en nous.
Le Royaume des cieux est intervention et présence de Dieu parmi les hommes et qui ouvre un nouvel espace dans nos vies. Un nouvel espace qui change notre perception de l’humanité et de notre monde. Nous ne sommes pas sur terre pour nous haïr, nous battre ou nous dominer, mais pour nous respecter et nous aimer, voilà ce que nous apprend entre autres Jésus. Ce Royaume s’est manifesté en Christ, par sa prise en charge de l’humanité, dans ses espérances et ses ténèbres. Par sa mort et sa résurrection, avant d’être proclamation, il est avant tout évènement et manifestation de l’humanité sauvée et glorifiée en Lui.
La conversion, c’est nous tourner vers cette réalité nouvelle, mettre les pieds dans ce monde du royaume de Dieu. Le Christ nous y appelle, car il veut notre libération. Répondre, et s’y avancer c’est comme les premiers disciples endosser la vie de témoins au cœur de nos vies personnelles et sociales.
Jésus, Verbe de Dieu fait chair, est passé en ce monde. Il est venu lumière d’en haut, dans le mystère de la naissance, dans le mystère de la chair, et il ressort dans le passage de la Pâque, dans la lumière de l’Esprit.
Mais Jésus ne passe pas comme le monde passe, ou comme nos vies semblent passer. Non, Jésus demeure en nos vies, en nous faisant passer avec lui et demeurer en lui, dans sa gloire. Là se trouve toute la dynamique de ce royaume des Cieux auquel nous participons en tant qu’acteurs, et qui nous fait passer de la mort à la vie.

 

 


Fête de St Honorat et profession solennelle du frère François, homélie du P. Abbé Vladimir

Cher Frère François

Dans le tropaire que nous venons de chanter, l’image du fils prodigue retournant vers le Père apparaît très clairement. Et de fait, c’est bien un tel retour que la Règle de saint Benoît nous propose dès les premières lignes de son prologue. Aujourd’hui elle t’invite à « retourner par le labeur de l’obéissance à celui dont t’avait éloigné la lâcheté de la désobéissance ».
La vie monastique comme toute vie chrétienne est un chemin à la suite du Christ. Avancer sur ce chemin n’est pas de l’ordre de la performance mais de l’ordre de l’obéissance et de l’amour. Ce chemin, cher Frère François tu l’as commencé depuis longtemps d’abord au Cameroun puis en France. Nous prions avec et pour toi pour que, par la profession monastique, tu y progresses avec toujours plus de liberté à l’exemple de nos pères dans la vie monastique. Car contrairement à ce que les mots mêmes semblent indiquer, l’obéissance à la suite du Christ est faite pour conduire à la liberté. C’est ce que montre très clairement la vie d’Honorat qui institua la vie monastique sur cette île au cinquième siècle. Nous le voyons, arrivant sur l’île qui portera plus tard son nom, rassurer ses compagnons par la chant du psaume que nous chantons dans cette église tous les soirs : « tu marcheras sur la vipère et le scorpion, tu écraseras le lion et le dragon ». Et nous dit saint Hilaire : « L’horreur de la solitude s’enfuit, la masse des serpents est vaincue ». Avec Honorat, nous sommes invités sur ce désert insulaire pour revêtir l’homme nouveau, et n’apprendre à écouter d’autre voix que celle du Christ, le bon berger. Innombrables sont les idoles qui nous appellent, nous enchainent et nous dispersent, sous les meilleurs des apparences semblables à ces serpents que saint Honorat a chassés. Soyons libres mais pour le Christ, de cette liberté que donne le service quand l’amour de Dieu et du prochain devenu parfait bannit la crainte. Oui, cher Frère François, tous ensemble, continuons à chasser les serpents, participant par la patience aux passions du Christ comme le dit saint Benoît dans sa règle. Et cela pour échapper aux autres passions, celles qui nous replient sur nous mêmes. Avançons, courrons sur la voie des commandements de Dieu dit encore le prologue de la règle car la stabilité n’est pas l’immobilité mais nous permet par l’humilité sur cette île si plate de faire l’ascension de montagnes spirituelles. Oui la vie monastique est un exode nous conduisant au Sinaï.
Les lectures que l’église nous donne pour la fête de saint Honorat nous disent que le retour vers le Père est un chemin communautaire qui passe par la vigilance et le service pour arriver à une triple communion et à une triple paix, avec Dieu, avec nos frères et avec nous même. Cette communion, nous voyons dans sa vie comment Honorat l’établit, faisant siennes les souffrances de tous, regardant comme siens les progrès et les peines, portant la plus grande attention à tous, invitant tous les hommes à se serrer sur son cœur, c’est à dire à l’amour du Christ. Hilaire d’Arles donne comme témoignage de cet amour débordant le fait que toutes les nations comptaient des habitants dans son monastère. Nous sommes ses faibles et fragiles imitateurs mais tout autant dans ce monastère que dans notre congrégation très internationale et variée, cultivons l’amour et le souci mutuel. Cette île est notre lieu et nous devons comme nos premiers pères cisterciens être de ceux qui aiment demeurer dans leur lieu. Mais ce lieu, il nous est donné de l’élargir par notre prière et notre accueil aux dimensions de notre monde qui souffre. De part ton histoire, tu as une place particulière pour répondre à cette mission que nous confie le Christ.

Cher Frère François,
Alors que tu es sur le point de t’engager, regarde notre église. Tout au fond, dans l’abside, le Christ tend ses bras sur la croix en souriant vers toute l’humanité pour la sauver et lui manifester sa miséricorde. Devant l’autel, nous avons les reliques d’Honorat lui dont Hilaire nous dit qu’ouvrant les mains et tendant les bras, il invitait tous les hommes à se serrer sur son cœur, c’est à dire à l’amour du Christ. Honorat, notre Père, cet autre Christ, ce que tu es appelé toi aussi à devenir toujours davantage par ta profession. Reçois-moi selon ta parole et je vivrai, vas tu bientôt chanter. Tu vivras d’une vie nouvelle celle du Christ chassant avec lui les serpents car comme dit saint Bernard commentant ce même verset de psaume, chasser les serpents, nous le faisons pour que « celui qui s’est fait lui-même avec toi un seul corps, te fasse devenir avec lui un seul et même Esprit ». Tu pourras ainsi avoir dans ton cœur les sentiments du Christ qui aime tous les hommes.

 


Baptême du Christ, homélie du P. Abbé Vladimir 

Chers Frères et Sœurs,

Dans l’Histoire Sainte, Josué après la mort de Moïse et les 40 ans passés par Israël dans le désert fit traverser le Jourdain au peuple pour le faire entrer dans la terre promise. C’était comme une figure de ce que notre Jésus accomplit en allant au Jourdain pour se faire baptiser par Jean. Hier les mages, guidés par une étoile étaient allés jusqu’à Bethléem pour offrir leurs présents au roi des juifs, fragile enfant menacé dès sa naissance par Hérode symbolisant tous les pouvoirs politiques repliés sur la  conservation de leur vaine puissance et l’expérience d’aujourd’hui nous montre que, comme à toutes les périodes, les imitateurs d’Hérode sont légions. 

Jésus vient se faire baptiser par Jean qui annonce la conversion puisque le Royaume des Cieux est tout proche. Et comme le dit une homélie patristique anonyme : « Et voici que vient le Seigneur, chétif, seul, nu, sans escorte, revêtu du corps humain, cachant sa divine grandeur. . . C’est peu dire qu’il vint trouver Jean comme un seigneur qui a renvoyé sa garde : il l’aborda comme un simple homme, soumis au péché, et il inclinait la tête ». Avec Jésus, sans défense, nous entrons dans notre véritable patrie, notre terre, notre identité, le Royaume déjà présent au milieu de nous. Le Fils bien-aimé ne se distingue pas de la foule des pêcheurs, de ceux qui ont besoin de conversion, comme lorsqu’enfant il ne se distinguait pas de la foule des innocents qu’Hérode massacre. C’est ainsi qu’il accomplit tout justice, fidèle à la mission que son indique : « le Seigneur sauve ». Car c’est en devenant l’un de nous qu’il s’est manifesté pour notre salut. Et comme la colombe annonçait à Noé une nouvelle saison pour l’univers, l’Esprit Saint descend sous forme de colombe pour manifester qu’en Jésus est arrivé le Royaume transfigurant toute la création. 

Chers frères et sœurs, 

Aujourd’hui, nous célébrons les 3 mystères. Les mages viennent adorer un enfant sans défense, Dieu qui s’est fait homme pour rejoindre chacun d’entre nous dans sa fragilité. Jésus se fait baptiser dans le Jourdain et le baptême nous est offert pour le pardon des péchés nous révélant que le propre de Dieu est de toujours pardonner et faire miséricorde. À Cana, l’eau est changée en vin nous annonçant que nous serons divinisés dans et par l’amour.

Réjouissons nous dans cette célébration

 


1 janvier fête de Ste Marie Mère de Dieu, homélie de frère Bartomeu

Galates 4, 4-7

Chers frères et sœurs, si on nous demandait quelle est notre langue, la plupart de ceux qui nous trouvons réunis ici répondrait évidemment : le français. Et quelques-uns, telle ou telle autre langue. Mais je vous demande : en tant que chrétiens, quelle est vraiment notre première langue ?
Nous savons qu’au temps de Jésus et des apôtres la langue dominante dans notre monde méditerranéen était le grec. En fait c’est en grec que nous avons tous les écrits du Nouveau Testament. Mais quelle était la langue parlée par Jésus ? Nous en avons quelques réminiscences dans l’Évangile. Ainsi, lorsqu’il veut dire à la jeune fille : « Lève-toi ! », il lui dit : « Talitha koum ! » (Mc 5,41). Et lorsqu’il voulut ouvrir les oreilles et la langue d’un sourd qui avait aussi de la difficulté à parler, les yeux levés au ciel, Jésus soupira et lui dit : « Effata ! », c’est-à-dire : « Ouvre-toi ! » (Mc 7,32-35).
Mais ce qui est beaucoup plus et vraiment important c’est ce que nous lisons lorsque Jésus, à Gethsémani, tomba à terre et priait pour que, s’il était possible, cette heure s’éloigne de lui. Il disait : « Abba… Père, tout est possible pour toi. Éloigne de moi cette coupe. Cependant, non pas ce que moi, je veux, mais ce que toi, tu veux ! » (Mc 14,35-36).
« Il disait : Abba… Père… » Et nous ne nous tromperons pas si nous pensons que lorsque, en un certain lieu, Jésus était en prière et à la demande des disciples de leur apprendre à prier, il leur répondit : « Quand vous priez, dites : Père, que ton nom soit sanctifié… » (Lc 11,1-2), en fait, sans doute, il leur répondit : « Quand vous priez, dites : Abba, que ton nom soit sanctifié… »
C’est dans cette prière de Jésus que nous reconnaissons ce que l’apôtre nous a dit que l’Esprit crie en nous, parce que nous avons été adoptés comme fils : « Et voici la preuve que vous êtes des fils : Dieu a envoyé l’Esprit de son Fils dans nos cœurs, et cet Esprit crie « Abba ! », c’est-à-dire : Père ! » Oh chose admirable : l’Esprit crie en nous la même invocation « Abba ! » que Jésus adressait au Père.
L’apôtre écrit encore dans sa Lettre aux Romains : « Vous n’avez pas reçu un esprit qui fait de vous des esclaves et vous ramène à la peur ; mais vous avez reçu un Esprit qui fait de vous des fils ; et c’est en lui que nous crions « Abba ! », Père ! C’est donc l’Esprit Saint lui-même qui atteste à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu » (Rm 8,15-16). Et il poursuit : « Bien plus, l’Esprit Saint vient au secours de notre faiblesse, car nous ne savons pas prier comme il faut. L’Esprit lui-même intercède pour nous par des gémissements inexprimables » (Rm 8,26).
Jésus priait : « Abba… Père… » Et, puisque nous ne savons pas prier comme il faut, l’Esprit lui-même intercède pour nous par des gémissements inexprimables, et, parce que nous sommes enfants de Dieu, l’Esprit de son Fils que Dieu a envoyé dans nos cœurs crie : « Abba ! » Père !
Voici la première parole de notre vraie langue, lorsque, comme nous l’avons appris du Sauveur, et selon son commandement, nous osons dire : « Abba ! » « Père ! »

 


Fête de la Sainte Famille-A, homélie de frère Marie

La fête de ce jour nous oriente vers une réflexion sur la famille. Nous savons combien les réalités familiales sont un sujet très sensible, très sensible car le désir et le rêve de la famille idéale, sécurisante, aimante, nous poursuit sans cesse. C’est le lieu d’exemples et de contre-exemples. Fondamentalement la famille est un lieu d’accueil et de transmission, tout d’abord de la vie, ensuite d’un patrimoine familial, d’une culture et c’est avant tout le lieu des premiers pas et d’une initiation aux relations humaines, avec les parents, la fratrie, le tissu familial plus élargi, mais avec aussi le tissu social environnant. Nous savons la bonne structure de base que confère une famille aimante, mais nous savons aussi les blessures et les peines occasionnées par les relations absentes ou déviantes. Il reste cependant que la famille est une chambre d’écho de la culture ambiante et des problématiques plus larges qui agitent l’humanité.
Au-delà du cercle familial c’est le sens de la fraternité humaine qui se joue, le sens et la quête de notre place en ce monde, de notre vocation disons-nous.
A regarder Marie, Jésus, Joseph, cette famille à trois, nous risquons d’oublier que c’est une famille pour le moins atypique. Marie qui accueille en son sein le Verbe de Dieu qui se fait chair, Joseph qui devient un père adoptif pour prendre soin de Dieu en ce monde. Comme nous le montre l’évangile d’aujourd’hui cette famille ne vit pas pour autant son élection dans une cage dorée. C’est une famille qui partage le drame de tant de familles de migrants qui doivent fuir devant tant de dangers et qui ne connaît pas son avenir. Cette famille pleinement partie prenante du sort de l’humanité a une mission, une mission confiée par Dieu lui-même.
Cette mission d’offrir au monde la parole de Paix et de réconciliation entre Dieu et les hommes, qui se nomme Jésus, Dieu sauve. Cette Parole de Paix et de Salut, qui dans son corps sur la croix, a tué la haine, et qui par sa résurrection a vaincu la puissance de la mort. Cette Parole de Paix et de Salut qui convoquent tous les hommes à devenir membres de son Corps.
Cette petite famille dans sa réalité embryonnaire, est le germe de cette grande famille qu’est l’Eglise, c’est-à-dire d’une humanité sauvée en Christ, appelée à devenir fils et filles de Dieu.
Aussi, le Christ nous convoque-t-il sans cesse à nous revêtir de tendresse et de compassion, de bonté, d’humilité, de douceur et de patience, pour faire grandir le germe et porter du fruit. Il nous convoque à nous engager sur le long chemin du pardon mutuel, et surtout de pratiquer le lien de la paix qu’est la mise en œuvre d’un amour vrai et sincère, inspiré par la force du Saint Esprit.

 


3ème dimanche de l'Avent-A, homélie de frère Bartomeu

 

Matthieu 11, 2-11 — Psaume (Ps 145 (146), 7-10)

Chers frères et sœurs, nous venons d’entendre une page étonnante de l’évangile. Jean, au début de son ministère, avait annoncé : « Celui qui vient derrière moi est plus fort que moi, et je ne suis pas digne de lui retirer ses sandales. Il vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu » (Mt 3,11). Et quand Jésus était venu de Galilée jusqu’au Jourdain pour être baptisé par lui, il avait voulu l’en empêcher et disait : « C’est moi qui ai besoin d’être baptisé par toi, et c’est toi qui viens à moi ! » (Mt 3,14).
Et voici que maintenant, alors que, dans sa prison, il entend parler des œuvres réalisées par le Christ, Jean lui envoie ses disciples et, par eux, il lui demande : « Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? » Voici un Jean qui doute, qui semble n’être plus sûr de ce qu’il avait annoncé, de ce qu’il avait proclamé.
Alors qu’en ce temps de l’Avent notre regard et notre cœur sont tournés vers « celui qui doit venir », il faut que nous faisions nôtre l’expérience du Baptiste, que nous faisions nôtre sa demande, pour pouvoir recevoir la réponse de Jésus.
C’est l’épreuve de la foi, une situation que nous pouvons peut-être vivre nous aussi. Nous avons proclamé notre foi, nous avons vécu notre foi dans l’Église, nous avons ressenti la joie de notre vie chrétienne. Et puis nous faisons l’expérience que, dans notre vie et dans celle de l’Église, la réalité est loin de l’idéal. Et la demande de Jean monte aux lèvres de notre cœur : « Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? »
Écoutons la réponse de Jésus aux disciples de Jean : « Allez annoncer à Jean ce que vous entendez et voyez : Les aveugles retrouvent la vue, et les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, et les sourds entendent, les morts ressuscitent, et les pauvres reçoivent la Bonne Nouvelle. Heureux celui pour qui je ne suis pas une occasion de chute ! » Les aveugles, les boiteux, les lépreux, les sourds, les morts… voici ceux à qui s’adresse le Christ : ce sont les pauvres ceux qui reçoivent la Bonne Nouvelle.
Faisons nôtres les paroles du psaume que nous avons entendu : « Le Seigneur fait justice aux opprimés, aux affamés, il donne le pain, le Seigneur délie les enchaînés. Le Seigneur ouvre les yeux des aveugles, le Seigneur redresse les accablés, le Seigneur aime les justes. Le Seigneur protège l’étranger, il soutient la veuve et l’orphelin. » Ce n’est pas la splendeur extérieure ce qui fait l’Église, mais les pauvres de cœur (Mt 5,3).
Et, après avoir dit que Jean est bien plus qu’un prophète et que parmi ceux qui sont nés d’une femme, personne ne s’est levé de plus grand que Jean le Baptiste, Jésus ajoute : « et cependant le plus petit dans le royaume des Cieux est plus grand que lui. » Or les « plus petits » dans le langage de l’Évangile ce sont les disciples de Jésus. « Celui qui donnera à boire, même un simple verre d’eau fraîche, à l’un de ces petits en sa qualité de disciple, amen, je vous le dis : non, il ne perdra pas sa récompense » (Mt 10,42). « Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange : ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits » (Mt 11,25).
Oui, c’est lui celui qui doit venir, et nous ne devons pas en attendre un autre. « « Heureux les pauvres de cœur, car le royaume des Cieux est à eux. »


Fête de l'Immaculée Conception, homélie P. Abbé Vladimir

Chers Frères et Sœurs,
« L’ange Gabriel fut envoyé par Dieu dans une ville de Galilée appelée Nazareth ». Cette simple phrase nous permet d’en comprendre d’avantage sur la manière dont Dieu entre dans le monde pour notre salut. Nous sommes à Nazareth, pays inconnu de l’Ancien Testament, pays dont les contemporains de Jésus si l’on en croit l’Évangile de Jean se demandent s’il peut en sortir quelque chose de bon. Et c’est dans cette ville, en Galilée, région aussi mal considérée et non dans le temple comme dans le cas de Zacharie que l’ange est envoyé pour ce qui n’est plus l’annonce mais la réalisation de notre salut. Il est envoyé à Marie, cette jeune fille accordée en mariage à un homme de la maison de David, jeune fille inconnue dont nous ne savons rien d’autre sinon son nom. Le salut commence dans l’obscurité et dans l’humilité. « La terre tout entière a vu la victoire de notre Dieu » avons nous chanté dans le psaume. Oui mais dans l’humilité et l’obscurité, sous le voile des contraires car c’est ainsi que le monde nouveau se révèle et c’est pour nous un enseignement.
« Je te salue comblée de grâce ». Mais voici que l’ange nous en apprend un peu plus. Il nous faut éviter de regarder Marie suivant des images qui ont été pourtant parfois utilisées comme un vase entièrement passif qui aurait été rempli de la grâce. Comblée de grâce a une signification pleine de dynamisme. Comblée de grâce. Le participe passif utilisé par le grec indique le résultat d’un don déjà advenu. Favorisée pourrait-on traduire ou bien en paraphrasant, toi qui a été bénie et demeure remplie de la faveur de Dieu. La grâce de Dieu a rejoint Marie qui en a été libérée et transformée. Adam et nous avec lui nous étions caché pris de peur et de vertige devant notre nudité. Marie peut répondre avec simplicité et sans crainte: « Que tout m’advienne selon ta parole ». Et ce oui sans réserve est à la fois tout entier le fruit de la grâce et tout entier son oui. Il nait de Marie habitée, transformée par l’Esprit Saint. Saint Benoît dans les instruments des bonnes œuvres nous demande d’attribuer à Dieu le bien que nous voyons en nous. En Marie, c’est le Verbe qui s’incarne en elle à la parole de l’Ange qui s’unit à son oui pour lui donner toute sa force et elle est en cela un modèle pour chacun d’entre nous et pour l’Église. Autant que l’on puisse en dire quelque chose, l’Immaculée Conception, le fait d’avoir été guérie de la blessure du péché avant d’en être atteinte, c’est bien cela. Marie est toute entière dans une communion de volonté et d’amour avec Dieu qui la rend libre et agissante dans le plan du salut. Il n’y a en elle aucune réserve et si l’ange lui répond que rien n’est impossible à Dieu ce n’est pas comme dans le livre de la Genèse où la même phrase est utilisée par les messagers envoyés à Abraham pour reprocher à Sara son incrédulité, c’est une affirmation tranquille à laquelle Marie ne peut qu’adhérer.
Chers Frères et sœurs ,
La lettre aux Éphésiens nous dit que nous aussi, nous sommes choisis, prédestinés, bénis, comblés pour devenir des fils adoptifs dans le Christ. Mais tant que nous sommes pèlerins dans ce monde, nous vivons cette élection et cet appel encore dans la déchirure, dans la distance qui nous vient de la blessure du péché.
Que Marie soit notre modèle et notre guide alors que nous cheminons vers la plénitude quand Dieu sera tout en tous.

 


2ème dimanche de l'Avent-A, homélie du P. Abbé Vladimir

Chers Frères et Sœurs,

« En ces jours-là », ces quelques mots sont comme le refrain non seulement du psaume que nous avons chanté mais de toutes les lectures de ce jour.
« En ces jours-là paraît Jean le Baptiste ». Cette expression qui revient si souvent dans l’Écriture ne nous renvoie pas au passé mais bien au présent et au futur. En ces jours-là, Voici le moment dit aussi la Bible. Et c’est dans ce moment à la fois présent et à venir, parce qu’il nous relie à Dieu en qui il n’y a ni commencement ni fin, que retentit l’appel à la conversion et l’annonce de la venue du Royaume. Jean l’annonce et celui qui vient derrière lui le manifeste et le rend présent. Voici le moment. Jean paraît encore aujourd’hui pour appeler à la conversion et nous sommes invités à faire nôtre cet appel. C’est pourtant le Royaume qui vient en premier puisqu’il est un don de Dieu et non quelque chose qui dépendrai de nos capacités à le réaliser. Mais ce qui vient en premier, il faut sans cesse se préparer à l’accueillir dans sa propre vie et c’est ce que Jean manifeste. Ce mouvement, c’est toute la dynamique de l’Avent que l’Église nous donne de vivre tous les ans. Le Christ est déjà venu et pourtant nous nous préparons, nous nous convertissons pour l’accueillir. « En ces jours-là fleurira la justice » comme le chante le psaume.
Convertissons-nous, préparons le chemin du Seigneur. Ce serait pourtant une erreur que de penser que cette préparation n’est pas aussi un don de Celui dont provient toute miséricorde. Et c’est bien pour cette raison que l’Évangile de Marc met sur les lèvres de Jésus presque la même expression, mais dans un ordre inverse : « Le temps est accompli et le Royaume de Dieu s’est approché, convertissez-vous et croyez à l’Évangile ».
Convertissons nous. Jean le Baptiste qui est pour nous une image de la vie monastique nous montre par son ascèse comment faire grandir en nous ce désir du Verbe dont parle si souvent saint Bernard. Il y a en chacun de nous comme un double mouvement, les envies qui sont miennes et qui mènent à la guerre, la violence et le jalousie, et le désir du Christ que Dieu a mis en moi et qui me pousse à le chercher puisque notre cœur est sans repos tant qu’il ne repose pas en lui.
Comment échapper à la colère de Dieu, ce jour annoncé par le prophète Sophonie, jour de la colère, jour de justice et jour pour rechercher l’humilité sinon en nous laissant enflammer par le désir du Christ que l’Esprit a mis en nous afin que toutes nos envies soient comme consumés. C’est cela le baptême d’Esprit Saint et de feu dont parle Jean. « En ces jours-là fleurira la justice ».
Seigneur, toi qui a mis dans mon cœur le désir de te chercher sans fin, brûle mes envies au feu de ton amour et remplis moi de ta douceur pour que je chante ta louange.


32ème dimanche C, homélie de frère Marie

Lc 20, 27-38 ; Ps 16
Des Sadducéens viennent interroger Jésus pour le mettre en défaut sur la doctrine de la résurrection. Les Sadducéens farouches gardiens de la Torah, les cinq livres attribués à Moïse, ne tenaient pas compte de la tradition prophétique et rejetaient la doctrine des Pharisiens sur la foi en la résurrection des morts. Ils éprouvent la connaissance de Jésus à travers un exemple tiré d’une casuistique d’école plus que de la réalité même de la vie. Et de même, c’est à partir d’un passage de la Torah, la rencontre de Moïse devant le buisson ardent, devant ce feu divin qui ne dévore pas, que Jésus va leur opposer leur méconnaissance des Ecritures et du Dieu vivant.
« Dieu n’est pas le Dieu des morts, il est le Dieu des vivants. Tous en effet vivent pour lui ».
Prétendre qu’il n’y a pas d’au-delà pour l’humain, comme le suggère les Sadducéens, serait accepter l’échec du Dieu vivant face à la mort. Ce serait réduire la portée des promesses de Dieu et de son Alliance. Il ne s’agit pas d’une survie humaine attachée au souvenir, aux actions méritoires de quelqu’un, ni même à une philosophie de l’immortalité de l’âme. Les paroles de Jésus enracinent la continuité des défunts dans l’être de Dieu : les enfants de la résurrection sont semblables aux anges, nous dit-il. Non seulement ils voient Dieu face à face comme les anges, mais dans cette vision ils sont entièrement transfigurés, corps et âme à l’image du Christ. Le sens de la vie humaine n’est pas seulement le projet de survivre de génération en génération, mais c’est partager et jouir de la plénitude de vie et d’amour en Dieu, dans un face à face. Ce mystère de vie est inscrit au cœur de tout être humain. Ce mystère de vie est au cœur de nos désirs, au cœur de nos quêtes de bonheur. Ce mystère de vie est au cœur de nos questions existentielles toujours très actuelles, car il y va du sens de nos existences, si limitées en ce monde. C’est dans ce mystère de vie inscrit au cœur de notre être que Jésus par sa vie, sa mort et sa résurrection est le médiateur de cette connaissance et de cette espérance nouvelle.
La vie offerte par la résurrection du Christ ne touche pas que le ‘monde à venir’, son rayonnement atteint le temps d’ici, atteint le temps présent. Le Christ n’est pas que dans un au-delà, il est là, parmi nous, au cœur de vies. Par notre foi en Christ, par l’Esprit Saint, nous sommes les enfants de la résurrection. Nous n’en sommes pas seulement les futurs bénéficiaires, mais nous en sommes aussi les participants et les témoins actifs de cette espérance au cœur de notre monde. Cette paternité divine est déposée comme un trésor de vie au cœur de tout humain, un trésor à faire découvrir, un trésor appelé à être proclamé et manifesté à travers nos chemins de sainteté.
De plus cette relation d’origine entre le Dieu vivant et l’être humain, confère un statut de dignité à toute personne, corps et âme. Tout en l’humain est fait pour la vie, aussi bien son esprit, son âme que son corps. D’où l’insistance pour l’Eglise d’affirmer en primauté la dignité inaliénable et le respect de toute vie, dès sa conception jusqu’à la mort. Dignité et respect que nous nous devons dans nos relations les uns envers les autres, dignité et respect dans l’inviolabilité de toute personne.
La lumière de la résurrection de Jésus Christ en son humanité même, nous ouvre à la révélation de notre humanité dans la présence du Dieu vivant.
Oui, c’est sur les traces de l’innocence du Christ, sur les traces de sa prière, sur les traces de son amour et de sa justice que nous pouvons chanter avec lui pour notre monde :
Seigneur, écoute la justice ! Entends ma plainte, écoute ma prière…J’ai tenu mes pas sur tes traces,…je t’appelle, toi le Dieu qui répond…Garde-moi comme la prunelle de l’œil, à l’ombre de tes ailes cache-moi, et moi par ta justice, je verrai ta face : au réveil je me rassasierai de ton visage. Amen

 


 2 novembre, commémoration pour les défunts, homélie du P. Abbé Vladimir

Chers Frères et Sœurs,
Même s’ils n’en ont pas forcément la même interprétation, les anthropologues s’accordent sur le fait que chez les humains, l’apparition des sépultures est accompagnée de signes témoignant chez les personnes enterrées du soin des malades, des blessés et des plus faibles. C’est ce que nous dit à sa manière l’Évangile que nous venons d’entendre mais aussi beaucoup d’autres textes de l’Écriture que nous utilisons lorsque nous prions pour les défunts. Dans la parabole de Luc, il y a comme un double retournement. Ceux qui attendent et qui veillent, s’ils servent, se retrouveront dans la position d’être servis et celui qui les servira, c’est celui qui est le maître et qui ne devrait d’aucune manière le faire. Il en est de même dans la description du jugement dernier que l’on trouve à la fin de l’Évangile de Mathieu. C’est dans les pauvres, les étrangers, les prisonniers, ceux qui semblent au mieux ne rien valoir que le maître et Seigneur de Tout est servi ou rejeté.
Alors que nous prions pour nos frères et sœurs défunts, il est bon de nous rappeler ce retournement opéré par le Seigneur puisque « si nous vivons, nous vivons pour le Seigneur ; si nous mourons, nous mourons pour le Seigneur. Ainsi, dans notre vie comme dans notre mort, nous appartenons au Seigneur. Car, si le Christ a connu la mort, puis la vie, c’est pour devenir le Seigneur et des morts et des vivants ».
Prier pour les défunts, c’est accepter cette fragilité et cette faiblesse dont notre mortalité est le signe le plus fort puisque c’est par elle que le Christ est passé pour nous donner la vie. C’est entrer dans le retournement dont la Croix est le signe. C’est même faire plus qu’accepter notre limite, c’est la recevoir comme un grâce, non pas la grâce à bon marché mais une grâce gratuite et déroutante qui nous met en communion les uns avec les autres. Veillons donc dans la prière, conscients de nos faiblesses et de nos péchés pour prier pour ceux qui nous ont précédé. Veillons dans la prière devant Dieu auprès de qui abondent la miséricorde et le rachat. Contemplons le Christ qui a changé la mort en vie et acceptons de cheminer avec lui petit à petit jusque là.
« Mon âme attend le Seigneur
plus qu’un veilleur ne guette l’aurore »


Solenneité de la Toussaint, homélie du P. Abbé Vladimir

Chers Frères et Sœurs,

En ce jour où nous fêtons la foule immense de tous les saints, le Concile Vatican 2 nous rappelle que la sainteté n’est pas destiné qu’à une petite élite mais que nous sommes tous appelés, chacun sur sa route, à une sainteté dont la perfection est celle même du Père. Sur cette route, il nous demande aussi d’attester que le monde ne peut se transfigurer et être offert à Dieu en dehors de l’esprit des Béatitudes. Nous sommes appelés à transfigurer le monde et c’est pour cette raison qu’il est important en cette fête de Tous les Saints de réécouter l’évangile des béatitudes qui est comme la charte du Royaume qui vient, comme un manuel de sainteté et de transfiguration. Bienheureux, Heureux, ces paroles résonnent avec fréquence dans l’Écriture où il est facile de voir qu’il y a deux manières de dire quelqu’un heureux.
Comme le dit le psautier à son début « Heureux l’homme qui n’entre pas au conseil des méchants » mais il dit aussi avec autant de force « Heureux l’homme dont la faute est enlevée et le péché remis ». « Heureux ceux qui ont faim et soif de justice, car ils seront rassasiés. Heureux les miséricordieux car ils obtiendront miséricorde ». C’est d’abord par un don gratuit que l’homme est bienheureux avant qu’il n’apprenne à marcher dans la justice. Et si nous lisons les béatitudes comme un manuel de transfiguration, c’est parce qu’elles nous apprennent à recevoir et accueillir. Ce n’est pas en dominant mais en servant, c’est en passant d’un cœur centré sur lui-même à un cœur ouvert que l’on devient saint. « Bienheureux les pauvres de cœur car le royaume des cieux est à eux. Bienheureux les doux car ils recevront la terre en héritage ».

Chers Frères et Sœurs, la terre et les hommes pleurent sous la violence de l’homme. Les saints que nous célébrons en ce jour, humble foule d’agneaux immolés comme leur maître nous apprennent à ne pas confondre le saint que nous aspirons à devenir avec un héros doté de superpouvoirs. « Dès maintenant, nous sommes enfants de Dieu, mais ce que nous serons n’a pas encore été manifesté ». « Heureux les artisans de paix car ils seront appelés fils de Dieu. C’est en accueillant l’amour de Dieu manifesté en Jésus Christ que nous pouvons louer Dieu pour tout et c’est par cette louange que nous transformons le monde et devenons saints. C’est pourquoi louons Dieu pour tout, pour la vieillesse et pour la jeunesse, pour le soleil et pour la pluie, pour la maladie et pour la bonne santé, pour l’abondance et quand quelque chose vient à nous manquer, pour nos richesses et pour nos pauvretés. Louons Dieu en nous accueillant les uns les autres et en célébrant la miséricorde. Louons Dieu comme cette foule immense que nous décrit l’Apocalypse, comme les anges, les anciens et les quatre vivants.
Louons Dieu avec toute la création et nous pourrons alors chanter avec le poète inspiré :
« Finis alors ta nouvelle création. . .
Laisse nous voir ton immense salut. . .
Jusqu’à ce qu’au ciel, nous prenions nos places
Jusqu’à ce que nous jetions nos couronnes devant toi
Remplis d’émerveillement, d’amour et de louange »


30ème dimanche C, homélie de frère Bartomeu

 

Chers frères et sœurs, le psaume que nous avons entendu aujourd’hui nous disait que le Seigneur regarde, qu’il écoute, qu’il entend, qu’il délivre de toutes les angoisses… Le psaume reprenait ce qu’avait dit auparavant Ben Sira le Sage : « Il écoute la prière de l’opprimé. Il ne méprise pas la supplica-tion de l’orphelin, ni la plainte répétée de la veuve. » Oui, le Seigneur regarde les justes, il écoute attentif à leurs cris, il entend ceux qui l’appellent, de toutes leurs angoisses, il les délivre…
Jésus avait commencé sa vie publique en proclamant : « Heureux les pauvres de cœur, car le royaume des Cieux est à eux. » (Matthieu 5,3). « Les pauvres de cœur ». Oui, c’est dans notre cœur que nous devons être pauvres pour être heureux. Et dans l’Évangile selon saint Luc nous lisons cette pro-clamation adressée directement à nous : « Heureux, vous les pauvres, car le royaume de Dieu est à vous » (Luc 6,20). Heureux nous si nous sommes pauvres de cœur.
C’est en fait de cette pauvreté de cœur que nous parlait l’évangile que nous venons d’écouter. C’est la pauvreté de cœur du publicain, qui « se te-nait à distance et n’osait même pas lever les yeux vers le ciel ; mais il se frappait la poitrine, en disant : “Mon Dieu, montre-toi favorable au pécheur que je suis !” » Et voici que « quand il redescendit dans sa maison, c’est lui qui était devenu un homme juste… »
C’est cette pauvreté que nous devons nous efforcer d’apprendre. Saint Benoît, dans sa Règle, nous invite – nous les moines mais cela vaut pour tous les fidèles – à « répéter toujours dans notre cœur ce que le publicain de l’Évangile disait, les yeux fixés à terre : “Seigneur, je ne suis pas digne, moi, pécheur, de lever les yeux vers le ciel” » (RB 7,65). Et il nous rappelle les der-nières paroles de la lecture de l’Évangile d’aujourd’hui : « La divine Écriture, mes frères, nous crie : “Quiconque s’élève sera humilié, et qui s’humilie sera élevé” » (RB 7,1). Mais – insiste saint Benoit – « il ne suffit pas de se proclamer des lèvres le dernier et le plus vil de tous, mais il faut aussi le croire ferme-ment du fond de son cœur… » (RB 7,51).
L’humilité, la vraie, nous rend libres. Et elle est un chemin de prière. C’est du publicain que nous apprenons à prier. Et dans notre prière nous répétons avec le psaume : « Un pauvre crie ; le Seigneur entend. »
Puissions-nous être toujours de ces pauvres. « Je bénirai le Seigneur en tout temps, sa louange sans cesse à mes lèvres. Je me glorifierai dans le Seigneur : que les pauvres m’entendent et soient en fête ! » « Heureux les pauvres de cœur, car le royaume des Cieux est à eux. »

 


 27ème dimanche-C, homélie de frère Marie

 

Chers frères et sœurs,
Les lectures de ce jour nous invitent à revisiter trois attitudes fondamentales de disciples du Christ : la foi, la fidélité et la gratuité. Ces trois vertus nous obligent à tourner nos regards vers le Dieu de l’impossible, nous invitent à revivifier, à recentrer et à reposer notre foi en Dieu notre Sauveur.
Une moniale recluse du moyen – âge disait : « Que Dieu soit tout puissant et qu’il peut tout faire ; tout le monde en convient – Que Dieu sache tout, qu’il est omniscient ; tout le monde peut le penser – Mais que Dieu est tout Amour et qu’il veut tout faire ; là tout le monde tombe court. »
Oui la toute-puissance de Dieu se déploie dans son dessein d’amour pour toute l’humanité, et baptisés en Christ c’est de ce dessein d’amour pour l’humanité que nous sommes appelés à servir, en serviteurs de Dieu et en serviteurs de nos frères et sœurs en humanité.
C’est bien face à ce service que les apôtres se trouvent démunis. C’est le défi de l’Eglise d’aujourd’hui et de tous les temps. Comment tenir une telle fidélité dans ce service de l’Evangile sans risquer d’être une cause de contradiction ou de scandale ? Comment témoigner de l’infini miséricorde de Dieu et du don du Christ dans l’accueil inconditionnel et gratuit de tous ceux qui se tournent vers cette Eglise du Christ ? Comment en bons serviteurs à la suite du Christ s’offrir les uns aux autres ce pardon mutuel qui nous sauve ?
Oui, c’est bien face à ce défi qu’avec les apôtres nous implorons le Christ : « Seigneur, augmente en nous la foi ! ». Comment recevoir et concilier les deux sentences par lesquelles Jésus répond à cette demande : d’une part cette foi grosse comme une graine de moutarde qui doit déraciner des arbres, ou comme chez Matthieu déplacer des montagnes, et d’autre part se considérer comme des serviteurs inutiles. La foi grosse comme une graine de moutarde, c’est la foi des petits, c’est l’attachement à Dieu dans la confiance : que Dieu soit tout Amour et qu’il veut tout faire, là tout le monde tombe court.
Ailleurs dans l’évangile cette même graine de moutarde semée dans un jardin cultivé devient un grand arbre qui symbolise le royaume de Dieu. C’est cette confiance qui nous est utile pour nous laisser gagner par le Christ et nous couler dans son service de réconciliation entre Dieu et les hommes. C’est dans nos cœurs qu’il y a des arbres à déraciner et des montagnes à déplacer pour faire de la place à l’œuvre de l’Esprit Saint et transformer nos vies.
C’est à cette confiance des petits qu’est convoqué le prophète Habacuc et que nous sommes convoqués à travers les troubles et les maux de notre monde : « Jusqu’où Seigneur mon appel au secours ne s’est-il pas élevé ? – Tu n’écoutes pas – Je te crie à la violence, tu ne sauves pas… », cependant le Seigneur répond : « Tient bon, attend, le juste vit par sa fidélité – mon juste vivra par la foi, ce que tu ne peux pas changer, moi je le peux, ce que tu ne peux bouger, moi je le peux. »
Mais, le Seigneur veut faire cela avec nous, et le faire à travers nous.
Le serviteur de Dieu, le serviteur du Christ ne place pas son assurance dans ces capacités à surmonter les tribulations de ce monde, mais dans la grâce de Dieu qui se déploie dans la faiblesse humaine.
« Quand vous aurez fait ce qui vous a été ordonné, dites : nous sommes des serviteurs inutiles, nous avons fait seulement ce que nous devions faire. » Ce seulement, c’est notre service quotidien, c’est le bien que nous pouvons accomplir autour de nous, auquel nous sommes sollicités par la compassion, les diverses nécessités, ce bien qui déplace en nous bien des obstacles que seule grâce peut déplacer si, comme le dit le psaume : nous écoutons la voix du Seigneur et si nous ne fermons pas notre cœur.
« Moi j’ai planté, Apollos a arrosé mais c’est Dieu qui fait croitre nous dit St Paul, ainsi celui qui plante n’est rien, celui qui arrose n’est rien : Dieu seul compte, lui qui fait croitre…mais nous travaillons ensemble à l’œuvre de Dieu. » 1 Cor 3, 5… il dit aussi à Timothée : « Souffre avec moi pour l’Evangile, comptant sur la puissance de Dieu, qui nous a appelé par un saint appel, non en vertu de nos œuvres, mais en vertu de son propre dessein et de sa grâce…cette grâce qui a été manifestée par Jésus Christ…qui a détruit la mort et fait brillé la vie et l’immortalité par l’Evangile. »
Chères frères et sœurs, terminons par cette autre citation de l’apôtre Paul (1 Cor 13,2) :
« Quand j’aurais la foi la plus totale, celle qui transporte les montagnes, s’il me manque l’amour je ne suis rien. »


Fête de l 'éxaltation de la Croix, homélie du P. Abbé Vladimir

Chers Frères et Sœurs,
Il y a une différence essentielle entre le récit du serpent de bronze que le livre des Nombres nous raconte et l’utilisation qu’en fait Jean dans son Évangile.
« Au désert, quand est homme était mordu par un serpent, et qu’il regardait vers le serpent de bronze, il restait en vie ». Ceci n’est pour Jean que l’image d’un mystère incomparablement plus grand. « De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse, Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique pour qu’il soit élevé afin que tout homme qui croit ait la vie éternelle ». Le signe qui devait être vu est remplacé par la réalité par excellence à laquelle nous adhérons par la foi et dont le Croix est le sacrement. L’amour de Dieu pour son peuple rebelle était déjà manifesté au désert par ce signe qu’est le serpent de Bronze. Cet amour pour le monde est maintenant révélé par la Croix, sacrement qui opère la transformation du cosmos tout entier et de l’homme en particulier. Par la grâce de la foi au Christ mort et ressuscité, nous sommes transformés par cette vie nouvelle et éternelle que nous recevons et qui est la vie même de Dieu. Notre vie toute entière est comme réorientée par la croix du Christ. Lui qui ayant la condition de Dieu s’est anéanti, prenant la condition de serviteur, il s’est abaissé devenant obéissant jusqu’à la mort et mort de la Croix. Et ce mystère que nous célébrons et qui éclaire toute notre vie est un mystère d’amour et c’est ainsi que la croix est devenu non plus un signe d’ignominie, mais un signe glorieux que nous traçons sur nous et qui est la révélation de notre nouvelle identité.
Ce n’est pas que le mal reçoit un sens par la Croix. Il est une privation dont le prophète nous dit que les yeux de Dieu sont trop purs pour pouvoir le voir. Et les bombes qui explosent en Ukraine ou en Ethiopie, et les cris des enfants qui meurent noyés en méditerranée sur des bateaux de fortune où leurs familles partaient chercher une vie non pas meilleure mais simplement vivable, et les famines qui se préparent un peu partout en Afrique et notre monde que nous rendons de plus en plus inhabitable, tout cela est absurde et ce serait presque blasphématoire de dire que la Croix donne un sens à tout cela. Tout cela n’est que le signe du mal et du malin qui ravagent et obscurcissent nos cœurs, nos esprits et nos actions. Mais Dieu dans le Christ, pour nous donner son amour qui sauve et qui guérit, à gouté de la mort pour nous sur la Croix, s’abaissant jusqu’à l’ultime, partageant le sort et la souffrance de tous les hommes non pour juger le monde mais pour que le monde soit sauvé.
Notre gloire à nous, c’est la Croix de notre Seigneur Jésus Christ. Certains pensent trouver leur sécurité dans la richesse et leur gloire c’est l’argent. D’autres dans la recherche du pouvoir et de la domination et leur gloire est une fausse couronne qui mène à la guerre et à la violence. Si notre gloire à nous, c’est la Croix, nous n’avons d’autre sécurité que dans Jésus mourant sur la croix, moqué par les riches et les puissants, considérés comme un moins que rien mais donnant sa vie par amour. Et nous ne pouvons avoir d’autre désir si sa vie nouvelle nous habite que de servir tous ceux qui lui ressemblent et de vouloir le suivre pour que son amour qui est vie habite en nos cœurs.

 


Fête de la Nativité de la Bienheureuse Vierge Marie, homélie du P. Abbé Vladimir

Chers Frères et Sœurs,

Nous venons d’entendre la longue généalogie du début de l’Évangile de Mathieu, cette succession d’engendrement d’Abraham jusqu’à Joseph, l’époux de Marie de laquelle fut engendré Jésus que l’on appelle Christ c’est à dire Messie. L’histoire du monde ne s’arrête pas avec la longue généalogie que nous venons d’entendre. À la quarantième génération, Jésus que l’on appelle Christ est engendré. C’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés comme le dit l’ange du Seigneur en songe à Joseph. Ce que le psaume annonçait comme à venir : « Oui près du Seigneur est l’amour, près de lui abonde le rachat. C’est lui qui rachètera Israël de toutes ses fautes », le fils de Marie l’accomplit en plénitude pour toute l’humanité. L’histoire ne s’arrête pas mais elle atteint son accomplissement. Il revient alors à chacun d’entre nous d’accueillir le Royaume qui vient comme Marie a accueilli l’enfant engendré en elle de l’Esprit. Nous l’accueillons dans la prière, nous l’accueillons par l’élan du désir, nous l’accueillons en accueillant l’étranger et l’inconnu qui vient à notre rencontre.
Contemplant ce mystère, nous fêtons dans la joie la naissance de Marie, la mère de Jésus ce qui veut dire le Seigneur sauve. Saint Bernard commentant le Cantique des Cantiques parlent des visites du Verbe qui vient transformer l’homme et le configurer à son image. En Marie, nous avons le plus parfait modèle pour nous disposer à les accueillir. En elle, nous avons un modèle de sainteté, de prière et d’humilité. Elle est tout entière dans le silence de l’écoute, elle est pleinement obéissante à la parole qu’elle reçoit et aux évènements qu’elle médite en son cœur. Elle est sans aucun regard élevé sur elle-même. Elle se connaît telle qu’elle est grâce à la pureté de son cœur et vois que tout en elle est un don du Seigneur pour lequel elle ne peut que rendre grâce en nous enseignant la louange
Incompréhensible et inaccessible, invisible et inimaginable, le Verbe de Dieu l’était absolument mais en Marie et par Marie, il se laisse voir saisir et penser et nous pouvons maintenant le trouver dans chacun nos frères.
Demandons à Marie de nous obtenir la grâce de toujours désirer avec force le plus beau des enfants des hommes et demandons à saint Joseph son époux de nous faire écouter tous les beaux rêves que Dieu nous envoie pour nous préparer à accueillir le Royaume.

 


20ème Dimanche C-22, homélie de frère Marie

Luc 12, 49-53

 

Chers frères et sœurs
Jésus nous parle d’un grand désir
« Je suis venu apporter un feu sur la terre, et comme je désire qu’il soit déjà allumé ! », ainsi en est-il aussi de ce baptême qu’il doit accomplir, cette plongée dans la mort et la résurrection.
Dans le même évangile de Luc Jésus exprime à ses apôtres ce même ardent désir à la veille de la Pâques de partager ce dernier repas avec eux. Oui, le grand désir de Jésus est de partager sa vie avec nous, nous sommes désirés d’un grand désir.
Lors de la célébration de la nuit de Pâques nous allumons un feu, un feu qui surgit au cœur de la nuit et qui symbolise la lumière du Christ, lumière de la résurrection, lumière vivante qui ouvre le cœur des hommes à la lumière de Dieu, à sa vie, à son amour vivifiant. A ce feu pascal nous allumons le cierge qui représente le Christ comme présence vivante et permanente au cœur de la foi de l’Eglise. A ce cierge nous allumons nos petits cierges qui représentent nos vies, qui représentent la lumière de notre foi qui se communique par la parole et les actes. Notre lumière nous semble parfois bien fragile, vacillante mais sur laquelle il nous veiller avec autant de désir que celui que le Christ porte sur nous. Petite flamme qui s’entretient dans le secret de la prière, dans cette présence confiante au regard bienveillant du Père, petite flamme d’Evangile qui à la suite du Christ nous fait sortir du secret pour être vus aux yeux des hommes. Petite flamme d’Evangile qu’il ne faut surtout pas laisser étouffer par la haine, la violence, l’égoïsme ou l’indifférence.
C’est dans le baptême du Christ que ce feu s’alimente et puise à la source. Ce baptême ne sera pas une partie de plaisir et cependant Jésus veut le conduire à son terme. Le baptême dont parle le Christ est l’expression la plus profonde et incommensurable de l’amour de Dieu pour nous. Il est Dieu se faisant ‘un’ avec notre humanité, feu caché dans le buisson de notre humanité, lui qui sur la croix a brûlé d’amour pour nous.
Là, en sa chair il a détruit la mort et la haine et il nous communique sa vie.
L’Esprit du Christ Jésus nous fait comprendre que Dieu est Amour, et que seul finalement l’Amour de Dieu nous purifie et chasse les méfaits et les obscurités du péché qui nous entrave si bien, comme nous dit l’épître aux Hébreux.
Si Jésus qui désire ardemment l’unité de l’humanité dans l’amour du Père nous parle de la division que provoque sa parole, que provoque le message de l’Evangile, c’est que sa parole est lumière, elle est l’expression de l’amour et de la vérité de Dieu dévoilé au monde.
Cette parole de vérité agit comme un glaive et un miroir car elle met à jour tout ce qui est contraire à la dignité de l’humain, tout ce qui est contraire à la beauté de sa vie. Cette parole de vérité met à jour tout ce qui est mensonge et égoïsme, tout ce qui est fausse image de Dieu, elle met à jour tout ce qui est déviance de pouvoir et d’orgueil. Ce n’est pas l’amour en vérité qui divise, mais bien le cœur durci et fermé qui crée des clivages entre nos frères et sœurs en humanité.
La parole de Jésus met à jour tout ce à quoi nous appelés et désirés sur le chemin de la sainteté, cette sainteté à laquelle nous sommes tous appelés. Oui, laissons la parole de Jésus et son Esprit rejoindrent notre désir profond de vie et nos petites flammes brilleront ensemble au cœur de ce monde qui a tant besoin, de lumière, de sens, et de réconfort.

 

 


Fête de la Transfiguration, homélie du P. Abbé Vladimir 

Chers Frères et Sœurs,

Jésus se retire sur la montagne pour prier et, pendant qu’il priait, l’aspect de son visage devint tout autre. Lorsque Jésus prie, il manifeste son intimité avec le Père dans l’Esprit Dès le début de sa vie publique, Saint Luc nous montre le Sauveur se retirant régulièrement pour prier. À son baptême dans le Jourdain, c’est alors que Jésus priait que le ciel s’ouvrit et que l’Esprit Saint descendit sur lui. Aujourd’hui, il prie sur la montagne et c’est comme si le ciel s’ouvrait de nouveau. Le Christ est transfiguré devant Pierre, Jean et Jacques.
Moïse et Élie parlent avec lui de son départ qui allait s’accomplir à Jérusalem. Comme pour ce qui concerne la prière de Jésus, Luc est le seul à nous parler du contenu de cette rencontre avec Moïse et Élie. Toute l’Écriture converge vers ce départ, vers cet exode qu’il va accomplir. C’est ce que le Sauveur nous dit encore aujourd’hui lorsque nous le contemplons dans sa Transfiguration. Il est le Fils, celui qui est choisi par le Père, Fils et donc obéissant d’une obéissance qui le conduit jusqu’à la mort et où s’exprime dans toute sa plénitude sa liberté et son amour. Et c’est ainsi que cette mort conduit à la vie.

Aujourd’hui, sur la montagne, entrons dans la prière avec le Fils. Dans l’intimité avec Dieu, Adam c’est à dire chacun d’entre nous en tant qu’il est terre, se retrouve nu et il a peur. Dieu lui donne les tuniques de peau dont parle le livre de la Genèse à la fois protection et dissimulation, vêtement qui n’est pas fait pleinement pour l’être humain. Dans la transfiguration nous contemplons l’homme Jésus revêtu de la gloire pour laquelle nous sommes tous faits, à laquelle nous sommes tous appelés. Comme lui, c’est dans l’humble obéissance de l’amour qui nous simplifie radicalement, c’est par ce mystère de mort et de résurrection que représente la Croix que nous y accédons.
Aujourd’hui, pour nous comme pour les apôtres, il n’y a plus que Jésus seul. Contemplons ses mains et ses pieds dans l’humble service. Laissons nous rejoindre par sa prière pour que, les mains vides et sans défense, nous puissions refléter quelque chose de la lumière du Thabor.


18ème dimanche-C, homélie de frère Bartomeu

 

Chers frères et sœurs, chaque fois que nous célébrons l’Eucharistie, parmi les lectures que nous y entendons, nous prêtons sans doute une attention spéciale à celle de l’Évangile. Mais – dans cette catéchèse semaine après semaine qu’est la première partie de la messe – nous devons prêter attention pareillement aux autres lectures.

Aujourd’hui je voudrais attirer notre attention sur la lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Colossiens, que nous avons parcouru pendant quatre dimanches. Et une première remarque importante est que le commencement de la page qui a été lue aujourd’hui nous l’entendons chaque année le Jour de Pâques : « Frères, si donc vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez les réalités d’en haut : c’est là qu’est le Christ, assis à la droite de Dieu. Pensez aux réalités d’en haut, non à celles de la terre. En effet, vous êtes passés par la mort, et votre vie reste cachée avec le Christ en Dieu. Quand paraîtra le Christ, votre vie, alors vous aussi, vous paraîtrez avec lui dans la gloire. » Nous souvenir que nous entendons ces paroles le jour de Pâques est une clé importante pour comprendre toute la lettre.

Il y a trois dimanches la lecture commençait ainsi : « Le Christ Jésus est l’image du Dieu invisible, le premier-né, avant toute créature : en lui, tout fut créé, dans le ciel et sur la terre » (Colossiens 1,15). Et cette confession se terminait par l’affirmation que c’est par le sang de sa Croix que le Christ a tout réconcilié avec Dieu (Colossiens 1,20). — C’est ce qui, le dimanche suivant, faisait dire à l’Apôtre : « je trouve la joie dans les souffrances que je supporte pour vous ; ce qui reste à souffrir des épreuves du Christ dans ma propre chair, je l’accomplis pour son corps qui est l’Église » (Colossiens 1,24). — Et dimanche dernier il nous faisait comprendre comment cela est possible en nous disant : « dans le baptême, vous avez été mis au tombeau avec le Christ et vous êtes ressuscités avec lui par la foi en la force de Dieu qui l’a ressuscité d’entre les morts » (Colossiens 2,12) — C’est alors que l’Apôtre pouvait nous dire aujourd’hui : « Frères, si donc vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez les réalités d’en haut : c’est là qu’est le Christ, assis à la droite de Dieu. Pensez aux réalités d’en haut, non à celles de la terre. En effet, vous êtes passés par la mort, et votre vie reste cachée avec le Christ en Dieu. Quand paraîtra le Christ, votre vie, alors vous aussi, vous paraîtrez avec lui dans la gloire. » 

C’est cela notre vie de chrétiens. Parce que, dans le baptême, nous avons été mis au tombeau avec le Christ et nous sommes ressuscités avec lui par la foi en la force de Dieu qui l’a ressuscité d’entre les morts, ce qui reste à souffrir des épreuves du Christ dans notre propre chair, nous l’accomplissons pour son corps qui est l’Église. Saint Benoît reprend cela lorsqu’il nous encourage à « participer par la patience aux souffrances du Christ pour mériter d’avoir part à son royaume » (Règle de saint Benoît Prologue, 50).

Pâques chaque semaine, chaque dimanche est le sacrement de notre communion aux souffrances du Christ et de la présence du Christ parmi nous, lui, l’espérance de la gloire (Colossiens 1,27).


 14ème dimanche-C, homélie de frère Marie

Le prophète Isaïe nous invite à la joie, à l’exultation même, à la joie parce que le Seigneur Dieu a agi, il porte la paix comme un fleuve. Cette paix nous la désirons, mais dans le contexte actuel remué à nouveau par la violence des armes, par les germes de divisions et de contradictions qui affectent même l’Eglise, cela pourrait paraître incongru d’exulter dans le Seigneur. Et cependant le disciple du Christ est appelé à vivre et à témoigner de cette joie profonde de la victoire du Christ sur toutes les forces du mal, appelé à témoigner de la Paix véritable que le Christ apporte au monde. Cette joie et cette paix viennent nous chercher en profondeur. Aussi nous sommes appelés à ne pas nous endormir, ni laisser la tristesse envahir nos cœurs comme si le Christ et l’Esprit seraient absents de nos vies. Non, nous sommes appelés à ouvrir humblement nos espaces de vie à la présence et à la force vivifiante du Christ, de sa parole, à la force vivifiante de l’Esprit Saint, pour renouer avec l’infini miséricorde du Père. Nous sommes appelés à devenir porteur de cette vie nouvelle en Christ offerte au monde ; proclamer la paix, proclamer la justice, proclamer ce regard de bienveillance, d’amour et de paix que Dieu porte sur chacun de nous.
Jésus sait très bien ce que veut dire être porteur de cette Paix de Dieu. Cette Paix qui réconcilie le monde avec Dieu. Il le sait très bien car il en a traversé le drame en sa chair pour faire briller la victoire du Dieu vivant. Il est l’agneau véritable qui enlève les péchés du monde. Aussi dit-il à ses disciples : « Voici que je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups. » Un ancien texte rabbinique appliquait cette métaphore à la mission d’Israël : Israël étant l’agneau qui était envoyé parmi les soixante-dix loups qu’étaient les nations païennes. Jésus déplace la métaphore lorsqu’il dira qu’il y a des loups qui s’introduisent même dans la bergerie. Le mal n’est pas toujours à l’extérieur.
Jésus désigne ce qui fait l’essence de tout apostolat, ou de toute évangélisation :
Ce n’est pas une épreuve de force, ni de pouvoirs humains, l’Evangile fait bien la lumière sur toutes les ambiguïtés des pouvoirs humains. L’apôtre Paul nous dit que sa seule fierté est la croix de notre Seigneur Jésus Christ, cette faiblesse absolue d’où jaillit l’amour vainqueur de Dieu.
L’annonce de l’Evangile ne fait pas appel à la contrainte, mais à l’écoute, à l’oreille des cœurs. Ecoute qui ne peut se faire qu’à travers le respect et la rencontre. La rencontre et l’accueil bienveillant.
Les dérives des religions se passent quand elles vont, non à la rencontre, mais à la conquête.
La première chose qu’annoncent les disciples envoyés par Jésus, c’est la paix. Ce souhait de paix n’est pas qu’un simple apaisement d’un conflit, c’est l’annonce que Dieu et là, présent. Et cette présence, par l’accueil et la rencontre devient lumière qui brille dans les cœurs.
Cette lumière qui brille dans les cœurs est la connaissance de la gloire de Dieu qui rayonne sur le visage du Christ. C’est-à-dire, la connaissance de la gloire de Dieu qui ouvre un horizon nouveau à notre humanité, qui lui confère un autre visage. Ce trésor nous le portons dans des vases d’argile, car il est l’œuvre de l’Esprit Saint qui nous ouvre à l’amour, à la justice et à la paix, tels qu’ils se manifestent par le don du Christ, l’Agneau véritable qui enlève le péché du monde. Ce n’est pas l’œuvre d’une conquête humaine, d’une loi du plus fort. C’est l’œuvre de la folie d’amour de Dieu qui s’abaisse jusqu’à nous, pour marcher avec nous au cœur des contradictions de ce monde.
Être envoyés comme des brebis au milieu des loups, c’est être porteurs de l’Evangile du Christ. Être porteurs en s’engageant sans réserve pour la justice, la paix, la sauvegarde du bien commun, et en dénonçant clairement toute forme de mal qui affecte la dignité de toute personne humaine pour qui le Christ a donné sa vie.
C’est l’Agneau qui est vainqueur et non le Loup.

 


Sacré Coeur de Jésus, homélie du P. Abbé Vladimir

Chers frères et Sœurs,

Alors que nous célébrons la fête du Sacré Cœur, c’est l’image du bon berger, du bon pasteur qui revient avec le plus de force dans les textes de la liturgie. L’amour du Dieu Père de tous les hommes que le cœur de Jésus nous révèle se donne à contempler dans la figure du bon berger qui revient si souvent dans les Écritures. Il nous faut pourtant dépasser une compréhension qui serait par trop littérale. Quel véritable berger abandonnerait 99 brebis pour en chercher une seule et même quel véritable berger donnerait sa vie pour son troupeau. Et pourtant, la preuve que Dieu nous aime, c’est que le Christ est mort pour nous, alors que nous étions encore pécheurs.
Pour pénétrer dans le mystère de cet amour, il nous faut multiplier les images tout en sachant qu’elles ne sont que des images.
Il y a celle du bon berger qui nous vient des écritures et que les pères de l’église ont aimé commentée. Mais le bon pasteur portant la brebis sur ces épaules devient dans les catacombes une représentation de la crucifixion. Oui le bon berger est celui qui donne sa vie. Il y a la blessure du cœur de l’époux du Cantique des Cantiques lorsqu’il contemple son épouse que commentent avec abondance nos pères cisterciens qui lisent dans la bible latine : « Tu as blessé mon cœur, ma sœur, mon épouse, tu as blessé mon cœur par un seul de tes yeux ». Ce n’est pas que l’épouse soit belle écrit par exemple Baudouin de Ford, un cistercien anglais du douzième siècle, c’est le Seigneur qui l’a aimée pour la faire belle tandis qu’elle était laide. Son amour était tout entier dirigé vers ce but : rendre belle celle qu’il aimait tellement avant qu’elle ne fut belle ». Mais il y aussi la blessure du côté du Christ lorsqu’il est sur la Croix, blessure d’où sont sortis le sang et l’eau, blessure que nos pères cisterciens compareront au creux, aux fentes du rocher où nous pouvons trouver refuge. Oui le bon pasteur a le cœur blessé par le péché des hommes mais c’est de cette blessure que sort le salut et c’est ainsi que nous avons accès aux secrets du cœur de Dieu.
Alors que nous découvrons les trésors de la tendresse de Dieu dans ce cœur blessé, une des oraisons de cette fête nous parle d’une réparation juste et nécessaire.
Alors Frères et Sœurs, réparons mais dans la pleine connaissance que nous ne pouvons réparer que parce que nous avons été réparés et sauvés par les blessures du Christ.
Réparons mais avec humilité sans nous tromper sur ce qui doit être réparé car ce n’est que comme des pécheurs pardonnés que nous pouvons réparer.
Il y a tant de choses qui ont encore besoin d’être réparés dans notre monde, tant de violence, tant d’absence de partage. Tournons nous vers Celui qui est la source de toute guérison.
Au treizième siècle, dans la chapelle en ruines de saint Damien à Assise, le Christ demandait à saint François de reconstruire, de réparer son Église. Alors encore aujourd’hui, réparons le mal dans notre église, péché que le scandale des abus sexuels commis par certains de ses membres révèle de manière aigue, péché que dévoile le manque d’écoute voir de respect que les chrétiens manifestent les uns envers les autres en ces temps de réflexion sur la synodalité et l’avenir dans l’Église.
Réparons en écoutant, réparons en partageant, Réparons en portant avec joie le poids du jour et par dessus tout en cherchant la communion avec Celui qui est la source de tout amour et toute bénédiction


Nativité de St Jean le Baptiste, homélie du P. Abbé Vladimir

Chers Frères et Sœurs,

Saint Jean Baptiste que nous célébrons aujourd’hui a été considéré très tôt par les moines comme un précurseur et un modèle de la vie qu’ils mènent. Mais comme la vie monastique s’enracine dans le baptême, ce témoignage de Jean peut dire aussi quelque chose à tous les baptisés. Eucher de Lyon qui fut moine sur cette île au cinquième siècle dans son éloge du désert nous le montre vivant au désert, « précurseur et témoin du Christ, digne d’entendre la voix du Père et de voir descendre l’Esprit alors qu’il baptisait le Fils ». Les Évangiles nous le montrent, comme un prophète, vivant au désert, annonçant le premier le Royaume et la conversion, vêtu d’un vêtement de poil de chameau, une ceinture de cuir autour des reins, se nourrissant de sauterelles et de miel sauvage.
De poil de chameaux, de sauterelles et de miel sauvage, nous ne pouvons guère trouver sur cette île mais nous pouvons contempler le plus grand parmi ceux qui sont nés d’une femme tel qu’il est représenté dans notre réfectoire, vêtu d’un manteau rouge tenant à la main un livre sur lequel se trouve un agneau. Comme le prophète Isaïe l’avait annoncé, il est la voix qui crie dans le désert précédant et annonçant la Parole, le Verbe fait chair. Et cette Parole de Dieu encore vivante et efficace, nous n’avons pas d’autre moyen pour la découvrir que de la chercher dans le livre des écritures. C’est par cette référence aux Écritures qui ne font que nous conduire à Celui qui s’est fait pour nous le Chemin, la Vérité et la Vie que Jean Baptiste nous révèle quelque chose de notre vie monastique et aussi de la vie de tout baptisé. Ne préférons absolument rien au Christ que nous trouvons chaque jour dans sa Parole. Si le désert est la richesse des moines, c’est parce qu’il devrait nous permettre d’écouter cette parole sans que rien ne puisse la troubler. Demandons à Saint Jean Baptiste de nous faire aimer toujours davantage le désert en nous simplifiant et de nous faire trouver tous les bons moyens pour nous créer des espaces de désert dans nos vies.
Jean Baptiste montre aussi l’agneau. Voyant venir Jésus il dit : « Voici l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde ». Sa mission comme prophète est de révéler aux hommes Celui qui est le pardon en personne. Être chrétien et donc être moine, c’est vivre dans la pleine conscience que nous sommes pardonnés et invités à pardonner. C’est de cette manière que nous devenons des fils comme nous le dit le Notre Père que nous récitons plusieurs fois par jour. A l’école de Jean, apprenons la grâce du pardon qui se fait don et qui va jusqu’au don de la vie que symbolise ce manteau rouge. C’est aussi cela la grâce du désert que de nous recentre sur cet essentiel. Qu’au désert avec Jean baptiste nous apprenions à témoigner jusqu’au sang non de la haine et de la violence mais de l’amour et du pardon.

 


Fête du Saint-Sacrement du Corps et du Sang du Christ, homélie de frère Bartomeu

(1 Corinthiens 11, 23-26)

Chers frères et sœurs, nous avons entendu tout à l’heure, dans la lecture de la lettre de saint Paul aux Corinthiens, que chaque fois que nous mangeons ce pain et que nous buvons cette coupe, nous proclamons la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne.
Voici que le Seigneur Jésus, lors du derniers souper avec ses disciples, « la nuit où il était livré, il prit du pain, puis, ayant rendu grâce, il le rompit, et dit : “Ceci est mon corps, qui est pour vous. Faites cela en mémoire de moi.” Après le repas, il fit de même avec la coupe, en disant : “Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang. Chaque fois que vous en boirez, faites cela en mémoire de moi.” »
Et l’Apôtre Paul qui nous a transmis ce que lui-même avait reçu et qui venait du Seigneur, nous explique ce que voulait dire « Faites cela en mémoire de moi » : « Ainsi donc, chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne. » « Faites cela en mémoire de moi. » « Vous proclamez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne. »
C’est ce que nous professons chaque fois que nous célébrons l’Eucharistie, le repas du Seigneur (1 Co 11,20.) : « Nous annonçons ta mort, Seigneur Jésus, nous proclamons ta résurrection, nous attendons ta venue dans la gloire. » Oui, « chaque fois que nous mangeons ce pain et que nous buvons cette coupe, nous proclamons la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne », « nous annonçons la mort du Seigneur Jésus, nous proclamons sa résurrection, nous attendons sa venue dans la gloire. »
Les saints mystères du Corps de du sang de notre Seigneur Jésus Christ non seulement sont le mémorial de la passion de Jésus Christ – comme le disait l’oraison au commencement de cette liturgie – mais, lorsque nous célébrons le repas du Seigneur, en particulier le dimanche, où, « dans la communion de toute l’Église, nous célébrons le jour où le Christ est ressuscité d’entre les morts », nous proclamons sa résurrection et nous attendons sa venue dans la gloire.
Lorsque Jésus avait donné à ses disciples le pain et la coupe, en leur disant « ceci est mon corps » et « ceci est mon sang, le sang de l’Alliance, versé pour la multitude en rémission des péchés », il avait ajouté : « Je vous le dis : désormais je ne boirai plus de ce fruit de la vigne, jusqu’au jour où je le boirai, nouveau, avec vous dans le royaume de mon Père » (Mt 26,26-29).
En célébrant l’Eucharistie nous faisons mémoire de sa mort, nous proclamons sa résurrection et nous attendons sa venue dans la gloire, lorsque nous boirons avec lui, nouveau, le fruit de la vigne dans le royaume de son Père.
Et ce que nous vivons en la célébration de l’Eucharistie est un sacrement – c’est–à-dire un signe et une grâce – de ce que doit être toute notre vie. Par toute notre manière de vivre nous devons annoncer la mort du Seigneur Jésus, nous devons proclamer sa résurrection, nous devons attendre sa venue dans la gloire.

 


Dimanche de Pentecôte, homélie du P. Abbé Vladimir 

« Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole ; mon Père l’aimera, nous viendrons vers lui, et, chez lui, nous ferons une demeure ».
Chers Frères et Sœurs,
Le mystère que nous célébrons aujourd’hui selon les mots même de la liturgie est un mystère intérieur malgré l’abondance des phénomènes extérieurs que les Actes des Apôtres nous racontent. Bruit, violent coup de vent, langues de feu, parler en langues ne sont que des signes d’un mystère caché qui se passe à l’intérieur du cœur de l’homme, mystère d’autant plus grand qu’il ne se voit pas au premier regard. Il ne faudrait pas en célébrant cette fête se centrer sur les signes et négliger la réalité. Dieu ne demeure pas dans des constructions matérielles mais dans le secret du cœur de l’homme. L’Esprit Saint nous a été donné au plus intime de nous même comme à toute l’Église, l’Esprit Saint est ce défenseur qui est pour toujours avec nous, il fait de nous des fils et c’est en lui que nous pouvons nous tourner vers le Père en l’appelant Abba, Ce que nous célébrons aujourd’hui c’est l’Esprit qui nous est donné pour que nous devenions des fils à la manière du Fils Unique, habités par l’amour du Père et du Fils et nous aimant les uns les autres de ce même amour.
Car il ne faudrait pas s’imaginer que ce mystère de transformation intérieure qui nous unit les uns aux autres ne s’accompagne plus de signes. Écoutons ce que saint Bernard dit aux moines de Clairvaux à ce sujet : « Au commencement, l'Esprit Saint invisible manifestait sa venue par des signes visibles, il fallait qu'il en fût ainsi, mais aujourd'hui, plus les signes sont spirituels, plus ils conviennent à leur nature, plus ils semblent dignes de lui ». L’Esprit Saint s’accompagne des signes qui nous conviennent et conviennent à chaque période pour nous aider à mieux inviter tous les hommes à entrer dans l’amour du déjà Père. Car nous sommes envoyés comme les apôtres l’on été par le Christ qui leur donne déjà son Esprit au soir de la résurrection. « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie ».
« Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole . . . Celui qui ne m’aime pas ne garde pas mes paroles ».
Chers Frères et Sœurs,
Quelles que soient les époques, les signes et les dons de l’Esprit sont ceux qui manifestent le mieuxs que nous sommes des fils, attentifs à la parole, la gardant pour se laisser modeler par elle, tendant de toutes leurs forces vers le bien et la communion dans l’amour. « Quant au bien, qu'est-ce que le Saint Esprit opère en nous pour nous le faire faire ? Il nous avertit, il nous meut, il nous instruit. Il avertit notre mémoire, il instruit notre raison, il meut notre volonté » dit encore saint Bernard. Laissons nous conduire par l’Esprit vers toujours plus de communion. Et nous ne pouvons le faire sans lui car grandir dans la vie divine des fils, vie de communion qui vient jusqu’à nous, c’est garder les commandements pour aimer l’autre comme nous même, comme le Christ l’a aimé jusqu’à donner sa vie pour lui. Pas de communion sans don, pas d’amour sans service, pas de fils qui ne soit pardonné pour pardonner à son tour. Demandons en ce jour à l’Esprit de nous avertir, de nous instruire, de nous mouvoir, de nous redresser alors que nous sommes courbées pour que nous puissions nous tourner vers le Père et les uns vers les autres. Alors nous pourrons offrir des signes du Royaume, cette communion qui vient.


Fête de la visitation de Marie à Elisabeth, homélie du P. Abbé Vladimir

Chers Frères et Sœurs,

Le Bienheureux Christian de Chergé commentant l’Évangile de la Visitation que nous venons d’entendre, écrit que la rencontre entre Marie et Elizabeth nous dit quelque chose du mystère de l’Église allant à la rencontre de l’autre, portant en elle une Bonne Nouvelle Vivante. « Et notre Église écrit-il, c’est chacun de nous et nous sommes venus un peu comme Marie, d’abord pour rendre service mais aussi en portant cette Bonne Nouvelle ». Quelques siècles auparavant saint François de Sales nous faisait déjà contempler dans cette scène de l’Évangile de Luc ce qui est pour lui le cœur de la vie suivant l’Évangile à savoir le service et l’humilité. La Bonne Nouvelle que l’Église porte en elle se manifeste d’abord dans le service et dans l’humilité à l’image du Christ qui s’est fait le serviteur de tous et s’est humilié jusqu’à la mort de la croix. Sous la conduite de l’Esprit Saint, c’est ce que manifeste déjà Marie sans en avoir encore la pleine connaissance et conduite par le même Esprit, c’est ce que reconnaît Elizabeth lorsqu’elle s’écrie : « D’où m’est-il donné que la mère de mon Seigneur vienne jusqu’à moi ». Alors, en elles comme en nous si nous le désirons, le service et l’humilité s’épanouissent dans la joie et l’action de grâce : « Le Puissant fit pour moi des merveilles, Saint est son Nom », pouvons nous chanter tous ensemble.
Chers Frères et Sœurs,
« Restons dans la ferveur de l’Esprit », comme saint Paul nous y invite.
Aujourd’hui, notre Église c’est chacun de nous, portant mystérieusement cette bonne nouvelle comme un trésor dans des vases d’argiles, sans souvent bien avoir pleinement connaissance de ce trésor que nous portons. En ce temps, où l’on parle beaucoup et avec raison de synodalité, regardons la commencer par une visitation qui nous incite à faire de même. Pour créer plus de communion dans l’Église mais aussi entre l’Église et le monde que le Père a tant aimé puisqu’il y a envoyé son fils pour le sauver, il nous faut commencer et recommencer sans nous lasser par des visites, des sorties dans le service et l’humilité.
Chantons avec la Bienheureuse Vierge Marie
« Le Seigneur renverse les puissants de leur trône, il élève les humbles. »

 


Fête de l'Ascension, homélie du P. Abbé Vladimir

Chers Frères et Sœurs,

Nous venons d’entendre la lettre aux hébreux nous dire que tout ce que le Christ a vécu dans le monde depuis sa naissance jusqu’à son Ascension que nous célébrons aujourd’hui, a changé une fois pour toutes non seulement le cours de nos existences mais le devenir du Cosmos tout entier puisqu’il en est devenu l’Alpha et l’Omega. C’est là dans toute sa profondeur l’objet de notre foi. Cette vie une et unique du fils de Marie, né à Bethleem, venant de Nazareth dont, dit-on, il ne peut rien sortir de bon, cette vie située dans le temps et dans l’espace, dans une culture bien déterminée qui est celle du peuple juif, à l’époque sous domination romaine, tout ce qu’a fait et enseigné Jésus et que nous rapportent les Évangiles comme Luc le dit au commencement des Actes des Apôtres, cette vie obscure que la lettre aux Philippiens nous décrit comme un abaissement jusqu’à la condition d’esclave nous apporte le salut gratuitement. Et cela non seulement à nous mais jusqu’aux extrémités du monde, la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres. « C’est, une fois pour toutes, à la fin des temps, qu’il s’est manifesté pour détruire le péché » nous dit la lettre aux hébreux. L’année liturgique nous propose de revivre cela tous les ans pour en recevoir chaque année un fruit nouveau. Le Christ n’est plus présent parmi nous comme il l’était aux apôtres jusqu’à sa mort sur la Croix puis dans les rares manifestations qu’il donna à ses disciples jusqu’à ce qu’il fut enlevé à leurs yeux. Depuis l’Ascension, il est à la fois présent et absent, présent dans son absence, présent au plus intime de nos cœurs puisque pour reprendre le mot de saint Augustin, il est plus intime que notre intime, présent et nous invitant à le suivre puisqu’il s’est fait pour nous le chemin, la vérité et la vie.
Aujourd’hui, en célébrant l’Ascension, nous sommes invités à nous élever vers les réalités célestes, là ou le Verbe de Dieu a fait entrer notre nature avec sa faiblesse dans la Gloire du Père. Mais il ne faut pas faire de confusion, dans l’Évangile et donc pour les chrétiens, on ne s’élève qu’en s’abaissant. Et bien sûr, il y a deux manières de descendre. L’une nous conduit à l’intérieur de nous mêmes dans le silence et la paix pour rencontrer le Christ à l’écoute de sa parole. Le christianisme, c’est cela, ce n’est pas d’abord un code social, une manière d’organiser la société, c’est la personne du Christ que nous devons chercher et suivre. Tout le reste peut alors en découler en s’incarnant avec précaution dans différentes cultures. Mais si l’on a lu un tant soit peu l’Évangile, il est facile de comprendre qu’il nous faut aussi descendre à la rencontre de l’autre en luttant contre le désir de dominer. C’est ainsi que l’on construit la paix. Comme nous l’a rappelé le Pape François, cette année, au cœur de la Semaine Sainte: « La paix que Jésus nous donne à Pâques n’est pas la paix qui suit les stratégies du monde, qui croit l’obtenir à travers la force, avec les conquêtes et avec diverses formes d’imposition. En réalité, cette paix n’est qu’un intervalle entre les guerres : nous le savons bien. La paix du Seigneur suit la voie de la douceur et de la croix : c’est se charger des autres ».
Mais il y a aussi une deuxième chose que nous enseigne ce jour de fête. De Jérusalem, les apôtres sont envoyés à toutes les nations. Le sauveur, qui lors de sa vie terrestre semblait s’être limité à son peuple avec certes quelques incursions en Samarie et jusqu’à Tyr envoie ses apôtres jusqu’au extrémité du monde. On ne peut suivre le Christ et l’Évangile sans s’ouvrir au monde entier pour construire plus de paix et aujourd’hui de manière tout aussi urgente sans prendre soin de notre monde tout entier, ce cosmos si beau que nous avons tant abimé.

Que le Seigneur qui intercède pour nous et tous les hommes auprès du Père nous garde dans sa joie et sa paix.

 


4ème dimanche de Pâques, homélie de frère Marie

 

Trois mots, trois images, accompagnent les lectures de ce dimanche : pasteur, agneau et brebis.
Le pasteur, le berger est celui qui conduit, qui veille et qui prend soin. L’agneau est celui qui est offert, qui donne sa vie, qui devient signe. La brebis est celle qui se laisse guider, qui se laisse soigner, qui reconnaît la voix de son berger.
En Jésus les deux premières images coïncident. Il est à la fois berger et agneau. Jésus est le bon, le vrai berger. Le vrai berger à un mandat, une mission. Jésus est l’envoyé du Père, il n’est pas que le porte-parole, il en est la Parole de vie et d’amour donnée au monde. Il ne prend pas possession de la bergerie n’importe comment, il entre par la porte étroite qui est le don de soi et il appelle, il attire vers celui qui l’a envoyé. Il se donne comme agneau pur et innocent pour vaincre le mal et la haine qui empoisonnent le monde, les vaincre à la racine. L’Agneau est sans violence et cependant c’est lui qui porte l’étendard de la victoire.
C’est parce que Jésus est l’expression de l’amour inconditionnel du Père que Jésus aime les êtres humains de la même manière, jusqu’au don de sa vie. Don de sa vie qui n’est pas qu’un passage par la mort, mais qui est victoire de la vie sur la mort, de l’amour et de la vérité sur le mal.
C’est par ce don qu’émerge une nouvelle communauté qui efface les privilèges religieux et les murs de séparations entre nations. J’ai d’autres brebis, dira-t-il, qui ne sont pas de cette bergerie. Il est venu pour tous, personne qui désire la vie ne peut se sentir rejeté. C’est parce que nous sommes aimés de façon inconditionnelle par le Père et par Jésus que nous sommes appelés par vocation à tant aimer, à travers les diverses situations auxquelles nous sommes confrontés au cours de nos vies. Mais c’est l’amour du Christ qui nous tire et qui nous interpelle car le plus souvent nous ne savons pas comment faire.
La pensée du don de soi nous effraie, elle est souvent liée à une sorte d’idée de dépossession ou de sensation de mort. Oui, dans son don Jésus est passé par la mort, mais la mort de Jésus est un passage vers la vie, elle est élévation, une victoire, elle est retour vers le Père, elle produit un fruit de réconciliation ; si vous êtes mes disciples nous dit Jésus vous porterez beaucoup de fruits, oui des fruits de vie. La vie du Christ fait de notre vie une vocation et toute vocation passe par le don de soi, un oui guidé par le oui de Jésus. Il est aussi porte et chemin.
Jésus nous fait partager sa mission, celle dont nous investit le baptême en Jésus Christ. La mission qui est de tendre à travers une écoute, une obéissance à sa parole et à son Esprit, tendre à une unité de vie avec lui. Mission qui est de manifester la réalité de Dieu au sein du monde. Unité qui nous fait tendre à nous rapprocher les uns des autres, à être des artisans de paix.
On pourrait se demander pourquoi tant de baptisés ne manifestent plus grand-chose ou plus rien de cette réalité de Dieu au sein de leur vie ou dans le monde, ou vivent dans une forme d’oubli. C’est que la vie baptismale n’est pas automatique, ce n’est un simple code barre ou QR code. Le baptême est un lien, une alliance. Un lien qui s’apprend, s’expérimente, un lien qui doit s’entretenir, non de façon formelle, mais dans un désir de Dieu, dans l’écoute de cet appel permanent qui résonne au secret de notre cœur et qui est relayé par l’Esprit Saint en Eglise. On oublie que le baptême avant même d’être un engagement de la communauté ou de la personne, est avant tout un engagement de Dieu envers nous, une présence indéfectible à nos vies, un appel constant à réveiller cette relation, oui ils nous arrivent d’oublier ce don. Mais est patient, attentif à nos moindres mouvements de cœur, persévérant. Le bon pasteur lui, ne nous oublie pas, il crie notre nom, il nous réveille.
Connaître chacun par son nom c’est connaître ses dons, sa mission, ses fragilités, connaître aussi son histoire. Le bon pasteur connaît tout cela, il nous aime ainsi. Mais s’il fait retentir notre nom, s’il nous appelle à le suivre, c’est pour que notre histoire ne s’arrête pas là, rien ne peut nous arracher de sa main, nous dit-il. Nous ne sommes pas de simples brebis qui suivent docilement un troupeau, nous sommes les témoins du Christ, des témoins qui engageons notre liberté, des témoins du don de sa vie d’Agneau pour le salut du monde.


 2ème dimanche de Pâques - C, homélie de frère Bartomeu

(Jean 20, 19-31)

Chers frères et sœurs, bon dimanche ! Oui, aujourd’hui nous faisons mémoire du premier dimanche. En effet, dans la lecture de l’Évangile nous venons d’entendre d’abord : « Le soir venu, en ce premier jour de la semaine, alors que les portes du lieu où se trouvaient les disciples étaient verrouillées par crainte des Juifs, Jésus vint, et il était là au milieu d’eux. » Et ensuite : « Huit jours plus tard, les disciples se trouvaient de nouveau dans la maison, et Thomas était avec eux. Jésus vient, alors que les portes étaient verrouillées, et il était là au milieu d’eux. Il dit : « La paix soit avec vous ! »
Nous voici entre ce premier jour de la semaine et huit jours plus tard. Alors que depuis le Jour de Pâques, avec les disciples, nous n’avons plus quitté le premier jour de la semaine, voici qu’aujourd’hui, huit jours plus tard, nous nous trouvons de nouveau dans la maison avec les disciples. Et depuis ce jour-là nous nous retrouvons chaque premier jour de la semaine, qui est en même temps le huitième jour.
Et ce jour a reçu le nom de « Jour du Seigneur ». Nous l’avons entendu déjà dans la lecture de l’Apocalypse : « Moi, Jean, votre frère … je fus saisi en esprit, le jour du Seigneur… » (Apocalypse 1,9-10). N’oublions pas que le nom « dimanche » vient du latin « dies dominica », et donc qu’en fait dimanche veut dire « jour du Seigneur ».
Le psaume que nous avons entendu tout à l’heure, psaume dont nous avons entendu chanter des versets plusieurs fois depuis la Veillée Pascale, après avoir rappelé que « La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle : c’est là l’œuvre du Seigneur, la merveille devant nos yeux », s’exclamait : « Voici le jour que fit le Seigneur, qu’il soit pour nous jour de fête et de joie ! » (Psaume 117,22-24).
Que chaque dimanche soit vraiment pour nous un jour du Seigneur, un jour où nous nous trouvons dans la maison, c’est-à-dire à l’église, « assidus à l’enseignement des Apôtres et à la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières. » (Actes 2,42)
C’est dans cette célébration que, comme Thomas, nous pouvons, par la foi, voir et toucher le Seigneur ressuscité, qui nous dit trois fois : « La paix soit avec vous ! », et c’est dans cette célébration que, toujours comme Thomas, nous nous exclamons : « Mon Seigneur et mon Dieu ! »
« Heureux » avec tous « ceux qui croient sans avoir vu », c’est de nous que parlait la conclusion de la lecture de l’Évangile : « Il y a encore beaucoup d’autres signes que Jésus a faits en présence des disciples et qui ne sont pas écrits dans ce livre. Mais ceux-là ont été écrits pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour qu’en croyant, vous ayez la vie en son nom. »
Chers frères et sœurs, bon Jour du Seigneur !


Jeudi de l'ocatve de Pâques, homélie de frère Marie

Le psaume nous a fait chanter :
« Qu’est-ce que l’homme pour que tu penses à lui, le fils d’un homme, que tu en prennes souci ? » Ps 8
C’est dans la lumière de la résurrection que nous adressons à nouveau avec le psalmiste cette question à Dieu. « Oui, qu’est-ce que l’homme, pour que tu penses à lui ? ».
Nous nous sentons si petit quand nous découvrons l’immensité de l’univers.
Nous admirons la beauté d’une fleur ou d’un coucher de soleil, nous aimerions figer ces instants, mais ils s’évanouissent, il se répètent, il nous renvoie à notre éphémère, à notre mortalité. Nous goûtons des moments de bonheur, mais il nous en reste qu’une mémoire, des souvenirs, des histoires. Nous aimerions des relations humaines saines, aimantes, harmonieuses et fraternelles, des relations durables et nous sommes confrontés à nos impuissances, nos limites, notre humaine fragilité. Et pourtant Dieu a insufflé en nous un désir de bonheur et d’éternité. Nous pressentons la grandeur et la dignité de l’humain mais nous faisons l’expérience que la découverte de notre humanité nous dépasse, car la vie nous est donnée et que seul l’auteur de la vie lui-même peut nous combler, nous faire comprendre. « Qu’est-ce que l’homme pour que tu penses à lui, le fils d’un homme, que tu en prennes souci ? ». La réponse est dans le mystère de Pâques que nous célébrons. Cette réponse vient de Dieu qui, en son Christ, investit pleinement notre humaine condition pour nous ouvrir à sa vie divine, cette vie divine dans son Esprit de vie et de sainteté qui donne lumière, sens et plénitude à la nôtre. A travers sa mort et sa résurrection Le Christ nous ouvre un chemin qui ne se refermera jamais et sur lequel il nous entraîne à sa suite.
Quand on parle de « résurrection » en référence à la foi chrétienne, on la pense le plus souvent comme notre être ressaisit tout entier pour une vie nouvelle et sans fin après la mort, dans la lumière de Dieu ou dans le ‘face à face’ comme on dit.
Mais ne s’agit-il que de cela, que d’une vie d’après, patiemment espérée ?
Ce passage s’ouvre aussi maintenant, au présent. Cette irruption de la Vie et de l’Amour du Christ dans notre aujourd’hui, refait alliance avec tout ce qui constitue notre vie. Son souffle vie, sa lumière sainte, son Esprit, nous font revisiter tous nos liens, présents, passés, ceux à venir. Ce passage devient un chemin de vie qui nous fait croiser le chemin des autres, croiser le chemin de la création, car Dieu passe en l’homme et l’homme en Dieu. Pâques c’est remettre de la vie, de la beauté, de l’amour, de la compassion et de l’espérance au cœur de notre monde. C’est le message d’aujourd’hui. Nous avons tous un petit quelque chose à faire, les petits ruisseaux font de grandes rivières.
« Qu’est-ce que l’homme pour que tu penses à lui, le fils d’un homme, que tu en prennes souci ? », voici que tu lui donnes infiniment au-delà de ce qu’il espère, tu lui donnes ta vie en plénitude.

 


Lundi de l'octave de Pâques, homélie de frère Marie

Chers frères et sœurs,
Le tombeau était vide ; et voici que Jésus vint à la rencontre des femmes, à la rencontre des disciples, comme il vient dans notre aujourd’hui à notre rencontre et nous dit : « Ne crains pas ! ». Ne crains pas, Je ne viens pas pour juger tes faiblesses, tes doutes, je ne viens pas pour t’accuser, non je viens à ta rencontre parce que j’ai ouvert pour toi un passage de lumière ! »
« Je viens à ta rencontre car j’ai ouvert pour toi le chemin de la vie. Ne crains pas, car je suis venu à toi pour t’entraîner à ma suite. Pour t’apprendre le chemin de la vie. », « Ne crains pas, je viens à toi parce que je t’aime ».
Pierre et les autres disciples avait rencontré l’homme de Nazareth, avait cru à son message sans vraiment le comprendre, ils avaient été témoin de ses miracles. A travers la vie terrestre de Jésus l’Esprit Saint était déjà à l’œuvre dans le cœur des apôtres et des disciples, à travers son enseignement, ses paroles. L’Esprit Saint était déjà à l’œuvre à travers même sa personne, sa présence et sa façon d’être, mais il fallait que la porte de l’inconcevable s’ouvre dans leur vie. Et cependant devant la passion et la mort de Jésus, Pierre et les autres avait vacillé, ils ont perdu pied, leur logique s’en est trouvée complètement déstabilisée. Leur amour pour Jésus était là, mais il était désorienté, leur foi n’était pas complète. Il a fallu que Jésus vienne à nouveau à leur rencontre, par-delà le mystère du tombeau vide, après avoir ouvert un passage dans l’inconcevable, un passage de vie au travers de la mort.
Seule la rencontre du ressuscité pouvait pleinement ouvrir et éclairer leur foi.
Il en est de même pour nous. Cette présence du ressuscité se plante en nous comme une graine indéracinable. Aidés par l’Esprit Saint prenons soin de cette graine de vie nouvelle que nous offre le Christ, pour qu’elle étende ses racines et ses branches et qu’elle produise par nos vies ses bons fruits.
Jésus ressuscité invite ses disciples à retourner en Galilée, c’est là qu’ils le verront à nouveau.
Cette Galilée que Jésus invite à parcourir de nouveau, avec un regard renouvelé, c’est notre vie de tous les jours à réinvestir avec la présence du Ressuscité et en engageant notre responsabilité de disciples. Nous ne pouvons plus regarder notre monde et notre humanité de la même manière, car la révélation de l’amour de Dieu éclaire toute chose, et que l’éclair de la résurrection, la lumière de la vie, a traversé la mort pour toujours.
Chers frères et sœurs l’Esprit Saint, l’Esprit du Christ nous pousse à vivre dans cette présence du ressuscité, à mettre en œuvre dans notre aujourd’hui notre vivante espérance et notre confiance. Nous les mettons en œuvre par notre témoignage de vie, par notre charité active, par notre sollicitude les uns envers les autres. Nous les mettons en œuvre par notre sollicitude pour le monde qui nous entoure, en sachant dénoncer le mal et poursuivre le bien et en ne laissant pas nos cœurs se perdre et se noyer dans le doute. Le Christ est vraiment ressuscité !
Mettons notre confiance en Celui qui est présent à nos vies et qui nous aime.


Jour de Pâques, homélie du P. Abbé Vladimir

Chers Frères et Sœurs,
Voici qu’en ce matin, avec Marie Madeleine, avec Pierre et l’autre disciple sans nous préoccuper de rien d’autre, nous nous hâtons vers le tombeau où Jésus avait été déposé. Et ce qui était le lieu de la mort est devenu le lieu de la vie puisque le tombeau est vide. Non pas qu’il ait été vidé comme le pense Marie Madeleine, mais voyant comment sont les linges et le suaire roulé à part qu’il découvre dans le tombeau, Pierre comprend que selon les Écritures, il fallait que Jésus se relève d’entre les morts. Celui qui semblait avoir été englouti par le mort et le mal est désormais debout et Vivant pour les siècles des siècles. Ce que le tombeau vide nous dit en ce matin de Pâques, c’est ce que l’Apocalypse dira d’une autre manière faisant dire à Celui que voit Jean : « Ne crains pas, je suis le premier et le dernier, le Vivant, je fus mort et me voici vivant pour les siècles des siècles, détenant la clef de la mort et de l’Hadès ».
Oui, frères et sœurs,
Ne craignons pas même si parfois le mal et la violence semblent encore l’emporter, célébrons la fête en droiture et en vérité, relevés de la mort par le Christ après avoir communié à sa mort dans le baptême pour accéder à une vie nouvelle.
Et comme nous les rapportent les Actes des Apôtres, Jésus le vivant s’est donné à voir, il s’est fait reconnaître à ses témoins, ceux qu’il avait choisis. Voici que de témoins à témoins, au long des siècles, le flambeau du témoignage, la lumière nouvelle de la résurrection est parvenue jusqu’à nous aujourd’hui pour que nous le prenions à notre tour pour le transmettre. Et si nous croyons en nous appuyant sur le témoignage des apôtres, le ressuscité peut aussi se fait reconnaître par nous. Et ses chemins sont multiples. Il se fait reconnaître à la fraction du pain, lorsque nous célébrons ensemble comme ce matin. Il se fait reconnaître à la fraction du pain quand il nous invite au partage pour que personne n’ai faim ni soif jusqu’aux extrémités de la terre. Comme il fit pour Thomas, il nous donne ses mains, ses pieds et son côté à toucher dans ses membres. Et ses membres, ce sont les pauvres, les étrangers, les réfugiés, les victimes de la guerre et les humiliés. Le reconnaître ainsi, c’est toujours choisir la vie. Il se fait reconnaître en nous expliquant les Écritures lorsque nous nous efforçons à leur écoute de discerner la volonté de Dieu, ce qui est bon pour nous.
Chers Frères et sœurs,
Voici que Pierre et l’autre disciple sont partis. Avec Marie Madeleine, nous voici devant le tombeau vide. Bientôt le Ressuscité viendra la rejoindre et elle devra le reconnaître. Il y a tant de lieux de mort dans notre monde, tant de tombeaux dont nous pouvons faire jaillir la vie. Laissons nous toucher par le Ressuscité.

 


Nuit  de Pâques, homélie du P. Abbé Vladimir

Chers Frères et Sœurs,
En cette nuit très sainte, écoutons ce que disent les deux hommes en habit éblouissant :
« Pourquoi cherchez-vous le vivant parmi les morts, il n’est pas ici, il est ressuscité. Rappelez-vous, il faut que le Fils de l’homme soit livré aux mains des pécheurs, qu’il soit crucifié et que le troisième jour il ressuscite ».
Voilà le cœur de notre foi chrétienne, c’est à dire aussi le cœur de ce que nous avons à vivre. Cette proclamation est une invitation à mourir au péché, ce péché que le Sauveur a porté sur le bois de la Croix jusque dans la mort, pour vivre pour Dieu en Jésus Christ. Cette invitation, nous l’avons reçu au jour de notre baptême et nous devons y répondre tous les jours de notre vie, chacun dans notre vocation propre s’enracinant toujours dans le baptême. Reprenons notre élan de vigile pascale en vigile pascale.
D’une certaine manière, Luc n’a même pas encore les mots pour parler de ce mystère tant cela est nouveau pour lui et les premiers chrétiens. C’est quelque chose de cette nouveauté et de cette jeunesse que nous pourrions essayer de retrouver en cette nuit.
« Il n’est pas ici, il est ressuscité » avons nous entendu. Il est réveillé. Il s’est réveillé du sommeil de la mort dit en fait Luc. Laissons nous réveiller par cette parole. Soyons en éveil pour discerner la présence et l’action du ressuscité. Ne nous endormons pas dans l’habitude, le conformisme mais avançons toujours sous la conduite de l’Évangile.
« Rappelez-vous, il faut que le Fils de l’homme soit livré aux mains des pécheurs, qu’il soit crucifié et que le troisième jour il ressuscite ». Il s’est relevé dit à cet endroit Luc, un autre des termes que la première tradition chrétienne a utilisé pour la résurrection. Il s’est relevé de la mort et il est vivant pour toujours. Il est debout intercédant en notre faveur. La gloire de Dieu, c’est l’homme vivant. Efforçons nous quelles que soient les circonstances d’être des vivants et de choisir la vie pour nous et pour nos frères et sœurs. Contemplons le Ressuscité. Alors que la mort semblait avoir triomphé, en lui la lumière de la résurrection qui est la lumière de la vie brille pour toujours dans la nuit.
Avec nos cierges à la main, soyons des témoins de cette lumière dans une espérance renouvelée. Soyons des témoins communicatifs de cette joie qui ne passera pas. Soyons le avec tous nos frères et sœurs qui ont été ou seront baptisés cette nuit et faisons de notre engagement à vivre de notre baptême une promesse de vie.


Vendredi Saint, homélie du P.Abbé Vladimir

Chers Frères et Sœurs,

Tout les faits que nous venons d’entendre raconter, tout ce qui constitue le récit de la passion est arrivé, comme le répète Jean à plusieurs reprises, pour que s’accomplisse l’Écriture. Nous ne sommes pas dans une histoire où Jésus serait submergé par le mal en subissant un sort qu’il n’aurait pas choisi. Bien au contraire tout ce qui advient en ce jour est pour nous révélation du plan de salut de Dieu.
« Voici qu’un soldat avec sa lance lui perça la côté ; et aussitôt, il en sortit du sang et de l’eau. Celui qui a vu rend témoignage, et son témoignage est véridique ».
Mais quelle est la vérité que nous transmet ce témoignage. Ce témoignage qui nous vient de Celui dont Isaïe nous dit de manière prophétique que « maltraité, il s’humilie et n’ouvre pas la bouche : comme un agneau conduit à l’abattoir. Arrêté puis jugé, il a été supprimé. Qui donc s’est inquiété de son sort ? Il a été retranché de la terre des vivants »
Et pourtant de son côté, sont sortis du sang et de l’eau comme une source vivifiante.
C’est tout le paradoxe de la sagesse de la croix que nous trouvons dans ce récit et que sommes invités à vivre aujourd’hui plus que jamais. Cette sagesse qui selon le mot de Paul est à la fois scandale et folie.
Lorsque le sang et l’eau sortent du côté de Jésus, il y a là tout le malheur et tout le mal de l’homme comme une ténèbre enveloppant toute la terre. Il y a là Rachel qui pleure ses enfants, tous les innocents dont la vie a été ravie par les méchants, tous les hommes et les femmes oubliés ou désolés dont la vie s’est fracassée sur le mur du malheur, qu’il soit provoqué ou subi. Il y a là tous ceux qui subissent l’injustice, la violence et la guerre. Il y a là la création qui gémit dans les douleurs de l’enfantement et de tout le poids que nous lui faisons subir. Et il y a là aussi chacun d’entre nous avec nos à peu près, nos lâchetés, nos faiblesses et notre péché qui va parfois jusqu’au refus de l’amour. Et c’est tout cela dont le Sauveur s’est saisi sur la Croix, pareil au vinaigre qu’il boit, pour pouvoir enfin dire dans une ultime prière : « Tout est accompli ». En effet, nous n’avons pas un grand prêtre incapable de compatir à nos faiblesses. Mais le Christ offrant avec un grand cri et dans les larmes des prières et des supplications. Et il est exaucé, devenu pour tous ceux qui lui obéissent la cause du salut éternel. Et de tout ce qui semblait n’être que mort jaillit la vie.
L’eau et le sang sortent du côté de Jésus en Croix pour nous donner la vie. Et alors que nous nous préparons à porter en terre celui qui est la vie, contemplons cette vie abattre les enfers et communions à elle dans l’espérance du Royaume. Cette espérance doit façonner tout ce que nous avons à vivre comme chrétiens dans ce monde.


 Jeudi Saint, homélie du P. Abbé Vladimir

Chers Frères et Sœurs,
Nous venons d’entendre le passage de l’Évangile de Jean ou Jésus lave les pieds de ses disciples au cours de son dernier repas et qui chez lui remplace le récit de l’institution du sacrement de son corps et de son sang, que l’Église célèbre comme le sacrement de son amour. « La nuit où il était livré, le Seigneur Jésus prit du pain » comme nous le rappelle Paul. C’est en étant livré mais volontairement, en se donnant totalement que le Sauveur nous donne son amour, un amour qui nous sauve. En versant son sang, il nous a donné son amour. C’est par cet amour qui va jusqu’à la mort que le Père qui n’a jamais abandonné l’humanité manifeste sa présence et son salut jusque dans la nuit et les ténèbres. C’est dans ce don que s’accomplit tout ce qu’avaient annoncé les prophètes. Et ce qu’il fait en se donnant lui-même sans rien retenir dans l’Eucharistie, il le fait aussi de manière toute aussi radicale mais différente dans ce geste prophétique qu’est le lavement des pieds.
Ce que Jésus fait en déposant son vêtement et en se revêtant d’un linge, comme le Bon Pasteur a le pouvoir de déposer sa vie et de la reprendre, cette préfiguration de la nudité de la Croix, Pierre ne pourra le comprendre que plus tard. Mais ce geste symbolique qui engage toute la vie, ce commandement nouveau que le Seigneur nous donne, nous ne pouvons nous non plus en comprendre la profondeur que petit à petit.
Nous allons chanter en refaisant ce signe : « Là où la charité est vraie, Dieu est présent ». Dehors il y a la guerre, la violence et la haine. « Le diable a déjà mis dans le cœur de Judas, l’intention de livrer Jésus » mais Jésus aime ses disciples jusqu’au bout. « Là où la charité est vraie, Dieu est présent ». Et ce combat de l’amour et du pardon contre le mal et la haine se livre jusque dans nos cœurs pour que nous vivions pleinement de l’Esprit. Mais nous allons aussi chanter au cours de cette célébration : « Je n’irai pas te trahir par un baiser ainsi que fit Judas ». Comme Pierre va l’apprendre par son reniement, nous ne pouvons nous laver les pieds les uns les autres qu’enracinés dans la bonne terre de l’humilité. D’aimer, Dieu nous a rendu capable en nous créant et en nous recréant mais de mal aimer, de trahir en croyant aimer, comme par un baiser, nous sommes toujours tentés. Devant la difficulté à accueillir le pardon comme à nous accueillir tels que nous sommes et à nous accueillir comme frères, nous refusons le don.
Dans ce combat où nous ne sommes vainqueurs que désarmés, laissons nous conduire par l’Évangile. L’exemple que le Christ nous a donné dans le lavement des pieds qui, pour saint Bernard est le sacrement du pardon, faisons le nôtre, ligne après ligne comme pas à pas dans le récit de la Passion pour pouvoir gouter cette paix que le Sauveur nous donne en partage, non celle du monde mais la sienne. Cette paix qui nait de l’amour qui donne sa vie pour ses amis.
« Là où la charité est vraie, Dieu est présent ».


Dimanche des Rameaux, homélie du P. Abbé Vladimir

Chers Frères et Sœurs,

Au début de cette célébration, avec la foule des disciples, nous avons loué Dieu à pleine voix alors que Jésus s’approchait de la descente du Mont des oliviers. Jésus part en avant pour monter à Jérusalem et, en ce jour, il nous invite à le suivre. Il s’avance pour combattre contre la violence, le mal et la mort mais il le fait, les mains nues, en se donnant totalement puisqu’il n’a même pas retenu le rang qui l’égalait à Dieu. « Ceci est mon corps, donné pour vous. Faîtes cela en mémoire de moi » dit-il à ses apôtres et à travers eux cette parole nous rejoint. Il s’avance comme un serviteur non comme celui qui domine alors que ses disciples se querellent encore pour savoir qui est le plus grand. Alors qu’il prie son père, on vient l’arrêter avec des épées et des bâtons et il n’offre pas de résistance. À ceux de ses disciples qui veulent frapper avec l’épée, il dit : « Restez en là ». « Il ne s’est pas dérobé, il a présenté son dos à ceux qui le frappaient et ses joues à ceux qui arrachaient sa barbe » comme l’avait annoncé le prophète. Il pose son regard sur Pierre qui vient de le renier par trois fois, il offre le paradis au bon larron et prie son Père : « Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu’ils font ». Comme il le manifeste dans sa prière, s’il y a en lui un combat car c’est l’étymologie et le sens du mot agonie, celui-ci n’a pour but que d’adhérer toujours plus à la volonté du Père. « Père, si tu le veux, éloigne de moi cette coupe ; cependant ; que soit faite non pas ma volonté mais la tienne ».
Comme l’a compris le larron, il n’y a en lui aucun mal. Comme le perçoit le centurion : « Celui-ci était un homme juste » et même bien au delà de cela, il est le juste par excellence, il est celui qui nous rend juste en nous accordant le salut. Il a pris sur lui tout notre malheur, notre péché et notre misère sans avoir aucune part au mal. Et pour nous, le suivre, ce n’est rien d’autre que de nous laisser transformer pour avoir en nous et entre nous les sentiments du Christ Jésus. Ce n’est que de cette manière que nous pouvons construire la paix.
Nous sommes entrés dans cette église avec des rameaux à la main, signes de paix offerts à notre Roi Pacifique. Contemplons le, comme de l’intérieur, dans sa passion pendant toute cette semaine. Laissons nous construire par ses gestes et ses paroles tels que les Évangiles nous les rapportent. Il est ouvert à tous et ne refuse personne. Il n’est que pardon et miséricorde. Ce n’est pas sur lui que l’on peut s’appuyer pour justifier un quelconque combat sinon à la suite du sien celui contre nos passions, notre égoïsme et notre mépris des autres, sources de toutes les guerres comme l’actualité nous le rappelle encore aujourd’hui.
Et comme dans ce combat, nous sommes encore faibles et vacillants, disons avec le larron :
« Jésus, souviens toi de moi dans ton Royaume »
Oui, frères et sœurs , pleurons toutes les larmes de notre cœur en priant pour la paix que seul Dieu peut donner.

 


3ème dimanche Carême – C, homélie de frère Marie

Ex 3, 1-15 ; Ps 102 ; 1Co 10, 1-6.6-12 ; Lc 13, 1-9

Chers frères et sœurs,
Jésus nous invite en ce dimanche à nous tourner vers Dieu, à nous tourner vers Dieu pour mieux le connaître, mieux le découvrir. Le retournement de nos cœurs, le changement d’orientation de notre mentalité, de nos pensées et de nos actes provient beaucoup des images et de la compréhension que nous avons de Dieu.
La première découverte dans laquelle nous entraîne les lectures de ce jour, est celle d’un Dieu définitivement aimant. A travers ce qu’on appellerait aujourd’hui des faits divers, Jésus nous enseigne indirectement dans notre passage d’évangile que dans les malheurs qui peuvent nous atteindre Dieu n’en est pas l’instigateur volontaire. Comme si Dieu se plaisait à pointer notre culpabilité en provoquant des accidents ou des guerres ; nous n’avons pas besoin de lui pour cela. Nous avons bien-sûr en tête bien des passages de l’Ancien Testament qui laisseraient penser qu’il en est ainsi. Et pourtant l’Ecriture elle-même évolue en présentant d’autres compréhensions de Dieu et surtout de son amour pour nous et sa création. L’Ecriture est claire : Ne courez pas après la mort en dévoyant votre vie, nous dit la Sagesse, n’attirez pas la catastrophe par les œuvres de vos mains. Dieu n’a pas fait la mort, il ne se réjouit pas de voir mourir les êtres vivants. Il les a tous créés pour qu’ils subsistent. Et Dieu ne veut pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive.
Une tour, ou des bâtiments qui s’écroulent, à cause de l’incurie des services civils n’est pas un châtiment de Dieu. Des personnes réprimées dans le sang à cause d’un pouvoir totalitaire n’est pas un châtiment de Dieu ; Jésus semble nous dire même qu’il s’agit là d’une mort absurde, car dans le fond on ne trouve pas de sens à tout cela, ce n’est que malheur et traumatismes. Est-ce qu’ils sont morts parce qu’ils seraient plus pécheurs que vous et moi, non, nous dit Jésus, mais tournez-vous vers celui qui vous aime et qui peut vraiment vous faire découvrir le sens et la beauté de votre vocation humaine. Dieu nous a appelé à la vie, il nous appelle à partager sa vie.
A travers le psaume 102, l’Esprit Saint nous invite à nous laisser rejoindre par un autre regard de Dieu : Le Seigneur est tendresse et pitié, lent à la colère et plein d’amour ; Comme le ciel domine la terre, fort est son amour pour qui le craint. Cette tendresse de Dieu a fort besoin d’imprégner nos cœurs, de les habiter et de les transformer. Nous savons que pour que cette conversion puisse s’effectuer, il y faut du temps. Du temps à l’image de ce figuier qui tarde à donner du fruit, qui semble stérile et cependant qui ne tient son espérance qu’à la longue patience de Dieu, autre qualité de son amour, le temps de bêcher autour. Notre cœur aussi a besoin d’être bêché et fumé, enrichit par l’engrais de la Parole, enrichi par l’engrais de la miséricorde ; Parole ruminée, aimée, un cœur éduqué par la Sagesse et l’Esprit Saint.
Comme Moïse devant la découverte du buisson ardent nous devons faire un écart et nous laisser interpeller, attirer. C’est seulement parce que Moïse est capable de faire un écart, de se détourner du chemin tracé, de ses habitudes ou de ces certitudes, qu’il est apte à entendre la parole de la Révélation. C’est parce que le Seigneur voit que Moïse a fait un écart pour voir, qu’il se rend disponible et curieux en s’approchant, qu’il l’appelle par son nom, et qu’il pourra aussi l’introduire au mystère de son nom ineffable. L’introduire dans une relation vivante, aimante. Le feu mystérieux qui brûle dans le buisson ardent que découvre Moïse dans le désert, n’est autre que le Nom de Dieu qui se communique et rend sainte la terre qu’il habite. Un feu qui ne brûle pas, un feu qui parle, qui parle d’un Dieu qui veut se faire connaître à l’homme et venir à son secours.
Ce feu même de Dieu, nous envoie en mission les uns vers les autres pour porter son Nom et porter à l’avenir du fruit, fruit de tendresse et pitié, des fruits de miséricorde, des fruits lents à la colère et plein d’amour. Toute l’œuvre de la justice aimante de Dieu envers ses créatures.

 

 


1er dimanche de Carême-C, homélie de frère Bartomeu

 

Chers frères et sœurs,
En ce temps de Carême, dans une hymne à l’office du matin, nous chantons : « Voici le jour, voici ton jour : / Il fait refleurir tous les êtres ; / Réjouissons-nous en ce jour : / Il nous ramène dans ta grâce. » Le printemps nous évoque la Pâque déjà proche, le Jour par excellence : « Voici le jour, voici ton jour. »
Et c’est pour nous préparer à célébrer ce jour qu’est la Pâque que nous venons de commencer ce temps du Carême : quarante jours comme ceux pendant lesquels Jésus, dans l’Esprit, fut conduit à travers le désert.
En quoi doit consister cette préparation ? Saint Benoît dit aux moines que notre vie devrait avoir en tout temps l’observance du Carême. (Règle de saint Benoît 49) Ce qui veut dire que nous devrions vivre toujours dans l’attente de la sainte Pâque avec la joie du désir spirituel. Mais, comme il en est peu qui possèdent cette perfection, saint Benoît nous exhorte à vivre en toute pureté pendant le Carême, et à effacer, en ces jours sacrés, toutes les négligences des autres temps.
Quelle est cette perfection, cette pureté, avec laquelle nous devrions vivre ? Dans la prière au commencement de cette liturgie nous avons demandé :
Accorde-nous, Dieu tout puissant, tout au long de ce Carême, de progresser dans la connaissance de Jésus Christ et de nous ouvrir à sa lumière par une vie de plus en plus fidèle.
Progresser dans la connaissance de Jésus Christ, voilà ce qui doit être tout notre effort. Jésus le disait dans sa prière au Père : « La vie éternelle c’est qu’ils te connaissent, toi le seul vrai Dieu, et qu’ils connaissent celui que tu as envoyé, Jésus Christ » (Jean 17,3). Il faut donc que nous cherchions à progresser dans la connaissance de Jésus Christ. Car c’est bien cette connaissance qui fait que nous puissions nous appeler chrétiens.
Et comment progresser dans cette connaissance ? Dans la première lettre de saint Jean nous lisons : « Voici comment nous savons que nous le connaissons : si nous gardons ses commandements. Celui qui dit : “Je le connais”, et qui ne garde pas ses commandements, est un menteur : la vérité n’est pas en lui. Mais en celui qui garde sa parole, l’amour de Dieu atteint vraiment la perfection : voilà comment nous savons que nous sommes en lui. Celui qui déclare demeurer en lui doit, lui aussi, marcher comme Jésus lui-même a marché » (1 Jean 2,36).
Voici le travail, l’effort, de ce temps du Carême : « marcher comme Jésus lui-même a marché. » Vivre comme lui a vécu, par une vie de plus en plus fidèle. « Marcher comme Jésus lui-même a marché », pour qu’à la fin de ce chemin Jésus nous dise : « Tu seras avec moi dans le Paradis » (Luc 23,43). Ce sera la Pâque.
Accorde-nous, Dieu tout puissant, tout au long de ce Carême, de progresser dans la connaissance de Jésus Christ et de nous ouvrir à sa lumière par une vie de plus en plus fidèle.

 


Mercredi des Cendres, homélie du P. Abbé Vladimir

 

Chers Frères et Sœurs,

En ce jour où nous commençons notre chemin vers Pâques, ouvrons l’oreille de notre cœur et nous pourrons  entendre le vacarme des armes et la violence de la guerre. Et de cette violence, il ne peut jamais sortir aucun vainqueur. Comme l’a dit le Pape François en nous invitant à jeuner et à prier pour la paix en ce jour : « Celui qui fait la guerre, qui provoque la guerre, oublie l’humanité. Il ne part pas des gens, ne regarde pas la vie concrète des personnes, mais place devant tout ses intérêts partisans et de pouvoir. Il se confie à la logique diabolique et perverse des armes, qui est la plus éloignée de la volonté de Dieu. Et il s’éloigne des gens ordinaires, qui veulent la paix; et qui, dans tout conflit, sont les véritables victimes, qui paient en personne les folies de la guerre ».

Mais pourquoi prier pour la paix sinon parce qu’elle est à la fois ce que nous désirons et ce qui est pour chacun d’entre nous si difficile à atteindre. Comment prier pour la paix sinon en reconnaissant humblement en paroles et en actes notre besoin de conversion. Car la violence et le vacarme des passions sont aussi dans nos cœurs et pour poursuivre la paix et la rechercher comme nous y invite la Règle de saint Benoit en reprenant le psaume, nous devons combattre et c’est comme une guerre à l’intérieur de nous-mêmes. Et si la guerre où les hommes s’affrontent n’a jamais de vainqueur, nous savons que dans le combat spirituel quotidien contre la violence qui est le notre et que le carême vient nous rappeler, nous remportons la victoire avec le Christ. « Celui qui n’a pas connu le péché, Dieu l’a pour nous identifié au péché, afin qu’en lui nous devenions juste de la justice même de Dieu ».

Dans le secret, en ce moment favorable menons le bon combat qui est celui de la paix, pour la recevoir comme le Christ la donne. Et dans ce combat du carême où ne faisons que nous ouvrir au don de Dieu, sa grâce nous fait parcourir différents degrés. Il nous faut recevoir la paix qui vient du Christ comme un don pour être pacifiés et paisibles et le paisible s’efforce de faire le bien et rend le bien pour le bien. Puis, d’une certaine manière contre nous-mêmes ou plutôt contre notre égoïsme, il nous faut conserver cette paix ce qui fait de nous des patients et le patient ne rend pas le mal pour le mal mais supporte avec courage. Finalement nous gravirons le dernier degré de la paix deviendrons pacifiques et artisans de paix et le pacifique rend le bien pour le mal à l’image du Sauveur qui priait pour ceux qui le condamnaient. Nous pourrons alors chanter : « HEUREUX LES ARTISANS DE PAIX »

Prions donc pour la paix, Prions pour ceux qui font la guerre afin que le seigneur touche leurs cœurs et qu’ils se convertissent comme nous devons nous aussi le faire. Et pour accueillir cette paix dans tous ces degrés, prions les uns pour les autres, apprenons à nous accueillir les uns les autres, à nous accueillir nous même afin que nos cœurs s’ouvrent et se laissent transformés.


5ème dimanche C, homélie de frère Marie

Chers frères et sœurs, c’est Jésus au cœur de notre foi qui nous rassemble, et c’est lui qui nous parle. Dans l’évangile de ce jour l’évangéliste Luc met en scène ce mystère : toute ces foules qui pressent Jésus au bord du lac n’ont qu’une attente, écouter la parole de Dieu. Dans bien d’autres passages les foules pressent Jésus pour le toucher ou pour qu’il guérisse toutes sortes d’infirmités. Luc nous dit ici : la foule se pressait autour de Jésus pour écouter la parole de Dieu.
Nous ne connaissons pas la parole de Dieu directement, elle nous atteint par le biais d’une médiation. C’est sur cette médiation que se fonde toute la tradition biblique et le mystère de l’Eglise. « A bien des reprises et de bien des manières, Dieu, dans le passé, a parlé à nos pères par les prophètes ; mais à la fin, en ces jours où nous sommes, il nous a parlé par son Fils qu’il a établi héritier de toutes choses et par qui il a créé les mondes », nous dit l’épître aux Hébreux. La parole de Dieu est parole de Dieu et parole d’homme. Le Christ Jésus est la pierre angulaire qui unit en lui Dieu et l’homme, sur lui repose la promesse de Dieu, l’espérance et la vie. St Paul nous en rappelle le fondement : « Je vous rappelle la Bonne Nouvelle…Avant tout, je vous ai transmis ceci, que j’ai moi-même reçu : le Christ est mort pour nos péchés conformément aux Écritures, et il fut mis au tombeau ; il est ressuscité le troisième jour conformément aux Écritures, il est apparu à Pierre, puis aux Douze. »
C’est par le passage de la mort à la vie que la parole de Dieu nous fait expérimenter la présence de Dieu lui-même au cœur de notre vie. Une présence qui s’exprime en promesse vivante et dans le don de l’espérance, œuvre de l’Esprit Saint. C’est à cette parole de Dieu qu’aspire les foules qui pressent Jésus. Cependant le récit évangélique nous fait comprendre que si Jésus est la source, il ne veut pas en être l’unique messager, il veut nous associer à la médiatisation de la bonne nouvelle. Non seulement Dieu réside dans sa Parole mais il intègre celui qui l’écoute, qui l’accueille, dans la communication. Ceux qui écoutent Jésus deviennent auditeurs et porteurs d’une parole qui n’est pas seulement une vie à espérer, mais une parole qui suscite en nous une vie nouvelle. La parole de Dieu, telle qu’elle se manifeste en Jésus, a le pouvoir de détruire en nous les œuvres de mort et de péché et faire germer une vie nouvelle, celle de Dieu même. Nous vivons sous le régime de la grâce : « Ce que je suis, nous dit St Paul, je le suis par la grâce de Dieu et sa grâce, venant en moi, n’a pas été stérile. »
Jésus commence par appeler Pierre et ses compagnons, pour être les premiers porteurs et médiateurs de cette grâce ; ils le seront avec la conscience de leur faiblesse, car ce qu’ils ont reçu, leur mission, ils l’ont reçu par grâce au service de l’humanité. Cette grâce suscite l’acte de foi, un acte de foi qui est déstabilisant, mais qui ouvre une vie. C’est l’expérience que fait Pierre. Lorsque Jésus l’invite à jeter les filets, à une heure improbable, après une nuit infructueuse, il lui répond tout de même : « Sur ta parole je vais jeter les filets », tel est le premier acte de foi de Pierre envers Jésus. Foi en cette parole qui transforme en vie foisonnante ce qui semblait mort et stérile. Cet acte de foi va se transformer en appel, en vocation disons-nous couramment. Pour nous aussi l’acte de foi est déstabilisant, la parole de Dieu nous déstabilise, elle nous fait souvent dire : « J’ai déjà peiné toute la nuit sans rien prendre », mais comme Pierre nous devons oser jeter les filets, avancer en eau profonde, comme si on se jetait nous-même à l’eau. Comme Pierre le foisonnement de vie fait prendre conscience de l’immensité de la grâce et par là-même de notre condition humaine bien imparfaite, pècheresse disons-nous. C’est alors que Jésus nous dit : « Ne crains pas », je suis venu pour que tu aies la vie, pour que tous aient la vie. Le filet de la parole de Dieu ne t’emprisonne pas, il te libère. Le filet de la parole de Dieu n'agît pas comme le filet du chasseur. Le filet de la Parole de Dieu ne fait de nous une proie, mais un don, un don pour nous même et pour le monde. Le filet de la parole de Dieu tisse des liens que nous appelés à entretenir et aussi à renouer. C’est ce mystère que nous sommes appelés en Eglise à vivre et sans cesse approfondir pour contredire les germes de mort qui peuvent s’y manifester et lui conserver sa beauté qui tient sur l’unique grâce du Christ.

 


Fête St Honorat, homéile du P. Abbé Vladimir

Chers Frères et Sœurs,

Lorsqu’Hilaire d’Arles, un an après la mort du fondateur de notre monastère écrit le sermon que nous appelons la vie d’Honorat, ce document qui est en quelque sorte le testament fondateur de notre communauté, il fait à deux reprises le portrait d’Honorat d’abord comme moine et supérieur de sa communauté puis comme évêque. Son but est bien évidemment de montrer que ce grand saint ne change pas lorsqu’il devient évêque et que les vertus qu’il manifeste comme moine et guide spirituel sur notre île restent les mêmes à Arles comme évêque. En vérité, il est resté « en tenue de service » depuis le début de sa conversion de telle manière que « s’il fallait donner un visage à la charité, c’est le visage d’Honorat, que plus que tout autre, on devrait peindre pour le représenter ».
Si l’on veut chercher un fil conducteur dans la vie de celui qui débarqua sur cette île pour que l’horreur de la solitude y disparaisse, on ne peut trouver que celui de l’amour, du désir et de la recherche du Christ. Si Dieu parlait avec Moïse comme un ami parle à son ami, c’est avec le Christ qu’Honorat s’entretenait sans relâche à tel point que parfois, même dans son sommeil, sa bouche répétait son nom. Dès le début de sa conversion, c’est le désir et l’amour du Christ qui l’ont emporté sur les manœuvres de son père pour le détourner du baptême. Il n’est ensuite presque qu’aucune page de la vie d’Honorat qui ne mentionne son lien étroit avec le Christ, sa parole, ses sentiments à tel point nous dit Hilaire que sa prière, on pourrait presque dire le son de sa voix, était devenue familière aux oreilles du Christ.

Mais ce que nous pouvons retenir d’Honorat pour cette année qui vient, en ce temps difficile que nous vivons avec tous ceux qui nous entourent, est que cet amour, fort comme la mort suivant l’expression du Cantique puisque nous en recevons encore quelque chose aujourd’hui ne cesse de s’exprimer durant toute sa vie dans une charité très active en faveur de ses contemporains. En lui se manifesta dans toute son étendue, cet amour fraternel que nous avons entendu vanter dans la lettre aux hébreux. Nous pouvons, pour notre instruction mettre en relief deux caractéristiques très pratiques de cette charité hors du commun.
Honorat est l’homme de la réconciliation, de la paix rétablie et construite entre des personnes que tout pourrait opposer. Hilaire nous le montre à l’œuvre dans sa communauté pour faire naître sans cesse la communion en inculquant, parce qu’il aime, l’amour du Christ et du prochain. Il le fait en soulignant la diversité de cette communauté qui comporte même, écrit-il des hommes aux mœurs barbares. « Quelle est la contrée, quelle est la nation, qui, aujourd’hui ne compte pas des habitants dans son monastère ». De même son premier souci lorsqu’il devint évêque fut de rétablir la concorde dans une communauté dont les historiens nous confirment qu’elle était très divisée.
Honorat est aussi l’homme du partage et du souci pour les pauvres ce qu’Hilaire exprime presque de la même manière pour les deux lieux où il exerça son ministère. « Il portait une grande attention aux étrangers et aux hôtes » qui venaient en nombre chercher secours en abordant sur notre île. « Il ne gardait rien pour lui, rien pour les siens que la nourriture et le vêtement nécessaires pour l’instant présent ». De même comme évêque, « sa générosité, s’accrut, ses richesses diminuèrent », « il ne se réserva que le strict nécessaire à son ministère ».

Chers Frères et Sœurs,
Réveillons nous, il est temps de sortir du sommeil. À l’école d’Honorat, apprenons que le partage et la communion à poursuivre envers tous et non pas seulement avec ceux qui nous sont identiques, découlent de l’amour du Christ comme la lumière vient du soleil. Aussi exigeant que cela soit, sous la conduite de l’Évangile, il n’y a pas d’autre chemin sur lequel avancer. O notre Père Honorat, « obtiens que dans une aspiration commune, nous méritions de respecter tes ordres et tes enseignements ».

 

 


Fête de l'Epiphanie, homéile du P. Abbé Vladimir

Chers Frères et Sœurs,

Voici qu’en ce jour, nous célébrons la manifestation du Sauveur, petit enfant né à Bethléem, aux mages venus d’Orient. Il y a dans le passage de l’Évangile de Mathieu que nous venons d’entendre un tel art du récit pour nous conter à la fois qui est cet enfant, le roi des juifs qui vient de naître et toute la Bonne Nouvelle du Salut que l’on comprend combien ce récit a suscité l’imaginaire de l’humanité à travers les siècles.
Avec les mages venus d’Orient, c’est le rassemblement des nations par le Christ qui est déjà manifesté comme l’avait annoncé le prophète Isaïe : « Les nations marcheront vers ta lumière et les rois vers la clarté de ton aurore ». Ces rois que nous avons chantés dans le psaume apportant leurs présents.
Oui « toutes les nations sont associées au même héritage dans le Christ Jésus ».
Mais cette manifestation se fait au cœur de la faiblesse et de la pauvreté, dans l’auberge des pauvres comme le dit le cistercien Guerric d’Igny. Si Mathieu a le souci de nous montrer que cet enfant accomplit la loi, les prophètes et les psaumes, il veut tout autant nous annoncer que par sa naissance nous est déjà manifestée ce que va être la vie du Christ Jésus jusqu’à sa mort et sa résurrection. Christ et Roi des juifs, ce seront les mots utilisé par ses accusateurs durant la passion et ce sont les grands prêtres que nous voyons Hérode convoquer avec les scribes qui seront les agents principaux de cette condamnation. Même les présents offerts par les mages, s’ils accomplissent ce qui est annoncé par les Écritures, ont été aussi interprétés, du moins la myrrhe comme une annonce de la passion.

Chers Frères et Sœurs,
C’est en lisant ce texte dans toute sa profondeur qu’il peut être pour nous un chemin de foi où la foi des mages suivant l’étoile peut nous servir de guide. Pour nous aussi dans la nuit brillent des étoiles pour éclairer notre foi et notre chemin même si nous pouvons dire à juste titre qu’elles ne sont qu’une car elles n’aspirent qu’à avoir un cœur et une âme. Et ces étoiles sont les bons exemples de nos frères et de nos sœurs si nous voulons et sachons les voir par le bon zèle dont parle saint Benoît dans sa règle. Pour nous aussi les écritures sont expliquées pour nous conduire à Bethléem, la maison du pain où nous pouvons être rassasiée d’une nourriture qui n’est pas éphémère. Mais cela ne peut se faire que si nous acceptons que le mystère de cet enfant, ce mystère de la gloire et de l’amour de Dieu ne nous parvient que sous le voile de la faiblesse et de la pauvreté. Tant que nous cheminons, comme le disent les pères, nous ne pouvons séparer le mystère voilé et le voile du mystère. Bien au contraire, nous devons nous réjouir de cette faiblesse et de cette pauvreté qui sont aussi les nôtres afin de demeurer en sécurité dans l’auberge des pauvres où nous pouvons adorer tout à la fois l’enfant Dieu, le Fils Bien Aimé baptisé dans les eaux du Jourdain, l’Époux changeant l’eau en vin pour les noces, Celui qui nous tend les bras du haut de la Croix comme pour nous serrer contre lui. Oui, c’est bien un et le même pris dans nos bras enfant qui vient de naître et rassemblant tout l’humanité en donnant sa vie pour elle. Il n’est pas d’autre demeure pour vivre cela que cette auberge des pauvres parfois si inconfortable et dont les habitants si variés et si surprenants nous dérangent parfois beaucoup. Et pourtant c’est bien elle à la fin lorsque paraitra dans toute sa splendeur l’étoile du matin que nous verrons se changer en la Jérusalem nouvelle descendant du ciel, telle une épouse parée pour son époux.
Que l’enfant Dieu nous y rassemble avec tous nos frères les hommes, en pauvres que nous sommes

 


Messe du jour de Noël, homélie du P. Abbé Vladimir

Chers Frères et Sœurs,

« En ces jours où nous sommes, Dieu nous a parlé par son Fils », Verbe fait chair, expression parfaite de son être, resplendissement de sa gloire. Et ce matin, cette Parole est tout entière rassemblée dans le silence puisque le Verbe s’est fait enfant sans parole. Mais dans ce silence, elle donne plénitude de sens à toutes les paroles des prophètes.

Après le chant des anges que nous avons entendu cette nuit : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes qu’il aime », il y a la part des hommes, notre part, le chant des psaumes que nous devons faire résonner sur toute la terre pour annoncer la bonne nouvelle. « Comme ils sont beaux les pas du messager, celui qui annonce la paix, qui porte la bonne nouvelle ».

« Tu n’as voulu ni sacrifice ni offrande, mais tu m’as formé un corps. Tu n’as pas agréé les holocaustes ni les sacrifices pour le péché ; alors, j’ai dit : Me voici, je suis venu, mon Dieu, pour faire ta volonté, ainsi qu’il est écrit de moi dans le Livre », chantons-nous pour donner tout son sens à la venue de cet enfant, le Fils, le premier né, le sauveur de tous. « Tu es mon Fils, moi, aujourd’hui je t’ai engendré » chantons-nous aussi en écho faisant comme retentir la voix du Père pour affirmer avec joie en contemplant le premier né que nous sommes appelés à devenir en lui fils adoptifs. « Moi je serai pour lui un père, et lui sera pour moi un fils ».

« La terre tout entière a vu la victoire de notre Dieu », une victoire non dans la puissance mais dans l’humilité, non dans la violence mais dans les langes, non dans la grandeur mais dans le dénuement. Et la victoire de cet enfant qui fait toutes choses nouvelles met à bas toutes les fausses valeurs de ce monde. Chantons avec la mère de cet enfant silencieux, lui qui est le Verbe de toute éternité : « Il renverse les puissants de leurs trônes, il élève les humbles ».

Contemplant cet enfant en qui sont la vie et la lumière pour tout homme, recevons de lui, par la foi, le pouvoir de devenir enfants de Dieu , ses frères et ses sœurs. Contemplons notre destin en cet enfant. Oui vraiment si, par sa grâce, nous ne lui devenons de quelque manière un peu semblable, nous n’entrerons pas dans le Royaume de Dieu. Mettons nous à son école qui est celle de la faiblesse apparente qui est plus forte que toutes les armes, qui est celle de la folie qui est plus sage que toutes les sagesses, qui est celle de l’amour qui est plus fort que la mort.

Mettons nous à son école et chantons lui :

« Au son de la trompette et du cor, acclamez votre roi, cet enfant, le Seigneur

 


Messe de minuit, homélie du P. Abbé Vladimir

« Voici le signe qui vous est donné : vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire »
Chers Frères et Sœurs,
En ces temps de grande incertitude, dans cette nuit paisible, contemplons avec les yeux du cœur ce nouveau-né. Car la Parole en se faisant chair s’est donnée à voir. Contemplons là en remontant les siècles. Nous sommes dans les années 1560 – 1570 au monastère cistercien de la Sainte Trinité fondée une dizaine d’année auparavant en Toscane à Cortona. Sœur Véronique, Veronica comme ont dit en italien a un comportement pour le moins étrange. On était pourtant plein d’espoir lors de son entrée dans cette nouvelle communauté. Après tout, c’est une Laparelli, l’une des familles les plus nobles et les plus riches de cette petite ville et elle a reçu une excellente éducation en vue du mariage auquel ses parents la destinaient. Mais comme elle a refusé avec obstination de se marier, elle refuse maintenant avec tout autant d’obstination d’exercer la moindre charge dans le monastère se contentant des travaux les plus humbles. Parmi ces tâches, il y a celle de faire la crèche du monastère pour Noël.
Et voici que pendant plusieurs années, en particulier le jour de Noël ou le 2 février pour la fête de la Présentation, Sœur Veronica tient caché dans son scapulaire de manière à ce que personne ne le voit une présence mystérieuse dont on dit qu’il s’agit de l’Enfant Jésus. Bien des années plus tard, son abbesse témoignera que certaines sœurs ont vu la forme de l’enfant caché dans le scapulaire mais Lui, elles ne l’ont pas vu. Mais il y a plus encore, certains jours portant cette présence mystérieuse dans son scapulaire, elle parcourt les couloirs du monastère criant à voix forte : « Amour ! Amour ! ». Une sœur témoignera plus tard que Veronica explique la raison de cela à Jésus Enfant lui disant, parlant de ses sœurs : « Certes, elles t’aiment mais si elles te voyaient tel que tu es, elles t’aimeraient d’avantage ».
Le voir tel qu’il est. Conseiller merveilleux, Dieu Fort, Prince de la Paix mais sans beauté ni éclat. Lui, Grâce de Dieu manifestée pour le salut de tous les hommes mais nouveau né vagissant. Verbe fait chair mais Parole silencieuse enveloppée de langes, Parole de Dieu vivante et efficace reposant dans une mangeoire comme le disait Guerric d’Igny un de nos pères cisterciens bien avant que la cistercienne Veronica ne le voit. Heureux sommes nous si nous accueillons cette parole dans la nuit de ce monde.
Puissions nous l’aimer d’avantage. Du jardin du monastère qui est tout en haut de la ville, Sœur Veronica peut voir, au delà de Pérouse et du lac Trasimène, Assise la ville du Saint qui inventa la crèche et dont on dit qu’il parcourait les rues répétant : « L’Amour n’est pas aimé ».
Oui, encore aujourd’hui, l’Amour n’est pas aimé.
Entre deux balayages, cette sœur, la vénérable Veronica Laparelli a un grand don. Tout ce que Cortone compte de pauvres, de blessés, de malades vient la trouver à la porte du monastère. Et elle écoute, donne ce qu’elle peut ; elle console et donne à boire l’eau du puits en demandant de réciter une prière à saint Diego, obscur saint franciscain du XV siècle dont on voit encore aujourd’hui la fresque au dessus du puits dans le monastère. Et les malades en sont guéris. Cet Enfant Dieu qu’elle porte, elle l’aime d’avantage en le servant dans tous ces pauvres et humiliés.
Chers Frères et Sœurs,
L’Amour n’est pas aimé mais en se faisant homme, Dieu s’est accommodé à notre faiblesse et nous propose de l’aimer d’avantage. Là, cette nuit et à chaque instant, dans notre voisin, notre frère, ce pauvre, cet étranger venu de l’autre bout du monde à notre porte, celui que Jésus aime et pour qui il a donné sa vie.


4ème dimanche de l’Avent – C, homélie de frère Marie


Mi 5, 1-4a ; Ps 79 ; He 10, 5-10 ; Lc 1, 39-45

 

La visitation de Marie à Elisabeth est la figure de toute vraie rencontre.
Le mystère de l’hospitalité réciproque la plus complète. Ces deux femmes ont en commun, la joie, l’action de grâce et la gratuité. Ces deux mères vivent dans leur chair la manifestation du rêve que Dieu n’a pas lâché, et qu’il a fait pour nous depuis la fondation du monde.

Elisabeth âgée et stérile porte en elle le fruit de la miséricorde divine. Elle porte le fruit qui ouvre au cœur d’un monde éprouvé une lueur d’espérance. Si nous voyons le monde comme trop vieux et stérile, alors Elisabeth porte le signe de la fidélité et de la bienveillance de Dieu.
Marie jeune et vierge porte en elle le fruit de la grâce, elle porte le signe d’un monde nouveau. Marie porte en son sein le prince de la Paix. Et c’est dans cette Paix que réside le rêve de Dieu. Marie porte en elle cette bonne-nouvelle annoncée aux pauvres, à ceux qui ne savent plus ni d’où ni comment surgira le Dieu qui sauve, mais qui l’appellent et qui l’attendent.
Ces pauvres de cœur sont ceux qui n’adhèrent pas aux injustices et aux violences de ce monde, qui entachent même l’Eglise du Christ. Ces pauvres de cœur qui ne se résignent pas à ce que le rêve de Dieu se transforme en cauchemar, mais qui en souffrent et aspirent à la justice et à la paix.
Marie visitant Elisabeth n’a rien d’autre à apporter et à partager que sa joie de la vie donnée, la gratuité du désir d’aider et sa salutation de paix.
Dans la Bible la paix ne désigne pas une paix consensuelle ou stratégique, la Paix de Dieu exprime l’accomplissement de la promesse divine, l’horizon d’une plénitude de vie heureuse.
Oui, tout l’Evangile de Paix est en elle, sur le point d’être enfanté, et en nous aussi par la puissance de l’Esprit Saint tout l’Evangile de Paix est en nous. En Marie, Jésus prince de la Paix se fait corps, en nous il nous fait membres de son corps. Nous sommes filles et fils de la Paix de Dieu. Cette Paix est révélation de ce que nous sommes appelés à être dans le rêve de Dieu et qui s’appelle en Christ réconciliation et communion de vie.
Sommes-nous vraiment porteurs de cet Evangile de Paix ? Avons-nous soif de la justice ? Allons-nous avec empressement, comme Marie, à la rencontre du proche et du lointain, du nécessiteux ou de l’immigré, ou de notre voisin de palier, pour porter une bénédiction, une simple présence, une aide ? Savons-nous aussi comme Elisabeth accueillir une salutation de paix, une réconciliation, savons-nous reconnaître avec joie la bénédiction que l’autre peut nous offrir ? Sommes-nous désireux les uns pour les autres de cette bénédiction et de cette paix ?
Comme le dit St Paul la création tout-entière est en attente de la révélation des fils de Dieu, la création entière gémit dans les douleurs de l’enfantement et nous aussi qui possédons les prémices de l’Esprit nous gémissons intérieurement. Le mystère de Noël et de Pâques sont intimement liés. La croix se profile au cœur même de l’amour et de la joie, non comme une défaite mais comme une victoire, celle d’un enfantement nouveau pour notre monde fatigué et pour notre Eglise blessée.
Ce monde nouveau, celui que Dieu voulait et veut, s’actualise dans l’offrande du Verbe divin fait chair, Jésus Christ. Nous sommes nés de son « Oui », comme nous le rappelle si bien l’épître aux Hébreux : « Tu n’as voulu ni sacrifice ni offrande, mais tu m’as formé un corps. Tu n’as pas agréé les holocaustes ni les sacrifices pour le péché ; alors, j’ai dit : Me voici, je suis venu, mon Dieu, pour faire ta volonté. » La volonté de Dieu est cette Paix, cette réconciliation porteuse de la vie divine, porteuse de notre vie.
Comme Marie et Elisabeth, accueillons, portons et donnons au monde cette réconciliation, cette vie et cette paix. « Heureux les artisans de paix, ils seront appelés fils de Dieu. »

 


2ème dimanche de l’Avent – C, homélie de frère Bartomeu

 

Chers frères et sœurs, la lecture de l’évangile à la messe commence le plus souvent par la référence imprécise : « En temps-là… » Et voici que tout à l’heure, d’une manière bien inhabituelle, elle a commencé avec un référence bien précise : « L’an quinze du règne de l’empereur Tibère, Ponce Pilate étant gouverneur de la Judée, Hérode étant alors au pouvoir en Galilée, son frère Philippe dans le pays d’Iturée et de Traconitide, Lysanias en Abilène, les grands prêtres étant Hanne et Caïphe… » L’an quinze du règne de l’empereur Tibère, c’est-à-dire entre septembre-octobre 27 et septembre-octobre 28.
Oui, nous pouvons placer Jésus Christ avec précision dans l’histoire : d’une part dans l’histoire politique, avec l’empereur Tibère à Rome, Ponce Pilate en Judée, Hérode en Galilée et son frère Philippe dans les régions à l’est du Jourdain, d’une autre part dans l’histoire religieuse, avec les grands prêtres Hanne et Caïphe. Et nous retrouverons ces mêmes personnages, trois ans plus tard, au moment de la passion de Jésus.
L’an quinze du règne de l’empereur Tibère, donc, « la parole de Dieu fut adressée dans le désert à Jean, le fils de Zacharie. Il parcourut toute la région du Jourdain, en proclamant un baptême de conversion pour le pardon des péchés. » Mais la voix du prophète nous invite non pas à regarder vers le passé mais à préparer le chemin du Seigneur, chemin qui nous mènera au jour où « tout être vivant verra le salut de Dieu. » Et l’apôtre Paul nous di-sait : « J’en suis persuadé, celui qui a commencé en vous un si beau travail le continuera jusqu’à son achèvement au jour où viendra le Christ Jésus. »
Ce temps de l’« Avent », c’est-à-dire de la « venue » du Seigneur, est un temps de préparation à la célébration de Noël, de la Nativité de Notre Sei-gneur Jésus-Christ, lorsqu’il est venu. Mais c’est surtout un temps où nous cherchons plus intensément – en reprenant les paroles de Paul – à être « purs et irréprochables pour le jour du Christ, comblés du fruit de la justice qui s’obtient par Jésus Christ, pour la gloire et la louange de Dieu. » Et avec la prière au commencement de cette liturgie, nous avons demandé : « Sei-gneur tout-puissant et miséricordieux, ne laisse pas le souci de nos tâches présentes entraver notre marche à la rencontre de ton Fils. »
Saint Benoît, au commencement de sa Règle, nous dit ce que doit être notre vie maintenant, pour que le souci de nos tâches présentes n’entrave pas notre marche à la rencontre de Jésus-Christ : « ...le Seigneur attend que nous répondions chaque jour par des actes à ses saints enseignements… Voilà pourquoi les jours de cette vie nous sont accordés comme un sursis en vue de l’amendement de notre mauvaise conduite, selon le mot de l’Apôtre : Ne sais-tu pas que la patience de Dieu te conduit à la pénitence ?... Tandis qu’il en est encore temps, donc, il nous faut à présent courir et accomplir ce qui nous profitera pour toujours. » (Prologue 35-36 et 44)
Vivons bien, vivons intensément ce temps de sursis qui nous est don-né. « Ainsi – comme nous le disait encore l’Apôtre – nous serons purs et irré-prochables pour le jour du Christ, comblés du fruit de la justice qui s’obtient par Jésus Christ, pour la gloire et la louange de Dieu. »


Fête de la Toussaint, homélie de frère Marie

Chers frères et soeurs
La communion de tous les saints nous resitue dans un vaste réseau. Alors que nous sommes inondés de ‘réseaux sociaux’, la communion des saints est sans aucun doute le plus vaste ‘réseau’ qui ne déconnecte pas. Les saints et les justes de tous les temps sont toujours à l’œuvre en Dieu et avec Dieu. A l’œuvre pour nous soutenir, nous inspirer, nous éveiller à la quête incessante de la justice, de l’amour et de la paix. L’amour du Christ a accompli son œuvre en eux, l’œuvre d’une vie, dans des contextes tout aussi troublants et troublés qui ne manquent jamais à notre monde ni à l’Eglise. Sur les pages du ‘livre de vie’ sont postés les noms d’une multitude innombrable de témoins ; les connus et les inconnus, mais tous reconnus. Le signe de reconnaissance que les saints nous envoient c’est que Dieu ne fait pas acception de personne. De toutes langues, peuples et nations nous dit le livre de l’Apocalypse. Chacune de leur vie a été l’œuvre de l’artisan divin, qui les a configurés au Christ, à travers leurs belles aspirations, leur désir de bonheur, à travers aussi leurs petits côtés, leurs doutes, voir leurs péchés et leurs nombreuses conversions de cœur et d’esprit. Cette multitude invisible et cependant bien présente nous lie au Ciel et à l’humanité. Ils forcent notre espérance. Ils nous font entendre ce chant nouveau que si le mal est un défi, il n’a pas le dernier mot. Ils nous font entendre que l’Amour de Dieu est là vainqueur ; comme il l’a été en Christ, il l’a été dans leur vie il le sera aussi dans la nôtre.
Ils nous font entendre que nous ne devons pas avoir peur de la sainteté. La sainteté peut nous sembler trop éloignée. Quand nous lisons la vie de nombreux saints, écrites dans le style dit agiographique, on a l’impression qu’ils sont déjà saints dès le ventre de leur mère. Certes, en chacun de nous demeure un germe d’innocence, mais il a besoin d’être rejoint et sauvé. Le Pape François, dans son exhortation à la sainteté réajuste bien cette vision. Il rappelle que tout dans le parcours de la vie d’un saint n’est pas saint. Que tout dans le parcours de la vie d’un saint n’est pas parole évangélique. Même l’Ecriture nous dit que le juste pèche sept fois le jour. C’est dans la globalité d’une vie que l’on définit un saint, à travers un chemin de purification et de transformation opérées par la parole de l’Evangile et l’œuvre de l’Esprit Saint.
C’est en cela que résonnent les béatitudes prononcées par Jésus : Bienheureux ceux qui…
Nous aspirons tous au bonheur, mais le bonheur ne réside pas dans une vie confortable.
Le bonheur tout comme la sainteté est un chemin, un chemin qui nous ouvre au goût profond de la vie, à la découverte de notre véritable humanité. Cette humanité d’enfants de Dieu à laquelle nous introduit la vie du Christ Jésus. Ce chemin est source de joie profonde car il est en communion avec l’amour de Dieu.
Les béatitudes prononcées par Jésus n’en restent pas moins une parole qui tranche, un feu allumé sur la terre, un sel qui vient donner de la saveur à une vie qui nous paraît souvent amère et insensée de par la violence qui l’entoure ou l’habite. Jésus nous enseigne combien l’engagement de notre vie spirituelle est là pour irriguer toute notre vie humaine y compris les nécessités matérielles, en ceci nous rejoignons la douceur et l’humilité du Christ qui a penché le Ciel sur la terre pour les réconcilier. Nous sommes fils et filles de la réconciliation, Dieu ne règne ni par la violence, ni par la force, mais par la puissance du don de soi, par la douceur de sa Parole vivifiante.
C’est par ce don même que les saints se sont efforcés à mettre en œuvre la paix, la juste relation à Dieu et aux autres, la miséricorde, ils se sont laissés travaillés par la douceur de Dieu dans le désir que notre terre en porte la trace. La fin de l’évangile selon St Matthieu en manifeste les œuvres : c’est à l’accueil de l’étranger, du migrant, au verre d’eau donné, au malade et au prisonnier visité, au pauvre revêtu ou au voisin invité…que nous goûterons à ce bonheur et à cette sainteté.
Les saints que nous célébrons sont arrivés, nous sommes en route, restons connectés.

 


28ème dimanche-B, homélie de frère Bartomeu

Sagesse 7,7-11 – Psaume 89,12-17 – Hébreux 4,12-13 – Marc 10,17-30

Mes frères, beaucoup cherchent une sagesse, une sagesse qui rende leur vie pleine et épanouie. Mais, quelle est la vraie sagesse ? Voici que la Parole de Dieu aujourd’hui nous a parlé de sagesse. « Apprends-nous la vraie mesure de nos jours : que nos cœurs pénètrent la sagesse. »
« Elle est vivante, la parole de Dieu, énergique et plus coupante qu’une épée à deux tranchants. » Écoutons-la. Chaque dimanche nous écoutons quatre pages de l’Écriture : de l’Ancien Testament, du Livre des Psaumes, du Nouveau Testament et de l’Évangile. Le psaume n’est pas un interlude entre deux lectures mais un texte par lui-même. Comme les autres lectures, il doit être proclamé et écouté avec attention. En fait, souvent dans le psaume nous avons une clé pour comprendre toute l’Écriture. Nous avons là aussi une initiation à la lecture et à la prière du Livre des Psaumes.
Reprenons donc le psaume que nous avons entendu aujourd’hui : « Apprends-nous la vraie mesure de nos jours : que nos cœurs pénètrent la sagesse. » La vraie mesure de nos jours, nous le savons, est notre faiblesse, ce sont nos limites : qui d’entre nous – comme le disait Jésus – en se faisant du souci, peut ajouter une coudée à la longueur de sa vie ? (Matthieu 6,27 ; Luc 12,25).
Le livre de la Sagesse nous invitait à préférer celle-ci à toute richesse et à tout bien. Et nous avons entendu Jésus montrer à un homme riche ce chemin de sagesse : quitter tout, à cause de Jésus et de l’Évangile. En effet, la sagesse ne nous vient pas de notre faiblesse, mais du fait que, ayant tout quitté, nous suivons le Christ.
Que nous disait le psaume ? « Rassasie-nous de ton amour au matin, que nous passions nos jours dans la joie et les chants. » Seul l’amour du Seigneur peut nous rassasier. Lui seul nous donne des jours de joie, nous rend en joies les années où nous connaissions le malheur, nous fait connaître son œuvre et sa splendeur.
L’évangile en parlait comme d’un centuple. « Le centuple, en ce temps déjà… avec des persécutions, et, dans le monde à venir, la vie éternelle. » Avec des persécutions ! C’est là le signe distinctif de la sagesse de Dieu par rapport à la sagesse de ce monde. La sagesse de Dieu, en effet, est « un Messie crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les nations païennes. Mais pour ceux que Dieu appelle, qu’ils soient Juifs ou Grecs, ce Messie, ce Christ, est puissance de Dieu et sagesse de Dieu » (1 Corinthiens 1,23-24).
C’est encore la sagesse des béatitudes, que les sages de ce monde ne peuvent que trouver absurdes : « Heureux êtes-vous si l’on vous insulte, si l’on vous persécute et si l’on dit faussement toute sorte de mal contre vous, à cause de moi… » (Matthieu 5,11). Nous sommes bien les seuls à jouir du bonheur dans la vraie mesure de nos jours, à recevoir en joies nos jours de châtiment, à connaître son œuvre et sa splendeur, parce que c’est son amour ce qui nous rassasie au matin, c’est-à-dire jour après jour, puisque, comme le dit un livre aussi désolé que les Lamentations, l’amour du Seigneur se renouvelle chaque matin (Lamentations 3,23). « Consolide, Seigneur, pour nous l’ouvrage de nos mains. » Donne-nous, en ce temps déjà, le centuple, avec des persécutions, et, dans le monde à venir, la vie éternelle.

 

 

 


24ème dimanche-B, homélie de frère Marie


Is 50, 5-9 ; Ps 114 ; Jc 2, 14-18 ; Mc 8, 27-35

Comme chaque dimanche nous célébrons le mystère Pascal, au cœur de notre foi. Dans ce mystère pascal nous sommes enveloppés de toutes grâces, nous sommes enveloppés du Christ lui-même. Et cependant la question nous est toujours posée : « Pour vous qui suis-je ? ».
« Tu es le Christ », répond Pierre.
Dans toute la tradition messianique le Fils de l’homme représente la gloire du Messie, l’avènement glorieux du Règne de Dieu sur cette terre, c’est ainsi que le comprennent Pierre et les disciples, et c’est ainsi que nous même voudrions bien le comprendre.
Or, ici, Jésus se présente comme Fils de l’homme dans l’humilité, l’abaissement le plus profond, la dérision, la mort, il n’avait plus apparence humaine nous dit le prophète Isaïe, certes il nous annonce la Résurrection mais à travers ce qui nous semble si absurde. Comment la vie glorieuse peut-elle surgir de ce qui à vue humaine n’est qu’un échec, la mort de l’infâme sur une croix. L’inacceptable, l’incompréhensible, le scandale, telle est la réaction de Pierre, des disciples, notre réaction, et pourtant c’est l’incontournable du plan du salut, du dessein de Dieu pour la rédemption de l’humanité. Nous avons bien du mal à percevoir que là se donne l’amour de Dieu en plénitude, amour que nous sommes invités à contempler au long de notre vie, car nos mots, nos théories seront toujours bien faibles pour en pénétrer la profondeur vivifiante. Porter sa croix comme nous invite Jésus à sa suite, n’est pas une affaire de dolorisme, mais c’est bien nous laisser envelopper au cœur même de nos faiblesses par cette présence victorieuse et aimante qui nous ouvre de nouveaux chemins de vie, qui nous fait renaître à notre liberté d’enfants de Dieu. St Paul nous enseigne : « Alors que les Juifs réclament des signes miraculeux, et que les Grecs recherchent une sagesse, nous, nous proclamons un Messie crucifié, scandale pour les Juifs et folies pour les nations païennes, mais pour ceux que Dieu appelle, qu’ils soient Juifs ou Grecs, ce Messie, Christ, est puissance de Dieu et sagesse de Dieu. Ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes et ce qui faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes ». 1 Co 1, 22ss
Cette réalité va rejoindre au plus profond la situation de tant d’hommes et de femmes et bien souvent la nôtre quand la souffrance, l’échec, la désillusion rendent le sens de la vie humaine absurde, sans horizons. Jésus est allé au-devant de la mort, de ses souffrances, parce qu’il a voulu venir jusqu’à nous, être avec nous. Il a voulu se planter au cœur de notre monde qu’il avait pourtant créé, monde marqué par l’histoire de l’égoïsme de l’homme et de son aveugle liberté. Mais marqué aussi par ce désir secret du bonheur. Ce bonheur dont on ne sait par quel bout le prendre, ce bonheur entaché par ce suprême adversaire de l’homme qu’est la mort, qui fait tout dévier. C’est au cœur de ce qui semble anéantir la vie, de ce qui semble la vider de toute logique que se manifeste dans toute son ampleur l’intervention de Dieu dans nos vies.
Nous pouvons comprendre la réaction indignée de Pierre, elle nous rejoint. Ce n’est que Dieu qui nous fait passer de la mort à la vie. Jésus, par sa vie, sa mort et sa résurrection, nous enseigne que nous sommes faits pour la transfiguration, c’est-à dire pour la gloire divine, plénitude de vie. Mais cette transfiguration nous demande l’acceptation à travers nos vies de la défiguration du Crucifié, dans une solidarité avec l’humanité au cœur même de ses ombres et de ses espérances. Dieu ne nous fait pas vivre sur un rêve de puissance, ni dans le meilleur des mondes, mais il se situe au cœur de notre réalité, et au cœur de notre liberté, là où se choisit le bien ou le mal, l’amour ou la haine, là où sa parole de vie nous rejoint. Il se situe là où le visage de l’autre nous reflète celui du Défiguré/Transfiguré. C’est au cœur de notre liberté et de notre adhésion qu’il veut nous montrer le chemin.
Le Christ nous demande un enracinement permanent en lui, dans son amour, pour non seulement supporter le scandale de la croix, mais pour manifester la puissance de sa vie.

 


 21ème dimanche-B, homélie de frère Bartomeu

Chers frères et sœurs, nous trouvons plusieurs fois dans les évangiles que les disciples, et même les apôtres, ne comprenaient pas ce que Jésus leur disait. Mais ce que nous venons d’entendre, à la fin de l’enseignement de Jésus dans la synagogue de Capharnaüm après la multiplication des pains de l’autre côté de la mer de Galilée, a l’air d’un grand échec de la mission de Jésus.
Voici que beaucoup de ses disciples, qui avaient entendu, déclarèrent : « Cette parole est rude ! Qui peut l’entendre ? » Et à partir de ce moment, ils s’en retournèrent et cessèrent de l’accompagner. Au point que Jésus dit aux Douze : « Voulez-vous partir, vous aussi ? »
Cela pourrait nous évoquer la situation que nous vivons de nos jours, où le nombre de ceux qui se disent chrétiens a tant diminué, où il y en a tant qui disent : « Cette parole est rude ! Qui peut l’entendre ? », et ils s’en retournent et cessent de le suivre avec nous.
Et nous pouvons entendre comme adressée à nous-mêmes la parole de Jésus : « Voulez-vous partir, vous aussi ? »
C’est alors qu’intervient Pierre : « Seigneur, à qui irions-nous ? » Et il poursuit par une profession de foi : « Tu as les paroles de la vie éternelle. Quant à nous, nous croyons, et nous savons que tu es le Saint de Dieu. »
Cette profession de foi de Pierre dans l’évangile selon saint Jean nous rappelle celle que nous trouvons dans les trois autres évangiles. Lorsque Jésus leur demanda : « Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? », Simon-Pierre prit la parole et dit : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ! » Ce qui lui valut justement le nom de Pierre : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église » Matthieu 16,16-18. Cf. Marc 8,29 ; Luc 9,20).
Si ce Pierre à la foi, justement, de pierre pourrait nous sembler éloigné et difficile à suivre, souvenons-nous que ce Pierre qui dit : « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle », ce Pierre qui dit : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ! », est aussi le Pierre qui, tout de suite, se fait rabrouer par Jésus : « Passe derrière moi, Satan ! Tu es pour moi une occasion de chute : tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes » (Matthieu 16,23). Il est le Pierre qui, après d’être vanté : « Si tous viennent à tomber à cause de toi, moi, je ne tomberai jamais », s’entend prédire : « Amen, je te le dis : cette nuit même, avant que le coq chante, tu m’auras renié trois fois » (Matthieu 26,33-34).
Oui, c’est ce Pierre plein d’assurance sincère mais en même temps plein de faiblesse toute humaine, c’est bien ce Pierre qui pourra être notre référence lorsque nous l’entendons dire : « Seigneur, à qui irions-nous ? »
C’est le Pierre qui, après avoir renié trois fois Jésus, lui dira : « Seigneur, toi, tu sais tout : tu sais bien que je t’aime » (Jean 21,17). Comme lui, un moine vers la fin de sa vie avait dit : « Seigneur, toi, tu sais tout : tu sais bien que je voudrais t’aimer. »
Avec d’autres paroles, c’est ce que nous avons demandé avec l’oraison au commencement de cette liturgie : « Dieu qui peux mettre au cœur de tes fidèles un unique désir, || donne à ton peuple d’aimer ce que tu commandes || et d’attendre ce que tu promets ; || pour qu’au milieu des changements de ce monde, || nos cœurs s’établissent fermement là où se trouvent les vraies joies.


Saint Bernard de Clairvaux, homélie du P.Abbé Vladimir

« Que votre lumière brille devant les hommes »

Chers Frères et Sœurs,
Aussi bien l’Évangile de ce jour de fête que toute la liturgie de cette solennité nous montrent saint Bernard comme source de lumière et de sagesse. Il y est comparé à la lampe qui brûle et qui éclaire ce qui nous fait demander au Seigneur de refléter de manière vivante la clarté qui rayonne de ce serviteur de Dieu.
Tout cela nous est-il dit encore vient de ce que notre saint a su reconnaître dans le secret la force et l’intensité de la présence du Seigneur Jésus.
C’est donc cette reconnaissance, ce discernement que nous aspirons à recevoir de lui. Nous aussi le Seigneur vient nous visiter, dans un monde si différent du douzième siècle, un monde d’où Dieu pourrait sembler parfois absent mais où il est comme à tous les temps partout présent. Jésus, le sauveur, Verbe fait chair vient avec la même insistance, avec la même assiduité pourrait-on dire pour célébrer ses noces avec l’humanité.
« De tout mon cœur, je te cherche » avons-nous chanté dans le psaume. Dans un sermon pour la fin de l’année liturgique, Bernard nous donne comme la recette de cette recherche. « Toute notre méditation se résume dans le Christ. . . Plaçons le comme un sceau sur notre cœur. . . Ouvrons lui pour ainsi dire les bras d’un amour qui réponde au sien ».
Nous le cherchons mais c’est lui qui vient nous visiter le premier, gratuitement, sans aucun mérite de notre part. Notre recherche n’est qu’une réponse à cette visite. C’est une des grandes découvertes de saint Bernard, ce que certain on appelé une révolution copernicienne que nous sommes visités par le Sauveur comme dans une valse à trois temps. Il est venu à la plénitude des temps lorsqu’il a marché sur les routes des hommes pour leur enseigner la loi nouvelle de l’amour et c’est le premier temps. Il viendra à la fin, point oméga qui récapitule tout en lui et veut rassembler toute l’humanité et c’est le deuxième temps. Mais dans un troisième temps, voici qu’il vient dans le secret, à cause de cette étrange affinité de l’âme avec le Verbe qui nous permet non seulement de respirer dans l’espoir du pardon mais d’aspirer aux noces avec le Verbe ».
Chers Frères et Sœurs,
S’il vient ainsi, « suivons-le comme le dit encore saint Bernard par l’empressement humble et attentif de notre manière de vivre ». Il y a là comme un résumé de ce que saint Bernard appelle notre Ordre, c’est à dire notre manière de vivre. Notre vie et toute vie chrétienne est une humble attention à Dieu qui vient dans l’humilité, dans l’abaissement, dans la pauvreté. La voie de la sainteté, c’est, en premier, d’accueillir notre humilité, notre abaissement et notre pauvreté pour pouvoir découvrir le Christ dans l’abaissement et la pauvreté de nos frères les hommes. Comment pourrions nous le faire sans en avoir l’expérience. La voie de la sainteté, notre ordre dirait saint Bernard, c’est la paix, la joie dans l’Esprit Saint, dans ce qui dure et non dans l'éphémère.
Notre ordre, c’est la croix du Christ en qui tout cela est transfiguré. Et lui qui pour le moment est caché dans notre cœur jaillira tout entier pour nous transformer tout entier en nous configurant à son corps glorieux.

Que notre lumière brille devant les hommes

 


17ème dimanche – B, homélie de frère Marie

2R 4, 42-44 ; Ps 144 ; Ep 4, 1-6 ; Jn 6, 1-15

Pour nous faire rentrer dans son mystère Jésus nous déplace de l’autre côté de la mer, suivre Jésus, partir à sa recherche c’est changer notre horizon de vie. Les disciples ou les foules qui le suivent quittent leurs lieux familiers pour approcher Jésus, attirés par les promesses contenues dans ses paroles et ses actes.
Jésus gravit la montagne et s’y assit avec ses disciples. Jésus nous élève, pour nous rassembler, nous enseigner et pour nous partager son repas.
Assis sur la montagne Jésus lève les yeux et voit une grande foule venir à lui. Le don gratuit et surabondant de Jésus est en lien avec ce regard qu’il porte sur la foule. Jésus voit ceux qui le cherchent, ceux pour qui il représente une promesse, une espérance, une consolation, ceux qui vers lui cherchent une réponse aux grandes questions de la vie. Le plus grand désir de Jésus est nous nourrir, de nous nourrir de lui-même, de l’abondance de vie qu’il détient.
Le pain signifie par lui-même tous les dons qui sont nécessaires à la vie, et le Christ Jésus en fait le Don par excellence, son corps donné pour que le monde ait la vie en plénitude, mais aussi pour que notre vie porte du fruit de sainteté.
Le pain conforte notre vie corporelle, sans pain on meurt, mais il est aussi le fruit du travail. Il est symbole de consistance, et aussi symbole de partage, d’espérance de fraternité. De là vient le mot de ‘compagnon’. Le pain appelle une solidarité, dont le monde a énormément besoin. A travers le miracle du pain multiplié à profusion Jésus manifeste la solidarité de Dieu à notre égard et il nous invite à faire de même les uns envers les autres.
C’est Jésus qui a l’initiative de ce pain multiplié, le maître du repas c’est lui. C’est lui qui rend grâce, et qui distribue aux convives, nous sommes ses invités. Nous sommes ses invités, mais pas seulement, nous sommes aussi ses disciples et tout comme à Philippe il nous pose cette question : « Comment nourrir ces foules, en prendre soin ? ».
La seule chose que nous pouvons offrir nous semble souvent dérisoire devant les besoins d’une humanité ou d’un monde blessé, une goutte d’eau dans l’océan. Le précepte de charité envers le prochain nous laisse souvent un goût d’impuissance devant l’immensité de la tâche que nous percevons.
Et pourtant dans notre récit, sans ce jeune homme avec la petitesse de son offrande, de ses cinq pains d’orge et ses deux petits poissons, le miracle n’aurait pas eu lieu.
A travers l’action de grâce Jésus multiplie nos petits pains, il nous entraîne dans son don. Et l’évangile de ce jour nous dit que ce geste est éminemment gratuit. Savons-nous, nous laisser atteindre et emporter par l’action de grâce ? Cette action de grâce qui nous fait percevoir le don de la vie, sa beauté fondamentale, cette action de grâce qui nous met en alliance avec Dieu et qui nous met en alliance de vie avec tout ce qui nous entoure ?
Jésus exprime cette alliance en donnant l’ordre à ses disciples de recueillir la surabondance du pain dans des paniers pour que rien ne se perde. Ce n’est pas juste un souci contre le gaspillage, « pour que rien ne se perde » est le souci de Dieu pour l’humanité, c’est ce souci que Jésus aussi nous confie comme à ses disciples.
Notre récit se termine cependant sur une ambiguïté : devant une telle providence la foule ne voit en Jésus qu’un roi qui pourrait subvenir à tous leurs besoins, qu’ils soient matériels ou politiques. Jésus échappe à cette ambiguïté. Il nous apprendra que sa royauté passera par le mystère de la croix, et que lui, qui nous aimera jusqu’à l’extrême, deviendra le pain de nos cœurs. Cette nourriture nous transforme en hostie vivante, en offrande sainte et agréable à Dieu. C’est à travers ce chemin de foi que Jésus nous fait traverser notre petitesse et nos ambiguïtés mais au cœur duquel Jésus nous nourrit de sa fidélité.

 

 

 


Fête de Saint Benoît, homélie du P. Abbé Vladimir

Cher Frères et Sœurs,

« Voici que nous avons tout quitté pour te suivre ».

Alors que le jeune homme riche s’en est allé tout triste à l’invitation du Sauveur de venir à sa suite, en ce jour où nous fêtons saint Benoît, nous sommes invités à nous laisser guider par cet homme de Dieu pour cheminer comme Pierre à la suite du Christ. C’est bien cela le cœur de l’Évangile, le Royaume déjà présent, être uni, être un seul esprit avec le Seigneur.

Tout autant par l’exemple de sa vie que par l’enseignement de la règle qu’il a composé, Benoît se révèle malgré l’écart des siècles un guide incomparable dans notre marche avec le Christ sous la conduite de l’Évangile. Nos premiers pères cisterciens l’on souvent comparé à Moïse à cause de cela. Mais quelle est la terre promise vers laquelle il nous conduit sinon celle de la paix, paix retrouvée avec soi-même, paix avec le prochain même lointain et paix avec Dieu. « Si tu veux avoir la vie véritable, écrit le père des moines dans le prologue de sa règle, cherche la paix avec ardeur et persévérance ».

Mais pour trouver cette paix et recevoir la sagesse qui nait de l’écoute, il nous faut tout quitter non pour obtenir une récompense mais avec gratuité. C’est cela la conversion, le retournement que demande l’Évangile dont la parole nous invite à perdre notre vie pour la gagner : « Qui cherchera à conserver sa vie la perdra et qui la perdra la sauvegardera ». « Oui beaucoup de premiers seront derniers, beaucoup de derniers seront premiers ». Cet enseignement ne concerne pas que les moines. Saint Benoît est patron de l’Europe, car il a quelque chose à dire à tous sur le fait de quitter, sur le renoncement qui est la clef d’une humanisation plus complète.

Pour habiter là où se trouve la paix, non celle du monde mais celle du Christ, il nous faut tout quitter par l’humilité. C’est l’humilité qui nous permet de nous situer à notre juste place et d’avoir des relations justes. La Parole du Seigneur nous invite à passer librement, volontairement,  du propre au commun, pour garder l’unité dans l’Esprit par le lien de la paix. Il nous faut sortir de l’individualisme, du repli sur nous qui rend notre âme courbée, centrée sur elle même pour nous intégrer dans une communauté de personnes à l’image de cette communion parfaite qu’est la Trinité. C’est l’échelle que la Règle écrite par Benoît comme un résumé de la sagesse monastique nous propose de gravir : renoncer à la volonté propre repliée sur elle-même qui ne cherche que la satisfaction de ses désirs, embrasser la patience, mettre toujours les autres devant nous. Par ce chemin, on parvient à cet amour parfait qui bannit la crainte, la peur de soi-même, la peur des autres et la  peur de Dieu. La communion et le partage ne naissent pas de l’abondance sinon notre monde ne serait pas menacé d’être carbonisé dans sa richesse et la multiplicité des biens illusoires qu’il propose à certains tout en les refusant au plus grand nombre. La communauté nait du renoncement et du fait de se quitter. C’est cette vie commune que nous propose l’Évangile quelle que soit notre vocation.

À l’école de saint Benoît et de l’Évangile, recherchons non ce qui est utile pour nous même mais bien plutôt pour autrui. Apprenons à recevoir le monde comme un don dans la lumière de Dieu pour vivre en communion dans la paix.

 

 


14ème dimanche-B, homélie de frère Bartomeu

 

Chers frères et sœurs, nous venons d’entendre que « Jésus se rendit dans son lieu d’origine, et ses disciples le suivirent. » « Son lieu d’origine » – littéralement : « sa patrie » – est bien sûr Nazareth.
Dans l’évangile selon saint Marc – celui que nous entendons lire cette année un dimanche après l’autre – et qui ne dit rien de l’enfance de Jésus, Nazareth y est mentionnée une seule fois, lorsque, après avoir parlé de « Jean, celui qui baptisait, qui dans le désert proclamait un baptême de conversion pour le pardon des péchés » (Marc 1,4), il dit que « Jésus vint de Nazareth, ville de Galilée, et il fut baptisé par Jean dans le Jourdain » (Marc 1,9).
Ensuite nous y lisons que, « après l’arrestation de Jean, Jésus partit pour la Galilée proclamer l’Évangile de Dieu » (Marc 1,14) Mais, parcourant toute la Galilée (Marc 1,39), c’est surtout au bord de la mer de Galilée que nous le trouvons (Marc 4,1 ; 5,1), en particulier à Capharnaüm (Marc 1,21 ; 2,1), dans la maison de Simon et d’André (Marc 1,29 ; cf. 2,15 ; 3,20).
Jusqu’à ce que nous voyons « les disciples en route pour monter à Jérusalem ; Jésus marchait devant eux ; ils étaient saisis de frayeur, et ceux qui suivaient étaient aussi dans la crainte… » (Marc 10,32).
Mais voici qu’aujourd’hui nous trouvons Jésus à Nazareth, sa patrie, son lieu d’origine, d’où il était parti pour se faire baptiser par Jean dans le Jourdain. Il y revient donc et, « le jour du sabbat – comme c’était son habitude (Marc 3,1 ; 6,2) –, il se met à enseigner dans la synagogue. »
Et nous voyons que ses concitoyens se souviennent bien de lui : il est « le charpentier, le fils de Marie, et le frère de Jacques, de José, de Jude et de Simon. Et ses sœurs ne sont-elles pas là chez eux ? » Mais voici que cette familiarité fait qu’« ils étaient profondément choqués à son sujet. » Ils se disaient : « D’où cela lui vient-il ? Quelle est cette sagesse qui lui a été donnée, et ces grands miracles qui se réalisent par ses mains ? »
« Et Jésus s’étonna de leur manque de foi. » En fait, c’est d’un étranger, d’un centurion romain, qu’un jour Jésus dira : « Amen, je vous le déclare, chez personne en Israël, je n’ai trouvé une telle foi » (Matthieu 8,10 ; cf. Luc 7,9).
Ce n’est pas d’une manière humaine que nous connaissons le Christ, écrira saint Paul : « si nous avons connu le Christ d’une manière simplement humaine, maintenant nous ne le connaissons plus ainsi. Car le Christ est mort pour tous, afin que les vivants n’aient plus leur vie centrée sur eux-mêmes, mais sur lui, qui est mort et ressuscité pour eux » (2 Corinthiens 5,15-16).
Chaque dimanche, en particulier avec la célébration de l’eucharistie, nourrit et exprime notre foi. Comme le père de l’enfant possédé, écrions-nous : « Je crois ! Viens au secours de mon manque de foi ! » (Marc 9,24).

 


12ème dimanche-B, homélie de frère Marie

Jb 38, 1.8-11 ; Ps 106 ; 2 Co 5, 14-17 ; Mc 4, 35-41

Aujourd’hui Jésus nous invite à une traversée. C’est lui qui prend l’initiative. Après avoir passé la journée à enseigner depuis la barque qui le tenait un peu à distance du rivage et de la foule, il dit à ses disciples : « Passons sur l’autre rive ». Comme c’est le cas dans le récit de Marc, l’autre rive désigne une terre étrangère. C’est Jésus qui invite au départ, tout comme Dieu dit à Abraham : « Va, quitte ta patrie, va vers ce pays inconnu que je te montrerai, là sera ta bénédiction ». Ou bien comme au prophète Jonas : « Lève-toi, va à Ninive, cette terre étrangère…là-bas sera une autre bénédiction ». Dans les deux cas il s’agit bien de se trouver déplacé dans la foi : à quel Dieu ai-je à faire ? L’un à travers une inconnue, l’autre à travers la tempête de ses résistances.
Une fois Jésus dans nos vies, dans notre barque, il nous dit de même : Allons, déplaçons-nous en terre étrangère, c’est ainsi que tu me connaîtras. Nous nous accrochons à ce que nous connaissons, à ce qui nous rassure, fusse avec peine. Jésus ne se laisse pas enfermer dans nos vues et c’est pour notre bien, c’est pour notre bénédiction.
Au centre de notre récit ce n’est pas tant de la tempête en elle-même qu’il s’agit que de la relation entre le Christ et ses disciples, entre lui et nous. Cette tempête qui survient met cette relation à l’épreuve.
L’enchevêtrement des vagues et du vent évoque une confusion, un chaos qui s’installe, à l’image de nos confusions, quand les situations, les évènements ou les doutes risquent de vider notre existence de son sens, où rien ne va plus de soi, quand notre foi s’en trouve troublée.
Et Jésus dort, apparemment confortablement installé, autant qu’on peut l’être dans une barque de pécheur. Nous pourrions épiloguer sur ce sommeil de Jésus : est-ce une indifférence à la situation, laissant les autres se débrouiller seuls, sans lui ? Sentiment d’indifférence que nous pouvons ressentir lorsqu’on tourne en rond dans nos problèmes : Ça ne te fait rien ?
Nous pourrions épiloguer sur un sentiment d’abandon : Qu’ai-je fait pour que tu me laisse ainsi ?
La concision de l’évangéliste Marc nous suggère autre chose : au cœur du chaos qui agite la nature et la tête des disciples, Jésus dormant évoque la paix, cette paix de Dieu devant l’assurance de son œuvre comme au matin du monde Dieu se reposa pour contempler la bonté et la beauté de son œuvre. Les disciples reprochent à Jésus cette paix. Leurs cris n’est pas vraiment une prière, elle est un reproche, une remontrance : Nous sommes entrain de sauver la situation et toi tu n’es pas avec nous ! » reproche qui ne nous est pas étranger.
Jésus qui est installé à la place du timonier ne prend cependant pas la rame ou le gouvernail, Jésus ne dirige pas notre vie, mais il prend la parole. C’est sa parole qui remet toute chose en ordre, qui dirige toute chose vers la paix, la paix profonde de la vie qu’il nous donne, car sa parole est vie, elle ouvre à sa présence et sa grâce. Cette vie est victoire sur le chaos, victoire sur la mort même. Cette Vie il nous la donne par amour pour nous après avoir vaincue la tempête de la haine et de la mort qui ont déferlé sur lui.
Notre crainte c’est que nous ne voyons pas Jésus comme nous le désirerions, nous le voyons qu’à travers sa parole, et à travers ce que cette parole opère en nous, personnellement et collectivement. Dans cet approfondissement de la foi, qui nous fait avancer en terre inconnue, forts de sa présence, là se trouve notre bénédiction.

 

 


Le Saint-Sacrement du Corps et du Sang du Christ – B, homélie de frère Bartomeu

 

Chaque dimanche, « jour du Seigneur » (Apocalypse 1,10), nous célébrons l’eucharistie, le « repas du Seigneur » (1 Corinthiens 11,20). Nous la célébrons même chaque jour, faisant en quelque sorte de toute notre vie un dimanche. Et aujourd’hui, nous nous arrêtons, pour comprendre « le mystère de son corps et de son sang » et pouvoir « recueillir sans cesse le fruit de sa rédemption », comme disait l’oraison au commencement de cette liturgie.
Nous venons d’entendre, dans l’évangile selon saint Marc, le récit du dernier repas de Jésus avec ses disciples avant sa passion. Nous retrouvons le même récit, avec tout juste quelques petites différences, dans les évangiles selon saint Matthieu et selon saint Luc, et encore dans la première lettre de saint Paul aux Corinthiens. Luc et Paul y ajoutent une parole très importante : « Faites cela en mémoire de moi » (Luc 22,19 ; 1 Corinthiens 11,24-25). Et Paul y ajoute ce commentaire : « Ainsi donc, chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne » (1 Corinthiens 11,26). « Faire en mémoire de lui… » « Proclamer sa mort… » Voyons.
« Jésus, ayant pris du pain et prononcé la bénédiction… Puis, ayant pris une coupe et ayant rendu grâces… » Cette bénédiction, cette action de grâces c’est ce qui donne le sens de ce qu’il fait. Il avait l’habitude de le faire. Nous le voyons faire cela aussi lors de la multiplication des pains et des poissons : « Alors Jésus prit les pains et, après avoir rendu grâces, il les distribua aux convives ; il leur donna aussi du poisson, autant qu’ils en voulaient… » (Jean 6,11). Et c’est encore ainsi que les deux disciples, qui faisaient route vers le village appelé Emmaüs, le reconnurent lorsqu’il il prononça la bénédiction et, ayant rompu le pain, il le leur donna (Luc 24,13.30-31).
Dans notre célébration, que nous appelons eucharistie / action de grâces, la Prière Eucharistique reprend cette action de grâces de Jésus, lorsque nous faisons cela en mémoire de lui : « Vraiment il est juste et bon de te rendre gloire, de t’offrir notre action de grâces, toujours et en tout lieu, à toi, Père très saint, Dieu éternel et tout-puissant, par le Christ, notre Seigneur... » Et c’est en faisant mémoire de Lui, « de sa passion qui nous sauve, de sa glorieuse résurrection et de son ascension dans le ciel, alors que nous attendons son dernier avènement, que nous offrons à Dieu, en action de grâces, ce sacrifice vivant et saint. »
En concluant la Prière Eucharistique, le prêtre qui préside notre célébration proclame : « Par lui, avec lui et en lui, à toi, Dieu le Père tout-puissant, dans l’unité du Saint-Esprit, tout honneur et toute gloire, pour les siècles des siècles. » Et notre réponse « Amen » est le sceau de cette « action de grâces ».
Nous lisons qu’après la multiplication des pains, « quand ils eurent mangé à leur faim, Jésus dit à ses disciples : “Rassemblez les morceaux en surplus, pour que rien ne se perde.” Ils les rassemblèrent, et ils remplirent douze paniers avec les morceaux des cinq pains d’orge, restés en surplus pour ceux qui prenaient cette nourriture » (Jean 6,12-13). Ceci pourrait être l’image de notre vie de chrétiens : lorsque, après avoir célébré le repas du Seigneur, après avoir reconnu le Seigneur à la fraction du pain, nous nous en irons dans la paix du Christ, nous devons emporter symboliquement de ces morceaux pour que toute notre vie témoigne de Lui.

 


5ème dimanche de Pâques-B, homélie de frère Marie


Ac 9, 26-31 ; Ps 21, 26-32 ; 1 Jn 3, 18-24 ; Jn 15, 1-8

 

Dieu, le Père, est d’abord présenté comme le bon cultivateur qui prend soin de sa vigne. C’est une image qui parcourt les Ecritures. Dieu plante et cultive le monde, il cultive l’humanité et l’âme individuelle. Cultiver, prendre soin, garder, n’est-ce pas cette mission qui est confié à l’homme et à la femme qui sont ‘image de Dieu’, dès l’aube de la création ? Le Père n’attend-il pas que l’on réponde à sa bienveillance par nos actes ?
Mais quelle est cette vigne, cette ‘vraie vigne’ dont parle Jésus ?
Jésus fait appel à une relation, une relation intime et vivante entre lui et ses disciples, à l’image de la vigne et de ses sarments.
Dans les Ecritures l’image de la vigne désigne le peuple d’Israël, cep choisi et transplanté dans l’Alliance pour être prémices de la révélation du nom de Dieu, serviteur de ce Nom. Dieu espère en retour la reconnaissance de son Nom, un comportement en actes pour manifester cette alliance de vie.
Malgré cette élection cette vigne, laissée à l’épreuve de sa propre fidélité, peut aussi produire du vert-jus par ses déviances, ou être exposée à la destruction ou à la mort de par de mauvaises alliances humaines, calculatrices. Et Dieu pris aux entrailles de son amour et sa volonté de continuer cette histoire au cœur de l’humanité la sauve, la restaure.
Le peuple de Dieu est aussi désigné par une entité qui le rassemble sous le vocable ‘Le Fils de l’homme’, qui sera repris par Jésus.
Ainsi quand Jésus, Fils de l’homme, annonce : « Je suis la vraie vigne », il désigne par là la réponse parfaite à la mission du Père, au nom de l’humanité. En se désignant comme la vigne véritable Jésus désigne aussi la vigne sauvée. Cette vigne véritable est le Christ crucifié, mort et ressuscité, à la fois vigne et fruit de vie éternelle. Jésus la vraie vigne unit en lui, comme les sarments, tous les membres du nouveau peuple de Dieu, peuple ouvert aux horizons de l’humanité de tous lieux et de tous temps. Tous ceux qui de toutes nations viennent à lui et trouvent en lui un renouveau de vie dans l’Esprit Saint : « Nous reconnaissons qu’il demeure en nous, puisqu’il nous a donné part à son Esprit ». Chaque célébration eucharistique à travers le monde manifeste cette universalité. Une ancienne prière eucharistique de la Didaché rend grâce pour la sainte vigne de David, que Jésus le serviteur nous a fait connaître, vigne qu'il nous a révélée. Nous sommes en Jésus à la fois sarments, chacun unique et vigne par le lien qui nous uni au Christ et les uns aux autres. Le principe de cette union est l’agapè, l’amour du Christ pour ses amis. Cet amour qui se traduit en retour en obéissance amoureuse de la part de ses disciples, une écoute et une mise en actes de l’enseignement de vie qu’il nous transmet et par lequel il nous nourrit.
La 1ère lettre de Jean le formule tout simplement : « N’aimons pas en paroles ni par des discours, mais par des actes et en vérité », là est notre véritable défi, celui de nos bons fruits.
Nous pouvons rapprocher ce projet de culture de la vigne véritable de ce que le concile Vat II nomme ‘l’appel universel à la sainteté’. Cela déplace les clés de compréhension des comportements humains. Cela nous place sur une vision à laquelle notre contexte culturel ambiant de performance et de rendement ne nous a pas préparés. Si nous sommes les sarments de la vigne, alors notre photosynthèse s’opère sous le soleil de l’Esprit Saint, notre développement s’opère sous l’influence d’une éthique divine. Le Verbe de vie est notre nourriture. Dès lors nous parcourons un chemin de foi, car la perfection du projet, ou du produit, nous sera donné au-delà de ce que notre cœur, notre pensée ne peut imaginer car ça dépasse le bonheur que l’homme peut se donner par lui-même. Notre vocation étant, pour faire court, de connaître Dieu et d’en vivre.
Le Christ Jésus, verbe de vie et vigne véritable est notre sagesse, cette sagesse qui guide nos pas pour mieux apprendre et servir, non seulement Dieu, mais l’humanité.
Voici ce que nous dit la Sagesse : « Je suis sortie de la bouche du Très-Haut et comme une vapeur j'ai recouvert la terre…Comme une vigne j'ai produit des pousses gracieuses, et mes fleurs ont donné des fruits de gloire et de richesse. Venez à moi, vous qui me désirez, et rassasiez-vous de mes fruits. Ceux qui me mangent auront encore faim et ceux qui me boivent auront encore soif. Celui qui m'écoute ne connaîtra pas la honte et ceux qui travaillent avec moi ne pécheront point ».

 

 


2e dimanche de Pâques, homélie de frère Bartomeu

 

Chers frères et sœurs, voici que, comme les disciples, « huit jours plus tard » nous nous trouvons « de nouveau dans la maison ». Et ce « huit jour plus tard » est très important.
Nous avons entendu d’abord que « le premier jour de la semaine – c’était le jour de Pâques –, le soir venu, alors que les portes du lieu où se trouvaient les disciples étaient verrouillées par crainte des Juifs, Jésus était venu au milieu d’eux. » Et voici que, « huit jours plus tard – c’est aujourd’hui –, les disciples se trouvaient de nouveau dans la maison, et Thomas était avec eux. Jésus vient, alors que les portes étaient verrouillées, et il était là au milieu d’eux. » Et le premier jour de la semaine devient le huitième jour.
Or ce huitième jour recevra très tôt le nom de « jour du Seigneur ». Nous le trouvons déjà dans le livre de l’Apocalypse, où le voyant écrit : « Je fus saisi en esprit, le jour du Seigneur » (Ap 1,10). Ce nom, traduit en latin par dies dominica, deviendra le nom de ce jour dans les langues latines : domenica, dimanche, diumenge, domingo…, alors que d’autres langues garderont son nom païen : jour du soleil.
Le mot grec que nous traduisons par « du Seigneur », est en fait un adjectif, un adjectif propre au grec chrétien, que nous retrouvons dans la première lettre de saint Paul aux Corinthiens, pour désigner le « repas du Seigneur » (1 Co 11,20). Et c’est le « jour du Seigneur » que nous célébrons le « repas du Seigneur ».
Et nous pouvons dire qu’aujourd’hui, « huit jours plus tard », nous fêtons ce qui a été le premier dimanche, ce jour qui est devenu le jour des chrétiens.
Déjà un des tout premiers écrits après le Nouveau Testament, la Doctrine des Apôtres (14,1), prescrivait : « Le jour dominical du Seigneur – expression pléonastique ! – rassemblez-vous pour rompre le pain et rendre grâces. » Et saint Ignace, l’évêque d’Antioche, martyr au tout début du deuxième siècle, définissait les chrétiens comme ceux qui « vivent selon le jour du Seigneur… afin d’être trouvés disciples de Jésus Christ, notre seul maître » (Lettre aux Magnésiens IX,1).
Nous chrétiens nous devons donc « vivre selon le jour du Seigneur ». Comme ces martyrs d’Abithina, qui en 304, accusés de s’être réunis malgré l’interdiction de l’empereur, répondirent : « Nous ne pouvons pas vivre sans le “du Seigneur” », qui désignait aussi bien le “jour du Seigneur” que le “repas du Seigneur”.
Nous non plus nous ne pouvons pas vivre autrement que selon le jour du Seigneur, selon le dimanche. Saint Jérôme, dans un texte qui a été repris par le Catéchisme de l’Église Catholique, disait : « Le jour du Seigneur, le jour de la résurrection, le jour des chrétiens, est notre jour. C’est pour cela qu’il est appelé jour du Seigneur : car c’est ce jour-là que le Seigneur est monté victorieux auprès du Père » (Catéchisme de l’Église Catholique 1166).
Ce que doit être le dimanche pour nous les moines nous le dit la Règle des quatre Pères (3,6-7) des premiers temps de notre monastère de Lérins, au début du cinquième siècle, lorsqu’elle prescrit : « Le dimanche on ne s’occupera que de Dieu. Ce jour-là, qu’on n’entende parler d’aucun travail, mais que la journée entière se passe à des hymnes, psaumes et cantiques spirituels. »
Chers frères et sœurs : Bon jour du Seigneur, jour des chrétiens.


Jeudi de l'octave de Pâques, homélie de frère Marie

Ac 3, 11-26

« Convertissez-vous donc et revenez à Dieu, afin que vos péchés soient effacés ; ainsi viendront les moments de fraîcheur accordés par le Seigneur » Ac 3, 19-20
En nous, ne manquent pas les germes de ténèbres et d’ignorance qui ont conduit au rejet et à la mort du Juste et de l’Innocent, mais dans ce Nom de Jésus se trouve la complète manifestation de l’amour de Dieu, qui nous donne son pardon sans compter, ce nom de Jésus est notre réconciliation et le gage de notre vie.
Dans son discours Pierre fait une relecture de la mise à mort de Jésus et de la part de responsabilité des divers protagonistes dans cette mise à mort, mais dans ce même discours Pierre s’empresse de ne pas enfermer les hommes dans leur péché, ce n’est pas le but de sa parole, il ne parle pas pour condamner, il parle pour sauver.
Aussi s’empresse-t-il d’ajouter : « Lui, le chef des vivants vous l’avez tué…mais je sais bien, frères, que vous avez agi dans l’ignorance » Ac 3, 17. Par ces paroles il rejoint les paroles de Jésus sur la Croix dans l’évangile de Luc : « Père pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu’ils font » Lc 23, 34.
Cette ignorance que Pierre met en avant est une méprise sur Dieu. Il ne s’agit pas ici d’une simple déficience passagère mais d’une véritable carence, une carence qui empêche d’accéder à la compréhension profonde de l’agir et du projet salvifique de Dieu dans l’histoire des hommes et surtout une carence de compréhension de l’agir de Dieu dans la personne de Jésus. Cette même carence fera de Paul le persécuteur de l’Eglise, avant d’être rejoint par celui-ci sur le chemin de Damas.
Aussi Pierre, témoin du Christ, ne fait pas que pointer cette ignorance, il lève l’incognito de Dieu, pour faire passer de l’ignorance à la connaissance, qui se dévoile en Jésus-Christ, le chef des vivants, connaissance qui ouvre les cœurs à la componction et à la conversion. C’est ce dévoilement qui ouvre la voie de la foi non seulement aux juifs mais aussi aux nations païennes, qui en Christ nous tourne vers le mystère de Dieu. Mystère qui embrasse toute l’humanité. Les Ecritures à la lumière du Christ s’adressent dès lors à tous pour cheminer vers ce mystère, nous orienter. Conversion qui devient une relation vivante, un vivre avec.
Si dans le temps du Carême le regard était tourné vers notre misère, dans le temps de Pâques nous sommes invités à cette humilité qui nous élève, la contemplation de la victoire du Christ, contemplation aidée par les Ecritures, la médiation en Eglise des sacrements et le témoignage fraternel, en nous laissant attirer au cœur de notre ignorance par la lumière du Christ.

 


Lundi de Pâques, homélie de frère Marie

Ac 2, 14.22-33 ; Ps 15 ; Mt 28, 8-15

Chers frères et sœurs,
A travers les lectures de ce lundi de Pâques je retiendrai deux mots pour nous relier à notre aujourd’hui du mystère de Pâques : le mot espérance, en ses deux aspects confiance et espérance, tel que repris par Pierre dans son discours en reprenant le psaume 15 en l’appliquant à Jésus : ma chair elle-même reposera dans l’espérance ou la confiance.
L’autre mot dans le passage d’évangile, Jésus ressuscité déclarant aux femmes quittant avec joie et crainte sacrée le tombeau vide : soyez sans crainte.
Alors que depuis un an nous vivons des temps particulièrement bouleversés, et que nous voyons des médias titrer : le bout du tunnel ? les mots d’espérance, de confiance, ou « soyez sans crainte » ne sont pas de simples échappatoires à la réalité.
Le Christ nous invite par la célébration de son mystère pascal à ouvrir les yeux et l’intelligence de notre cœur à sa présence. Cette Galilée que Jésus invite ses disciples à parcourir de nouveau, avec un autre regard, est notre vie de tous les jours à réinvestir avec la présence du Ressuscité et en engageant notre responsabilité de disciples.
Pierre et les autres disciples avait rencontré l’homme de Nazareth, avait cru à son message sans vraiment le comprendre, avait été témoin de ses miracles. Et cependant devant la passion et la mort de Jésus, Pierre et les autres avait vacillé, ils ont perdu pied, leur logique s’en est trouvée complètement déstabilisée, leur foi n’était pas complète. Il a fallu que Jésus vienne à nouveau à leur rencontre, de par-delà le mystère du tombeau vide, après avoir ouvert un passage dans l’inconcevable, un passage de vie au travers de la mort.
Jésus est venu à la rencontre des femmes, à la rencontre des disciples, comme il vient dans notre aujourd’hui à notre rencontre et nous dit : « Ne crains pas ! Je ne viens pas pour juger tes faiblesses, tes doutes, je ne viens pas pour t’accuser, non je viens à ta rencontre parce que j’ai ouvert pour toi un passage de lumière ! »
« Je viens à ta rencontre car j’ai ouvert pour toi le chemin de la vie. Ne crains pas, je suis venu à toi pour que tu mettes tes pas dans les miens. Pour t’apprendre le chemin de la vie. »
Chers frères et sœurs l’Esprit du Christ nous pousse à vivre dans cette présence du ressuscité, à mettre en œuvre dans notre aujourd’hui notre vivante espérance et notre confiance. Les mettre en œuvre par notre témoignage de vie, par notre charité active, notre sollicitude les uns envers les autres, et notre sollicitude pour le monde qui nous entoure, en sachant dénoncer le mal et poursuivre le bien.
Confions-nous en Celui qui est présent à nos vies et qui nous aime.


Vendredi Saint, homélie du P. Abbé Vladimir

Chers Frères et Sœurs,

Nous voici rassemblés pour la célébration de la Passion. Nous pouvons célébrer la Passion car, par la foi, nous proclamons dans cette célébration que la Croix de Jésus, que la mort du Sauveur est une victoire. C’est ce que déjà Isaïe avait prophétisé et que nous venons d’entendre : « Mon serviteur réussira, dit le Seigneur ; il montera, il s’élèvera, il sera exalté ! La multitude avait été consternée en le voyant, car il était si défiguré qu’il ne ressemblait plus à un homme ; il n’avait plus l’apparence d’un fils d’homme ». L’instrument de torture utilisé de manière privilégiée pour les esclaves est devenu le signe du salut. C’est du haut de la Croix que le Sauveur remit l’Esprit. Il y a la croix bien rigide et bien dure faite de nos refus, de nos violences et de nos égoïsmes, celle de notre incapacité à aimer et c’est du haut de cette croix que le Christ envoie sur le monde l’Esprit qui est amour et vie. « Bien qu’il soit le Fils, Jésus apprit par ses souffrances l’obéissance et, conduit à sa perfection, il est devenu pour tous ceux qui lui obéissent la cause du salut éternel ».
Cette croix, nous allons l’acclamer reprenant le cri des séraphins devant le trône de Dieu : « Saint, Saint, Saint ». C’est à cause de nos péchés qu’il a été cloué sur elle mais c’est par son amour qu’il y est demeuré et c’est blessé au cœur que nous nous écrions : « Dieu Saint, saint Fort, Saint Immortel aie pitié de nous » comme nous pourrions aussi criez avec les mots du larron: « Seigneur, souviens toi de moi ». Il y a dans la croix, dans la passion, une confrontation où l’homme est sommé de choisir entre l’acceptation du salut et la poursuite de son propre péché. Mais nous ne sommes pas seuls, car du haut de la croix Jésus nous tend les bras ; levons les yeux vers celui que nous avons transpercé.
Il y a de multiples manières de regarder la Croix, elle qu’un auteur anonyme du quatrième siècle va jusqu’à décrire comme assurant la stabilité de l’univers. Elle convertit la violence et la haine en amour, elle est cette folie qui seule peut changer le monde. Avançons-nous donc avec pleine assurance vers le Dieu tout-puissant qui fait grâce, lui dont la force se déploie dans la faiblesse, la gloire dans l’humiliation et l’anéantissement et demandons lui de convertir nos cœurs.
Comme l’écrit saint Bernard lui qu’un de ses moines vit comme serré dans les bras du Christ lui-même qui se serait détaché de la croix qu’il vénérait : « Toute notre méditation se résume dans le Christ, et le Christ crucifié. . . Ouvrons lui pour ainsi dire les bras d’un amour qui réponde au sien et suivons le par l’empressement humble et attentif de notre manière de vivre ».
Oui, ouvrons les bras pour laisser tomber tout le reste car il n’y a de vraie richesse que la croix. Ouvrons les bras pour accueillir les hommes avec toutes leurs douleurs et leurs misères car dans le Christ, il n’y a plus de séparation, plus d’étranger et il n’est rien de ce qui peut toucher les hommes qui ne nous concerne. Ouvrons les bras pour nous écrier : Heureux les affligés, heureux les doux, heureux les miséricordieux.


Jeudi Saint, homélie du P. Abbé Vladimir

Chers Frères,

Voici que nous sommes rassemblés en cette fin de journée avec tous les chrétiens du monde et, que par la grâce du sacrement, nous sommes à l’heure annoncée et tant désirée par le Sauveur, celle de sa Pâque. Cette unique Pâque que nous célébrons tous ensemble jusqu’à la consommation des siècles a une double signification. Elle est, en effet, une passion puisque nous faisons mémoire pour l’imiter de tout ce que le Christ a souffert par amour pour nous. Et cette passion nous ouvre à la compassion envers tous nos frères en humanité pour nous apprendre à les servir. Mais elle est aussi un passage puisque Jésus s’en retourne vers son Père comme il l’avait dit à ses disciples. Et avec lui, et en le suivant, nous sommes déjà passés de la mort à la vie, même si cela n’est pas encore pleinement visible. Cette heure est celle de la gloire puisque le Fils y est glorifié afin que le Père soit glorifié en Lui. Elle annonce aussi notre glorification et c’est pour cela que nous avons chanté au début de cette célébration : « Notre gloire à nous, c’est la croix de notre Seigneur Jésus Christ » et que nous avons entendu saint Paul nous dire : « Chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne ». Ne cherchons aucune autre gloire que celle de la Croix du Christ en qui nous recevons la charité et la vie. Elle est comme un pont, comme une échelle qui nous conduit la vie.
Chaque fois que nous mangeons ce pain et buvons cette coupe, nous sommes réunis en cette heure qui est celle de l’amour, d’un amour qui se donne totalement et sans réserve. Jésus aime ses disciples jusqu’au bout et se fait serviteur pour leur laver les pieds. Il manifeste ainsi son amour. « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime ». Nous croyons que cet amour s’étend à tous les hommes même à ceux qui le trahissent. Et nous voulons nous faire les imitateurs de cet amour qui pardonne. Ce que le Sauveur commence en lavant les pieds de ses disciples, il le portera à son achèvement sur la croix. Si notre communauté est fondée sur l’Eucharistie, elle est fondée aussi sur ce que saint Bernard appelle le sacrement du lavement des pieds parce qu’elle fondée sur la Croix du Christ, parce qu’elle est fondée sur le pardon. En nous donnant son corps et son sang, le Sauveur nous donne son amour en partage. Il se dépouille de lui même, il s’humilie pour nous montrer que la voix du rétablissement de la communion des hommes entre eux et avec Dieu est celle de l’humilité qui nous fait juger les autres supérieurs à nous.
Laissons nous conduire par ce Bon Pasteur qui donne sa vie.


Dimanche des Rameaux - B, homélie du P. Abbé Vladimir

Chers Frères et Sœurs,

Quel contraste apparent entre les cris de  la  foule, ceux qui marchaient devant et ceux qui suivaient, entre ce que nous chantions au début de notre célébration : « Hosanna ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur » et le cri que Jésus vient de pousser d’une voix forte : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as tu abandonné ». Et pourtant, c’est du même mystère qu’ils nous parlent, celui du Sauveur, du Dieu fait homme qui est descendu rejoindre toute l’humanité.

« Béni soit le règne qui vient, celui de David » criait encore les foules mais là encore comme une aporie « l’inscription indiquant le motif de sa condamnation portait ces mots : Le roi des juifs ». Il est roi, Jésus notre sauveur, mais dans l’abandon, dans l’anéantissement. « Il ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. . . Il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix ». Il ne s’est pas dérobé, il a partagé jusqu’au bout le drame de la condition humaine pour en faire une dramatique divine source de salut.

« Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as tu abandonné ». Mais l’on pourrait aussi traduire, À quoi, en vue de quoi, m’as tu abandonné. Jésus ne demande pas des comptes à son Père, mais c’est comme s’il contemplait pour le faire sien tout l’immense abandon des hommes du premier jusqu’au dernier, lui qui est  l’alpha et l’oméga. Il est abandonné à la condition humaine qui est parfois capable de toutes les horreurs possibles. Il est compagnon de cellule du prisonnier, il est à l’hôpital avec ceux qui meurent du COVID, il est sur le bateau du migrant qui se prépare à sombrer. Il va même jusqu’à nous poursuivre de son amour, chacun un par un, chacun par son nom, dans nos égoïsmes et nos refus. Il descend jusqu’au bout de la condition humaine pour lancer cette prière.

« Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as tu abandonné ». Jésus prie et nous invite à prier ce psaume qui est comme un résumé de tout le psautier parcourant en entier tout le mouvement de la prière des hommes, de la lamentation à la louange, de la solitude à la communion, de la mort à la vie. Et si Pâques veut dire passage puisqu’après tout l’ange a sauté les maisons marquées par le sang de l’agneau pascal, alors que nous contemplons le Christ qui, élevé sur la croix,  remonte vers son Père, alors que le voile se déchire, écrions nous avec le centurion : « Vraiment, cet homme était Fils de Dieu » et laissons nous saisir par lui comme il veut saisir toute l’humanité pour la guérir, la consoler, la sauver.

Je proclame ton nom devant mes frères.

 


4ème dimanche de carême-B, homélie de frère Marie

 

2 Ch 36, 14-23 ; Ps 136 ; Ep 2, 4-10 ; Jn 3, 14-21

Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé. Ce verset de l’évangile de Jean a toujours de quoi nous faire profondément réfléchir. Le monde d’aujourd’hui avec toutes ses contradictions, et nous avec, a tout autant besoin d’être sauvé que celui d’hier.
La volonté de Dieu à ce sujet est inlassable. Dieu est riche en miséricorde ; à cause du grand amour dont il nous a aimés, nous qui étions des morts par suite de nos fautes, il nous a donné la vie avec le Christ. Le Fils unique, le Verbe de Dieu est venu s’inscrire en notre chair, en sorte que personne ne puisse être délaissé au bord du chemin. Personne n’est destiné à rester dans le fossé.
Il faut tenir ferme que Dieu aime le monde, non la part ténébreuse qui est contraire à sa vie, Dieu ne peut aimer le mal et la mort, mais il aime le monde que nous sommes avec ses désirs de vie, ses fragilités et ses fractures. Ce monde, Dieu le veut et le désire vivant, au point de nous livrer son Unique engendré, sa Parole de vie.
Cette victoire de l’amour et de la vie passe par l’élévation de Jésus, son élévation en croix. L’élévation de Jésus en croix, plus encore que sa mort infamante, désigne sa royauté et sa glorification, car c’est le point culminant de l’histoire de l’humanité, où la chaine de violence et de haine est cassée, brisée par le Prince de la Paix. La vie nouvelle en Christ surgit de cet accomplissement et la résurrection est le déploiement du Règne de Dieu en nos vies. C’est cette grâce qui nous sauve par le moyen de la foi. Cela ne vient pas de nos œuvres, mais être recréés en Christ nous engage dans son œuvre par l’écoute incessante de l’Esprit.
L’évangile de ce jour reprend l’image du serpent de bronze élevé dans le désert, pour l’appliquer au Christ élevé sur la croix.
Le livre de la Sagesse, commentant l’épisode du serpent de bronze, rappelle que la piqûre brulante des serpents servait de rappel afin de ne pas tomber dans l’oubli mortifère des paroles de Dieu et de son action bienfaisante. « Le serpent de bronze dressé sur le bois était là pour rappeler le commandement de la Loi, en effet quiconque se retournait était sauvé, non par l’objet regardé, mais par toi, le Sauveur de tous. Ni herbe, ni pommade ne vint les soulager, mais ta Parole, Seigneur, elle qui guérit tout. » Le Christ est notre onguent de vie et de réconfort. Ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé pour que quiconque croît ait par lui la vie éternelle.
Le serpent dans la Bible n’est pas un animal neutre, il évoque le premier serpent de la Genèse, le diviseur, sa sinuosité évoque la langue menteuse, le mensonge. Ce mensonge qui provoque cette fracture entre l’humanité et Dieu. Tout comme les hébreux au désert, nous connaissons les milles brûlures des défiances, des murmures, de nos manques de foi…Le serpent évoque le péché, ce qui fausse le regard. Or, sur la croix, le Christ sera élevé de terre comme le serpent, mis à la place du serpent. Sur la croix, le Christ sera accusé, identifié au péché, assimilé aux pécheurs. Comme le dit St Paul : « Celui qui n’avait pas connu le péché, il l’a fait péché pour nous, afin qu’en lui nous devenions justice de Dieu ».
En prenant la place du serpent, Jésus ne laisse plus aucune place pour le péché. Il l’a vaincu puisqu’il a pris toute la place et nous a ouvert ainsi un chemin de vie. La lumière est là pour occuper toute la place. Nous devenons libres dans la vérité quand nous tournons vers lui nos impuissances et quand nous livrons nos ténèbres à sa lumière et son amour. Alors nous témoignons vraiment de ses œuvres qui sauve le monde.

 


1er Dimanche du Carême, homélie du P. Abbé Vladimir

Chers Frères et Sœurs,

L’Esprit pousse Jésus au désert. Il y demeure 40 jours tenté par Satan. Il vivait avec les bêtes sauvages et les anges le servaient. Être tentés, nous savons très bien, du moins je le crois, ce que cela signifie. Si nous nous examinons avec sincérité, nous découvrons en nous cette connivence, cette attirance avec ce dont nous savons pourtant très bien que cela ne nous convient pas, que cela ne nous conduit pas à plus d’humanité, en bref le mal. Nous désirons ce que d’un autre point de vue nous ne voulons pas et c’est ce qui provoque en nous ce combat qu’est la tentation. Sans cette secrète connivence, cette attirance, cette pensée dirait les anciens moines qui oriente notre désir, pas de tentation. Mais sans un désir plus profond de faire ce qui nous construit, car c’est cela le bien, il n’y a pas de tentation non plus. Alors il pourrait nous sembler et c’est ce dont se lamente saint Paul en parlant de lui-même que nous sommes comme écartelés entre deux forces contradictoires.
L’Esprit pousse Jésus au désert. C’est juste après son baptême, lorsque la voix venant des cieux le manifeste comme le Fils bien aimé, Celui en qui le Père trouve sa joie. Jésus est tenté mais si nous savons ce qu’est la tentation en nous, la tentation du Fils Bien Aimé reste pour nous un mystère. Il n’y a pas en lui cette connivence avec le mal que nous trouvons en nous. À Celui qui est l’un de la Trinité, s’applique cette affirmation du prophète « Tes yeux sont trop purs pour voir le mal ». Jésus est tenté mais comme nouvel Adam venant récapituler en lui pour en être vainqueur tout le combat que nous livrons au père du mensonge. Jésus est tenté mais cette tentation est un mystère de salut. Elle manifeste son humilité qui guérit de l’orgueil qui est à l’origine de tout péché.
Jésus est tenté et le récit pourtant brusque et schématique de Marc est plein d’enseignement pour nous en ce début de carême. Dans son séjour au désert, il ressaisit toute l’histoire du salut pour la mener à son accomplissement. Avec lui, nous sommes en désert durant ce temps de carême et nous sommes invités à y vivre comme lui une simple confiance au Père. Comme Jésus, tout au long de sa vie jusqu’à sa passion, sa mort et sa résurrection, utilisons ce temps de dépouillement pour grandir dans la confiance en renonçant à tant d’aides illusoires. Le carême est un chemin avec le Christ qui commence aujourd’hui au désert et dans ce chemin, nous rencontrerons la tentation mais ce qui est premier ce n’est pas la tentation c’est l’amour et la miséricorde de Dieu. Jésus triomphe de la tentation pour nous montrer qu’elle ne nous conduit pas à une fatalité inéluctable mais que nous pouvons toujours reprendre le chemin avec lui. Il triomphe pour nous et avec nous. Avec lui, nous ne sommes plus écartelés mais vainqueurs.
Chers Frères et sœurs,
Les temps sont accomplis, le règne de Dieu est tout proche. Avec le Christ, prions le père dans le secret, grandissons dans la nouvelle fraternité qu’il a instauré entre tous les hommes, dépouillons nous de l’accessoire.

 


Mercredi des Cendres, homélie du P. Abbé Vladimir

Chers Frères et Sœurs,

Dans le rite de l’imposition des cendres, il y a une double signification qui comme toujours dans la liturgie nous fait passer de l’extérieur à l’intérieur, du sensible au spirituel, du signe à la réalité.
La première signification de ce rite nous renvoie à la fragilité de notre condition humaine. Dieu a façonné l’homme, poussière prise à la terre comme le dit le livre de la Genèse dans sa version grecque, jusqu’à ce qu’il retourne à la terre d’où il a été pris. C’est cette condition qu’Abraham, le père des croyants reconnaît avec humilité lorsque s’adressant à Dieu pour intercéder pour Sodome, il se déclare poussière et cendre.
Si nous passons, du premier livre des Écritures, la Genèse au dernier, celui de l’Apocalypse, la poussière et la cendre y expriment le deuil et le repentir tel celui de ceux qui se lamentent sur la ruine de Babylone. C’est ce que dit aussi notre Seigneur dans l’Évangile se lamentant sur Chorazeïn et Bethsaïde : « Malheur à vous ! Car si les miracles accomplis chez vous l’avaient été à Tyr ou à Sidon, il y a longtemps qu’elles auraient fait pénitence sous le sac et la cendre».
Chers Frères et Sœurs,
Voici maintenant le temps favorable, pour que ravivant en nous la conscience de notre fragilité et de notre péché, nous reprenions avec plus d’assurance notre chemin vers le Père. Ce chemin lui aussi est comme double car il est un chemin de communion qui nait de notre commune fragilité et un chemin de conversion qui nait de notre condition de pécheurs pardonnés. Comme nous le rappelle le Pape François dans son message pour le carême, ce chemin est entièrement placé sous la lumière de la Résurrection qui fait que la poussière et la cendre que nous sommes devient poussière de gloire et d’éternité. Le rien et même le mal peuvent être envahis par la plénitude de Dieu. Dans cette période troublée et difficile, prenons donc résolument le chemin vers la Pâque, la route vers Jérusalem. Avec liberté, servons nous des instruments des bonnes œuvres que l’Évangile nous indique, la pauvreté et le jeune pour creuser le désir de notre cœur ; le regard et les gestes d’amour vers celui qui est fragile comme nous, pour construire la communion ; le dialogue avec le Père dans le secret pour affermir notre retour vers lui. Si nous nous exerçons sans relâche avec ces instruments, le Seigneur nous donnera ce que l’œil n’a pas vu, ce que l’oreille n’a pas entendu, tous ce qu’il a préparé pour ceux qui l’aiment.

 

 


 4ème dimanche B, homélie de frère Bartomeu

 

Chers frères et sœurs, nous avons entendu dans la lecture du livre des Lévites que le lépreux devait porter des vêtements déchirés et les cheveux en désordre, se couvrir le haut du visage jusqu’aux lèvres, et crier : “Impur ! Impur !”… Et dans la lecture de l’évangile nous avons assisté à la scène émouvante du lépreux qui vint auprès de Jésus et, tombant à ses genoux, lui dit : « Si tu le veux, tu peux me purifier. » Et, saisi de compassion, Jésus étendit la main, le toucha et lui dit : « Je le veux, sois purifié. »
Or le psaume que nous avons entendu entre ces deux textes nous a proposé une clé de lecture de cette lèpre, qui rendait impur, et de cette guérison qui était une purification. Voici ce que nous faisait dire le psaume : « Je t’ai fait connaître ma faute, je n’ai pas caché mes torts. J’ai dit : “Je rendrai grâce au Seigneur en confessant mes péchés.” Et toi, tu as enlevé l’offense de ma faute. » Voici donc que la lèpre devient une image de ma faute, de mes torts, de mes péchés.
Et ces paroles du psaume résonnent, pour nous les moines, comme des paroles reprises par saint Benoît dans sa Règle des moines, lorsqu’il nous dit que le cinquième degré d’humilité est une humble confession de nos mauvaises pensées et actions. Et il cite alors plusieurs psaumes. « L’Écriture – dit saint Benoît – nous y exhorte en disant : “Révèle ta voie au Seigneur et espère en lui.” Et elle dit aussi : “Confessez-vous au Seigneur, parce qu’il est bon, parce que sa miséricorde est à jamais.” Et à son tour le Prophète [et alors il cite] : « Je t’ai fait connaître mon délit et je n’ai pas dissimulé mes injustices. J’ai dit : je m’accuserai de mes injustices devant le Seigneur, et tu as pardonné l’impiété de mon cœur. »
Alors que nous allons commencer le temps du carême, reconnaissons notre lèpre, allons auprès de Jésus, supplions-le et, tombant à ses genoux, disons-lui : « Si tu le veux, tu peux me purifier. » Et faisons nôtres les paroles de notre psaume : « Je t’ai fait connaître ma faute, je n’ai pas caché mes torts. » Paroles qui deviennent étonnantes lorsque nous disons : « Je rendrai grâces au Seigneur en confessant mes péchés. » Et la réponse à cette action de grâces est : « Et toi, tu as enlevé l’offense de ma faute. »
« Heureux l’homme dont la faute est enlevée, et le péché remis ! Heureux l’homme dont le Seigneur ne retient pas l’offense, dont l’esprit est sans fraude ! »
« Que le Seigneur soit votre joie ! Exultez, hommes rendus justes ! Hommes devenus droits, chantez votre allégresse ! »

 


Fête de la présentation de Jésus au Temple, homélie de frère Marie

Aujourd’hui Marie et Joseph portent l’enfant Jésus au Temple, l’évangéliste Luc situe cette offrande dans le cadre des rites de la Loi de Moïse. L’obligation de la loi se manifeste à l’égard de Jésus, cette loi dont il va révéler le sens profond jusqu’à son accomplissement qu’est la manifestation plénière et universelle de l’amour de Dieu. L’évangéliste Luc a le souci d’inviter les communautés chrétiennes à visiter les racines de leur foi dans l’ensemble des Ecritures, dans la longue histoire d’Israël porteur des promesses divines, promesses à relire à la lumière du Christ. Son avènement, sa vie, sa mort et sa résurrection sont l’acte fondateur qui ouvre au salut universel. Cette universalité sera aussi motif de division, signe de contradiction lorsque les païens reçoivent en partage l’héritage des fils de Dieu. Défi de tout accueil.
Luc dans sa rédaction mêle deux rites, celui de la purification de la mère, quarante jours après la naissance, et le rite du rachat du premier-né en rappel de l’action par laquelle Dieu sauva Israël du joug de Pharaon la nuit de Pâques en frappant les premiers-nés d’Egypte : tout premier-né sera consacré au Seigneur ; rite accompli généralement par le père. Mais l’accent du récit est surtout mis sur la présentation au Seigneur. Si Marie et Joseph apportent pour le sacrifice prescrit l’offrande des gens de peu de moyens, deux tourterelles, ils apportent surtout l’Agneau, celui qui enlève le péché du monde. Jésus est le consacré, le Oint par excellence, la Consolation tant attendue. C’est ce que manifeste le vieux Siméon, dont le nom signifie ‘celui qui écoute’, qui entend la voix de l’Esprit Saint et qui sait entendre la voix des Ecritures, tout comme Anne la prophétesse qui se tient en permanence dans le Temple ‘devant la face de Dieu’ dans le jeûne et la prière.
Le Christ est avant tout offrande, il s’offre comme la lumière vivante qui éclaire tout homme, offrande qui nous emporte avec lui. Il est le premier-né d’une multitude de frères.
La lumière arrive sous une forme que l’on n’attend pas, sous la forme d’un enfant, d’une faiblesse. Comme pour le vieillard Siméon ou Anne, seul l’Esprit Saint peut nous ouvrir les yeux du cœur à la reconnaissance de cette lumière qui vient humblement à notre rencontre, au cœur de nos vies comme dans son Temple. Nous avons-là les modèles de l’accueil de Jésus jusque sous les aspects les plus humbles, les plus pauvres, les modèles de l’accueil de sa Parole et de son mystère.
L’humilité, la simplicité et cette pauvreté, ouvrent la porte à l’universalité du don de Dieu, personne ne peut se sentir rejeté, hors de portée. Siméon accueille des gens simples et leur seule gloire est l’Esprit qui les habite. Oui, c’est vraiment l’Esprit Saint qui nous fait avancer, avancer dans la fidélité et le clair-obscur de la foi, qui nous fait espérer et désirer le Christ. C’est l’Esprit Saint qui nous achemine à travers nos réalités de vie vers la pleine expression de nous-mêmes en tant qu’enfants de Dieu, frères et sœurs porteurs du Christ.
Cette fête est une fête d’offrande, Jésus est offrande. Cette fête éclaire le fond de la vie chrétienne, de notre vie baptismale, être porte-Christ, porte-lumière.
C’est aussi pourquoi l’Eglise dédie cette journée à la vie consacrée, à celles et ceux qui ont liés leur vie à la mission du Christ par des vœux, des promesses. Ces vœux ne sont pas un acquis, ils ne se vivent que par l’écoute de l’Esprit Saint, dans la conversion personnelle et communautaire pour sauvegarder la charité. Les vœux évangéliques nous interpellent sans cesse sur la façon de se rapporter au pouvoir, à l’argent, à la sexualité, ils ne sont pas que moyen de contradiction, ils sont aussi force de réflexion et de sagesse pour le bien du monde.
Cette contradiction évangélique interpelle en premier lieu, non les autres, mais les consacrés eux-mêmes, cette interpellation les rend pleinement solidaires de leurs frères et sœurs en humanité, et les fait marcher avec eux en fragiles lumières.

 

 


2ème dimanche B, homélie de frère Marie

1S 3, 3b-10.19 ; Ps 39 ; 1Co 6, 13-20 ; Jn 1, 35-42
En ma bouche il a mis un chant nouveau, une louange à notre Dieu, nous a fait chanter le psaume. Un cœur de disciple ne peut vieillir s’il se laisse interpeller par la Parole vivante de Dieu, un cœur de disciple ne peut vieillir lorsqu’il demande : « Maître où demeures-tu ? ».
Un cœur de disciple ne peut vieillir lorsqu’il cherche à mieux connaître Dieu : « Mon cœur m’a redit ta parole, cherchez ma face !» Ps 26
La Parole de Dieu, dans une ouverture de foi, nous engendre à une réalité complètement nouvelle qui vivifie et transfigure toutes nos réalités humaines, imprégnées qu’elles deviennent de la présence de Dieu, de sa vie, de son amour.
Les lectures de ce dimanche nous redisent l’importance de la médiation que Dieu a choisie pour nous rejoindre au cœur de nos vies, la médiation de la Parole. Une Parole de Dieu donnée à travers la voix d’hommes et de femmes qui ont éprouvés une expérience de Dieu et l’ont transmise aux générations suivantes. D’hommes et de femmes qui ont suivi le Maître au cours de leur vie, qui ont appris à l’écouter pour demeurer avec lui et percevoir sa présence, une présence qui ouvre à la vie de Dieu et à notre transformation intérieure.
Le rapport à la Parole de Dieu est avant tout l’écoute. Le disciple apprend à écouter. Le jeune Samuel dans le temple du Seigneur à Silo entend le Seigneur l’appeler par trois fois, mais c’est le vieux prêtre Elie qui lui apprend à écouter : « S’il t’appelle, tu diras : Parle, Seigneur ton serviteur écoute ». L’écoute établi une relation vivante, une relation de choix.
Lorsque Jean le Baptiste désigne Jésus comme l’Agneau de Dieu, cela résonne immédiatement aux oreilles de ses deux disciples, Jean le Baptiste fait tout d’un coup surgir à leur vue l’Agneau qui court au long des Ecritures. Les disciples entendent et veulent voir de plus prés. Ce qu’ils ont entendu de la voix du Baptiste les attire, c’est un appel. Jésus va les faire passer d’entendre à écouter, dans une relation et un cœur à cœur. Ils veulent demeurer avec l’Agneau de Dieu : Maître où demeures-tu ? Demeurer avec le Maître c’est l’écouter, l’interroger, habiter sa Parole, se laisser habiter par elle et partager des manières de vivre, une amitié féconde. C’est cette demeurance dans la Parole du Maître, qui nous ouvre à l’expérience des Ecritures et à sa présence vivante, qui nous constitue en communauté de vie.
Le disciple apprend aussi à voir. Samuel à l’écoute de la parole de Dieu deviendra le voyant, qui pourra désigner l’action de Dieu en son temps. Jean le Baptiste regarde avec attention Jésus qui passe, qui va et vient, il contemple Jésus qui s’offre au regard pour être reconnu en vérité pour ce qu’il est, l’Agneau de Dieu qui vient en son temps. Les disciples veulent voir, et Jésus s’offre à leur regard, à leur contemplation, et Jésus aussi les regarde et les contemple, c’est le temps de la rencontre.
Voir, ce n’est pas seulement regarder et se faire une opinion, en attendant qu’on fasse ses preuves. Non, ici, voir c’est contempler, expérimenter une vie nouvelle. Le regard prend tout son sens dans une rencontre, un vis-à-vis. C’est s’appliquer à voir Jésus passer et repasser en nos vies à travers sa Parole écoutée, méditée jusqu’à en être émondés, évangélisés. « Heureux les cœurs purs, ils verront Dieu », nous sommes appelés à cette vérité.
Voir ne peut se faire que dans une connaissance à travers un partage de vie. Ce n’est pas une théorie, comme le répètera l’évangéliste Jean, connaître c’est apprendre à aimer.
Ecouter, voir et annoncer. Nous avons trouvé le Messie, Christ, sous-entendu celui que les Ecritures annonçaient, dira le disciple André à son frère Simon et Simon à Nathanaël. C’est ce qu’on appelle aujourd’hui une pastorale d’engendrement.
La parole du Ressuscité veut devenir par nos vies un chant nouveau, un chant à faire entendre aux attentes du monde.

 


Dimanche de la Sainte famille, homélie de frère Bartomeu

Genèse 15,1-6 ; 21,1-3 — Hébreux 11,8.11-12.17-19

Chers frères et sœurs, chaque année, à la fin des Vigiles du jour de Noël, nous entendons la proclamation du commencement de l’évangile selon saint Matthieu : « Généalogie de Jésus, Christ, fils de David, fils d’Abraham. Abraham engendra Isaac… », et la suite (Matthieu 1,1-2…)
C’est le commencement de cette généalogie que nous avons entendu tout à l’heure : « Et Abraham donna un nom au fils que Sara lui avait enfanté : il l’appela Isaac. » Dans cette page du livre de la Genèse, le laconique « Abraham engendra Isaac » de l’évangéliste, nous l’entendons dans son contexte : « “Regarde le ciel, et compte les étoiles, si tu le peux...” Et il déclara : “Telle sera ta descendance !” Abram eut foi dans le Seigneur et le Seigneur estima qu’il était juste. »
Et cette foi d’Abraham, par laquelle le Seigneur estima qu’il était juste, a pour nous une importance sans mesure, c’est pourquoi nous devons chercher à toujours mieux la comprendre.
C’est « grâce à la foi – nous a dit la lettre aux Hébreux – qu’Abraham obéit à l’appel de Dieu : il partit vers un pays qu’il devait recevoir en héritage, et il partit sans savoir où il allait. » Et c’est encore « grâce à la foi que, quand il fut soumis à l’épreuve, Abraham offrit Isaac en sacrifice. Et il offrait le fils unique, alors qu’il avait reçu les promesses et entendu cette parole : C’est par Isaac qu’une descendance portera ton nom. Il pensait en effet que Dieu est capable même de ressusciter les morts ; c’est pourquoi son fils lui fut rendu : il y a là une préfiguration. » Comprenons-le : « Il y a là une préfiguration… » !
C’est par cette foi d’Abraham que Paul comprendra que « ceux qui se réclament de la foi, ce sont eux, les fils d’Abraham » (Galates 3,7). En effet, « si Abraham était devenu un homme juste par la pratique des œuvres, il aurait pu en tirer fierté, mais pas devant Dieu. Or, que dit l’Écriture ? Abraham eut foi en Dieu, et il lui fut accordé d’être juste » (Romains 4,2-3). Quant à nous, « c’est bien par la grâce que nous sommes sauvés, et par le moyen de la foi. Et cela ne vient pas de nous, c’est le don de Dieu » (Éphésiens 2,8).
Voici donc que, alors que nous célébrons la naissance de « Jésus, Christ, fils de David, fils d’Abraham », nous devons comprendre que nous aussi nous sommes les fils d’Abraham, par la grâce et par le moyen de la foi, avec Jésus Christ, ressuscité d’entre les morts.

 


Fête de Saint Etienne, premier martyre, homélie de frère Marie


Ac 6,8-10.7,54-60 ; Mt 10,17-22

Hier nous fêtions la naissance d’un enfant, le Verbe de Dieu en notre chair, aujourd’hui à travers St Etienne nous fêtons l’Eglise naissante qui témoigne de sa foi en Christ.
Un témoignage qui par sa condamnation à mort pour blasphème et par le pardon de ses persécuteurs le configure au Christ Jésus,
L’Evangile reste un signe de contradiction qui vient éveiller nos consciences de chrétiens au cœur d’un monde si préoccupé par la réussite, une course au pouvoir ou son propre ‘bien-être’, au détriment ou au mépris de la dignité fondamentale de toute vie et de tout être humain pour qui le Christ a versé son sang. Un signe de contradiction interne aussi au cœur même de sa propre religion contre tout ce qui enferme dans une intransigeance sectaire, un refus du différent.
Etienne rempli de l’Esprit Saint, avait son regard tourné vers le ciel, nous dit le récit des Actes des apôtres, et il contemplait les cieux ouverts et le Fils de l’homme debout, vivant, à la droite de Dieu.
Ce regard dirigé vers le Haut, ne nous arrache pas aux réalités de la terre, au contraire il nous les fait aimer comme Dieu les aime, jusqu’à donner son Fils, son Unique.
Seul le regard de la foi peut nous faire contempler dans l’enfant de la crèche le Verbe de Dieu fait homme, comme seul le regard de la foi peut nous faire contempler dans le mystère pascal ce même Verbe de Dieu qui s’anéantit jusqu’à la mort sur une croix, pour briser les murs de séparations, briser la haine, car l’incarnation de Dieu dans la pauvreté fondamentale de l’humain, de sa totale dépendance, là est le scandale de la foi chrétienne.
Car Dieu n’a de cesse de nous rejoindre, de vouloir nous relier, non seulement à lui, mais aussi nous relier au mystère de toute femme, tout homme, dont Dieu en son Fils s’est fait solidaire. La vie du Christ nous fonde sur le Roc, elle nous construit en humanité et en enfants de Dieu, elle nous rend témoins de la vie offerte.
L’évangéliste Matthieu nous dit que lorsque nous témoignons de la foi, c’est l’Esprit Saint qui parle en nous, qui nous donne le langage de l’Esprit, le langage de Dieu.
L’Esprit est l’Esprit de vérité, il nous enseigne et nous fait intégrer la vie de Jésus. Cette vie du Christ s’intègre en nous par la charité, une charité active : une charité qui se fait don de nous-mêmes et travail d’enfantement de fraternité.
L’Esprit du Christ qui ne cesse de gémir en nous fait de nous des êtres d’alliance. Comme nous le rappelle l’apôtre Paul, l’amour de Dieu est folie aux yeux des pouvoirs de ce monde, car il est accueil, don et pardon et non quête de maîtrise et de pouvoir sur les autres. Jésus insiste sur le verbe livrer (Mt 10, 17-22) : on vous livrera, ils vous livreront, le frère livrera son frère. Oui, livré au monde comme Jésus lui-même est livré, mais à travers cette radicale pauvreté du don de soi, c’est toute la puissance de Dieu, de son amour, de sa vie et de sa vérité, qui se manifeste. N’éteignions pas l’Esprit. N’ayons pas peur d’être signes de contradiction au cœur de ce monde car cette contradiction parle du sens profond et de la beauté de la vie. Comprendre et intégrer la vie de Jésus c’est aussi ouvrir un dialogue constant avec le monde, au-delà des clivages identitaires, idéologiques ou religieux. En bien des contextes nous savons que c’est un dialogue difficile, voire risqué.

St Etienne que nous fêtons en ce jour a laissé naître le Christ en lui, il est devenu temple de l’Esprit du Christ, il est devenu expression de son amour pour l’humanité, cette humanité que nous sommes et qui a sans cesse besoin de lumière, de discernement, de compassion et de miséricorde.

 


Messe de la nuit de Noël, homélie du P. Abbé Vladimir

Chers Frères,

En cette nuit que nous célébrons, nous sommes invités à contempler la lumière qui brille dans les ténèbres. Déjà dans le judaïsme, au targum de l’Exode, l’on faisait mémoire de ces nuits inoubliables où les étapes du salut se sont réalisées. C’était une nuit comme lorsque le Seigneur se manifesta contre les égyptiens et sa droite protégeait les premiers-nés d’Israël pour accomplir ces paroles de l’Écriture : « Israël est mon premier-né ». Et voici qu’en cette nuit, la grâce de Dieu s’est manifestée pour le salut de tous les hommes comme une lumière éclatante. L’unique premier né de toute éternité, Celui qui est avant tous les siècles se fait petit enfant.
Nous pouvons contempler comme cette lumière est unique et spéciale. Elle nous donne une connaissance nouvelle. La gloire de Dieu enveloppe les bergers c’est à dire les destinataires de la Parole que l’ange annonce : « Aujourd’hui, vous est né un Sauveur qui est le Christ, le Seigneur » mais le signe qui leur est donné reste dans la plus grande banalité, la plus grande obscurité. Ce signe, c’est cet enfant lui-même et l’abaissement de la crèche. La parole porteuse de lumière et de joie nous dit qu’il est Sauveur et Seigneur et de manière incomparable par rapport à cet empereur Auguste qui se croyant le maître veut recenser toute la terre. Lui aussi se prétend, à tort, sauveur et seigneur alors que son empire n’est qu’illusoire. Le chant des anges nous dit qu’il est le Christ, le Messie, l’Unique Premier-né accomplissant toutes les prophéties mais faisant toutes choses nouvelles. Dieu seul est Dieu et pourtant il vient nous rejoindre dans cet enfant. Il s’est donné pour nous. Tout ce qui brille et semble puissant n’est qu’une idole mais le Dieu tout puissant, celui qui aime les hommes est cet enfant sans défense qui apporte la paix. « Et les manteaux couverts de sang, les voilà tous brulés ».
La lumière qui nous éclaire, c’est cette naissance obscure qui donne sens à notre vie. Ne craignez pas dit l’ange aux bergers. Il annonce ainsi la fin de la peur qui paralysait l’homme devant Dieu et devant toute les autres. Ce n’est pas que tout semblera toujours aller bien comme dans les contes mais la paix et la fraternité sont revenues sur terre. En cette nuit, où nous pouvons tous nous sentir séparés les uns des autres par l’épidémie et la misère qu’elle est en train de créer partout alors que d’autres deviendront encore plus riches, laissons nous convertir par cet enfant. Laissons nous conduire par lui à la fraternité puisqu’en lui Dieu est devenu fraternel.
Et voici que, si nous faisons silence, nous entendons la voix des anges chantant la gloire de Dieu et proclamant la paix. Ils louent le Sauveur, Jésus, cet enfant, ce petit d’homme, le Verbe fait chair qui seul peut nous sauver. Ils sont remplis de gratitude, sans jalousie aucune, tous prêts au service. Demandons leur de nous apprendre à chanter comme eux.

 


2ème dimanche de l'Avent, homélie de frère Marie

Mc 1,1-8 Is 40,1-5.9-11 Ps 84 2P3, 8-14

« Ne laisse pas le souci de nos tâches présentes entraver notre marche à la rencontre de ton Fils, mais éveille en nous cette intelligence du cœur qui nous prépare à l’accueillir et nous fait entrer dans sa propre vie. » nous fait demander l’oraison de ce jour.
Cette oraison nous invite à un double mouvement ; celui de la rencontre, qui passe par une remise en ordre, à la lumière de l’Evangile, de nos habitudes, nos attachements, de ce qui peut encombrer notre esprit ; et un mouvement d’accueil et d’écoute qui passe par tout ce qui peut éveiller et entretenir notre foi.
Commencement de l’Evangile de Jésus Christ Fils de Dieu, nous dit St Marc ; la Bonne Nouvelle, l’Heureuse Nouvelle c’est Jésus lui-même dont la liturgie de ce jour nous invite à préparer ses chemins, à laisser sa présence envahir nos vies.
Jésus est cette parole même de Dieu qui vient réaliser l’annonce du prophète Isaïe : « Consolez, consolez mon peuple, parlez au cœur de Jérusalem », oui Jésus est cette parole de Dieu qui console et pénètre le cœur, qui met tout en lumière, cette parole qui juge avec douceur et équité, cette parole qui dégage les voies de notre liberté en nous déliant de nos péchés et en nous régénérant par son baptême dans l’Esprit Saint. Tout ce que l’Esprit Saint opère en Jésus il l’opèrera en nous. En premier lieu une nouvelle intelligence, un nouveau regard sur les réalités qui nous entourent et nous habitent ; le regard et l’intelligence de Jésus même. Nous avons la pensée du Christ dira St Paul. C’est cette pensée du Christ, qui nous habite, qui nous entraine sur un chemin de conversion. Notre vie spirituelle est une lutte spirituelle pour harmoniser, modifier nos agissements en ce monde, et le plus souvent mourir à nos vues propres pour les ajuster aux siennes et ainsi entrer dans la nouveauté de l’Esprit.
Dans l’Esprit Saint la vie concrète de Jésus est relue comme parole normative pour toute l’existence du chrétien dans le monde. Il ne s’agit pas seulement de bien se comporter, mais de placer sa vie sous la Parole. Cette parole qui ouvre un monde nouveau, une création nouvelle en laquelle justice et paix s’embrassent, amour et paix se rencontrent. Là se trouve l’appel, le défi permanent de notre conversion.
Jean le baptiste annonce cette venue, et en l’annonçant il s’efface devant celui qui va nous entraîner sur les chemins de l’Esprit : « Moi, je vous baptise d’eau, dit-il, mais celui qui vient, lui vous baptisera d’Esprit Saint ». Dans la tradition juive l’eau est symbole de la Torah, de la Loi. Le baptême d’eau remet dans l’axe de cette vie vers Dieu. Ainsi dans le psaume 1, le sage, l’homme en chemin de bonheur, qui fuit le mal, est comparé à un arbre qui plonge ses racines dans le courant et porte des fruits en son temps. Mais Jean annonce quelque chose de plus que la Torah, il annonce l’Esprit de celui qui a été oint d’en haut, un haut-delà de la Torah, la manifestation de l’œuvre de Dieu lui-même, son Esprit, sa Parole vivante.
Les convulsions incessantes de notre monde, la récurrence de nos hauts et de nos bas, pourraient nous faire penser que le Seigneur tarde à tenir sa promesse, qu’il se tait comme l’écrit la deuxième lettre de Pierre. Mais s’il se tait pour retenir son jugement, c’est pour que tous parviennent à la Vie, à la conversion. Cependant il ne se tait pas pour faire retentir sa parole à nos oreilles et à nos cœurs. Cette parole qui éveille nos cœurs à la présence au milieu de nous de celui qui doit venir et qui vient.

 


Homélie pour les obsèques 1er décembre de notre familier oblat Pierre, par P.Abbé Vladimir

Chers Frères et Sœurs,

Comme au moment du baptême, lorsque le ciel s’ouvrit et que l’Esprit saint descendit sur lui, Jésus exulte de joie. C’est que nous sommes parvenus au noyau dur de l’Évangile si l’on peut s’exprimer de cette manière. Tu es mon fils, moi aujourd’hui je t’ai engendré dit la voix venant du ciel lorsque jésus prie au Jourdain. « Ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits » nous dit Jésus avec joie encore une fois aujourd’hui.
Il y a un mystère caché aux uns et dévoilés aux autres, celui de la révélation du Dieu, Père, Seigneur du Ciel et de la Terre non pas dans la puissance mais dans l’humilité, non aux grands mais aux petits. La Bonne Nouvelle est révélée aux petits c’est à dire à ceux qui sont socialement moins bien placés, culturellement moins savants, à ceux qui ne sont pas les destinataires logiques d’une chose si précieuse qu’est une révélation, à David plutôt qu’à Goliath pour reprendre une image prophétique.

Nous risquons toujours de réduire ces paroles du Sauveur à une image, une allégorie alors qu’elles nous disent le renversement total des valeurs que la naissance, la mort et la résurrection du Christ ont opéré dans le monde. Déjà Marie le prophétisait en chantant avec l’ange : « Il renverse les puissants de leur trône, il élève les humbles ». Et c’est accompagné, consolé par ces paroles ainsi que par celle du prophète annonçant le monde nouveau que nous accompagnons en ce début d’Avent, Pierre notre frère et familier qui s’en va vers le Père comme le petit qu’il était en vérité.

C’est en 1972 qu’il arriva sur cette île qui n’a plus quitté depuis, sauf les derniers mois, lorsque la maladie ne lui a plus permis de rester parmi nous. Avant son arrivée, deux évènements l’ont marqué pour toute la vie. D’abord comme tous les gens de sa génération (Pierre était né en 1935) la guerre puisqu’il fit son service militaire en Algérie d’où il revint traumatisé. Puis le désir du sacerdoce et du ministère, désir inaccompli puisque les personnes qui étaient responsables de lui au séminaire de Toulon jugèrent et sans doute à raison qu’il n’avait pas les capacités pour devenir prêtre. Ces deux souffrances, celle de la guerre et celle de ne pouvoir être prêtre l’ont accompagné pendant toute sa vie le plus souvent dans le silence même si à la fin de sa vie, il en reparlait beaucoup plus. Et c’est ainsi, comme un petit qu’il fut accueilli dans notre communauté quand il ne lui resta plus aucun espoir d’accéder au sacerdoce suite à un accord entre Monseigneur Barthe l’évêque de Toulon et Dom Bernard l’abbé de cette époque.
Il se mit au service de l’accueil à la porterie et en répondant au téléphone. C’était peut-être ainsi comme une réalisation du ministère qu’il souhaitait tant accomplir. Les nombreux témoignages que nous avons reçus ces jours-ci, en particulier des anciens Jals, disent la qualité de cet accueil, non dans la forme – qui ne se souvient du retentissant « Allo les moines » avec lequel il décrochait le téléphone – mais dans le fond, avec bonté, avec chaleur, comme seul un pauvre peut le faire . Il fut ainsi, pendant des années, comme le visage de l’abbaye, un visage de pauvre et de petit, mais un visage souriant et plein de gentillesse. Que notre cœur sourisse un peu avec lui ce matin alors qu’il s’en va rejoindre tous les petits et les simples que Dieu aime.
En 1984 ou 1985 (car nous avons deux certificats à des dates différentes en témoignage) il émit des vœux privés et devint suivant une expression à laquelle il tenait beaucoup, et que l’on trouve sur un de ces certificats, familier-oblat. Ce n’est pas canoniquement très précis mais c’était pour lui un engagement très important auquel il tenait absolument à être fidèle, d’une fidélité sans détour et sans calcul. Demandons au Seigneur de l’accueillir comme le bon serviteur qu’il était. Avec l’arrivée d’autres familiers, il dut diminuer son service à la porterie mais continua à rendre service à la communauté en travaillant à l’agriculture, en aidant pour les courses et pour le bateau. Renoncer à une partie de son service à la porterie fut une souffrance, mais il l’accepta avec le sourire et sans se plaindre. Car c’est ce qui caractérise les petits dont parle l’Evangile : jamais on ne les entend se plaindre ni critiquer ou dire du mal des autres, et cela nous fait déjà gouter quelque chose du monde nouveau.
Avec l’âge, les ennuis de santé physique et psychique se sont multipliés. Tant qu’il a pu notre Pierre, car il avait décidé d’être un parmi nous, à sa manière a rendu des services, pliant les draps à la lingerie, car pour lui travailler était un signe de fidélité.
Et puis la maladie a pris le dessus et Pierre est devenu à plein temps pensionnaire de l’infirmerie, objet des soins attentifs de Frère Gian Carlo, jusqu’à ces derniers mois. Après le grave malaise qu’il fit le jour de Pâques, il séjourna à l’hôpital puis dans ce que nous appelons aujourd’hui une EHPAD car après avoir essayé un retour sur l’île nous nous sommes rendus compte qu’il ne nous était plus possible de nous occuper de lui.
Ses derniers mois de vie furent difficiles. Le prophète Isaïe nous décrit le monde nouveau réconcilié que nous goutons parfois déjà. Mais comme l’enfant dont nous nous préparons à célébrer la naissance qui bien qu’étant Dieu gouta de la mort sur la croix pour nous, il nous faut nous aussi passer par l’abaissement.
Et les petits le font parfois sans gloire, avec peine, mais c’est pour nous donner une dernière leçon qui est la dignité infinie de notre humanité à l’image du créateur, mais toute petite à tel point que parfois la conscience s’obscurcit.
Et nous voilà rassemblés autour de notre frère pour prier ensemble pour lui :
« Dieu délivrera le pauvre qui appelle
Et le malheureux sans recours »
Heureux sommes nous qui un jour le contempleront.

 


1er dimanche de l'Avent-B, homélie du P. Abbé Vladimir

Chers frères,

Il y a dans le texte original du passage de l’Évangile de Marc que nous venons d’entendre une assonance, presque un jeu de mots que le français ne peut rendre et qui pourtant est plein de sens aujourd’hui en ce début d’Avent. « Restez éveillés : car vous ne savez pas quand ce sera le moment kairos ». « Veillez donc, car vous ne savez pas quand vient le maître de maison Kurios » avec tout le poids que peut avoir ce mot qui veut dire aussi Seigneur. Ce moment pour lequel nous veillons n’a de sens que parce qu’il est celui de la rencontre, de la communion avec une personne, le maître de la maison, le Seigneur, le Verbe qui s’est fait homme et qui est né pour nous sauver. Cette rencontre donne tout son sens, moment par moment à nos vies parce qu’elle n’est pas unique, comme reportée vers la fin. Elle est possible à chaque instant qui nous ouvre ainsisur l’éternité comme une découverte progressive. Elle n’est d’ailleurs possible que de cette manière. Même si nous ne connaissons pas l’heure, nous ne veillons pas dans l’attente d’un inconnu mais nous cherchons comme à tâtons un visage qui se dévoile peu à peu, tout le long du chemin, en nous donnant la force de veiller. Ainsi comme le dit saint Paul : « Aucun don de grâce ne nous manque, à nous qui attendons de voir se révéler notre Seigneur Jésus Christ ».
« De même nous dit saint Bernard qu’il est venu une seule fois dans la chair pour accomplir le salut au milieu de la terre, de même vient-il chaque jour dans l’Esprit pour sauver l’âme de chacun. À son ombre nous vivrons parmi les nations ». Faisons de chaque moment l’occasion de cette rencontre.
Et pour que chaque moment soit favorable et soit une veille joyeuse, il nous faut utiliser les moyens que le Sauveur nous donne à profusion.
Puisqu’il est le Verbe, il vient avant tout par sa Parole. Comme le Sauveur le dit lui-même : « Si quelqu’un m’aime, il gardera mes paroles, mon Père l’aimera et nous viendrons à lui ». Il nous a donné tout pouvoir mais nous devons veiller et garder sa Parole pour qu’elle nous transforme dans notre manière de vivre et l’élan de notre désir. Il faut pour cela tout le silence de l’écoute et l’Avent est un temps de silence. Laissons nous construire par cette parole. Laissons nous conduire par elle.
Cette Parole se fait aussi sacrement qui nous construit comme corps. Le Sauveur s’est fait pain vivant pour être notre nourriture sur la route. Mais prenons bien garde que ce sacrement soit pour la communion non pour la confusion. Notre veille est communautaire mais ne peut l’être que si dans ce corps nous nous accueillons les uns les autres avec nos différences, voir nos oppositions.
Car de cette rencontre, chacun de nos frères en est aussi le sacrement comme nous le dit la Règle de Saint Benoît commentant l’Évangile. Veillons donc à chaque instant dans l’humble service qui nous fait découvrir le Christ.

 


Messe de la nuit de Noël, 

Chers Frères,

En cette nuit que nous célébrons, nous sommes invités à contempler la lumière qui brille dans les ténèbres. Déjà dans le judaïsme, au targum de l’Exode, l’on faisait mémoire de ces nuits inoubliables où les étapes du salut se sont réalisées. C’était une nuit comme lorsque le Seigneur se manifesta contre les égyptiens et sa droite protégeait les premiers-nés d’Israël pour accomplir ces paroles de l’Écriture : « Israël est mon premier-né ». Et voici qu’en cette nuit, la grâce de Dieu s’est manifestée pour le salut de tous les hommes comme une lumière éclatante. L’unique premier né de toute éternité, Celui qui est avant tous les siècles se fait petit enfant.
Nous pouvons contempler comme cette lumière est unique et spéciale. Elle nous donne une connaissance nouvelle. La gloire de Dieu enveloppe les bergers c’est à dire les destinataires de la Parole que l’ange annonce : « Aujourd’hui, vous est né un Sauveur qui est le Christ, le Seigneur » mais le signe qui leur est donné reste dans la plus grande banalité, la plus grande obscurité. Ce signe, c’est cet enfant lui-même et l’abaissement de la crèche. La parole porteuse de lumière et de joie nous dit qu’il est Sauveur et Seigneur et de manière incomparable par rapport à cet empereur Auguste qui se croyant le maître veut recenser toute la terre. Lui aussi se prétend, à tort, sauveur et seigneur alors que son empire n’est qu’illusoire. Le chant des anges nous dit qu’il est le Christ, le Messie, l’Unique Premier-né accomplissant toutes les prophéties mais faisant toutes choses nouvelles. Dieu seul est Dieu et pourtant il vient nous rejoindre dans cet enfant. Il s’est donné pour nous. Tout ce qui brille et semble puissant n’est qu’une idole mais le Dieu tout puissant, celui qui aime les hommes est cet enfant sans défense qui apporte la paix. « Et les manteaux couverts de sang, les voilà tous brulés ».
La lumière qui nous éclaire, c’est cette naissance obscure qui donne sens à notre vie. Ne craignez pas dit l’ange aux bergers. Il annonce ainsi la fin de la peur qui paralysait l’homme devant Dieu et devant toute les autres. Ce n’est pas que tout semblera toujours aller bien comme dans les contes mais la paix et la fraternité sont revenues sur terre. En cette nuit, où nous pouvons tous nous sentir séparés les uns des autres par l’épidémie et la misère qu’elle est en train de créer partout alors que d’autres deviendront encore plus riches, laissons nous convertir par cet enfant. Laissons nous conduire par lui à la fraternité puisqu’en lui Dieu est devenu fraternel.
Et voici que, si nous faisons silence, nous entendons la voix des anges chantant la gloire de Dieu et proclamant la paix. Ils louent le Sauveur, Jésus, cet enfant, ce petit d’homme, le Verbe fait chair qui seul peut nous sauver. Ils sont remplis de gratitude, sans jalousie aucune, tous prêts au service. Demandons leur de nous apprendre à chanter comme eux.


32ème dimanche du Temps Ordinaire – A, homélie de frère Bartomeu

Sagesse 6, 12-16 – Psaume 62 – Matthieu 25, 1-13

 

Chers frères, en cette saison où les jours sont chaque fois plus courts et les nuits plus longues, en ces derniers dimanches du temps ordinaire et au commencement du temps de l’Avent, nous entendons une fois et une autre l’appel à veiller. « Veillez, tenez-vous prêts : c’est à l’heure où vous n’y pensez pas que le Fils de l’homme viendra. » (verset de l’Alléluia : cf. Mt 24,42a.44). Il peut venir à la deuxième, ou à la troisième veille : « Heureux ces serviteurs-là que le maître, à son arrivée, trouvera en train de veiller » (Luc 12,37-38). « S’il arrive à l’improviste, il ne faudrait pas qu’il nous trouve endormis » (Marc 13,36). C’est bien toute notre vie de moines qui se retrouve dans cette invitation.
Et si cet effort de veille peut nous paraître fatigant, le livre de la Sagesse nous a dit que « Celui qui la cherche dès l’aurore ne se fatiguera pas : il la trouvera assise à sa porte. Penser à elle est la perfection du discernement, et celui qui veille à cause d’elle sera bientôt délivré du souci. »
« Celui qui la cherche dès l’aurore… » C’est l’image que nous trouvons une fois et une autre dans l’Écriture, surtout dans les psaumes. « Dieu, tu es mon Dieu, je te cherche dès l’aube » disons-nous avec ce psaume que nous chantons si souvent justement à l’office du matin. « Dans la nuit, je me souviens de toi et je reste des heures à te parler. » Et, avec le prophète Isaïe nous disons : « Mon âme, la nuit, te désire, et mon esprit, au fond de moi, te guette dès l’aurore » (Isaïe 26,9).
Spirituellement nous voulons même devancer l’aurore, et même l’éveiller. « Je devance l’aurore et j’implore : j’espère en ta parole » (Ps 118,147). « Éveillez-vous, harpe, cithare, que j’éveille l’aurore ! » (Ps 56,9 ; 107,3). « Mon âme attend le Seigneur plus qu’un veilleur ne guette l’aurore. Plus qu’un veilleur ne guette l’aurore, attends le Seigneur, Israël » (Ps 129,6-7). Et nous avons répété : « Mon âme a soif de toi, Seigneur, mon Dieu ! »
« Comme l’époux tardait, les dix jeunes filles s’assoupirent toutes et s’endormirent. » L’important est que, comme les cinq prévoyantes, nous ayons, avec nos lampes, des flacons d’huile.
Notre huile pourrait être le bon zèle qui sépare des vices et conduit à Dieu et à la vie éternelle et que nous devons pratiquer avec un très ardent amour : nous honorer mutuellement avec prévenance, supporter avec une très grande patience les infirmités d’autrui, tant physiques que morales, nous obéir à l’envi, ne pas rechercher ce que nous jugeons utile pour nous, mais bien plutôt ce qui l’est pour autrui, nous accorder une chaste charité fraternelle, craindre Dieu avec amour, aimer notre abbé avec une charité sincère et humble, ne préférer absolument rien au Christ, qui nous fera parvenir tous ensemble à la vie éternelle. (Règle de saint Benoît 72).

 


Fête de Toussaint, homélie du Père Abbé Vladimir

 

En ce jour où nous fêtons dans la solitude la communion entre tous les enfants de Dieu, ceux qui sont en chemin et ceux qui sont déjà avec le Christ dans la gloire, nous venons d’entendre le Seigneur nous parler sur la montagne. Dès lors, nous ne sommes plus seuls.
Sa parole est une invitation au bonheur semblable à celle qui retentit au début du psautier : « Heureux l’homme, Bonheur pour l’homme ». Ce matin, souvenons-nous que la vie de l’homme est un chemin, une aventure où aucun de nous n’est seul et où nous sommes invité à la communion. Pour mieux faire notre cette invitation, il est bon de nous rappeler les moments où nous chantons dans notre liturgie les paroles des béatitudes que nous rapporte Mathieu. Le soir du Vendredi Saint, lorsque nous recevons le corps de celui qui vient de donner sa vie pour tous les hommes, c’est au chant des béatitudes que nous le faisons, contemplant celui qui sur la Croix a transformé la malédiction en bénédiction, la mort en vie et la pauvreté en richesse. C’est du haut de la Croix que le Sauveur manifeste pleinement qu’il est le Fils Bien Aimé. C’est par sa mort et sa résurrection qu’il nous ouvre le chemin des béatitudes. Elles y prennent tout leur sens et nous enseignent la sagesse de la Croix. C’est par la croix que nous devenons fils. Nous sommes enfants de Dieu mais nous ne lui sommes pas encore pleinement semblables. C’est en suivant le chemin des béatitudes qui est le chemin même du Christ que nous cheminons vers la ressemblance car elles nous rétablissent dans la paix avec nous même, avec le prochain et avec Dieu. Tous nous sommes appelés à la sainteté et le Christ s’est fait pour cela le chemin, la vérité et la vie. Oui heureux somme-nous d’être appelés.
C’est bien à cause de cela que nous chantons également les béatitudes lorsque nous prions pour les défunts ou enterrons un frère. Si les béatitudes sont pour nous un résumé de la sagesse qui mène au salut, elles sont aussi notre consolation nous qui vivons encore dans ce temps qui est celui de l’épreuve. Réjouissons-nous, car par cette communion que le Christ a établi entre tous ceux qu’il a appelé et qui à cause de cela sont appelés avec justesse des saints, toute notre vie prend sens lorsqu’elle est ressaisie par le Christ. Même si elles nous dépassent, les béatitudes ne sont pas une parole de comdamnation mais un chant de miséricorde. Car la sainteté que nous célébrons aujourd’hui, n’est pas un exploit mais un don qui se manifeste dans le secret. Réjouissons là où nous sommes déjà en espérance avec nos frères communiant maintenant pleinement à l’amour de Dieu qui n’est que miséricorde.

 

 


27ème dimanche-A, homélie de frère Marie

Is 5, 1-7 ; Ps 79 ; Ph 4, 6-9 ; Mt 21, 33-43

 

Les lectures de ce dimanche, à travers la prophétie d’Isaïe et notre passage d’évangile, nous proposent un diptyque : la vigne et les vignerons.
Le prophète nous fait entendre pour son ami le chant du bien-aimé pour sa vigne. Cette relation amoureuse que Dieu établit avec son peuple, ce peuple qu’il a lui-même créé, planté ; la vigne du Seigneur de l’univers, c’est la maison d’Israël, prémices d’une humanité qui porte son nom. La vigne a ceci de mystérieux, la qualité de son bois, par lui-même, n’a aucune valeur, sinon être brûlé. Si la vigne a une valeur et si elle est si précieuse ce n’est que par son fruit, aussi faut-il que son fruit soit bon. C’est bien cela que reproche le prophète : J’attendais de beaux raisins, pourquoi en a-t-elle donné de mauvais. Les beaux raisins que sont la droiture et la justice, les mauvais raisins, le crime et les cris de l’injustice, une humanité flouée. Le bien-aimé avait établi une tour de garde pour veiller à la protection de sa vigne, cette tour de garde que pourrait représenter la Loi de sainteté donnée par Dieu à son peuple pour produire des fruits de paix et de justice, des fruits qui fassent honneur au projet d’humanité et qui veille à ne pas laisser entrer le mal. C’est pourquoi dans les Ecritures, la Sagesse, la Sagesse de Dieu s’identifie elle-même à la vigne : « Comme une vigne j'ai produit des pousses gracieuses, et mes fleurs ont donné des fruits de gloire ». « Venez à moi, vous qui me désirez, et rassasiez-vous de mes fruits. Ceux qui me mangent auront encore faim et ceux qui me boivent auront encore soif. Celui qui m'écoute ne connaîtra pas la honte et ceux qui travaillent avec moi ne pécheront point ». Jésus lui-même en reprendra l’image : Je suis la vraie vigne et mon Père est le vigneron, le bon vigneron pourrions-nous ajouter, qui prend soin de ses plans, les chéri avec bienveillance et miséricorde. Les attire à lui.
Dans l’évangile Jésus adresse la parabole des vignerons aux grands prêtres et aux chefs du peuple, qui faillissent dans leur mission qui est non seulement de rendre attentif à la Loi de sainteté, mais de plus rendre attentif à la nouveauté de Dieu qui se manifeste en Jésus, réalisation des promesses et des prophéties.
Cependant nous aurions torts de penser que cela ne concerne que l’Israël biblique, ces écritures nous sont adressées en Eglise, elles nous instruisent, tout autant prêtres que laïcs. Ces Ecritures nous regardent.
Nous sommes appelés à cultiver la vigne que nous sommes, le don que Dieu nous fait de nous-mêmes, le don que Dieu me fait de mon frère et de ma sœur. De façon analogique, cultiver notre vigne s’est cultiver notre humanité. Si le Christ se désigne comme la vraie vigne c’est qu’il assume notre humanité aussi bien dans sa beauté que dans son bois tordu qu’est l’injustice, l’égoïsme, la haine et la violence, il l’assume en l’aimant et la supportant. En son amour et son humanité le Christ redresse par le don de sa vie, de son Esprit vivifiant, ce qui en nous est tordu et qui ne laisse pas passer la sève qui fournit de bons fruits. Il est notre pierre d’angle sur laquelle nous sommes édifiés. En filigrane de la parabole des mauvais vignerons, on peut lire que ce qui est confié aux vignerons devient leur possession, ils accaparent ce qui leur est confié, jusqu’à vouloir tuer le Fils pour s’octroyer l’héritage. En ce jour qui est la fête de St François d’Assise, en ce jour où le Pape François promulgue son encyclique : « tous frères », cela nous interpelle sur la première des béatitudes en st Mathieu : Heureux les pauvres de cœur, le royaume des cieux est à eux. Thérapie de nos tendances à accaparer, à dominer.
Oui, notre fécondité chrétienne et humaine passe par une forme de pauvreté féconde. La vigne, pour donner, se nourrit de tout ce qui lui est donné. Cette pauvreté féconde n’est pas une apologie de la misère, qui est néfaste et qu’il faut combattre, mais un esprit de pauvreté qui n’abîme pas ce qui nous est confié à travers le don de la vie, le don de notre humanité et de la création qui nous entoure. Tout est lié.
Esprit de pauvreté qui n’est pas négation de la propriété nécessaire, mais refus de tous ce qui lèse et déforme le bien commun, le gaspillage, le consumérisme, le bien uniquement pour soi, autant de comportements qui créent les fractures de notre monde, qui blesse et anéanti le rêve de fraternité. Cette fraternité humaine et universelle, qui ne pourrait être qu’utopique n’est pas un don statique, une fin en soi, elle est le fruit et la dynamique d’une filiation commune sans acception de personne, d’origine, de couleur ou de langue, nous n’avons qu’une seule et unique source, un seul Père. La vigne de la charité ne se nourrit et grandit qu’en se nourrissant de la charité. La fraternité que nous propose le Christ n’est pas une théorie, mais une expérience qui nous change la vie. Cette expérience est communautaire, et sa vraie sève en est l’Esprit Saint, l’Esprit de Dieu agissant en nous. Oui, frères et sœurs cultivons ensemble notre vigne.

 

 


Fête de la Nativité de la Verge Marie, homélie du Père Abbé Vladimir

Chers Frères et Sœurs,

Généalogie de Jésus, Fils de David, Fils d’Abraham, ou si nous essayons de traduire littéralement, livre des origines de Jésus. C’est avec ces mots que l’Évangile de Mathieu commence pour nous introduire au mystère de Jésus. Et c’est ici que nous devons faire un effort de compréhension devant un texte à la fois familier et un peu impénétrable. Il y a là un écho de ce que l’on trouve au livre de la Genèse au début du chapitre 5 dans la Bible grecque avec exactement les mêmes mots : livre des origines des hommes. C’est après qu’Adam eut engendré Seth pour remplacer Abel que Caïn avait tué. L’Écriture, à la suite de cette histoire symbolique de l’entrée du mal et de la jalousie, nous donne toute la liste des descendants d’Adam jusqu’à Noé, le premier homme avec qui Dieu fit alliance. Jésus, l’homme Dieu , né de Marie, nous ouvre à une alliance définitive qui rétablit l’homme dans la communion.
Il est Fils d’Abraham car il est l’héritier par excellence des promesses, il est Fils de David car c’est sous ce nom qu’à son époque le peuple élu attendait le messie. Mais il fait toute chose nouvelle. C’est par Marie que le salut nous est donné. Nous venons d’entendre une longue succession d’engendrements se terminant par « Jacob engendra Joseph, l’époux de Marie de laquelle fut engendré Jésus ». Le maître de l’histoire entre dans l’histoire car comme il sera dit en songe à Joseph, l’enfant engendré en Marie vient de l’Esprit Saint, c’est l’Emmanuel, Dieu avec nous.
En ce jour, nous fêtons la nativité de Marie, la naissance de celle qui accueillit en elle le Verbe de Dieu pour lui donner sa chair. Demandons lui d’intercéder auprès de son Fils pour que nous obtenons la grâce de laisser le Verbe prendre aussi racine en nous pour faire advenir le royaume.

 

 


Fête de St Bernard, homélie du Père Abbé Vladimir

Chers Frères et Sœurs,

« Vous êtes le sel de la terre, vous êtes la lumière du monde »
Les textes de la liturgie de ce jour nous présentent saint Bernard à la fois comme un exemple, un guide et une lumière pour que nous devenions nous aussi lumières selon cette parole de l’Évangile : « Vous êtes la lumière du monde ». Nous avons pour cela à la fois sa vie et ses écrits. Mais tant de siècles nous séparent de lui qu’il nous est parfois difficile de les interpréter. Il est une tâche pour les savants qui est celle de comprendre et d’expliquer le plus justement possible ce qu’a fait et voulu dire Saint Bernard en le resituant dans son époque et ce travail nous est très utile. Mais pour les simples que nous sommes ou que nous aspirons à devenir, il est une autre mission. Et cette mission, c’est Bernard lui-même qui nous la donne en écrivant au début de son commentaire du Cantique des Cantiques que nous devons bruler du désir non pas tant de connaître que d’expérimenter.
Il faut pourtant bien comprendre ce qu’il veut dire là : Expérimenter ce n’est pas nous laisser balloter par les vagues du sentiment et du ressenti, c’est nous laisser inspirer par la vie et les écrits de saint Bernard d’une manière pratique pour que cela transforme notre vie. C’est devenir sel et lumière en nous laissant saler et éclairer par ce que saint Bernard a vécu en méditant et commentant les Écritures ainsi qu’en cherchant la présence et l’amour du Christ dans la communauté. Les textes et la vie de saint Bernard deviennent alors une invitation non à l’imitation mais à l’inspiration. Car nous ne devons pas imiter les saints d’une manière servile mais nous laisser inspirer par eux pour devenir saints à notre tour selon la volonté de Notre Père des Cieux. Car, tous, nous sommes appelés à la sainteté.

« Vous êtes la lumière du monde »
Pour devenir lumière, la première expérience que Bernard nous invite à faire est celle de la connaissance de nous même. C’est ce par quoi commence selon lui, cette aventure tout à fait unique qu’est notre vie dans ce monde, notre retour vers le Père dans le Christ. Cette connaissance est connaissance de notre faiblesse et de notre fragilité mais dans la lumière de l’amour de Dieu manifesté en Jésus Christ : « Pour moi, tant que je regarde en moi-même, écrit saint Bernard « mon œil demeure dans l’amertume ». Mais que je regarde en haut et que je lève les yeux vers le secours de la divine miséricorde, aussitôt la joyeuse vision de Dieu adoucira l’amère vision de moi-même. . . . Ce n’est pas une médiocre vision de Dieu que d’expérimenter combien il est bon et se laisse fléchir, car « il est vraiment bienveillant et miséricordieux, et il pardonne volontiers la méchanceté ». Sa nature est la bonté, et ce qui lui est propre, c’est de toujours faire miséricorde et d’épargner ».

« Vous êtes le sel de la terre »
Pour devenir sel, si nous voulons suivre l’invitation des écritures, l’expérience que nous sommes invités à vivre et qui est communautaire est de découvrir la lumière de la vérité dans notre frère. Cela n’est pas réservé aux moines car l’Église toute entière est une communauté fraternelle. Ce sel est celui de la miséricorde. Écoutons encore saint Bernard : « Les miséricordieux découvrent bientôt la vérité dans leur prochain, lorsqu’ils étendent leurs affections à son endroit et qu’ils se conforment tellement à lui par les sentiments de la charité, qu’ils ressentent ses misères ou ses avantages comme si c’étaient les leurs propres ». Par l’amour qui se fait miséricorde, l’expérience de la connaissance de soi devient expérience de la conformation aux frères et donc expérience de la communion qui nous fait sortir de nous-mêmes et nous délivre de la prison de notre égoïsme. C’est cela l’extase de la charité fraternelle qui conduit à la communion à Dieu dont parle notre saint.

Chers Frères et Sœurs,
Laissons nous de tout notre cœur à l’école de Notre Père Saint Bernard éclairer et saler par l’amour du Christ qui surpasse toute connaissance pour partager le bien de la communion.

 


20ème dimanche A, homélie de frère Marie

Les lectures de ce jour nous interrogent sur le sens de la mission de l’Eglise envers le monde et du sens de cette mission pour chacun des membres du Christ que nous sommes.
« Ma maison s’appellera : maison de prière pour tous les peuples » nous dit Isaïe.
« Ton chemin sera connu sur la terre, ton salut, parmi toutes les nations » nous dit le psaume. « Le monde a été réconcilié avec Dieu. Les dons gratuits de Dieu sont sans appel et sans repentance. » Nous dit St Paul. Et dans l’évangile de ce jour une étrangère va avoir part au même pain que les élus.
Jésus se retire dans la région de Tyr et Sidon. Jésus se poste à la frontière entre deux mondes, le monde des juifs et des païens. Comme toute frontière elle peut être exclusion ou lieu de rencontre et de passage. Ainsi Jésus se poste ainsi sur toutes les frontières de nos vies qui nous séparent de l’autre différent.
Une femme Cananéenne avait entendu parler de Jésus, une renommée qui faisait tourner son cœur vers l’espérance que Jésus pouvait délivrer sa fille. Cette femme d’origine païenne s’approcha de lui avec une insistance et une confiance déroutante. L’évangéliste Matthieu combine dans la supplication de cette païenne des titres christologiques propres aux premières communautés chrétiennes : « Seigneur ! et Fils de David ». Le titre Fils de David issu probablement des communautés chrétiennes d’origine juive et Seigneur titre plus usité par les communautés chrétiennes d’origine païenne. Ainsi à travers ce récit se pose la question du défi de l’accueil et de l’intégration en Eglise des diverses provenances, d’origine et de culture. Les risques d’exclusion, d’appartenance ou de communautarisme se tiennent eux aussi à nos frontières personnelles et ecclésiales lorsqu’il s’agit de rencontrer et d’accueillir les différences. Défi toujours d’actualité dans nos sociétés si pluralistes. Dans la vision de l’ancien Israël, même si à travers les prophètes les nations sont appelées à rallier le Dieu de l’Alliance, cependant certains peuples comme les cananéens semblaient à jamais exclus : « Tu ne concluras pas d’alliance avec eux » dit le Deutéronome.
Face aux cris d’espérance de cette femme, Jésus se retrouve confronté au sens de sa mission : « Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël », répond-il d’abord. Si en Matthieu Jésus accompli les prophéties et la loi c’est qu’il vient à nouveau rassembler ce peuple qui n’a plus de guides et le guider vers le royaume promis. La première mission d’Israël était d’être témoin et lumière au milieu des nations du Dieu vivant et Unique. Mission que le Christ va élargir à l’Eglise de toutes les nations. Pour reprendre l’expression du Pape François : les périphéries appellent. Avec Jésus nous devons nous tenir en éveil aux diverses frontières de notre monde, être attentifs à ses appels pour être des ponts en vrais disciples du Christ. Pour Jésus c’est tout le sens de sa mission qui se joue là : vers qui le Père l’a t’il envoyé ? Mais le récit interroge toute la communauté chrétienne : à quelle communion dans la diversité sommes-nous appelés ? Le Christ n’appartient pas aux factions d’Eglise, mais tous nous appartenons au Christ.
Le Christ fait sauter les murs d’exclusion.
Les païens mangent au même pain que les élus, les miettes que la Cananéenne réclame appartiennent à un même et unique pain, le pain de vie, celui que le Père a envoyé pour que le monde ait la vie. Le Christ lui-même fait de toutes ces miettes un seul pain, il s’est lui-même émietté. Le critère n’est plus l’appartenance d’origine, la provenance, mais la foi en Jésus, l’espérance qu’il éveille.
Nous non plus, nous ne sommes pas enfermés en Eglise, nous faisons partie de ces miettes ramassées en un seul pain, c’est la foi en Lui qui nous rassemble, et notre mission avec le Christ est d’accueillir, d’aider fraternellement ceux qui se laissent toucher par les petites voix qui murmurent la présence de Dieu parmi les hommes.

 


 19ème dimanche -A, homélie du Père Abbé Vladimir

Chers Frères et Sœurs

Le Sauveur n’est pas venu sur terre pour nous apprendre à marcher sur les eaux même si cela serait fort utile aux habitants des îles que nous sommes. Pierre doute de la présence réelle du Seigneur devant ce qui lui semble un prodige effrayant car survenant de nuit et sur la mer. Comme pour se rassurer, comme pour le forcer à se révéler, il demande à Jésus de pouvoir faire la même chose que lui, de posséder la même puissance. En lui disant : « viens », le Sauveur semble acquiescer à sa demande mais il veut en fait l’instruire et nous instruire par lui.
Tant que Pierre pense qu’il peut marcher sur les eaux comme Jésus, il est à la merci du moindre coup de vent. S’il pense et si nous pensons avec lui pouvoir être ou faire comme le Sauveur, nous allons au devant d’un échec. L’imitation de Jésus Christ, puisque ce qui est le titre d’un livre célèbre est devenu une expression presque proverbiale dans le christianisme n’est pas de l’ordre de la performance. Elle ne fait pas de nous les super héros dotés de super pouvoirs que le monde aime tant mais nous invite à répondre au même appel que Pierre en entendant la voix du Sauveur qui nous dit vient pour nous mettre à sa suite en criant : « Seigneur, sauve-nous ! ». Dans l’Évangile les guérisons et les miracles sont des signes et si la marche de Jésus sur les eaux dans la nuit est le signe de la toute-puissance du Rédempteur sur le mal, nous ne pouvons l’imiter et le suivre sur cette voie qu’en criant même si ce n’est qu’avec le cœur : « Sauve –nous ».

Chers Frères et Sœurs,

Il n’y a que deux voies. Ou bien, par la foi, nous acceptons de nous mettre humblement sur les traces de jésus et dans ce cas l’Évangile, quoi que cela puisse vouloir dire, nous promet que nous pourrons même faire des œuvres plus grandes que les siennes ou bien nous entretenons la prétention d’être ou de faire comme lui et dans ce cas, nous allons au devant du naufrage.
C’est en raison de cela que Pierre est appelé par Jésus, homme de peu de foi. Non que celle-ci puisse se mesurer ou se peser sur une balance. Saint Bernard au XII siècle commençant son commentaire du Cantique des Cantiques qui est sa grande œuvre situe la foi sur le registre de l’expérience nous invitant à bruler du désir non de connaître mais d’expérimenter. Car la foi est de l’ordre de ce lien que le prophète Élie expérimente à l’entrée de la caverne dans la brise légère. Huit siècle plus tard la plus grande romancière catholique américaine du XX siècle Flannery O’ Connor, dans son journal de prière, décrit cette même foi non comme un concept à défendre mais comme un assentiment, une adhésion venant d’une certaine expérience du plus profond de l’être.
Il est bon de connaître, il est bon de défendre mais si nous voulons crier vers le sauveur comme Pierre pour lui être indéfectiblement uni dans toutes les tempêtes de la vie , il est encore meilleur de bruler du désir que seul l’Esprit peut donner de cette expérience de communion avec le Verbe qui nous a rejoint dans l’humilité de notre chair. Vraiment il est le Fils de Dieu.


Fête de la Transfiguration-A, homélie de frère Marie

Aujourd’hui avec Pierre, Jacques et Jean sur la montagne Jésus nous laisse entrevoir la promesse à laquelle la voix du Père nous appelle de toute éternité.

Jésus laisse entrevoir cette gloire qu’il possède auprès du Père de toute éternité avant que le monde fût. Cette lumière est aussi lumière de la résurrection, lumière du corps de Jésus glorifié, source de vie divine et éternelle. Baptisés en Christ nous avons revêtus le Christ, cette Gloire nous la  partageons dés ici-bas dans la foi, puisque par la foi le Ressuscité est présent à nos vies. Cette gloire divine cachée à nos yeux de chair, c’est l’Esprit Saint, l’Esprit du Père et du Fils qui la fait habiter en nos cœurs, c’est par lui que nous pouvons confesser Abba, Père, et que nous pouvons confesser Jésus est Seigneur.

St Bernard commente ce passage d’évangile en disant que nous apercevons la lumière de la résurrection sur la montagne de l’espérance.

Oui, c’est bien dans cette vertu d’espérance que nous tendons vers cette réalité céleste par laquelle nos corps de misère, dit St Paul, seront transformés en un corps de gloire, de par la puissance de ce même Esprit qui a ressuscité Jésus Christ d’entre les morts.

Au long de l’évangile, Jésus gravit plusieurs montagnes, montagnes qui sont autant de repères pour nous qui sommes en pèlerinage sous la guidance de Jésus, de sa Parole et de sa grâce, vers les tentes éternelles.

Il y a la montagne sur laquelle il a été transfiguré, pour que tu saches vers quoi tu dois tendre. Il y a la montagne sur laquelle il a prononcé les paroles de vie, les béatitudes, pour que tu saches comment parvenir à ce à quoi tu tends. Il y a la montagne de Gethsémani au mont des Oliviers sur laquelle Jésus a prié pour que tu te soucies d’accorder ta volonté à celle de Dieu, afin de poursuivre ta route de disciple et de parvenir.

Le serviteur transfiguré qui aujourd’hui laisse transparaître sa gloire divine, sera aussi le serviteur défiguré : « Voici l’homme » dira Pilate en exposant Jésus humilié, visage défiguré qui est le reflet de l’humanité blessée que nous pouvons rencontrer tous les jours, dans une vie qui devient si instrumentalisée ou privée de sa valeur de don. C’est cette humanité que le Christ assume pleinement dans sa Gloire conférant à l’homme son entière beauté et dignité.

Après avoir perçu le rayon de gloire, les disciples doivent retourner dans l’humble vallée du monde présent, pour partager les efforts de Jésus dans la réalisation et la manifestation de son royaume en ce monde, c’est le partage de sa croix qui sera aussi l’héritage de sa gloire. Dans cette humble vallée Dieu nous semble bien caché : Ne me caches pas ta face, Dieu de mon salut ! Supplie le psalmiste.

Mais Jésus ne nous laisse pas orphelins, il a dressé lui-même la tente non faite de mains d’homme dans laquelle il demeure en permanence avec nous. A chaque fois que nous écoutons sa voix, nous nous mettons en marche vers la montagne de l’espérance et nous pouvons dire en vérité, « Seigneur, il est heureux que nous soyons ici ».

 


Dix-septième dimanche du Temps Ordinaire – A , homélie de frère Bartomeu

 

Chers frères et sœurs, depuis quelques dimanches, et pendant treize semaines, nous sommes en train d’entendre, un dimanche après l’autre, la lecture de la lettre de saint Paul aux Romains. Lettre longue et très importante, qui demande beaucoup d’attention. Et, pour nous y aider, les fragments lus chaque fois sont courts.
Dans la page qui nous a été lue aujourd’hui – juste trois versets – l’apôtre nous disait : « Dieu nous a destinés d’avance à être configurés à l’image de son Fils, pour que ce Fils soit le premier-né d’une multitude de frères. »
Voyons en premier lieu que veut dire que le Fils de Dieu soit « le premier-né d’une multitude de frères » ? Cinq fois dans le Nouveau Testament Jésus-Christ est dit « premier-né ».
D’abord, dans la lettre aux Colossiens, nous lisons : « Il est l’image du Dieu invisible, le premier-né, avant toute créature. » (Colossiens 1,15) C’est ce que, dans quelques instants, nous proclamerons avec les paroles de la profession de foi : …Fils unique de Dieu, né du Père avant tous les siècles… Engendré, non pas créé, de même nature que le Père, et par lui tout a été fait.
Mais tout de suite après cela l’apôtre l’appelle « le premier-né d’entre les morts ». Il écrit : « Il est la tête du corps, la tête de l’Église : c’est lui le commencement, le premier-né d’entre les morts. » (Colossiens 1,18) Lui qui est « le commencement » – « avant tout créature » avait-il dit – est « le premier-né d’entre les morts », c’est-à-dire le premier-né de nous. « Premier-né » dit alors son rapport avec nous. L’expression est reprise dans l’Apocalypse de saint Jean : « le premier-né des morts, qui nous aime, qui nous a délivrés de nos péchés par son sang, qui a fait de nous un royaume et des prêtres pour son Dieu et Père, à lui, la gloire et la souveraineté pour les siècles des siècles. Amen. » (Apocalypse 1,5-6)
Si dans le passage de la lettre aux Romains que nous avons entendu aujourd’hui, saint Paul dit que le Fils est « le premier-né d’une multitude de frères » c’est bien parce qu’il est passé par la mort, parce qu’il est « le premier-né d’entre les morts ». C’est parce qu’il est le premier-né d’entre les morts, qu’il est le premier-né d’une multitude de frères. Lui qui, d’après la lettre aux Hébreux, est « le Premier-né dans le monde à venir ». (Hébreux 1,6)
Et voici que, pour qu’il soit le premier-né d’une multitude de frères, Dieu nous a destinés d’avance à être configurés à son image, lui qui est l’image du Dieu invisible.
Au commencement, lorsque Dieu créa le ciel et la terre, nous avons été créés à l’image de Dieu et selon sa ressemblance (Genèse 1,1 et 26-27). Mais, après le péché, il faut que nous soyons configurés à Jésus-Christ, le Fils de Dieu, lui qui est l’image du Dieu invisible, pour que nous soyons vraiment à l’image de Dieu et selon sa ressemblance.
Alors nous pourrons dire avec saint Paul : « Je vis, mais ce n’est plus moi, c’est le Christ qui vit en moi. Ce que je vis aujourd’hui dans la chair, je le vis dans la foi au Fils de Dieu qui m’a aimé et s’est livré lui-même pour moi. » (Galates 2,20).

 

 


14ème dimanche – A, homélie de frère Marie

Les lectures de ce jour font résonner à nos oreilles des mots qui font appels à la joie, à l’humilité, à la douceur, à la paix, à la bonté, au repos.
Tous ces mots trouvent des échos en nous, car nous aimerions bien vivre tout cela, ou du moins un peu de cela, la vie en serait tellement plus légère, tout comme le joug léger de Jésus !

Les paroles du prophète Zacharie trouvent toujours autant d’échos dans notre monde d’aujourd’hui. Il nous annonce la venue d’un roi juste et victorieux, victorieux mais humble monté sur un âne. Un roi briseur de guerres, proclamant la paix aux nations et dont le règne de justice et de paix s’étendra d’un bout du pays à l’autre. L’âne ou la mule était une monture courante au Moyen-Orient, même pour des princes, Salomon lui-même fût intronisé sur la mule de David. Le cheval était une monture guerrière, il symbolisait la volonté conquérante. Jésus, lui, entrera à Jérusalem, acclamé comme roi messie, sur un ânon et non sur un cheval car il ne vient pas pour la guerre.

Oui, nous aspirons à la paix et à plus de justice, mais cette paix ne peut passer que par une véritable conversion des cœurs, conversion des mentalités. Il nous faut un maître qui nous enseigne à savoir régner sur nous-mêmes et qui nous enseigne les véritables chemins de notre humanité, les véritables chemins qui peuvent rendre notre humanité bienheureuse et notre monde mieux habitable.

Devenez mes disciples, nous dit Jésus, car je suis doux et humble de cœur.
Douceur, humilité, il ne faut pas se méprendre sur les termes. Nous rejoignons là l’enseignement des béatitudes. L’humilité et la douceur ne sont pas de simples comportements passifs, mais une prise de position et un comportement éthique et spirituel face à des situations d’injustices, d’oppression et de violence. La douceur et l’humilité concordent avec la faim et la soif de justice, concordent avec les artisans de paix et les miséricordieux. Nous sommes là devant des vertus actives. Il ne s’agit pas d’une position de soumission, mais de résistance face au mal, face à la violence et à l’orgueil de ceux qui veulent dominer les autres d’une manière ou d’une autre et qui sont aveugles au regard de Dieu sur l’humanité.
Nous savons où cela a conduit Jésus : la croix est le triomphe de la douceur du Christ dont le sang versé n’appellera pas la vengeance, mais sera source de salut pour le genre humain, expression de l’amour qui se donne à l’extrême, l’amour vainqueur.
Or, nous dit Jésus : le serviteur n’est pas plus grand que son maître. Suivre Jésus c’est aussi nous mettre dans cette position de fragilité et de confiance. Prendre sur soi le joug du Christ c’est refuser de répercuter sur autrui la violence et ses ravages, fussions-nous victimes de celle-ci ; être assoiffés de justice en refusant de rendre le mal pour le mal.
Aujourd’hui le Christ nous appelle et à travers lui c’est tout l’amour du Père qui se penche vers nous. Le Christ Jésus est notre médiateur et notre maître, lui seul peut vraiment nous faire connaître le vrai visage de Dieu. Ce Dieu trop souvent déformé à l’image de nos aveuglements et de nos peurs ou de nos convoitises de pouvoir.
« Le Seigneur est tendresse et pitié, lent à la colère et plein d’amour. La bonté du seigneur est pour tous, sa tendresse pour toute ses œuvres », nous fait proclamer le psaume.
Le Christ Jésus nous fait rentrer dans ce mystère, car c’est lui qui nous le manifeste, il est le Fils par excellence et que c’est à lui que le Père confie de nous le faire connaître et d’entrer dans le mystère de notre divine filiation.

 

 


12ème dimanche du Temps Ordinaire – A, homélie de frère Bartomeu

Chers frères et sœurs, la lecture du livre du prophète Jérémie et le psaume que nous avons entendus tout à l’heure, nous ont rapporté un écho de la liturgie de la semaine sainte. En fait ce même passage du prophète nous est lu le vendredi avant le dimanche des rameaux, et le psaume nous l’entendons le mercredi saint. Et alors, bien sûr, ils nous parlent de Jésus allant à la passion.
C’est sa voix que nous entendons dans le psaume : « C’est pour toi que j’endure l’insulte, que la honte me couvre le visage : je suis un étranger pour mes frères, un inconnu pour les fils de ma mère. L’amour de ta maison m’a perdu ; on t’insulte, et l’insulte retombe sur moi. » Comme nous avions déjà entendu la voix de Jésus lorsque le prophète disait : « Seigneur de l’univers, c'est à toi que j’ai remis ma cause. » Et encore – prophétie de la résurrection : « Chantez le Seigneur, louez le Seigneur : il a délivré le malheureux de la main des méchants. »
Aujourd’hui le prophète et le psaume nous aident à comprendre la page de l’évangile selon saint Matthieu que – dans la lecture suivie de cet évangile – nous venons d’écouter.
Jésus nous a dit : « Ne craignez pas les hommes… Ne craignez pas ceux qui tuent le corps sans pouvoir tuer l’âme… » Ce que le psaume nous aide à vivre lorsque nous pouvons joindre notre voix à celle du Christ : « C’est pour toi que j’endure l’insulte… L’amour de ta maison m’a perdu… », après lui avoir dit avec le prophète : « C’est à toi que j’ai remis ma cause ».
Jésus nous disait encore : « Vous valez bien plus qu’une multitude de moineaux. » Et avec le psaume nous proclamons : « Les pauvres l’ont vu, ils sont en fête : “Vie et joie, à vous qui cherchez Dieu !” Car le Seigneur écoute les humbles. »
Et lorsqu’il nous dit : « Quiconque se déclarera pour moi devant les hommes, moi aussi je me déclarerai pour lui devant mon Père qui est aux cieux », nous disons avec le prophète : « Mais le Seigneur est avec moi », et avec le psaume nous chantons : « Dans ton grand amour, Dieu, réponds-moi, dans ta grande tendresse, regarde-moi. »
Ce que Jésus disait aux Apôtres le prophète et le psaume nous aident à l’entendre comme une invitation à vivre en « ayant toujours en nous – selon l’expression de la lettre aux Philippiens – les mêmes sentiments qu’a eus le Christ Jésus » (Ph 2,5).

 


Dimanche de Pentecôte, homélie de frère Marie

 

Si je voulais définir par deux mots l’Esprit Saint, je choisirais : le don et le lien.
C’est à travers le sacrement du baptême que ces deux aspects se réalisent comme don de vie nouvelle et lien permanent au mystère du Christ qui fait communion et qui forme le mystère de l’Eglise.
Les Ecritures nous disent que l’Esprit est souffle : puissance vivifiante et aimante de Dieu qui accompagne sa création. L’Esprit remplit l’univers, et il soutient tout dans l’existence. L’Esprit est lumière en qui il n’existe aucun mal et aucune ombre, l’Esprit est amour, et Dieu est Esprit nous dit st Jean. L’Esprit est aussi soutient, il maintient et fortifie notre foi à travers même notre humaine faiblesse, à travers nos hésitations, nos doutes et nos peurs. Il prie en nous.
L’Esprit Saint est don, par son effusion en nos cœurs c’est l’amour du Père et du Fils qui est donné aux croyants en guise de Loi. C’est le don de la vie nouvelle. L’Esprit Saint est lien, il est lui-même cette Nouvelle Alliance, qui est réalisée en Christ et qui nous est communiquée. Il nous lie au Christ Jésus pour avancer et vivre notre mystère d’enfants de Dieu, il nous lie les uns aux autres à travers nos diversités et notre unicité, il nous lie à la création qui nous entoure. C’est lui qui façonne en nous des entrailles de compassion et de miséricorde.
« Ceux-là sont fils de Dieu qui sont conduits par l’Esprit de Dieu. » nous dit St Paul
Il nous fait nous écrier : « Abba ! Père ! »
A quelle liberté nous pousse l’Esprit de Dieu ?
L’Esprit Saint nous libère en ce qu’il nous ouvre à l’écoute et la réception de la Parole de Vie.
Cette parole de vérité qui nous engendre, comme le dit l’épître de Jacques, qu’il nomme aussi loi parfaite de liberté.
Il y a donc un lien indissociable entre Parole et Esprit, Liberté, Vie, Vérité et Amour.
Si nous voulions résumer, la Parole réalisée en Jésus-Christ est loi nouvelle dans l’Esprit.
Mais qui dit Loi Nouvelle dans l’Esprit, dit obéissance dans la foi et son opposé désobéissance comme résistance à l’Esprit.
L’Esprit Saint suscite en nous de grandes aspirations, un désir de conversion, un désir de changement de vie. Un changement de vie qui, par un agir plus juste, plus proche de l’exigence de sainteté nous met en tension vers Dieu. Nous met aussi en tension de communion les uns envers les autres. En tension de don et de pardon.
Mais ne nous y trompons pas, l’Esprit Saint n’est pas un cocon maternant et sécurisant, l’Esprit ne nous laisse pas tranquille, justement car il œuvre à la sainteté.
Lors du baptême de Jésus au Jourdain, l’Esprit Saint descend sur Jésus et la voix du Père le désigne comme le Fils bien-aimé. Tout pourrait s’arrêter là, mais non l’Esprit pousse Jésus au désert pour affronter les tentations, pour affronter cette petite voix du diable qui lui souffle que s’il est Fils de Dieu, il pourrait s’éviter les soucis, les déboires et les privations du commun des mortels. Là sont peut-être les tentations courantes du chrétien. Il en de même pour nous, l’Esprit Saint nous assure que nous sommes des enfants bien-aimés, mais cet amour nous pousse sur les pas de Jésus, pour nous laisser engendrer à notre vie nouvelle et résister à nos fausses sécurités, nos fausses tranquillités et peut-être à nos compromissions, bref à tout ce qui nous soustrait à notre profondeur humaine où nous attendent le Christ et l’Esprit. C’est dans cette conduite de l’Esprit, cette tension permanente de l’Esprit, que Jésus nous assure sa joie et sa paix.

 

 


Fête de l'Ascension, homélie du Père Abbé Vladimir

Chers Frères

Saint Bernard commente à de nombreuses reprises le mystère de l’Ascension qui est celui de l’élévation dans la gloire de Dieu du Sauveur ressuscité dans la chair. En s’appuyant implicitement sur la Règle de Saint Benoît, il insiste à chaque fois sur le fait que c’est en descendant que le Dieu fait homme est monté. « Pour ma part, dit-il, je crois qu’il est monté par le fait même qu’il est descendu. Ainsi fallait-il que le Christ descende pour nous enseigner à monter ». À partir de cette idée nous pouvons comprendre l’apparente contradiction que nous trouvons dans les textes du Nouveau Testament de la liturgie de cette fête. Dans les Actes des Apôtres nous lisons que deux hommes en vêtements blancs disent aux apôtres que Jésus a été enlevé au ciel d’auprès d’eux alors que la fin de l’Évangile de Mathieu fait dire à ce même Jésus qu’il est avec nous tous les jours jusqu’à la fin du monde.
Le Christ est élevé et enlevé pour nous révéler vers où doit se porter le désir de notre cœur, Il est avec nous pour montrer que notre vie en ce monde sera dressée vers le ciel si notre cœur s’humilie. Il est enlevé dans la gloire mais il reste avec nous d’une autre présence mystérieuse en nous envoyant comme témoins. L’Ascension est comme une annonciation faite aux apôtres pour les envoyer en mission. L’entrée dans la gloire du Royaume de Celui qui a été crucifié pour nous est l’aboutissement de sa venue dans la chair. Et pourtant, dans notre monde, le Royaume est déjà présent mais de manière cachée et nous sommes envoyés pour le faire grandir comme l’arbre qui pousse et reverdit.

Aujourd’hui, nous pouvons dire dans toute sa plénitude cette parole du Notre Père : « Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel ». Avec le Christ dans la gloire, nous ne formons qu’un seul corps et lui qui est la tête nous met en communion les uns avec les autres, nous rend solidaires de tous les hommes dans une même fraternité. Les reliques de Saint Honorat sont présentes ce matin pour nous montrer que cette communion n’est pas limitée dans le temps. Ce matin, en ce temps si particulier, notre Église habituellement pleine rassemblant les cannois avec les descendants de leurs plus anciennes familles est comme déserte. Mais dans la communion des saints, tous sont présents invisiblement en vue de former un seul corps car celui qui en est la tête aspire à rassembler tous les hommes. Que notre prière les rende présents. Restons ferme dans la prière pour que cette volonté du Père de tout récapituler soit manifestée sur la terre comme au ciel. Et si le Christ est avec nous, C’est le message de l’Évangile que rapporte le même Mathieu en évoquant le jugement qu’il n’est jamais plus présent que dans les membres de son corps les plus fragiles et défaillants, les pauvres, les étrangers, les prisonniers.
Unis à la prière de tous les moines ayant vécu sur cette île depuis Honorat, demandons au Christ dans la Gloire de faire descendre sur le monde la miséricorde du Père.

 

(Le jour de l’Ascension les descendants des anciennes familles cannoises viennent en pèlerinage sur l’île avec de nombreux cannois pour renouveler l’acte d’allégeance fait par leurs ancêtres en 1448. Puisque ce n’était pas possible cette année la communauté a prié pour tous les cannois à la fin de la messe.
L’idée que l’Ascension est une annonciation faite aux apôtres vient d’une homélie de Christian de Chergé qui a été martyrisé avec les autres moines de Tibhirine le 21 mai 1996)

 

 


5ème dimanche de Pâques A, homélie de frère Bartomeu


« Nous sommes une descendance choisie, un sacerdoce royal, une na-tion sainte, un peuple destiné au salut. » Nous l’avons entendu tout à l’heure dans la lecture de la lettre de saint Pierre. Et l’apôtre poursuivait : « pour que vous annonciez les merveilles de celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière. » Voici ce que nous fait revivre ce temps de Pâques, ce jour qui dure cinquante jours.
Cette première lettre de saint Pierre – que nous sommes en train d’écouter pendant ces six dimanches du temps pascal – est adressée « à ceux qui, choisis par Dieu, séjournent comme étrangers en diaspora dans les ré-gions du Pont, de Galatie, de Cappadoce, dans la province d’Asie et en Bithy-nie… »
Mais, au-delà de cette géographie concrète, elle s’adresse à nous qui, nous aussi, choisis par Dieu, séjournons comme étrangers en diaspora. Et à propos de cette condition d’étrangers en diaspora ce n’est pas sans significa-tion le fait que nous venons d’au moins six pays différents.
Il y a trois semaines, le deuxième dimanche de Pâques, alors que nous avons commencé la lecture de cette lettre, nous y avons entendu que « Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus Christ, dans sa grande miséricorde, nous a fait renaître pour une vivante espérance grâce à la résurrection de Jésus Christ d’entre les morts, pour un héritage qui ne connaîtra ni corruption, ni souillure, ni flétrissure. » « Renaître pour une vivante espérance grâce à la résurrection de Jésus Christ d’entre les morts… » C’est bien la grâce de notre baptême que nous fait revivre la célébration de Pâques.
Le dimanche suivant, l’apôtre nous exhortait à « vivre dans la crainte de Dieu, pendant le temps où nous résidons ici-bas en étrangers », nous qui « avons été rachetés par un sang précieux, celui d’un agneau sans tache, le Christ. » « Vivre dans la crainte de Dieu, en étrangers ici-bas. » C’est bien notre vie concrète, notre vie de tous les jours, qui doit correspondre à notre condition de « rachetés par le sang du Christ. »
Ce que nous aidait à comprendre la suite de la lecture, dimanche der-nier, lorsque nous y avons réentendu les versets du cantique que nous avions chanté aux Vêpres chaque dimanche pendant le carême : « Le Christ lui-même a souffert pour nous… Par ses blessures, nous sommes guéris. »
Après avoir ainsi contemplé le Christ, aujourd’hui l’apôtre nous invi-tait : « Approchez-vous du Seigneur Jésus : il est la pierre vivante rejetée par les hommes, mais choisie et précieuse devant Dieu. » Jésus lui-même, en discutant au Temple avec les grands prêtres et les anciens du peuple, s’était appliqué le verset du psaume : « N’avez-vous jamais lu dans les Écritures : La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle : c’est là l’œuvre du Seigneur, la merveille devant nos yeux ! » (Matthieu 21,42). Ce qui permet à l’apôtre de nous dire : « Vous aussi, comme pierres vivantes, entrez dans la construction de la demeure spirituelle, pour devenir le sacer-doce saint et présenter des sacrifices spirituels, agréables à Dieu, par Jésus Christ. »
La suite dimanche prochain.


Vigile pascale, homélie du P. Abbé Vladimir Gaudrat

Chers Frères,

Nous avons entendu Mathieu nous le raconter dimanche dernier : le rideau du sanctuaire se déchira en deux, la terre trembla, les roches se fendirent et puis vint le temps du silence lorsqu’on déposa le Sauveur au tombeau. Ce temps du silence, le Christ, à deux reprises, l’avait annoncé lorsque dans l’Évangile de Mathieu que nous lisons aussi en cette nuit, il avait parlé du signe de Jonas. Voici que dans le silence, le crucifié s’en est allé rejoindre tous ceux qui gisaient dans la mort jusque dans les profondeurs des enfers, sans aucune distinction, jusqu’au premier homme disaient les Pères, comme pour n’en oublier aucun. Ce que Jésus n’avait pas encore accompli dans sa vie, il l’accomplit par sa mort et son retour à la vie. Il devient le Sauveur de tous. Il récapitule tout en lui.
Et voici que dans l’obscurité de cette nuit, une parole est confiée aux femmes pour qu’elles en soient les témoins. La terre tremble de nouveau et les gardes tombent à terre mais l’ange dit aux femmes : « Soyez sans crainte. Je sais que vous cherchez Jésus le Crucifié. Il n’est pas ici car il est ressuscité comme il l’avait dit ». Cette parole retentit dans le silence tout autant que son messager brille comme l’éclair. Mais cette parole n’est pas à conserver, elle est à transmettre et voilà les femmes qui courent éclairées par elle : « Soyez sans crainte, allez annoncer à mes frères qu’ils doivent se rendre en Galilée » leur dit Jésus lui-même venant comme en passant à leur rencontre sans se laisser retenir.
Et comme de mains en mains, à travers les siècles, cette parole nous est parvenue jusqu’à aujourd’hui, en cette nuit unique, à ce moment de nos vies où les hommes devraient être ensemble et sont séparés les uns des autres. Mais cela n’est-il pas comme le dévoilement d’une part de la réalité. Nous devrions comme fruit de cette parole être tous ensemble, réconciliés comme des frères mais ce n’est pas encore pleinement manifesté.
« Il est ressuscité ». Voilà que cette parole retentit dans la nuit et en cette nuit si particulière, je ne peux m’empêcher de penser et de prier avec et pour tous ces chrétiens persécutés et opprimés pour qui cette parole ne peut être vécue que de manière cachée. Je fais mémoire de ces chrétiens de Japon et de Corée et de tout l’extrême orient qui pendant des siècles n’avaient que le nom de Jésus et le baptême transmis dans le secret pour garder allumé le flambeau de la foi. À cause de cette parole, soyons sans crainte aucune car le Christ est ressuscité et cette bonne nouvelle nous est confiée en cette nuit pour que nous en vivions et en témoignons. Voici que le Ressuscité est là à notre porte et nous le reconnaitrons à la fraction du pain et au partage. Voici que cette Bonne Nouvelle du salut va prendre corps en nous, laissons nous transformer par elle, laissons nous conduire par elle vers la plénitude de la Charité pour humblement en témoigner.
Le Christ est ressuscité et ayant été rejoindre tous les hommes, il donne une valeur infinie à tout ce qui est communion même non consciente à son amour. Le Christ est ressuscité et de l’ouvrier de la première heure jusqu’à l’ouvrier de la dernière heure, tous témoignent de lui, chacun à sa place aussi petite peut-elle sembler.
« Il est ressuscité ». Soyons la voix de tous en cette nuit en chantant l’Alléluia pour tous et en priant pour tous


Vendredi Saint, homélie du P. Abbé Vladimir Gaudrat

Chers Frères,

La bienheureuse Égérie qui dans les années 380 fit un pèlerinage de plusieurs années en Orient, nous raconte dans son journal, dont une partie nous est parvenue, comment les chrétiens de Jérusalem font déjà dès cette époque ce que nous allons faire cet après-midi. Elle écrit que l’évêque au matin du vendredi encourage les chrétiens en leur disant : « Reposez-vous un peu, et vers la deuxième heure du jour, soyez tous ici pour que de cette heure jusqu’à la sixième heure, vous puissiez voir le saint bois de la croix qui, chacun de nous le croit, sera utile pour notre salut ». Dès cette époque et jusqu’à aujourd’hui les chrétiens font cette chose étonnante de vénérer un instrument de torture et de voir en lui le signe du salut. C’est pourtant d’une certaine manière ce que Jean annonce déjà lorsqu’il nous dit à la fin de son récit de la Passion: « Ils lèveront les yeux vers celui qu’ils ont transpercé ». Jésus condamné, mis en croix est le serviteur souffrant annoncé par Isaïe, le juste et l’innocent condamné que prophétisent les psaumes que nous avons chanté tout au long de cette journée, l’homme qui accomplit la loi comme l’annonce le psaume 118 que nous méditons pas à pas.
Levons les yeux de notre cœur vers celui que nous avons transpercé. De son sein coulent des fleuves d’eau vive. Nous avons en lui un grand prêtre éprouvé en toutes choses, à notre ressemblance, excepté le péché. C’est en lui qu’est notre vie et notre refuge. Il est le Dieu caché ; toute sa puissance de salut est cachée dans ses mains clouées sur le bois.

Levons nos yeux vers le crucifié. Tout près d’ici dans la vallée de la Roya à la fin du XVe
siècle, le peintre Canavesio dans la chapelle Notre Dame des Fontaines à la Brigue, à une période où l’épidémie de peste est encore menaçante, représente avec une vraie justesse spirituelle, le corps du Christ, lors de la mise en croix, couvert des pustules de la peste bubonique Sur la Croix, le Sauveur a pris sur lui tous nos maux et toutes nos amertumes pour les changer en douceur. Un peu plus de 250 ans auparavant, François d’Assise avait parlé de cela à propos du baiser au lépreux dans son testament : « Voici comment le Seigneur me donna, à moi frère François la grâce de commencer à faire pénitence. Au temps où j’étais encore dans les péchés la vue des lépreux m’était insupportable. Mais le Seigneur lui-même me conduisit parmi eux ; je les soignais de tout mon cœur ; et au retour, ce qui m’avait semblé si amer s’était changé pour moi en douceur pour l’esprit et pour le corps. »
Regardons celui que nous avons transpercé et présentons lui toutes nos souffrances et celles des hommes. Il y a le Christ pestiféré de Canavesio, le Christ lépreux de François d’Assise et de saint Damien de Veuster. Il y a celui que le Père Timothy Radcliffe appelle la Pieta du Sida représentant un malade du SIDA reposant entre les bras de Jésus. Ce même Sauveur nu et désarmé sur le bois prend aussi sur lui les souffrances des malades de l’épidémie qui nous afflige aujourd’hui et veut nous associer à son œuvre.

Un jour, nous aussi nous verrons celui qui fut suspendu à la croix, nous verrons ses blessures qui nous guérissent. Avec saint John Henry Newman, disons lui dès aujourd’hui : « Souviens toi de moi, Seigneur, avec miséricorde ; ne te souviens pas de mes péchés, mais de ta propre croix . . . Souviens-toi au dernier jour que je me suis souvenu de toi durant ma vie, que j’ai ressenti tes souffrances ».
Voilà l’échange où nous sommes sauvés.


Jeudi Saint, homélie du P. Abbé Vladimir Gaudrat

Chers Frères,

Sur les deux portes du tabernacle qui est dans la chapelle du saint Sacrement, on voit une représentation d’un côté du lavement des pieds et de l’autre de la dernière cène. De même sur la toile de Pinta représentant la dernière cène qu’il y a dans notre réfectoire, une cruche et un linge posé sur le sol, à gauche, attestent que le lavement des pieds a bien eu lieu. Ces deux actes du Christ dont nous faisons mémoire ensemble ce soir, sont tous les deux des signes que saint Bernard appelle encore aussi bien l’un que l’autre des sacrements.
« À l’approche de sa Passion, le Seigneur dit-il a pris soin de revêtir les siens de sa grâce. Dans ce but ont été institués tous les sacrements : la participation à l’Eucharistie, le lavement des pieds, comme aussi le baptême, premier de tous les sacrements ». Voici que cette année, la célébration du mystère pascal se passe pour la majorité des chrétiens et même en partie pour nous comme si nous étions temporairement privés de ces signes. Nous n’allons pas célébrer le lavement des pieds, ce rite si important dans la tradition cistercienne même si nous l’avons vécu comme par anticipation le mercredi des cendres en nous lavant les pieds les uns des autres. Les Chrétiens dans la plupart des pays du monde n’auront pas en ces jours la possibilité de participer à la célébration ni de la mémoire de la dernière cène, ni de la vigile pascale. Et si nous avions eu l’immense joie de célébrer un baptême l’année dernière, les catéchumènes français ont du repousser la date de leur baptême.
Je ne dis pas cela pour que nous nous lamentions mais bien au contraire pour souligner l’urgence d’aller aujourd’hui comme hier à l’essentiel, de passer du signe à la réalité. Cette réalité unique et incroyable c’est le fait que Dieu est avec nous, qu’il veut être avec tous les hommes car il est l’amour qui se donne. Il se donne à nous en nourriture. Il se donne à nous se faisant serviteur et en nous invitant à nous servir les uns les autres. Il se donne à nous dans la nudité de la croix pour pardonner tous nos péchés et prendre sur lui la souffrance du monde. Il se donne à nous dans le silence du tombeau pour que nous y déposions toutes nos peines. Il se donne à nous en ressuscitant pour une vie nouvelle qu’il nous donne en partage. Tous ces signes que nous célébrons sont les signes d’un amour sans partage et sans limite qui n’oublie aucun homme. Le sauveur célèbre son dernier repas et lave les pieds de ses disciples. Par ce don il fait d’eux non plus des serviteurs mais ses amis. Il nous invite à faire de même.
Le monastère est la maison de Dieu mais aussi bien sûr notre maison et nous le ressentons peut être plus fortement en ces jours. Et c’est dans cette maison toute entière depuis ses jardins, sa buanderie, son infirmerie jusqu’à son réfectoire qu’il vient faire sa demeure, qu’il vient se donner à nous nous invitant à nous donner à lui et à nous donner les uns aux autres. Notre célébration et en particulier celle de ce soir est sommet et source de cette vie qui est celle de l’Église mais, passant du signe à la réalité, nous sommes invités à vivre ce mystère de l’amour répandu partout ailleurs dans le quotidien à chaque instant de notre vie.
Ce soir, où nous allons chanter que là où la charité est vraie Dieu est présent, ouvrons nos cœurs au dimension du monde, ouvrons notre cœur à notre frère pour que Dieu soit avec nous, à chaque instant, non pas seulement en signe mais en réalité. Ouvrons nos cœurs à cette réalité ultime, celle du Royaume là où l’amour triomphe et où nous serons tous rassemblés.

 


Dimanche des Rameaux-A, homélie du P. Abbé Vladimir Gaudrat

Chers frères,

Alors que nous avons accompagné avec nos rameaux et nos chants le Sauveur dans son entrée triomphale à Jérusalem, il nous faut maintenant l’accompagner jusqu’à la Croix. C’est l’amour qui nous pousse à le faire car nous savons que c’est par la Croix dont le Sauveur a transformée le sens que le monde est racheté et que nous accédons au Royaume.
Les foules qui acclamaient le Christ demandent maintenant sa mort. C’est l’univers tout entier qui semble, à cet instant, être sous l’emprise de la haine, du mensonge et de la violence. L’obscurité se fait sur toute la terre, celle-ci tremble et les rochers se fendent. Voici comment le sauveur comme le dit saint Bernard « s’est immergé au plus épais et au plus profond de l’universelle misère humaine ». Il a pris la condition de serviteur et s’est fait semblable aux hommes. Il a rassemblé tous les cris de l’humanité pour s’exclamer avec le prophète : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as tu abandonné ? ». Il s’est fait la voix de toute l’humanité et voici qu’il est seul puisque tous ses disciples se sont enfuis et l’ont abandonné. Il est seul, couvert d’un manteau rouge et couronné d’épines, crucifié et rallié par la foule. Il est seul avec pourtant les femmes qui regardent de loin et Joseph qui va trouver Pilate mais cela nous ne le saurons qu’à la fin.
Et nous voici, petit troupeau suivant de loin, cherchant nous aussi à discerner aujourd’hui dans ce dimanche si particulier, dans ce chaos que semble devenu le monde, devant tant de morts et tant de peines. Ces morts et ces peines, elles ne sont pas apparues brusquement mais nous avions longtemps oublié de les voir parce que souvent elles survenaient si loin dans un monde qui n’était pas le nôtre. Nous cherchons à discerner pas à pas dans la souffrance de l’isolement, dans l’inquiétude devant l’avenir, le chemin de salut que le Seigneur nous trace.

Voici qu’à la mort du Fils bien aimé le rideau du sanctuaire se déchira en deux manifestant la nouveauté. Voici qu’à la vue de ces évènements, le centurion et ceux qui avec lui gardaient Jésus furent saisis d’une grande crainte et dirent : « Vraiment celui-ci était Fils de Dieu ». En entendant ces mots, c’est comme si nous écoutions le prophète poursuivre le chant du psaume et nous répéter : « Tu m’as répondu et je proclame ton nom devant mes frères ». « Tu m’as répondu », et cette parole n’est pas prononcée par un disciple mais par un étranger, un soldat de la puissance occupante, un païen. Un instant l’univers avait semblé vacillé mais voici que par la puissance de la Croix, nous sommes ramenés à l’essentiel, au don du salut gratuit, à l’amour partagé et au partage nécessaire qui doit en surgir.

Seigneur contemplant le mystère de ta croix qui est le mystère de la souffrance dans notre monde, donne nous la force de proclamer ta victoire en discernant le royaume encore caché.

 


5ème dimanche de Carême – A, homélie de frère Marie

Ez 37, 12-14 ; Ps 129 ; Rm 8, 8-11 ; Jn 11, 1-45

En ce Carême si particulier que nous vivons cette année, au milieu d’un monde si perturbé par le chamboulement des repères causé par la pandémie qui sévit, je proposerai juste trois points brefs de réflexion tirés des lectures de ce 5ème dimanche de Carême.

- Le premier point : la parole du prophète, l’espérance
Le prophète Ezéchiel s’adresse à un peuple qui a tout perdu. La maîtrise de sa terre, l’orgueil de son Temple que la gloire de Dieu ne peut plus habiter, son culte, ses sacrifices, tout perdu de ce qui faisait son identité. Ce peuple est écartelé, exilé. Le peuple ressemble à un mort au tombeau. Cette mort est désolation et désespérance. « Au bord des fleuves de Babylone nous avions suspendu nos harpes, nos ennemis nous demandèrent des chansons » Ps 136. Ce Dieu reste pourtant un Dieu d’Alliance, un Dieu de vie et de renouveau. Beaucoup de croyants en ce moment sont privés de formes habituelles de culte et se sentent dépossédés, comme exilés. Et le flot de vidéos hilarantes qui fleurissent sur les réseaux sociaux ne suffisent pas à masquer le drame mondial qui se joue. Peut-être se pose-t-on la question : où donc est Dieu ? Le prophète nous dit, la présence de Dieu est à trouver autrement dans cette situation d’exil. Si le psaume 50 que nous chantons tous les jours déplace la notion du culte en affirmant que le sacrifice qui plait à Dieu est un cœur brisé, ici le prophète annonce un autre lieu de culte, un cœur renouvelé, par un souffle de vie : je mettrai en vous mon esprit et vous vivrez. Oui, le prophète annonce cette espérance qui retend les nerfs de la foi, qui redonne chair et vie à ces morts, car c’est dans leur cœur que Dieu installe sa gloire, son esprit, sa présence. « Je l’espère, dit le psaume, et j’attends sa parole, oui près du Seigneur est l’amour, près de lui abonde le rachat » Ps 129. L’espérance versée dans nos cœurs par l’Esprit de Dieu ne déçoit pas, elle est force vivifiante de Dieu et nous rend acteurs de nos vies.
- Le deuxième point : le discernement
Vous n’êtes pas sous l’emprise de la chair, dit St Paul, mais sous celle de l’Esprit, puisque l’Esprit de Dieu habite en vous. St Paul ne se pose pas en moraliste, quand il parle de l’emprise de la chair il vise surtout les observances de la loi. Se réclamer d’une série de préceptes de bonne conduite religieuse ne suffit pas pour assurer son appartenance à Dieu et son salut. C’est l’Esprit du Christ qui nous fait vivre. Et l’Esprit du Christ est charité, amour de Dieu répandu en nos cœurs. Bien sûr la loi n’est pas complètement hors course. Si la loi est récusée comme chemin de salut, elle est préservée comme chemin de vie si elle est animée par le souffle de l’amour du Christ, et si elle est réajustée à sa liberté. Nous sommes donc invités à un discernement, qu’en est-il de notre attachement au Christ, et quel primat donne-t-on à la charité ? S’il me manque l’amour, dit St Paul, je ne suis rien. Comment l’Esprit du Christ mort et ressuscité pour nous, nous mène-t-il pour manifester notre liberté d’enfant de Dieu ? Et comment mettre en œuvre cette liberté dans des réalités et situations auxquelles il faut s’adapter ?
- Le troisième point : le Christ Jésus et l’action de grâce.
« Je suis la résurrection et la vie » affirme Jésus dans notre passage d’évangile. La résurrection de Lazare est le dernier des sept signes de Jésus. Le premier, aux noces de Cana annonçait tous les autres qui manifestaient que Jésus est vie. Avec le dernier signe Jésus annonce qu’il va pleinement manifester son œuvre en se dévoilant lui-même comme source de vie, victoire ultime sur la mort et ses œuvres. Le paradoxe est que son trône de gloire sera la croix. C’est de ce trône que Jésus va souffler l’Esprit, qu’il va manifester sa victoire sur la mort, à partir de ce trône il anticipe la résurrection en soufflant l’Esprit. Jésus partage et manifeste sa profonde émotion devant la mort de son ami Lazare, avec les deux sœurs et les amis il pleure, mais cependant il va affirmer ce qui nous semble paradoxal pour notre foi dans cette situation de deuil : « Père je te rends grâce parce que tu m’as exaucé. Je le savais bien, moi, que tu m’exauces toujours ».
Oui, le Christ nous déplace dans cette vision filiale, dans cette action de grâce première et anticipée. Cette action de grâce que nous tenons au cours des jours dans notre prière et nos liturgies, nous rend les témoins privilégiés du mystère profond, au cœur de notre foi, de la réalité de la vie et de l’amour de Dieu qui nous sont offerts en tout temps dans le Christ et dans l’Esprit.

 


Solennité de Saint Joseph, homélie du P. Abbé Vladimir Gaudrat

Chers Frères

Dans la lecture de l’Évangile de Mathieu que nous venons d’entendre, Joseph nous est présenté comme un homme juste. Sa justice, qui nous est donnée en exemple, va bien au delà de celle de la loi puisque dès le commencement, il ne voulut pas répudier publiquement Marie son épouse. On trouve chez les Pères beaucoup d’interprétations de cette attitude de Joseph. Mais pour nous aujourd’hui, il nous suffit de savoir que Joseph est un homme silencieux, un cœur qui écoute et un homme de foi. L’Évangile de Mathieu ni aucun autre des quatre Évangiles ne nous rapporte une parole de Joseph. Mathieu nous le montre chaque fois qu’il nous parle de lui agissant, sous la conduite du Père qui se manifeste à lui en songe, pour tout mettre en œuvre afin que la volonté de salut de Dieu s’accomplisse. Cette volonté qui nous contemplons comme rassemblée dans cet enfant à venir auquel il donnera le nom de Jésus. La lettre aux Romains nous parle d’Abraham en l’appelant notre père à tous et cela à cause de sa foi. C’est par sa foi que Joseph devint lui aussi Père dans la foi et l’Esprit, non dans la chair du Sauveur du monde. C’est à cause de sa foi que Joseph se tait, qu’il agit, qu’il avance pas à pas bien souvent à tâtons et qu’il veille. C’est grâce à cette foi que nous recevons comme modèle qu’il eut la garde des mystères du salut comme le dit la prière de cette fête. Et maintenant qu’il est dans la gloire auprès de son File et de Marie, demandons lui de veiller non seulement sur l’Église mais sur le monde entier. Demandons lui d’être notre gardien et de nous aider à nous arrêter, à veiller, à faire silence pour écouter et être attentif.
Dans le chaos apparent du monde aujourd’hui, Dieu nous parle non pour nous annoncer un châtiment mais pour nous appeler au salut. Dieu nous demande d’être les gardiens de nos frères. Nous confondons trop souvent le fait d’être gardien et d’être garde-chiourme. Dieu nous demande comme à Joseph de veiller avec bienveillance les uns sur les autres. Ce ne peut être aujourd’hui que pour les frères qui sont avec nous ou bien dans un certain retrait par la prière qui peut aller jusqu’aux extrémités du monde. Mais ce ne peut être aussi sans une dilatation du cœur.
Soyons les gardiens les uns des autres
Prions les uns pour les autres et pour le monde entier.

 


3e dimanche de carême – A, homélie de frère Bartomeu

Chers frères et sœurs, après avoir été avec Jésus au désert où il a été tenté par le diable (Mt 4,1 – 1er dimanche de carême), après avoir été avec Jésus sur la haute montagne où il a été transfiguré devant Pierre, Jacques et Jean (Mt 17,1 – 2e dimanche de carême), nous voici aujourd’hui, dans notre route avec lui vers Jérusalem, à Sykar, une ville de Samarie.

Et là nous assistons à une scène qui étonne tout le monde, autant les disciples que la femme qui venait puiser de l’eau et qui « lui dit : “Comment ! Toi, un Juif, tu me demandes à boire, à moi, une Samaritaine ?” – En effet, les Juifs ne fréquentent pas les Samaritains. » Ce que d’ailleurs les samaritains le leur rendaient, comme nous le voyons en une occasion où, alors que les disciples « entrèrent dans un village de Samaritains pour préparer sa venue, on refusa de le recevoir, parce qu’il se dirigeait vers Jérusalem » (Lc 9,52-53).

Mais voici donc que « Jésus arriva à une ville de Samarie, appelée Sykar, près du terrain que Jacob avait donné à son fils Joseph. Là se trouvait le puits de Jacob. Jésus, fatigué par la route, s’était donc assis près de la source. C’était la sixième heure, environ midi. »

Et c’est donc une femme samaritaine et ensuite beaucoup de samaritains de cette ville qui nous accompagnent dans notre confession : « nous savons que c’est vraiment lui le Sauveur du monde. »

Les samaritains, regardés avec mépris par les juifs, ont une place spéciale dans l’enseignement et la vie de Jésus. Dans la parabole de l’homme qui descendait de Jérusalem à Jéricho et qui tomba sur des bandits, c’est « un Samaritain, qui était en route, qui, arrivé près de lui, le vit et fut saisi de compassion. » Et Jésus dira au docteur de la Loi de faire comme le samaritain : « Va, et toi aussi, fais de même. » (Lc 10,30-37)

Une autre fois, alors que, comme aujourd’hui, il marchait vers Jérusalem et traversait la région située entre la Samarie et la Galilée, Jésus guérit dix lépreux qui vinrent à sa rencontre, et voici qu’un seul d’entre eux, voyant qu’il était guéri, revint sur ses pas, en glorifiant Dieu à pleine voix, et se jeta face contre terre aux pieds de Jésus en lui rendant grâce. Et l’évangéliste remarque : « Or, c’était un Samaritain. » (Lc 17,11-16)

Nous nous souvenons aussi qu’une fois les Juifs, pour l’insulter, « répliquèrent à Jésus : “N’avons-nous pas raison de dire que tu es un Samaritain et que tu as un démon ?” » (Jn 8,48)

Ces samaritains sont l’image de ce que nous sommes, et nous devons les prendre pour modèle. C’est Jésus lui-même qui a pris l’initiative et qui, fatigué par la route, s’est assis à notre côté.

Comme nous l’a dit l’apôtre Paul : « Alors que nous n’étions encore capables de rien, le Christ, au temps fixé par Dieu, est mort pour les impies que nous étions. »

Poursuivons notre chemin vers Jérusalem.


Mercredi des Cendres, homélie du P. Abbé Vladimir Gaudrat

Chers Frères et Sœurs,

Une maxime rabbinique remontant probablement au troisième siècle avant le Christ dit qu’il y a trois choses sur lesquelles repose le monde, la Torah, le culte et les œuvres de miséricorde. Dans l’Évangile, nous entendons le Sauveur nous parler de manière un peu différente des trois piliers de notre vie que sont l’aumône, la prière et le jeune. Ce n’est pas que notre vie se résume à cela mais elle a besoin, en permanence, d’être soutenue par ces colonnes, irriguées par ces observances. Le temps du carême nous permet de reprendre chaque année conscience de cela. Cela est vrai pour tous et donc aussi pour les moines sinon la Règle ne nous dirait pas que notre vie devrait être en tout temps aussi observante que durant le Carême. Ces trois piliers, l’Évangile nous donne la manière de les mettre en pratique, en vérité, non comme les simulateurs mais dans le secret du face à face avec le Père.
L’aumône, la prière et le jeune nous ouvrent le cœur en nous montrant que nous ne pouvons pas nous appuyer sur nos seules forces. Tout homme est faillible et fragile et la vie de l’Église nous le rappelle avec force ces derniers temps. Pendant ces jours, faisons l’expérience de la miséricorde qui nait du face à face avec le Seigneur crucifié et ressuscité comme nous le rappelle le Pape François dans son message pour le carême. Jésus, Dieu l’a fait péché pour nous et il nous invite à nous découvrir dans cette lumière de la vérité et dans l’humilité.
Dans un monde plein comme le notre, le jeune à condition qu’il ne soit pas que de nourriture et nous ouvre au partage est sans aucun doute la grâce la plus urgente à demander. Le partage dans la charité rend l’homme plus humain alors que l’accumulation risque de l’abrutir en l’enfermant dans son propre égoïsme. Cherchons à nous alléger de toutes les manières en ce temps de carême afin de courir plus léger sur le chemin tracé par l’Évangile.

 


5ème dimanche ordinaire-A, homélie de frère Marie

Mt 5, 13-16 ; Is 58, 7-10 ; Ps 111 ; 1 Co 2, 1-5

Lumière, sel, sagesse, tels sont les mots qui résonnent et se fond échos dans les lectures de ce jour.
St Paul nous dit que sa proclamation de l’Evangile n’a rien d’un langage habile de sagesse humaine qui veut convaincre. Non, il s’agit bien d’une sagesse de Dieu, de cette sagesse du Christ que sont sa vie, sa mort et sa résurrection. Cette sagesse, manifestation de l’Esprit Saint qui se fait sel et lumière en nos vies. Cet Esprit Saint qui est amour de Dieu répandu en nos cœurs, l’Esprit du Fils qui anime notre foi.
Vous êtes le sel de la terre et la lumière du monde, nous dit Jésus. Ce passage d’évangile fait suite à la proclamation des béatitudes : bienheureux les humbles de cœurs, les artisans de paix, bienheureux les affamés et assoiffés de justice, cette justice qui rend aux hommes leur dignité d’enfants de Dieu, fils et filles d’un même Père des Cieux. Bienheureux les artisans de paix et ceux qui exercent la miséricorde, bienheureux les cœurs purs, ceux-là qui poursuivent le bien et ne suivent pas les voies du mal et du mensonge, et bienheureux ceux qui témoignent par la constance et la participation de leur foi de la présence de Dieu, de la présence du Christ en ce monde.
C’est en suivant ce chemin du bonheur, qui est chemin du Christ lui-même, que nous devenons sel et lumière.
Le sel est ce qui relève le goût, en latin la sapience désigne aussi la sagesse que la saveur, et la sagesse de l’Evangile apporte une nouvelle saveur à la vie, au monde. Mais le sel est aussi ce qui ce qui empêche la décomposition, on garde les aliments périssables dans le sel, surtout précieux à une époque où n’existaient pas les congélateurs. C’est pourquoi le sel désigne aussi la pérennité de l’Alliance. Dans le livre du Lévitique il est écrit : Tu saleras toute oblation que tu offriras et tu ne manqueras pas de mettre sur ton oblation le sel de l'alliance de ton Dieu Lv 2, 13.
En tant que baptisés nous sommes salés de la vie du Christ : baptisés en Christ nous avons revêtus le Christ, et ce n’est plus moi qui vit c’est le Christ qui vit en moi, dira St Paul. C’est en manifestant les fruits de l’Esprit que nous communiquerons la saveur du sel, mais non seulement, salés en Christ nous devenons aussi les garants de cette Alliance d’amour et de vie de Dieu avec l’humanité. Le rôle de ce qu’on appelle l’Eglise, de ceux qui sont unis par la foi en Christ, est bien de faire perdurer cette Alliance nouvelle de Dieu au cœur de ce monde. C’est là que le sel doit devenir lumière, car les ombres qui recouvrent parfois le caractère humain de l’Eglise affadissent ou donnent des goûts amers au sel, trop de peurs, trop de scandales, trop de mensonges. Oui, les membres de l’Eglise que nous sommes tous, doivent sans cesse se laisser interpeler sur le chemin des béatitudes, les mettre en œuvre, on pourrait dire selon l’expression courante, ajouter notre grain de sel en notre monde.
On n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau, mais on la met sur le lampadaire, nous dit Jésus. C’est une lampe éteinte que l’on range sous le boisseau, ou encore selon l’expression, on cache quelque chose sous le boisseau, c’est-à-dire de façon figurée, une vérité qu’on ne veut pas divulguer. Ainsi si Jésus nous exhorte à être lumière à la vue de tous, ce n’est pas pour le simple plaisir de nous voir nous-même lumière, mais c’est pour faire un chemin de vérité en Eglise et en nous-même, en cohérence avec l’Evangile, et partager une lumière heureuse avec les autres. Le prophète Isaïe en est le meilleur écho : ne te dérobe pas à ton semblable, nous dit-il en résumé, que ce soit en ses besoins ou ses détresses, alors la lumière jaillira comme l’aurore.
Nous sommes tellement habitués à être menés par des GPS, parfois sur des itinéraires étranges, que nous oublions que le soleil et les étoiles sont les premiers repaires pour nous guider. Oui, le Christ est notre soleil de justice et il nous rappelle que nous sommes les témoins, les repères et les porte-lumière de son Alliance de vie en ce monde, nous en sommes les acteurs, nous traçons aussi les chemins autant que nous les suivons.
Oui, nous sommes des êtres d’Alliance, de cette Alliance de sel et de lumière qui nous engage avec Dieu en ce monde.

 


 

Fête des Sts Robert, Albérice et Etienne fondateurs de Cîteaux, homélie du P. Abbé Vladimir Gaudrat

Chers Frères et Sœurs,

« Voici ce que je vous commande : c’est de vous aimer les uns les autres »
Avant de quitter ses disciples, le Sauveur leur montre qu’il est le chemin, la vérité et la vie en leur donnant comme en héritage ce commandement nouveau. Il leur fait percevoir que, pour devenir ses amis, ils doivent fonder leur vie sur l’amour, dans son amour qu’il va leur donner en partage en offrant sa vie pour eux.
« Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés » dit-il aussi pou révéler l’amour du Père. En faisant de Jésus, le Verbe fait chair, l’objet de son amour, le Père révèle que celui-ci est son visage pour le monde. Et puisqu’il est le Fils, son amour pour nous est le fondement de tout ce que Dieu fait pour nous. Cet amour nous donne la possibilité de demeurer dans le Christ en demeurant dans l’amour. C’est ainsi que nous portons du fruit.

Si nous parlons de nos trois fondateurs, c’est bien ainsi que nous devons comprendre le fruit qu’ils ont porté. L’oraison de la solennité de ce jour nous dit qu’ils ont voulu revenir à la source pure de l’Évangile dans la fidélité à saint Benoît. Nos trois fondateurs ne sont d’aucune manière des fondateurs au sens moderne de ce mot, des personnages charismatiques qui rassemblent des disciples. Dans le peu que nous savons d’eux, il n’y a pas de personnages plus discrets voir mystérieux que Robert, Albéric et Etienne. Nous pouvons pourtant les voir comme les initiateurs, voire les symboles au sens profond de ce mot, de ce formidable collectif, de cette formidable équipe dont nous connaissons tant de noms, hommes et femmes qui sur deux siècles ont donné consistance à ce projet de retourner à la source pure de l’Évangile. Ils l’ont fait dans la tradition qui était la leur, celle de saint Benoît, finalement tout autant en adaptant celle-ci à leur époque qu’en revenant à ses sources. Car il y a bien de la nouveauté, celle qui accompagne toujours l’Évangile, dans le Nouveau Monastère comme on appelait Cîteaux à ses commencements.

Ce que nous invite à vivre, l’Évangile de Jean dans le passage que nous venons d’entendre, nous le retrouvons comme mis en pratique de manière très concrète dans la Charte de charité dont Etienne fit approuver en 1119 la première version. Elle commence par l’explication du nom charte de charité : « Le Seigneur Abbé Etienne et ses frères estimaient également que ce décret devait porter le nom de Charte de charité parce que sa teneur, rejetant le fardeau de toute redevance matérielle, poursuit uniquement la charité et l'utilité des âmes dans les choses divines et humaines ». La règle de saint Benoît nous dit que son auteur veut fonder une école du service du Seigneur. Nos fondateurs développeront ce thème en disant que l’école du service du Seigneur l’est vraiment en étant une école de la charité dans la réciprocité du don. Soixante ans plus tard, un autre cistercien, Baudouin de Forde dira que cette école doit être comprise comme une école de la vie commune. Cette vie commune dont le modèle qui dépasse toute compréhension purement humaine est la Trinité elle-même et qui doit être comprise comme amour de la communion et communion dans l’amour.
Alors que comme nos Pères, nous marchons dans la foi. Que cette connaissance encore obscure du Dieu Trinité qui est amour nous fasse grandir à l’écoute de nos Pères dans le désir de la communion qui nait du don de l’amour.

 

 


2ème dimanche-A, homélie du P. Abbé Vladimir Gaudrat

Chers Frères et Sœurs,

L’unique mission de Jean le Baptiste dans le passage de l’Évangile que nous venons d’entendre consiste à nommer Jésus, à le montrer et à révéler son identité, c’est à dire à rendre témoignage. Le rôle de Jean Baptiste dans l’Évangile de Jean se résume d’ailleurs à cela. Quelques lignes plus loin dans l’Évangile, nous le voyons désigner Jésus à deux de ses disciples par des mots qu’il utilise déjà dans le passage que nous venons d’entendre : « Voici l’agneau de Dieu ». Au chapitre trois, il donnera son ultime témoignage disant du Sauveur : « Il faut que lui grandisse et que moi je décroisse ». « Vous avez envoyé trouver Jean et il a rendu témoignage à la vérité » dira de lui Jésus. Il a vu et rendu témoignage que Jésus est le Fils de Dieu. Il ne le connaissait pas mais il est venu baptiser dans l’eau pour qu’il soit manifesté. Il a reçu cette mission dans la foi. Il a vu l’Esprit descendre et demeurer sur lui. Nous qui avons été sanctifiés dans le Christ Jésus, nous qui sommes appelés à devenir saints comme le dit Paul, notre vie trouve aussi son sens dans le témoignage rendu au Verbe fait chair venu partager notre humanité. Nous devons nous aussi nommer Jésus, le montrer et révéler son identité.
Jésus est l’Agneau, celui qui baptise dans l’Esprit Saint, Il est le Fils de Dieu. Comme Jean Baptiste, nous ne le connaissons, nous ne le reconnaissons que dans la foi et par l’Esprit. Pour pouvoir le nommer, le montrer et révéler son identité, nous devons grandir sans cesse dans la connaissance sous la conduite de l’Évangile et de l’Esprit. La source de notre connaissance et donc de notre témoignage est en quelque sorte double. Nous reconnaissons le Christ lorsqu’il vient à notre rencontre dans le livre des Écritures que l’Église nous ouvre et que l’Esprit nous fait comprendre. Mais il vient aussi à notre rencontre dans le livre des évènements et de la nature, il vient par le chemin des sacrements qui nous font percevoir sa présence au plus intime de nos cœurs. le témoignage que nous avons à rendre passe ainsi à la fois par la vérité des Écritures et par l’humilité de notre vie puisque c’est pour verser son sang pour nous et pour enlever le péché du monde que le Sauveur s’est fait agneau.
En cette semaine de prière pour l’unité des chrétiens, nous pouvons méditer sur le fait que tous nous avons été baptisé dans un unique Esprit et que notre témoignage doit être marqué du sceau de cette unité que nous n’avons pas à acquérir puisqu’elle nous est déjà donnée mais à manifester.
Que l’Esprit Saint vienne purifier nos cœurs.


Fête de Saint Honorat, homélie du P. Abbé Vladimir Gaudrat

Chers Frères et Sœurs,

Si l’on veut parler de saint Honorat, lui qui fut l’instigateur de la vie monastique sur cette île que nous disons nôtre à cause de lui, il faut bien reconnaître que bien des aspects de sa vie et de celle de la communauté qu’il a fondée nous échappent. Hilaire d’Arles, Fauste de Riez et les autres auteurs qui l’ont connu et ont écrit sur lui, ont avant tout voulu faire de lui et de sa communauté un portrait spirituel s’inspirant des Écritures plutôt que nous raconter une succession d’évènements. Ce portrait, nous le retrouvons aussi dans les passages de l’Écriture que la célébration eucharistique et la liturgie des heures nous fait entendre et méditer en ce jour reprenant souvent les textes cités par ces homélies que nous appelons des vies. Tout cela est écrit pour notre instruction, pour notre formation. Nous n’avons pas à faire une reconstitution d’un passé qui par bien des aspects nous échappe mais à nous laisser transformer aujourd’hui par ces mêmes textes pour construire notre vie monastique dans le présent. C’est ce qu’ont fait les générations de moines qui se sont succédés sur cette île commentant et écrivant de nouvelles versions de la vie d’Honorat et du monachisme qu’il a fondé et de tout ce parcours historique nous sommes les héritiers non les conservateurs.

Avec Abraham au livre de la Genèse, il nous faut aimer la condition d’étranger et donc le renoncement qui permet de poursuivre la senteur des parfums du Christ, nous inspirant d’Honorat qui avec son frère Venance quitta son pays, sa maison et sa famille. Ils se montrèrent alors dans un même exemple avec lui de vrais fils d’Abraham.

Avec Moïse au livre de l’Exode, il nous faut rechercher le cheminement au désert qui permet d’établir le camp de Dieu, lieu de la communion avec le Christ, lieu dont il est dit : « Heureux les habitants de ta maison, ils pourront te chanter encore ». «En compagnie de Caprais, Honorat a introduit dans ce désert la gloire du Christ et, tel Moïse en compagnie d’Aaron, il a établi un camp pour tous ceux qui sont destinés à marcher vers la terre promise »nous dit Fauste de Riez. Puissions nous continuer à faire de ce désert un paradis, lieu de la familiarité avec Dieu veillant à chasser d’elle les serpents de la discorde et de la dispersion. Pour cela il nous faut être vigilants, sans cesse, comme le Seigneur nous y invite dans l’Évangile et comme nous en trouvons tant d’exemples dans le portrait spirituel d’Honorat lui dont le cœur était totalement attaché au Christ, lui qui murmurait son nom dans son sommeil, lui qui n’eut jamais que le Sauveur dans son cœur et sur les lèvres la paix, la chasteté, la piété et la charité.

« Que demeure entre l’amour fraternel » comme nous y invite la lettre aux hébreux et le témoignage d’Honorat. Même s’il y eut sur cette île pendant un court intervalle de temps quelques moines vivant dans des cellules séparées, Honorat n’est en rien un ermite contrarié par des disciples venant le rejoindre et le faisant sortir de sa solitude. Toute sa vie il eut le souci des autres, de ses frères de toutes origines, des hôtes et des pauvres. Pour lui, la vie monastique sur le désert qu’est cette île est la vie commune et nous pourrions dire dans un paradoxe que le désert n’est jamais solitaire. L’éducation à la vie monastique est une éducation à la vie commune et donc une éducation au pardon. Hilaire nous montre dans ce passage magnifique Honorat éduquant au pardon : « Sans cesse il se souciait de rendre léger le joug du Christ. Il est grave que celui-ci ait fait injure mais il n’est pas moins grave que celui-là l’ait ressentie. Il faut s’appliquer sans relâche à obtenir le pardon de l’offense, et que l’un considère l’affront qu’il a subi comme peu de choses ou rie, mais que l’autre déplore de l’avoir si gravement outragé ».

Chers Frères et Sœurs

Soyons de cette manière héritiers d’Honorat pour que même nos faiblesses soient des occasions de progrès spirituel dans la communauté et que le visage du Christ miséricordieux soit perceptible par tous.


Baptême du Seigneur, homélie de frère Bartomeu

Voici qu’aujourd’hui, chers frères et sœurs, les cieux s’ouvrent sur le Jourdain, l’Esprit de Dieu, comme une colombe, descend sur Jésus et la voix du Père proclame : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui je trouve ma joie. »
C’est la voix du Seigner qui domine les eaux, voix du Seigneur dans sa force, voix du Seigneur, éblouissant de sainteté. C’est la voix du Père qui lui rend témoignage en le nommant Fils bien-aimé, tandis que l’Esprit, sous forme de colombe, confirme la vérité de cette parole. (Antienne de la liturgie byzantine)
Sur la montagne de la transfiguration, les trois disciples entendront à nouveau cette voix qui, de la nuée lumineuse qui les couvrait de son ombre, disait : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je trouve ma joie : écoutez-le ! » (Matthieu 17,5).
Or, ce « en qui je trouve ma joie » d’aujourd’hui et du jour de la transfi-guration correspond au « aux hommes, qu’Il aime » du jour de Noël (Luc 2,14). L’amour avec lequel le Père aime les hommes, auxquels les anges an-noncent la paix sur la terre, est la même joie qu’il trouve en son Fils bien-aimé.
Et, si les eaux du Jourdain ont accueilli Jésus et l’ont manifesté comme le Fils et l’envoyé du Père, nous, lors de notre baptême, nous avons été immergés dans les eaux du Jourdain spirituel, eaux sanctifiées par le Seigneur lui-même. C’est pourquoi nous aussi nous devons lever les yeux de notre âme pour voir les cieux ouverts et entendre la voix du Père qui nous appelle fils bien-aimés.
Ce n’est plus nous qui vivons, en effet, mais c’est le Christ qui vit en nous (Galates 2,20). Car nous avons reçu un Esprit qui fait de nous des fils, et c’est en cet Esprit que nous crions « Abba, Père ! » (Romans 8,15). « Voyez quel grand amour nous a donné le Père pour que nous soyons appelés en-fants de Dieu – et nous le sommes » (1 Jean 3,1).
Cependant, si, « dès maintenant, nous sommes enfants de Dieu, ce que nous serons n’a pas encore été manifesté » (1 Jean 3,2). Il a daigné nous ad-mettre au nombre de ses enfants. Qu’il n’ait pas sujet un jour, de s’affliger de notre mauvaise conduite et, comme un père offensé, de priver ses fils de leur héritage (Règle de saint Benoît Prologue, 5-6).
Le jour de l’Épiphanie nous avons entendu la proclamation de la date de la prochaine sainte Pâque. C’est vers elle que nous tourne la fête d’aujourd’hui, qui annonce déjà le départ de Jésus au désert, où nous le sui-vrons bientôt pendant le carême.
En effet, « nous tous qui par le baptême avons été unis au Christ Jé-sus, c’est à sa mort que nous avons été unis par le baptême » (Romains 6,3), nous avons été mis au tombeau avec lui et nous sommes aussi ressuscités avec lui par la foi en la force de Dieu qui l’a ressuscité d’entre les morts (Co-lossiens 2,12).
C’est déjà la Pâque que préfigure le baptême du Seigneur. Les yeux fixés sur la Pâque, marchons dans l’assurance et la joie.
La voix du Seigneur qui domine les eaux dira de chacun d’entre nous : « Celui-ci est mon fils bien-aimé, en qui je trouve ma joie. »

 


4ème dimanche de l’Avent – A, homélie de frère Marie

Mt 1, 18-24 ; Is 7, 10-16 ; Ps 23 ; Rm 1, 1-7

En ce dimanche à l’approche de Noël les lectures se concentrent sur l’origine de la venue de Jésus en notre monde, parmi nous : Dieu avec nous.
Isaïe nous fait entendre la prophétie faite à Acaz, pourtant difficile à convaincre : Le Seigneur lui-même vous donnera un signe. Voici, la vierge enfantera un fils, qu’elle appellera Emmanuel, c’est-à-dire Dieu avec nous. L’évangéliste Matthieu fait appel à cette prophétie pour nous en présenter l’accomplissement en Jésus, fils de la vierge Marie et de Joseph le père adoptif, appelé fils de David et qui inscrit Jésus dans cette lignée messianique.
St Paul au début de la lettre aux Romains proclame, l’évangile, la bonne-nouvelle que Dieu avait promis et qui concerne son Fils selon la chair et selon l’Esprit Saint de la descendance de David. Ce Fils qui accomplira le salut du genre humain par sa résurrection d’entre les morts, ce nom de Jésus ‘Dieu sauve’ destiné à être proclamé à toutes les nations afin de les amener à l’obéissance de la foi. Nous pouvons nous arrêter sur cette expression ‘obéissance de la foi’.
Il est vrai que ce mot obéissance peut nous déranger. Il éveille le plus souvent la crainte de perdre sa liberté, ou celle de devoir une soumission à une autorité dominatrice. Mais il s’agit ici de l’obéissance de la foi, qui n’est pas la simple soumission à une doctrine ou un magistère. Il s’agit plutôt d’une écoute profonde de la voix de Dieu qui nous permet d’accueillir au cœur de nos vies celui qui nous sauve et nous accompagne sur un véritable chemin de liberté. Un chemin de liberté féconde, qui donne vie à notre humanité, tant nous avons à découvrir à travers le visage du Christ ce que nous sommes. Ecouter et suivre la voix de Dieu, c’est permettre à Jésus de prendre place parmi nous, d’être un vivant et non pas un mort. C’est autoriser Jésus à être « Dieu avec nous », d’être présent à nos vies et dans notre monde. Souvent quand on me demande à quoi sert une communauté de moines, un peu isolée sur son île, avec très peu d’activités extérieures, je réponds, sans aucune prétention : à faire vivre Dieu ici, le faire vivre et le rendre présent quelque part dans le monde, de façon aussi permanente que possible. Le secret chrétien est là, l’écoute, l’accueil et le service.
Le principal personnage aujourd’hui qui nous enseigne l’obéissance de la foi est Joseph.
Joseph l’époux promis de Marie se retrouve confronté à un dilemme. Même si l’évangéliste nous dit en aparté que la vierge Marie a conçu en son sein par l’intervention directe de l’Esprit Saint, Joseph se retrouve confronté à un dilemme, cet enfant est-il adultérin ? Joseph est un homme juste nous dit Matthieu, qu’est-ce à dire ? Beaucoup d’encre a été versée pour essayer de définir cette justice, est-ce être juste envers la loi ? Joseph forme le projet de répudier Marie mais en secret et non publiquement comme le demandait la loi. Mais dans la Bible l’homme juste est surtout celui qui garde les yeux tournés vers le Seigneur, qui quête la sagesse pour vivre le mieux ajusté possible à ce que Dieu inspire. Le juste Joseph au fond se retire, il laisse un espace devant ce qu’il ne comprend pas. Le juste perçoit par le cœur ce que la raison ne comprend pas. Joseph rumine en lui-même nous dit Matthieu, entre le cœur et la raison Joseph laisse un espace libre dans lequel il essaie de se situer avec justesse. C’est dans cet espace que la parole de Dieu va pouvoir intervenir par la médiation d’un envoyé, l’Ange qui va lui apporter les paroles qui vont faire lien dans la foi et l’espérance croyante de Joseph. Le lien entre les promesses de Dieu et leur accomplissement, leur actualisation au cœur de sa vie, de sa situation avec Marie et l’enfant qu’elle porte.
Être fidèle, avancer dans la foi, c’est avancer dans l’inconnu, être disposé aux surprises, capable de changer…Ce que nous enseigne la figure de Joseph, c’est que l’obéissance dans les évangiles n’est pas de nous rétrécir dans une soumission déplaisante, mais de donner à Jésus un espace où se reflète le pardon et la tendresse de Dieu.
Nous aussi, comme Joseph nous sommes interpellés : le Christ, aujourd’hui, celui qui est né pour nous, ne naîtra pas sans nous. Dieu avec nous ne s’impose pas, il frappe à notre porte et attende que nous l’accueillions. Et il se présente aussi à nous à travers tout autre car la famille à laquelle nous ouvre l’évangile, plus qu’une famille d’ordre biologique, il s’agit d’une famille spirituelle, une famille d’obéissants de la foi ouverte sur la famille humaine.


1er dimanche de l'Avent - A, homélie de frère Bartomeu

Chers frères et sœurs, depuis le jour de l’Ascension du Seigneur, lorsqu’il s’est élevé et une nuée l’a soustrait à nos yeux, nous attendons, selon la pa-role des anges, qu’il vienne de la même manière que nous l’avons vu s’en al-ler vers le ciel (Ac 1,9-11). « Il viendra de nouveau, en effet, revêtu de sa gloire, afin que nous possédions dans la pleine lumière les biens que Dieu nous a promis et que nous attendons en veillant dans la foi », comme nous l’entendrons dans la Préface de la Prière Eucharistique.
« Il viendra de nouveau. » Depuis plusieurs dimanches déjà, dans la li-turgie, nous vivons plus intensément cette attente. Il y a deux semaines, le psaume nous avait fait chanter : « Il vient, le Seigneur, gouverner les peuples avec droiture » (Ps 97,9). Et Jésus, tout en nous avertissant que nous serons amenés à rendre témoignage, nous exhortait : « C’est par votre persévérance – qui, comme le témoignage, évoque le martyre – que vous garderez votre vie. » (Lc 21,13.19).
Dimanche dernier, un des malfaiteurs crucifiés avec Jésus, connu fa-milièrement comme « le bon larron », nous faisait demander : « Jésus, sou-viens-toi de moi quand tu viendras dans ton Royaume. » Et Jésus lui décla-rait : « Amen, je te le dis : aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis. » (Lc 23,42-43). Il devenait ainsi notre guide et notre compagnon : c’est avec lui, malfaiteur devenu bon larron, que nous vivons avec le regard tourné vers le Paradis.
Et dans cette attente du Paradis, nous avons un psaume pour soutenir notre persévérance. Nous en avons entendu déjà une partie dimanche der-nier et nous l’avons repris entier tout à l’heure : « Quelle joie quand on m’a dit : Nous irons à la maison du Seigneur ! Maintenant notre marche prend fin devant tes portes, Jérusalem ! »
Notre marche prend fin, parce que ce qui est une attente, est déjà une réalité. La Lettre aux Hébreux nous dit : « Vous êtes venus vers la montagne de Sion et vers la ville du Dieu vivant, la Jérusalem céleste » (He 12,22). « Vous êtes venus… » Oui, nous sommes venus vers la montagne de Sion et vers la ville de Dieu, la Jérusalem céleste, « vers Dieu, le juge de tous, vers Jésus, le médiateur d’une alliance nouvelle » (He 12,23 et 34).
C’est ce qui aujourd’hui nous a fait demander avec la prière au com-mencement de cette liturgie : « Donne à tes fidèles, Dieu tout-puissant, d’aller avec courage sur les chemins de la justice à la rencontre du Seigneur, pour qu’ils soient appelés, lors du jugement, à entrer en possession du Royaume des cieux. »
Et nous terminerons cette liturgie en demandant au Seigneur qu’il fasse fructifier en nous l’eucharistie qui nous a rassemblés, puisque c’est par elle qu’il forme dès maintenant, à travers la vie de ce monde, l’amour dont nous l’aimerons éternellement.
Chaque fois que nous mangeons ce pain et que nous buvons cette coupe, nous proclamons la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne. (1 Co 11,26).

 


24ème dimanche C, homélie de frère Marie

« Cet homme fait bon accueil aux pécheurs et ils mangent avec eux ! », voici ce qu’il nous est donné d’entendre sur Jésus. Jésus accueillant à sa table ceux qui sont réprouvés par la bonne société religieuse devient cause de scandale. Dans le milieu des pharisiens et des scribes du temps de Jésus la table est le lieu de séparation. Ceux qui se considèrent purs et justes ne peuvent prendre leur repas avec des impurs, mais cela va plus loin dans la signification de cette impossibilité de communauté de table. Ceux qui sont considérés comme pécheurs et impurs au jugement humain, ont-ils droit au salut de Dieu ? Tel est bien la teneur de nos textes aujourd’hui. Jésus se révèle beaucoup à table. Et c’est le Christ ressuscité qui nous fait sauter la barrière. L’évangéliste Luc nous raconte dans son évangile et dans les Actes des apôtres, comment le ressuscité se manifeste à ses disciples et ses apôtres dans une convivialité de table : « Nous avons mangé et bu avec lui, le ressuscité d’entre les morts » proclamera Pierre. Convivialité qui manifeste une convivialité pascale, une convivialité de salut.
Lorsque Pierre le judéo-chrétien recevra l’injonction de boire et manger chez le non-juif, le païen centurion Corneille, cela signifie le partage du salut. La résurrection fait entrer dans une dynamique de salut où l’autre n’est plus pour le croyant une menace d’impureté, mais le bénéficiaire d’un accueil illimité. Comme le dit si bien un exégète : Pâques, pour les chrétiens, est la date de naissance de la proclamation du Dieu universel.
St Paul va un peu plus loin ; voici une parole digne de foi nous dit-il, qui peut être accueillie sans réserve : « Le Christ Jésus est venu dans le monde pour sauver les pécheurs », et moi je suis le premier, ajoute-t-il, afin que ce que le Christ a fait pour moi témoigne de ce qu’il fait pour tous.
Tout ceci nous donne une première indication, c’est que pour Jésus le monde n’est pas divisé en deux ; d’un côté les pécheurs et de l’autre côté les justes. Le monde divisé en deux est un monde de haine où les uns jugent les autres, où les uns méprisent les autres. Jésus ne regarde ni à l’apparence religieuse, ni à l’apparence morale, ni à l’apparence sociale, ni à l’appartenance ethnique. Jésus regarde dans l’homme, la femme, en chacun de nous ce qu’il y a de plus profond, de plus déterminant, il regarde cette image de Dieu qui nous habite tous et qui nous pose dans l’existence en enfants de Dieu. Cette image seul Jésus peut la percevoir en nous, même lorsqu’elle est désorientée alors qu’à nos regards humains elle semble absente, inconnue. Cette image seul Jésus peut l’attirer et lui donner vie, et les paraboles laissent le temps de Dieu agir.
Au fond de sa détresse le fils prodigue est revenu vers le cœur de lui-même comme à tâtons, la mémoire lui revient qu’il avait une maison et un père. A travers la parabole ce Père est celui qui préside à toute vie et qui ne peut se manifester que dans l’établissement d’une communion. Dans une quête mal assurée ce fils prodigue commence un chemin de conversion mais en se donnant à lui-même comme le prix à payer de ses déviances, celui de ne plus être appelé fils. Là où la parabole fait tout basculer et fait certainement grincer les dents des convives qui écoutent Jésus, c’est que sans aucun jugement le regard du père aimant et compatissant va accueillir ce prodigue et le recouvrir de sa dignité de fils, tout comme lorsque du baptême nous sommes recouverts du Christ.
Un fil rouge traverse nos trois paraboles de ce jour, que ce soit la brebis perdue de laquelle le maître va se mettre en quête et se soucier, la pièce que la femme perd et qui allume une lampe et balaye sa maison pour la retrouver, le fils prodigue accueilli dans un amour inconditionnel, ce fil rouge qui est appel à partager la joie des retrouvailles, cette joie qui se manifeste autour d’une même table. Partager cette joie de Dieu parce que ce qui était perdu a été retrouvé, ce qui était mort est revenu à la vie. Combien cela nous interpelle au cœur même de notre dénomination de chrétien ou d’Eglise du Christ, comment avec le Ressuscité faire tomber la barrière entre les bienvenus et les malvenus. Y a-t-il un mérite à être sauvé ou à n’être pas sauvé ? Ou plus simplement partageons-nous la joie de quelqu’un qui trouve la lumière de Dieu, le goût de son bonheur, sans juger du label de sa provenance ?

 

 


14 septembre, fête de l'exaltation de la Croix, homélie du P. Abbé Vladimir Gaudrat

Chers Frères et Sœurs,

« Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils ». C’est dans la lumière de cet amour qui dépasse toute connaissance que nous contemplons la Croix du Sauveur qui en est le signe. Les Pères de l’Église avaient si bien compris la nouveauté absolue, la révolution apportée par la bonne nouvelle de la Croix qu’ils ont essayé d’en voir partout des préfigurations puisque déjà l’Évangile nous dit que l’élévation du serpent d’airain au désert en est une. Chaque morceau de bois dont parlent les Écritures comme par exemple le morceau de bois jeté par Élisée dans l’eau pour récupérer un fer de hache devient pour eux une préfiguration de la Croix sur laquelle le Christ a racheté toute l’humanité, l’a relevée de la dégradation du péché. Et comme ce salut s’étend au monde entier, ils ont aimé aussi en voir des préfigurations dans la culture du monde antique. Ulysse attaché au mat d’un bateau pour échapper aux sirènes devient pour eux préfiguration du Sauveur suspendu à la Croix pour nous délivrer du mal. Et de fait, comme le dit un auteur anonyme du troisième siècle, la Croix est imprimé dans toute la création. Elle est notre clef d’interprétation pour nous comprendre et comprendre le monde. Notre vie ne peut s’interpréter complètement qu’à la lumière de ce mystère de mort et de résurrection dont elle est le signe.

La Croix est cette clef parce qu’elle est un signe d’amour, cet amour qui est plus fort que la mort. Et c’est ainsi que nos premiers pères cisterciens nous montrent comme on le voit environné de lumières au fond de cet Église le Christ souriant sur la Croix dans la joie du salut apporté. Mais cet amour qui nous dépasse, nous ne pouvons le recevoir que dans la foi. Comme le dit le livre de la Sagesse contemplant l’épisode du serpent au désert que nous avons entendu comme première lecture : « Quiconque se retournait vers le serpent était sauvé non par l’objet regardé, mais par toi le Sauveur du monde ». Contemplant la Croix, c’est par la foi en l’amour sauveur manifesté en Jésus Christ que nous recevons le salut. Il y a en nous et hors de nous tant de voix qui cherchent à nous dire que ce n’est pas possible que l’homme ne peut être sauvé que par lui-même ou bien qu’il n’a pas besoin d’être sauvé, que l’acceptation de notre misère pour que le salut s’y déploie ne respecte pas notre dignité. Il y a tant de voix pleine de soupçons alors que c’est la confiance qui nous est à la fois demandée et donnée.

Contemplons avec foi celui qui est élevé de terre, celui devant qui tout genou fléchit. Contemplons notre Roi. Il n’est pas celui qui soumet les autres par la force pour en faire des esclaves mais celui qui sert et donne sa vie pour tous afin de faire de nous des frères. Alors nous verrons que la Croix est un pont qui nous fait traverser la muraille de division qui nous sépare de Dieu et des hommes.

 


21e dimanche du Temps Ordinaire – C, homélie de frère Bartomeu

 

Chers frères et sœurs, dans la liturgie il y a un petit trésor qui souvent passe peut-être inaperçu : la prière d’ouverture de la célébration de l’eucharistie, qui est – ou devrait être – une école de prière.
Le texte de ces prières, concis, ramassé, nous demande une attention spéciale, mais nous offre des formulations denses, faciles à retenir et à médi-ter. Et puisqu’elles reviennent une année après l’autre, et même plusieurs fois, elles nous deviennent familières et nourrissent notre foi et notre piété. Quant à nous, les moines, nous les entendons non seulement en la célébra-tion de l’eucharistie mais aussi aux heures de l’office. C’en est de même pour ceux d’entre vous qui passent quelques jours à l’hôtellerie du monastère et peuvent ainsi participer à notre prière.
Reprenons celle qui a ouvert notre liturgie tout à l’heure. « Dieu qui peux mettre au cœur de tes fidèles un unique désir, — donne à ton peuple d’aimer ce que tu commandes et d’attendre ce que tu promets ; — pour qu’au milieu des changements de ce monde, nos cœurs s’établissent ferme-ment là où se trouvent les vraies joies. »
Jésus, dans sa marche vers Jérusalem, nous a dit que nous devons nous efforcer d’entrer par la porte étroite, car beaucoup chercheront à entrer et n’y parviendront pas. Cet effort d’entrer par la porte étroite ne demande-t-il pas que nous ayons au cœur – comme disait la prière – un unique désir : aimer ce que Dieu commande et attendre ce qu’il promet ?
Un inique désir… Avec un psaume nous demandons : « Unifie mon cœur pour qu’il craigne ton nom » (Psaume 85,11). C’est que nous vivons – comme le disait encore la prière – au milieu des changements de ce monde, et cela nous le ressentons peut-être tout particulièrement de nos jours. Et nous aspirons à ce que nos cœurs ne soient plus ballotés au milieu des changements de ce monde, mais puissent s’établir fermement là où se trou-vent les vraies joies.
Cet unique désir que Dieu peut mettre au cœur de ses fidèles, avoir un cœur unifié par la crainte de son nom, c’est ce qui fera que nos cœurs puissent s’établir fermement là où se trouvent les vraies joies.
Saint Benoît parle de ceux qui n’ont rien de plus cher que le Christ, qui aspirent ardemment à la vie éternelle, et qui pour cela prennent la voie étroite dont parle le Seigneur : “Étroite est la voie qui conduit à la vie” (Règle de saint Benoît 5,2 et 10-11). Voici la porte étroite qui donne accès aux vraies joies. Qu’est-ce qu’avoir un unique désir, qu’aimer ce qu’il commande et attendre ce qu’il promet, si non n’avoir rien de plus cher que le Christ et aspirer ardemment à la vie éternelle ? (Règle de saint Benoît 72,11-12).
Quand notre cœur aura aimé ce que Dieu commande et aura attendu ce qu’il promet, quand nous n’aurons eu rien de plus cher que le Christ, quand cet unique désir aura unifié notre cœur, il pourra alors s’établir fer-mement là où se trouvent les vraies joies, et, avant que le maître de maison puisse nous dire : “Je ne sais pas d’où vous êtres”, nous pourrons lu dire : nous sommes de l’orient et de l’occident, du nord et du midi, et nous venons prendre place au festin dans le royaume de Dieu.

 

 


Solennité de l'Assomption, homélie du P. Abbé Vladimir Gaudrat

Chers Frères et Sœurs,

À la fin des années 1880, l’imprimerie de l’Abbaye de Lérins fait paraître un livre qui est comme son chef d’œuvre, le Magnificat en 150 langues. Chaque double page de ce très beau livre comporte une traduction dans une langue différente du Magnificat ainsi que la représentation d’une fleur symbolisant une vertu de la Vierge Marie. Pour Dom Barnouin qui a rétabli la vie monastique sur notre île et qui est à l’origine de cette édition, la Vierge Marie toute Immaculée est l’exemple et le modèle de l’être humain racheté dans le Christ et ainsi la figure non seulement du moine mais de tout chrétien appelé à laisser croître en lui le Christ. Comme les Évangiles ne nous disent finalement que peu de choses de Marie, c’est d’abord en méditant le Magnificat que l’Évangéliste met sur ses lèvres que, comme l’on fait les Pères, nous pouvons le mieux nous laisser inspirer par elle.

Toute une littérature de dévotion a parlé des grandeurs de Marie mais c’est pourtant à un tout autre niveau que Marie s’exprime dans ce chant de louange qu’elle entonne pour répondre à sa cousine Elisabeth. Marie chante ce renversement qu’expriment les béatitudes en annonçant que tous les âges la diront bienheureuse, non à cause d’une supposée grandeur mais à cause de son humilité. Et son humilité lui permet de chanter en premier en s’oubliant elle même le Dieu sauveur, puissant et miséricordieux qui s’est souvenu de son amour non seulement envers elle mais envers tous. Marie est comme une échelle vivante de l’humilité, celle qui apparut en songe au saint patriarche Jacob et où les anges qui montent et descendent ne signifient pas autre chose que l’on descend par l’élèvement et que l’on monte par l’humilité. C’est ainsi que membre du petit reste d’Israël, de ce peuple pauvre et petit qu’avait annoncé le prophète Sophonie, elle peut chanter : « Il renverse les puissants de leur trône, il élève les humbles. Il comble de biens les affamés, renvoie les riches les mains vides ». C’est parce qu’elle est la plus belle fleur du peuple des pauvres, des petits, des faibles, des affligés, des doux et puisque sans péché, il n’y a rien en elle de hautain, d’orgueilleux, de violent, de cupide et de riche qu’elle peut chanter en toute vérité que le Seigneur s’est penché sur son humble servante et qu’il a fait pour elle des merveilles. Et cette humilité parfaite nous fait entrevoir ce que serait l’humanité sans la blessure du péché.

Chers Frères et Sœurs,
Si seul le Christ est pour nous la voie et la patrie, le chemin au désert et la terre promise, nous pouvons contempler aujourd’hui en Marie la première de tous les sauvés, la seule qui totalement unifiée est dans la gloire de Dieu avec son corps et son âme. Mais nous devons le faire en conservant un œil dans l’humilité et un œil dans la gloire. L’œil dans l’humilité nous fait grandir au présent dans la foi et la charité tandis que l’œil dans la gloire en nous révélant ce que le Seigneur a préparé pour ceux qui l’aiment nous établit avec fermeté dans l’espérance.
Les cisterciens ont aimé contempler l’image de Marie abritant sous son manteau toute l’humanité. Si elle est proche de tout homme comme elle le fut à Cana, c’est à cause de son humilité qui la rend attentive. Si elle est proche des hommes dans la détresse, c’est parce que pauvre et sans rien retenir pour elle, elle était debout au pied de la Croix.
Et comme elle est mère de l’Église, demandons lui d’obtenir pour elle et pour chacun d’entre nous un peu de son humilité et de son attention aux pauvres et aux humiliés, ces vertus dérangeants mais combien convaincantes.

 


19ème dimanche C, homélie de frère Marie

 

Les lectures de ce jour nous parle à la fois de notre condition de voyageurs sur cette terre, notre condition de migrants et de notre condition de serviteurs au sein d’une maison commune.
Ces deux conditions pourraient sembler contradictoire car à travers l’histoire et c’est encore valable aujourd’hui il y a sans cesse conflit latent ou ouvert entre migrants et sédentaires. Tout migrant cherche une terre meilleure, et tout sédentaire cherche à la préserver ou la défendre.
Mais ici les textes nous interpellent, ils ouvrent un autre espace à travers les deux aspects d’un point commun : En fait, nous dit l’épître aux Hébreux, ils aspiraient à une patrie meilleure, celle des Cieux. L’homme de foi Abraham, attendait la ville aux vraies fondations, dont Dieu lui-même est le bâtisseur et l’architecte.
Et Jésus ajoute : Sois sans crainte petit troupeau, votre Père a trouvé bon de vous donner le Royaume. Faites-vous un trésor inépuisable dans les Cieux,…là où est votre trésor là aussi sera votre cœur.
Depuis le temps d’Abraham la connaissance du monde et de l’univers a changé, nous savons que l’humanité est embarquée dans une seule barque et que nous sommes tous solidaires pour le meilleur et pour le pire sur cette boule de terre sur laquelle nous vivons. La seule solidarité que l’humanité constate malgré elle est celle de notre finitude, de notre fragilité et de la fragilité du monde qui nous entoure.
Mais c’est bien du creux de notre finitude et de notre fragilité que le Christ fait surgir un monde nouveau, une humanité nouvelle. C’est la lumière pascale, ce passage de la mort à la vie, migration baptismale, qui ouvre en nous le royaume des Cieux et nous rend participant de la vie en Christ. C’est au cœur même de cette finitude et de cette commune fragilité que le Christ instaure son Eglise, c’est-à-dire instaure ce lien qui le relie au genre humain et nous relie à l’amour et à la vie de Dieu-même. Cette lumière pascale et cette relation amoureuse se donne et s’entretien dans la foi. La foi nous dit encore l’épître aux Hébreux, est une façon de posséder ce qu’on espère, un moyen de connaître des réalités qu’on ne voit pas ; la présence de Dieu tout comme la présence du Christ est bien réelle mais cachée, et vers la plénitude de la vision nous sommes en migration. Mais cette présence nous habite et nous pouvons la faire connaître.
Oui, nous dit Jésus, nous avons mission de manifester cette présence et cette vie qui nous habite en veillant et en servant.
Nous tenir en tenue de service et les lampes allumées en attendant la pleine manifestation du Christ, c’est entretenir et garder vivante cette petite flamme fragile de l’Evangile. Petite flamme qui s’entretient dans le secret de la prière commune et personnelle, dans cette présence confiante au regard bienveillant du Père. Petite flamme d’Evangile qui à la suite du Christ nous fait sortir du secret pour être vus aux yeux des hommes. Petite flamme d’Evangile qu’il ne faut pas laisser étouffer par la haine, la violence, l’égoïsme ou l’indifférence. C’est cette petite flamme qui nous rend solidaire et attentifs au bien commun de l’humanité, et qui nous fait grandir dans la charité du Christ.
Là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur. Une question nous est posée : que voulons-nous faire de notre cœur ? Avons-nous le désir d’en faire un espace de lumière, de paix, de liberté intérieure ? Jésus nous dit que pour préparer ce trésor dans le ciel il nous faut faire de la place, de la place dans nos cœurs aux autres, savoir donner, partager.
Jésus semble nous enseigner ceci : c’est en regardant vers le Ciel, en tournant notre cœur vers le Seigneur, que nous pouvons porter un juste regard sur les biens de la terre et faire de cette terre un lieu de vie où le Ciel peut se manifester et dans lequel notre cœur peut se dilater et apprendre à aimer comme Dieu aime. Le Christ nous confronte à la loi des espaces : si notre cœur se tourne vers le Ciel il peut embrasser la terre, s’il ne se tourne que vers la terre il ne peut embrasser le Ciel. Oui, heureux êtes-vous, nous dit Jésus, si vous faites ainsi.

 


Ste Marie-Madeleine, solennité dans le diocèse de Frejus-Toulon, homélie de frère Marie

Très tôt dans l’Eglise, même si cela est encore discuté, la figure de Marie Madeleine a été identifiée à la femme pècheresse pardonnée qui baignait les pieds de Jésus de ses larmes, les essuyait avec ses cheveux et les oignait de parfum lors d’un repas chez un pharisien, et aussi à Marie de Béthanie qui assise au pied du Seigneur buvait ses paroles, elle aussi oignit Jésus d’un parfum précieux. Marie Madeleine nous est aussi présentée comme une disciple du Christ, délivrée par lui de sept démons, c’est dire comment Jésus a opéré en elle une conversion radicale, Jésus est devenu pour Marie Madeleine lumière de vie. Tout ceci nous dit quelque chose de l’action du Christ en nos vies quand nous confions à lui avec confiance et amour, quand nous nous nourrissons de sa parole.
Dans l’évangile de ce jour, après avoir été présente au pied de la croix, Marie Madeleine est présente au pied du tombeau de Jésus, dans le jardin. Elle est toute en larmes dans la perte de son bien-aimé, mais aussi dans l’incompréhension de cette disparition mystérieuse du tombeau vide, tout lui a été enlevé, elle ne peut plus rien saisir, ni même une dernière fois toucher les pieds de Jésus, même mort. Combien de vides parfois pouvons-nous ainsi expérimenter, ressentir, dans notre vie de foi ou d’espérance ? Comme Marie Madeleine nous avons été saisis par cette présence lumineuse, joyeuse du Christ, qui donne du sens à notre vie, et puis des évènements, des désillusions font que le bien-aimé c’est échappé, évanoui comme dans quelques tombeaux vides, que le mystère même de l’Eglise se retrouve obscurci comme s’il s’agissait d’un tombeau vide.
Alors Jésus s’approche à travers un visage autre, comme celui du gardien du jardin, Marie ne le reconnaît pas. Et voici qu’il l’appelle par son nom : « Marie ! », c’est la révélation de l’Alliance : " Je suis là, je serai toujours avec toi. "
Jésus est là, dans sa joie elle le saisit à nouveau ! Il ne va plus partir ! Elle veut le retenir.
- Ne me retiens pas, lui dit Jésus, je ne suis pas encore monté vers mon Père. Va chez les frères. Dis-leur que je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu.
Il l’envoie.
Jésus l’envoi en mission, va chez les frères ! Nous voyons dans les évangiles de Marc 16,9-11 et Luc 24,9-11 que quand elle est allée annoncer qu’elle avait vue Jésus vivant, ils ne l’ont pas crue. Racontar de femmes. Mais Jésus lui dit : Va ! Et il nous dit aussi, va ! Va dans la communauté, va chez les frères. Aller chez les frères, témoigner de ce que l’on vit, de cette vie nouvelle que nous portons, est un risque, toujours un risque : Comment allons-nous être accueillis ? Et pourtant la vie communautaire est un lieu essentiel. C’est le lieu où Jésus nous dit : « Je vais vers mon Père et votre Père », le lieu où Jésus nous enseigne à dire notre Père. Le lieu où la vie nouvelle peut devenir témoignage de la résurrection du Christ, le lieu où le Christ en nos vies peut vaincre les barrières de divisions, les haines, tout ce qui est mortifère. Oui, c’est là que le Christ, tout comme Marie Madeleine nous envoie.

 


St Benoît, patron de l'Europe, homélie du P. Abbé Vladimir Gaudrat

 

Chers Frères et Sœurs,

Nous fêtons aujourd’hui Notre Père Saint Benoît comme patron de l’Europe et la liturgie de ce jour nous le présente à la fois comme un modèle dont nous pouvons nous inspirer et comme un maître spirituel qui nous délivre un enseignement où nous pouvons encore puiser. Il y a 900 ans, Saint Bernard disait déjà de lui dans l’unique sermon qu’il lui consacre : « Sa sainteté nous affermit, son offrande de lui-même nous instruit, sa justice nous encourage ». Car si saint Benoît nous inspire ce n’est pas dans le but de construire un modèle figé d’identité chrétienne même européenne, modèle dont les nombreux partisans semblent rivaliser à celui qui supprimera le mieux tout référence à l’Évangile.

Saint Benoît nous éduque en nous disant de ne rien préférer à l’amour du Christ. Nous avons entendu Pierre dire dans l’Évangile : « Voici que nous avons tout quitté pour te suivre ». Ce n’est pas comme s’il mettait une condition pour suivre le sauveur. Cette suite s’enracine dans l’appel du Christ , notre réponse et l’amour que celle-ci fait naître, amour qui est à lui même sa récompense comme le dit saint Bernard. Si le Pape Grégoire le Grand, dans les premières lignes de la vie de saint Benoît nous le montre encore enfant « mépriser d’emblée le monde avec sa fleur comme un sol aride », c’est dans la perception d’un amour plus grand qu’il nous faut comprendre ce mépris. Devant la grandeur du don de l’amour de Dieu, le monde et toute sa richesse ne sont que vanité. C’est ce que manifeste la vision qu’eu, à la fin de sa vie, le Patriarche des moines, du monde rassemblé tout entier dans un seul rayon de la lumière divine. Il faut se quitter et quitter le monde pour pouvoir en retour le servir et le respecter comme un don de Dieu. Ce n’est pas en se mettant au centre que l’homme apprend à respecter le cosmos et encore moins à se respecter lui-même. Là, juste à côté de nous, il y a cette mer si bleue et si belle, cette mer autour de laquelle s’est construite notre civilisation et où nous laissons le plastique s’accumuler et les hommes se noyer comme de simples déchets. Elle crie silencieusement pour nous sa détresse si nos voix sont muettes. Si l’homme ne s’offre pas en s’oubliant lui même comme le dit saint Bernard de Benoît, il vit de la culture du déchet dont lui même ne devient qu’un élément qu’il est possible d’éliminer lorsqu’il est vieux, handicapé ou différent.
Face à cela, il y a autre message que nous donne aujourd’hui la liturgie en nous demandant d’avoir pour nos frères une grande charité comme l’enseigne l’Écriture et la règle de saint Benoît, de pratiquer une hospitalité inconditionnelle et de faire grandir l’unité et la paix. Benoit lègue à l’Europe un idéal de communauté fraternelle. Cette année, nous pouvons faire mémoire de cette dimension de fraternité en évoquant la figure de saint Etienne Harding, troisième abbé de Cîteaux qui, il y a 900 ans en 1119, fit approuver par le Pape la première version de la Charte de Charité. Ce document donne naissance à notre Ordre comme un organisme international qui va rapidement couvrir la plus grande partie de l’Europe. Il montre par « quel pacte d’amitié, par quel mode de vie ou plutôt par quelle charité » unir les moines se trouvant dans des abbayes dispersées dans diverses régions. La fraternité et la communions que Benoît demande aux moines d’une même communauté, la Charte de Charité les propose comme modèle à des moines et des moniales vivant dans différents pays, parlant différentes langues. C’est un idéal de collaboration non de domination, d’accueil et non d’exclusion, de partage des ressources.

Qu’à l’écoute de saint Benoît, nous sachions encore vivre de cet idéal.

 


Fête du Coeur Sacré de Jésus, homélie de frère Marie

« Oui, à cause du trop grand amour dont il nous a aimés, alors que nous étions morts à cause de nos péchés, il a voulu la vie pour nous, la mort pour lui. De là ses blessures sur la croix, de là le salut qui nous a été octroyé. Désir de notre salut et désir de sa propre mort pour notre salut, telles sont les deux blessures, l’une d’amour, et l’autre de douleur, ou plus exactement l’une et l’autre des blessures d’amour. » (Baudouin de Ford, traités , 8)
L’évolution culturelle nous a influencés par une imagerie qui cantonne la notion de cœur au domaine de l’émotion affective, de l’émotion, voire de l’attirance.
La dimension biblique de cœur est bien plus large. Le coeur représente ce qui est de l’ordre de l’intériorité. Il englobe l’intimité de la conscience, les desseins bons ou mauvais que l’on tourne dans sa tête. Le cœur représente aussi cette part spirituelle en nous qui peut s’ouvrir ou se fermer à la présence de Dieu, à la relation. La lumière de la foi passe par le cœur, cette lumière intérieure et spirituelle qui éclaire l’intelligence de la vie, son sens, sa valeur, le cœur ressent la joie de la présence de Dieu, ou la peine de son absence.
Les Ecritures nous parlent aussi d’un cœur sclérosé, un cœur endurci qui ne veut rien entendre de la Sagesse divine, un cœur enclos sur sa propre possession, son propre pouvoir, un cœur qui se ferme au bien de l’autre jusqu’à le soumettre ou l’ignorer.
Le cœur exprime si bien le contenu de la personne, de ses intentions, de sa volonté et de ses désirs, qu’il va transparaître jusque dans ses agissements, ses choix, ses orientations.
C’est pourquoi lorsque l’on parle du cœur du Christ, nous parlons du cœur de Dieu qui se manifeste et s’exprime en son Fils Jésus, comme nous le rappelle St Jean: « Personne n’a jamais vu Dieu, Dieu Fils unique qui est dans le sein du Père, nous l’a dévoilé » Jn 1, 18.
Lorsqu’il s’adresse à ses disciples Jésus enseigne : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur, mettez-vous à mon école » Mt 11, 29.
Il ne faut pas se méprendre, cette douceur et cette humilité sont aussi l’expression de la force de Dieu, de sa fidélité, de sa patience, de sa miséricorde, même lorsque l’homme ne veut plus rien entendre de ce Dieu. Surdité et aveuglement de l’humain qui s’exprimera jusque dans la condamnation du Juste et de l’Innocent par excellence, le Christ Jésus par lequel Dieu donne sa vie et pardonne.
Même lorsque les hommes se dévoient dans leur liberté et qu’ils détruisent le projet de Dieu, Dieu ne peut se résoudre à effacer son œuvre, à ramener l’humanité et la création au néant. Non, son cœur se retourne en lui, il se repent du châtiment qu’il aurait pu appliquer en toute justice, il ouvre des voies de pardon et de repentir pour l’homme car dit-il : « Je ne veux pas la mort du pécheur, mais qu’il se repente, qu’il se retourne vers moi et qu’il vive ». C’est pour cela que Jésus peut déclarer qu’il y plus de joie pour un seul pécheur qui se convertit que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n’ont pas besoin de conversion. Mais où trouver quatre-vingt-dix-neuf justes qui n’ont pas besoin de conversion ?
Oui le Seigneur est sans cesse en quête de nous, si le Seigneur nous désire tant, c’est pour nous faire entrer dans la vie qu’il détient en plénitude.
Dieu se présente comme un berger qui cherche à rassembler ses brebis, pour en prendre soin, les rendre heureuses. Il recherche ses brebis comme il recherchait Adam qui cachait sa peur et sa honte dans les buissons, car il veut que l’homme puisse vivre en sa lumière et non dans l’ombre du néant.
De cette initiative il ne nous en revient aucun mérite, c’est Lui qui nous a aimé le premier. Dans la parabole que déploie Jésus, ce qui sauve la brebis perdue c’est que le berger se fait un avec elle, comme il se fait un avec chacun de nous, quel que soit le prix de sa fatigue ou de sa peine, quels que soient nos chemins tortueux par lesquels il nous cherche.
Le cœur ouvert de Jésus est le lieu de toute réconciliation, c’est le chemin de notre divine filiation.
« Frères, nous dit St Paul, l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné ».
Si l’Esprit Saint nous a été donné, s’il a été répandu en nos cœurs, c’est aussi pour que nous marchions selon l’Esprit. L’Esprit nous ouvre l’intelligence du cœur pour nous faire agir selon la vérité de Dieu qui s’exprime en Christ.
Jésus est doux et humble de cœur, mais il est aussi vérité et sainteté. Comme nous le voyons dans les évangiles Jésus n’hésite pas à fustiger l’hypocrisie religieuse, ou à dénoncer l’égoïsme et l’injustice.
Laissons-nous attirer par ce cœur qui nous parle si bien de Dieu et qui nous parle aussi de cette belle humanité que nous pouvons et sommes appelés à devenir en Christ.
Nous ne savons pas aimer comme il faut, comme nous ne savons pas nous laisser aimer comme il faut, mais à l’école du Christ et sous la conduite de l’Esprit Saint nous pouvons l’apprendre et l’expérimenter quelques soient nos limites humaines.

 


Dimanche de la Pentecôte, homélie du P. Abbé Vladimir Gaudrat

Chers Frères et Sœurs

« Voici qu’ils étaient réunis tous ensemble » avons-nous entendu lire dans l’Écriture au livre des Actes des Apôtres car c’est bien par le fait d’être ensemble que commence la mission des apôtres. C’est de cette vie commune, de cette communion, de cette joie d’être ensemble que parle de manière prophétique le psaume lorsqu’il dit : « Oui il est bon, il est doux pour des frères de vivre ensemble et d’être unis ». C’est pour rassembler les hommes en proie aux divisions de toute sorte que l’Esprit Saint, le Défenseur est envoyé sur le monde. En effet, comment vivre ensemble et être unis si ce n’est sous la conduite de l’Esprit qui atteste à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu et donc tous fils et filles d’un même Père. Comment gouter la douceur de cette vie commune qu’est la vie chrétienne sans le secours de ce défenseur lui qui nous aide à combattre avec force l’accusateur de nos frères, toujours prêt à semer le trouble entre nous. Comment être unis en vérité sans nous sentir responsable les uns des autres. La venue de l’Esprit Saint est l’acte fondateur de la communauté des croyants, de l’Église. Et s’il nous faut, sans cesse et peut être spécialement en ce temps, réparer l’Église, ce ne peut être qu’unis dans le Défenseur, celui qui nous enseigne tout en nous faisant souvenir de tout ce que le Christ a dit.
« Voici qu’ils étaient réunis tous ensemble ». Les langues qu’on aurait dit de feu se partagent et il s’en posa une sur chacun d’eux. Comme cette image le fait comprendre, il n’y a rien de plus personnel et de plus intime que le don de l’Esprit et pourtant c’est cet intime qui nous unit de l’intérieur, c’est lui qui nous construit dans l’unité. La charité est ce baume précieux, cette huile qui descend et adoucit tout, signe de cette bénédiction manifestée dans la communion. Dans le récit des Actes des Apôtres que nous venons d’entendre, il y a comme deux moments, deux actions. Ils sont là réunis tous ensemble, dans un même lieu et chacun s’exprime suivant le don de l’Esprit. Puis, nous les retrouvons, sans transition devant la foule stupéfaite et émerveillée puisque chacun les entend parler dans sa propre langue. L’Esprit Saint fait parler et ne crée pas un cercle fermé, un groupe replié sur lui-même, une secte. Il veut, par nous, parler aux hommes jusqu’aux extrémités de la terre dans leur propre langue. La parole de Dieu passant par les langues humaines, a pris la ressemblance du langage des hommes, de même que le Verbe du Père est devenu semblable aux hommes. Et nous avons à continuer cette transmission de la parole dans l’Esprit et dans les langues de tous les hommes. La communauté fondé par cet Esprit, ce n’est pas un groupe à préserver, une identité à défendre mais une parole et une bonne nouvelle qu’il faut semer, dont il faut témoigner jusqu’aux extrémités du monde. « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, mon Père l’aimera et nous nous ferons chez lui une demeure ». Il y a un retour à l’unité factice qui nait de la suppression de toute différence et un vrai retour à l’unité que nous célébrons aujourd’hui et qui nait de leur intégration. C’est cela l’Église, peuple de Dieu conduit par l’Esprit qui tire son unité de celle de la Trinité ou se trouvent ensemble la plus parfaite unité et la plus parfaite distinction entre les personnes.
« C’est là que le Seigneur envoie la bénédiction, la vie pour toujours »


7e dimanche de Pâques – C, homélie de frère Bartomeu

Chers frères et sœurs, au commencement de la Veillée Pascale nous avons entendu la lecture de la première page de la Bible dans le livre de la Genèse : « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre… » (Gn 1,1). Et voici que tout à l’heure, alors que nous approchons de la fin du Temps Pascal, nous avons entendu, dans l’Apocalypse de saint Jean, les dernières paroles de la Bible : « Amen ! Viens, Seigneur Jésus ! » Symboliquement nous avons parcouru toute la Bible.
Pâques, ce jour qui en dure cinquante, est chaque année le sacrement de toute notre vie de chrétiens. Et nous y apprenons à lire la Bible lorsque le Christ ressuscité ouvre l’intelligence des disciples à la compréhension des Écritures et de tout ce qu’il y a écrit à son sujet dans la loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes (Lc 24,25-27 et 44-47).
C’est en comprenant ce qui dans les Psaumes concerne le Christ que nous apprenons à les lire, à les écouter, à les prier. Et on pourrait dire que c’est Étienne qui a été le premier à le faire, dans la page des Actes des Apôtres que nous avons entendu lire tout à l’heure.
Étienne, le premier martyr, dans sa mort a suivi l’exemple de Jésus. Comme Jésus qui avait dit : « Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu’ils font » (Lc 23,34), Étienne, avant de s’endormir dans la mort, « s’écria d’une voix forte : Seigneur, ne leur compte pas ce péché. » Le Vendredi saint nous avons entendu aussi que Jésus, sur la croix, poussa « un grand cri : Père, entre tes mains je remets mon esprit. Et après avoir dit cela, il expira » (Lc 23,46). C’étaient des paroles du psaume 30, que nous avons entendu ce jour-là comme de la bouche de Jésus, avant la lecture de la Passion : « En toi, Seigneur, j’ai mon refuge ; garde-moi d’être humilié pour toujours. En tes mains je remets mon esprit » (Ps 30,2.6). Et voici qu’aujourd’hui nous avons entendu Étienne qui, « pendant qu’on le lapidait, priait ainsi : Seigneur Jésus, reçois mon esprit. » Les paroles du psaume que Jésus avait adressées au Père, Étienne les adressa à Jésus.
Désormais, comme nous le trouvons dans beaucoup de pages du Nouveau Testament, ce que les Psaumes disaient de Dieu ou à Dieu, nous le disons du Christ, au Christ ou avec le Christ.
C’est ce que nous invitait à faire le psaume que nous avons écouté ce matin après avoir entendu la prière d’Étienne. Depuis qu’il a « contemplé les cieux ouverts et le Fils de l’homme debout à la droite de Dieu » et, avec les paroles du psaume, a adressé sa prière au « Seigneur Jésus », c’est de lui qu’avec le psaume, après que nous célébré son Ascension, nous proclamons : « Le Seigneur est roi, le Très-Haut sur toute la terre ! » C’est de lui que nous disons : « Les cieux ont proclamé sa justice. » C’est de lui que nous disons : « Tous les peuples ont vu sa gloire. » C’est à lui que nous disons : « Tu es, Seigneur, le Très-Haut sur toute la terre. »
« Amen ! Viens, Seigneur Jésus ! »

 


Fête de la Visitation, homélie de frère Marie

La visitation de Marie à Elisabeth est la figure de toute vraie rencontre. 

Mystère de l’hospitalité réciproque la plus complète.

Chacune porte en elle un mystère caché à l’intérieur. Marie la vierge porte le fruit d’un consentement à une parole divine, et Elisabeth la stérile porte en elle le fruit d’une miséricorde. 

 Marie pleine de la Parole de vie s’élance vers la maison d’Elisabeth, car elle a appris que Dieu lui avait fait miséricorde. 

Est-ce que la miséricorde de Dieu ne plane pas sur tous ?

Marie est aussi porteuse de bénédiction, porteuse de la bénédiction de Dieu  incarnée en elle et destinée au monde entier. La bénédiction est venue à la rencontre de l’espérance des pauvres de cœur, de ceux qui abritent la petite flamme de la foi, et elle devient manifestation pour tous, épiphanie.

En tant que chrétiens ne sommes-nous pas appelés comme Marie à cette mission d’apporter cette présence du Verbe qui éclaire et qui appelle l’Esprit Saint à la croisée de nos rencontres ?

Marie n’a rien entre les mains, pas de leçon à donner, ni de connaissances apprises ni de projet pastoral. Elle souhaite la paix à Elisabeth. La Paix est la première salutation de l’apôtre :

« Voici que je vous envoie…N’emportez rien pour la route…Dans toute maison où vous entrerez dites ‘ Paix à cette maison’ »

Cette ‘paix’, ‘shalom’ en hébreu ou dite en grec sur le registre de la joie ‘réjouis-toi’, exprime l’accomplissement de la promesse divine, l’horizon d’une plénitude.

Nous approchons-nous de l’autre, du voisin comme de l’étranger avec ce désir dans le cœur ?

La vraie rencontre est dépendante de la gratuité. 

Dans cette gratuité s’exprime un non-désir de puissance, une abstention d’emprise, s’exprime une identification à la figure du ‘serviteur’.

La rencontre est aussi une véritable expérience de l’humilité dans toute sa fécondité. Ainsi nous faisons nôtre chaque jour, pour nous en imprégner le chant de Marie :

« Le Seigneur s’est penché sur son humble servante…le puissant fit pour moi des merveilles ; Saint est son nom ».

 


Solennité de l'Ascension, homélie du P. Abbé Vladimir Gaudrat

Chers Frères et Sœurs,

« Voici qu’une nuée vint soustraire Jésus aux yeux des apôtres » avons-nous entendu lire dans les Actes des Apôtres. Dans ce récit symbolique car la nuée est dans la Bible l’image et le symbole de la Gloire de Dieu telle qu’elle s’est manifestée à Moïse au Sinaï, c’est la glorification du Christ dans son humanité qui nous est révélé. Saint Paul dans la lettre aux Philippiens n’écrit pas autre chose lorsqu’il dit que « Dieu a élevé le Christ et lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom afin que toute langue proclame que Jésus Christ est Seigneur ». Et c’est de la même manière que la lettre aux Hébreux dit que le Christ n’est pas entré dans un sanctuaire fait de main d’homme mais dans le ciel même. En ce jour, nous fêtons la Seigneurie du Christ, l’aboutissement du chemin qu’il a parcouru parmi nous en se faisant homme, en faisant le bien et se donnant à nous jusqu’à la mort et la mort de la Croix. Et de ce chemin de mort et de résurrection, nous sommes participants, vivant en espérance auprès de lui.

Mais alors que les apôtres le regardent puis ne le voient plus, d’une certaine manière l’Ascension semble être aussi comme le commencement d’une absence. Cette absence n’est pourtant que le début d’une nouvelle forme de présence, car sinon pourquoi les deux hommes vêtus de blanc diraient-ils : « Galiléens, pourquoi restez-vous là à regarder le Ciel ». Si le Christ n’était plus présent aux hommes et à l’Église, les chrétiens à la suite des Apôtres n’auraient pas d’autre vocation que d’attendre son retour ce qui contient à la fois une part de vérité et qui est en même temps une grande tentation dans laquelle nous sommes parfois tombés.

Chers Frères et Sœurs,

Lors du dernier entretien qu’il eut avec ses apôtres le Christ leur dit déjà comment l’attendre d’une attente qui n’est pas que cela et cela vaut aussi pour nous. Il n’y a pas à sa soucier des temps, pas à se soucier d’un royaume à construire mais à être des témoins jusqu’aux extrémités de la terre. C’est ce qui fait des disciples du Christ non pas d’abord des chrétiens comme un mot que l’on plaquerait sur une identité à défendre mais suivant la première définition que l’on donne d’eux au chapitre 9 des Actes des Apôtres des disciples de la voie, c’est à dire de celui qui a dit de lui même « Je suis le chemin, la vérité et la vie ». Si le Christ nous est encore présent, c’est parce qu’il est la Voie. Pour nous et saint Benoît a très bien compris cela parce que le mot voie revient très souvent dans sa Règle, il n’y a pas d’abord des valeurs à défendre, une identité à protéger et ceux qui disent cela même s’ils sont des hommes d’Église ne cherchent souvent malgré les apparences qu’à protéger leur pouvoir et leurs richesses. Il y a une voie à suivre dont nous savons qu’elle est étroite et resserrée mais qu’à mesure qu’on y avance le cœur se dilate et l’on court avec joie. Il y a cette voie qui n’est pas d’abord une manière de vivre mais un appel à la sainteté, un appel à avoir part à la mort et à la résurrection du Christ, objectif impossible à atteindre pour les hommes mais à Dieu rien n’est impossible. Le Pape François dans son exhortation apostolique à la sainteté et donc à la joie nous dit que cette voie, c’est celle des béatitudes : « Heureux les pauvres, Heureux ceux qui pleurent, Heureux les doux et ceux qui ont faim et soif de justice et celle des critères du jugement dernier tel qu’on les trouve dans l’Évangile de Mathieu : « J’avais faim, j’avais soit, j’étais un étranger et un prisonnier et vous m’avez donner à manger et à boire, vous m’avez accueilli et visité en le faisant à l’un de ces plus petits ».

Chers Frères et Sœurs,

Avec le Christ dans la gloire mais qui vient chaque jour à notre rencontre sous un humble aspect, réjouissons nous d’être des disciples de la voie, une voie qui est la vie et qui peut réconcilier toutes les cultures et les manières de vivre, une voie qui fait que chaque jour nous sommes des débutants pour qui la voie du Christ ne fait que commencer.


4ème dimanche de Pâques - C, homélie de frère Marie

Trois mots, trois images, accompagnent les lectures de ce dimanche : berger, agneau et brebis.
Le berger est celui qui conduit, qui veille et qui prend soin. L’agneau est celui qui est offert, qui donne sa vie, qui devient signe. La brebis est celle qui se laisse guider, soigner, qui reconnaît la voix de son berger.
En Jésus les deux premières images concordent. Il est à la fois berger et agneau. Jésus nous dit qu’il est le bon, le vrai berger. Le vrai berger à un mandat, une mission, Jésus est l’envoyé du Père, sa véritable Parole de vie et d’amour. Il ne prend pas possession de la bergerie n’importe comment, il entre par la porte étroite qui est le don de soi. Il se donne agneau pur et innocent pour vaincre le mal et la haine à sa racine.
C’est parce que Dieu aime Jésus de façon inconditionnelle que Jésus est mis à son tour en condition d’aimer les êtres humains de la même manière, jusqu’au don de sa vie. Expression de l’amour en acte, qui n’est pas qu’un passage par la mort, mais qui est victoire de la vie sur la mort. C’est par ce don qu’émerge une nouvelle communauté qui efface les privilèges religieux et les séparations entre nations. J’ai d’autres brebis dit-il qui ne sont pas de cette bergerie. C’est parce que nous sommes nous aussi aimés de façon inconditionnelle par le Père et par Jésus que nous sommes appelés, que nous avons vocation à tant aimer jusqu’à bout de notre souffle, à travers les diverses situations auxquelles nous sommes confrontés au cours de nos vies.
Nous avons très souvent peur de l’idée de don de soi, elle est souvent liée à une sorte d’idée de mort, cette idée de mort n’est pourtant pas enferment dans la mort, la mort de Jésus est un passage vers la vie, elle est élévation, retour vers le Père, elle produit du fruit ; si vous êtes mes disciples nous dit Jésus vous porterez beaucoup de fruits. L’idée de vocation passe par le don de soi, un oui guidé par le oui de Jésus. Il est aussi porte et chemin.
Jésus nous fait partager sa mission, celle dont nous investit le baptême en Jésus Christ. Mission qui est de tendre à travers une écoute, une obéissance à la parole du Christ et de son Esprit, de tendre à manifester une unité de vie avec lui, qui est de manifester la réalité de Dieu au sein du monde. Unité qui nous fait tendre à nous rapprocher les uns des autres.
On peut se demander alors qu’en est-il du baptême, de sa force régénératrice quand tant de baptisés ne manifestent plus grand-chose ou plus rien de cette réalité de Dieu au sein de leur vie ou dans le monde, oublient. Voire même pourquoi tant de baptisés commettent des actes criminels qui défigurent le visage de l’Eglise. Le baptême est un lien, un lien qui doit s’entretenir pas seulement de façon formelle, mais par le désir de Dieu, à l’écoute de cet appel permanent qui résonne au secret de notre cœur et qui est relayé par l’Esprit Saint en Eglise. Ce qu’on oublie c’est que le baptême avant même d’être un engagement de la communauté ou de la personne, est avant tout un engagement de Dieu envers nous, une présence indéfectible à nos vies, un appel constant à une relation amoureuse, mais que nous pouvons souvent faire passer par l’oubli ou nos manques d’amour, par le mystère de la croix, le mystère de l’Agneau immolé pour nous et par nous.
Jésus va nous montrer le plus important. Le plus important c’est qu’il connaît chaque brebis par son nom. Dans la Bible le nom est quelque chose de très important, Jésus est en communion avec chacun. Qu’est-ce que c’est que cette communion avec chaque brebis ? D’abord de l’aimer, c’est ça un berger : il aime son peuple, il aime le troupeau, mais il aime chacun individuellement, il connaît chacun par son nom. Connaître chacun par son nom c’est connaître ses dons, sa mission, ses fragilités, peut-être aussi son histoire. Parce que chacun de nous nous avons une histoire à la fois belle, fragile, à travers laquelle on s’est découvert, à travers laquelle aussi on a été blessé. Mais le cœur de cette relation du berger avec la brebis c’est une relation de confiance.
Nous sommes appelés aussi à être de vrais bergers, comme Jésus, avec toute la tendresse, la capacité de pardonner, la capacité d’élever. Pour cela nous avons besoin de l’Esprit Saint. Nous avons besoin que notre cœur de pierre soit changé en cœur de chair pour nous laisser attirer et par Jésus et par les appels des autres en ce monde.

 


Lundi de Pâques, homélie de frère Marie

Toutes tremblantes de crainte et joyeuses, les femmes quittent le tombeau vide.
Et Jésus vint à leur rencontre : « Soyez dans la joie, ne craignez pas ! »
La foi en Jésus est le fruit d’une rencontre, d’une présence.
Cette rencontre peut être préparée par une suite de transmissions, par une succession de témoignages, ou par une quête de sens. Mais cette rencontre est surtout présence du Christ en nos vies, Christ qui vient à la rencontre de notre désir, de notre espérance et de notre impuissance, car c’est essentiellement son œuvre.
Par l’Esprit Saint Jésus se rend présent à nos vies comme une évidence, à la fois incontournable et insaisissable.
« Il est à ma droite : je suis inébranlable », nous dit le Psaume.
Le Ressuscité est présent avec son amour inébranlable qui soutient notre espérance, qui accompagne nos doutes et qui nous ouvre à notre mission dans le monde.
Dans la 1ère lecture des Actes des apôtres Pierre s’adressant à la foule proclame ce dont il a été témoin, ce qu’il a vu, entendu, ce qu’il a côtoyé du Verbe de vie, ce qu’il a aussi douloureusement éprouvé aussi devant la passion de Jésus et au cœur de sa peur et de son reniement.
Pierre avait rencontré l’homme de Nazareth, avait cru à son message sans vraiment le comprendre, avait été témoin de ses miracles. Et cependant devant la passion et la mort de Jésus, Pierre a vacillé, il a perdu pied, sa logique s’en est trouvée complètement déstabilisée. Sa foi n’était pas complète. Il a fallu que Jésus vienne à nouveau à sa rencontre, de par-delà le mystère du tombeau vide, après avoir ouvert un passage dans l’inconcevable, un passage de vie au travers de la faiblesse et de la mort.
Jésus est venu à la rencontre de Pierre et des apôtres, comme à la rencontre des femmes, comme il vient dans notre aujourd’hui à notre rencontre et nous dit : « Ne crains pas ! Je ne viens pas pour juger tes faiblesses, pour juger tes doutes, je ne viens pas pour t’accuser d’avoir pris part au mensonge, non je viens à ta rencontre par ce que j’ai ouvert pour toi un passage ! »
« Je viens à ta rencontre car j’ai ouvert pour toi le chemin de la vie. Ne crains pas, je suis venu à toi pour que tu mettes tes pas dans les miens. Pour t’apprendre le chemin de la vie. » Ps 15, 11
Que l’Esprit Saint nous soutienne dans notre chemin de foi, d’espérance et de charité, dans notre vie en Christ.

 


Jour de Pâques, homélie du P. Abbé Vladimir Gaudrat

Chers Frères et Sœurs,

Voici qu’en ce matin, nous sommes avec Pierre et l’autre disciple, celui que Jésus aimait en train de courir vers le tombeau. Il s’est passé quelque chose et ils courent pour découvrir quoi puisque Marie Madeleine leur a donné ce message inquiétant : « On a enlevé le Seigneur de son tombeau, et nous ne savons pas où on l’a déposé ». Et l’autre disciple puis Pierre arrivent au tombeau même si c’est dans l’ordre inverse qu’ils vont y entrer l’un après l’autre disciple. Ils voient alors les linges posés à plat et le suaire roulé à part à sa place.

Marie Madeleine a vu le tombeau vide et malgré tout son amour elle ne croit pas encore. Il faudra que le ressuscité l’appelle par son nom pour qu’elle s’ouvre à sa présence. De Pierre, il n’est rien dit. Luc dans l’Évangile que nous avons entendu cette nuit, nous dit qu’il s’en retourné chez lui, tout étonné de ce qui était arrivé. En dernier lieu, l’autre disciple entre et nous dit l’Évangile, il vit et il crut. Derrière l’apparente simplicité de cette phrase se cache un mystère. Sa foi ne nait pas de la stricte matérialité de ce qu’il voit puisqu’il ne se passe rien de semblable pour le moment, ni pour Marie Madeleine, ni même pour Pierre. Eux voient et ne croient pas encore. Il nous faut penser pour ce disciple aimé à un double regard. Avec les yeux de la chair, l’autre disciple ne voit qu’une absence radicale. Aves les yeux de la foi, il voit que ce tombeau vide est le signe non seulement de la résurrection mais de la présence du ressuscité. Ce mystère est toujours le même pour nous. C’est uniquement par la foi que nous entrons en communion avec le ressuscité. Nous avons certes le témoignage des Écritures comme celui que nous avons entendu comme première lecture dans les Actes des Apôtres. « Celui qu’ils ont supprimé en le suspendant au bois du supplice, Dieu l’a ressuscité le troisième jour. . . Quiconque croit en lui reçoit par son nom le pardon de ses péchés ». Nous avons aussi le témoignage de tous les saints qui nous ont précédés et qui nous montrent de manière presque palpable la vie nouvelle que le ressuscité offre à tous les hommes. Mais c’est la foi qui est un don de Dieu, la foi de notre baptême qui nous met en communion avec le ressuscité.
Le tombeau vide est ce qui convient le mieux à notre foi comme une invitation sans cesse renouvelée à nous ouvrir à cette grâce pour qu’elle grandisse. Cette foi n’est pas seulement une connaissance, elle est aussi un engagement à marcher sur les pas du ressuscité, elle est une foi agissant par la charité qui nous fait voir les pas du ressuscité aujourd’hui dans notre monde, qui nous fait discerner le visage du Ressuscité sous le visage des hommes en particulier les plus pauvres come le dit Saint Benoît dans sa Règle.
Demandons au Seigneur de faire grandir notre foi afin qu’elle soit la source d’un témoignage contagieux pour les hommes.


Nuit de Pâques, homélie du P. Abbé Vladimir Gaudrat

Chers Frères et Sœurs,

Nous voici en cette nuit, avec toute l’Église devant le tombeau vide mais nous ne sommes pas désemparés comme pouvaient l’être les femmes au début de l’Évangile que nous venons d’entendre. Le tombeau vide n’est pas pour nous le signe d’un abandon ou d’une défaite mais de la présence du Ressuscité, celui que les deux hommes en habit éblouissant appellent le Vivant. Le tombeau est vide mais Celui qui était mort et qui est désormais le Vivant y a laissé une trace, celle des linges, comme pour nous signifier qu’il est maintenant présent d’une autre manière, selon l’Esprit. Il est présent au monde d’une manière totalement nouvelle pour nous donner la vie. Il a été livré aux mains des pécheurs, crucifié et le troisième jour il est ressuscité conformément aux Écritures. C’est le message dont témoignent tous les apôtres et à la suite des apôtres, l’Église jusqu’à aujourd’hui. C’est la foi que nous confessons. Nous avons été mis au tombeau avec le Christ pour mener une vie nouvelle avec lui comme nous le dit Saint Paul dans la lettre aux Romains. Notre vie est désormais dans la communion avec le Ressuscité présent dans son Église, présent au cœur du monde d’une manière toujours nouvelle. Nous sommes là comme une communauté vivante confessant ensemble que Dieu a tant aimé le monde qu’il lui a donné son Fils Unique. Et que cet amour est vainqueur de la mort, de toute mort.

Cher Sylvain,
Le Seigneur t’a appelé jusqu’à cette nuit où tu demandes le baptême. Le chemin que tu as parcouru a été pour toi un chemin de vérité parce que la liberté des enfants de Dieu est dans la vérité. Il est un chemin de pardon puisque tu vas être libéré du péché et il te faudra découvrir jusqu’où ce pardon te conduit. Il est un chemin de guérison puisque tu vas recevoir l’onction qui achèvera de te rendre semblable au Christ et que par cette onction, l’Esprit saint, le seul vrai consolateur, viendra pénétrer pour les transfigurer tes angoisses, tes blessures et tes péchés. Tu pourras ainsi gouter chaque jour davantage l’amour de Dieu qui surpasse toute connaissance, qui te pénétrera et te transformera. Et voici qu’en cette nuit, toute l’Église le corps du Christ est autour de toi. Il y a l’Église du ciel dont nous allons demander la prière. Et puisque qu’elle veille sur nous, il y a celui que tu t ‘es chois comme protecteur, ce moine russe Silouane ou Sylvain de l’Athos. Puisses t’il t’apprendre à ne jamais plus désespérer (c’est d’ailleurs ce que dit aussi notre Père Saint Benoît) et à prier pour tous les hommes comme nous avons entendu du haut de sa Croix le Christ prier pour ses bourreaux : « Père, pardonne leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ». Il y a notre petite église monastique au sens large avec ses amis et ses familiers qui t’entoure dans la joie et la liberté en rendant grâce pour ce qu’elle a vu de l’action de l’Esprit en toi. Il y a aussi tous ceux qui sont là ce soir et qui sont venus sans savoir que tu serais baptisé en cette nuit et qui pourtant reçoivent en cette même nuit la mission de prier les uns pour les autres et pour toi afin que notre joie grandisse toujours jusqu’à atteindre la plénitude de celle du royaume.
Que la profession de foi que nous ferons ensuite en commun fasse en nous grandir la certitude que nous sommes une seule famille unie dans l’amour pour servir le monde.


Vendredi Saint, homélie du P. Abbé Vladimir Gaudrat

Chers Frères et sœurs,

Contemplons et méditons le visage du Sauveur dans sa passion. Contemplons le, élevé sur la Croix pour le salut du monde. Il est pour nous remède et salut comme le dit le cistercien Guerric d’Igny. « Comme Moïse a élevé le serpent dans le désert, il faut que le Fils de l‘Homme soit élevé afin que quiconque croie, ait en lui la vie éternelle » disait Jésus de manière prophétique à Nicodème venu de nuit le trouver. Au soir de ce jour, voici que Nicodème revient avec Joseph d’Arimathie pour mettre en terre le corps du Sauveur.
Regardons celui qui a été transpercé. Ceux qui se lamentent sur eux-mêmes le verront et ils guériront.
Regardons le parce qu’il porte sur lui toute la douleur du monde à tel point qu’Isaïe a pu prophétiser de lui qu’il était si défiguré qu’il ne ressemblait plus à un homme, il n’avait plus l’apparence d’un fils d’homme ». Et c’était nos souffrances qu’il portait. Méditons comment la foule crie contre lui, comment les soldats se partagent ses vêtements, homme de douleur familier de la souffrance pareil à celui devant qui on se voile la face. Et à travers ce visage rejoignons les visages de tant de nos contemporains qui ont en commun avec lui le rejet, le mépris, le fait d’avoir été réduit au silence, abusé et qui n’intéressent apparemment personne, devant qui on se voile la face. Rejoignons le visage des victimes des guerres, des réfugiés, des sans domicile et de tant d’autres. « En effet, nous n’avons pas en Jésus un grand prêtre incapable de compatir à nos faiblesses puisqu’il a été éprouvé en toutes choses, à notre ressemblance excepté le péché ».
Regardons le visage du sauveur, il porte le péché des multitudes et donc aussi le notre, il s’identifie aux victimes et il intercède pour les criminels. Que nous nous lamentions pour nos fautes ou pour nos souffrances, il y a en lui une force de vie qui dépasse tout. Le mal et la souffrance, il les prend dans sa main.

Voici que tout est accompli et que l’agneau qui porte le péché du monde remet au Père son esprit dans une prière qui est comme une dernière intercession pour le monde. Regardons le visage de Jésus mourant. Il viendra à notre rencontre, il viendra nous surprendre comme il l’a fait pour Marie Madeleine et les disciples d’Emmaüs sous un aspect étranger au matin de sa résurrection, là où tout renaît.


Cène du Jeudi Saint, homélie du P. Abbé Vladimir Gaudrat

Chers Frères et sœurs

Avant la fête de la Pâque, la nuit où il était livré, au cours du repas, Jésus lave les pieds de ses disciples. Lui le Maître et le Seigneur, qui va être livré pour le prix d’un esclave, aime les siens jusqu’au bout. Il se donne avant d’être trahi. Il dépose son vêtement, prend un linge et se met à laver les pieds de ses disciples. Nous sommes peut être tellement habitués à entendre ce passage de l’Évangile que nous ne percevons plus le côté scandaleux de ce qui est décrit et qui fait réagir Pierre. Lui le Maître et Seigneur se fait semblable à un esclave. Aimer jusqu’au bout pour Jésus, ce n’est pas seulement enseigner la bonne nouvelle du royaume par ses paroles et ses gestes de guérison qui vont jusqu’à ressusciter Lazare. Aimer jusqu’au bout, ce n’est pas uniquement multiplier les pains pour rassasier la foule, ouvrir les yeux de l’aveugle et prêcher avec autorité. Aimer jusqu’au bout c’est se faire le dernier de tous en lavant les pieds comme un esclave avant de mourir sur la Croix. En lavant les pieds de ses disciples, il les invite à avoir part à son royaume dont la croix est la porte d’entrée. Pour Saint Bernard, le lavement des pieds est le sacrement du pardon parce que seul le pardon permet à l’amour de circuler.
Paul et les autres évangélistes nous disent aussi qu’au cours du même repas, Jésus institue l’Eucharistie qui est le sacrement de son amour et une autre manière de se donner jusqu’au bout, jusqu’à la consommation des siècles. « Ceci est mon corps, qui est pour vous. . . Cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang ». Bien plus que le sang qui a libéré le peuple élu de l’oppression de l’Egypte, ce sang nous donne une libération définitive. En versant son sang, le Christ a versé son amour et nous recevons de lui la charité et la vie. C’est ce soir que pour les apôtres et pour nous commence la vie nouvelle.

Avec toute l’Église, nous sommes invités à faire inlassablement à la fois chaque jour mais de manière plus solennelle en ce jour ce que le Christ a fait pour nous en nous aimant jusqu’au don total de sa vie. « Vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. . . Faîtes, vous aussi, comme j’ai fait pour vous ». « Faîtes cela en mémoire de moi », non d’une mémoire tournée vers le passé mais d’une mémoire du futur, une mémoire du royaume caché qui vient et se révèle. Et c’est bien ce que nous allons faire ensemble ce soir, célébrer le pardon et la charité du Christ, les recevoir et les faire circuler entre nous et au delà jusqu’aux extrémités du monde, jusqu’aux périphéries. Il n’est pas possible de séparer l’eucharistie du lavement des pieds, le sacrement de l’humilité et du pardon de celui de l’amour. C’est ce qu’avait bien compris l’orfèvre qui réalisa le tabernacle où nous allons transférer le Saint Sacrement à la fin de cette célébration lorsqu’il représenta sur ses portes à la fois l’institution de l’Eucharistie et le lavement des pieds.

Chers Frères et Sœurs,
Cela n’est sans doute pas possible, mais comme je voudrai que ce soir, tous ensemble nous nous lavions les pieds les uns les autres, pour nous recevoir les uns des autres dans une humble charité, dans un engagement à nous servir, à nous accepter tels que nous sommes avec nos différences, nos limites, nos blessures et nos péchés pour nous aimer les uns les autres. C’est le remède aux blessures de notre Église et il commence par chacun d’entre nous qui avons tous besoins de servir et d’être servis, d’aimer et d’être aimés, de pardonner et d’être pardonnés afin de construire la communion et la fraternité.
Que ce que nous allons chanter en célébrant ce double sacrement devienne en nos cœurs réalité : « Là où la charité est vraie Dieu est présent ». Que notre prière fasse grandir l’amour en nos cœurs.


Dimanche des Rameaux-C, homélie du P. Abbé Vladimir Gaudrat

 

Chers Frères et Sœurs,

Le regard fixé sur la Croix, nous venons d’entendre le grand cri poussé par Jésus : « Père, entre tes mains, je remets mon esprit ». Père, c’est toujours en s’adressant à lui par ce mot que prie Jésus dans l’Évangile de Luc depuis sa première parole dans le temple alors que ses parents le cherchaient : « Ne saviez-vous pas que je dois être dans la maison de mon Père ». C’est dans le lien avec son Père que Jésus accomplit l’œuvre de notre salut. Dans ce grand cri qui est comme une proclamation, Luc met sur les lèvres de Jésus les mots du psaume que son peuple chantait comme prière du soir : « En toi Seigneur, j’ai mon refuge ; garde moi d’être humilié pour toujours. . . En tes mains, je remets mon esprit ; tu me rachètes, Seigneur, Dieu de vérité ». C’est dans un abandon confiant à son Père, semblable à celui du sommeil, que Jésus s’abandonne à Celui qui pouvait le sauver de la mort comme le dit la lettre aux Hébreux. « Si tu es le roi des juifs, sauve-toi toi-même » se moquent les soldats. Il ne veut et ne peut se sauver lui-même. Il est le Sauveur sauvé. Il affronte lors de sa passion toute la puissance du mal mais il ne le fait pas avec la force de son humanité pourtant parfaite mais par la communion dans la faiblesse avec son Père et pour offrir une vie nouvelle à toute l’humanité. C’est ainsi qu’il part en avant pour monter à Jérusalem et qu’il avance le premier sur le chemin du calvaire saisi de compassion pour les femmes qui se lamentent sur lui et se frappent la poitrine. Sur la croix, contemplons notre roi. La foule des disciples l’a acclamé : « Béni soi celui qui vient, le Roi, au nom du Seigneur » et c’est sur la question de sa royauté que son procès s’est déroulé, tant les puissants ont peur de perdre leur trône pourtant par nature éphémère. « Il y a une inscription au-dessus de lui : Celui-ci est le roi des juifs ». « Père, pardonne leur : ils ne savent pas ce qu’ils font ». Contemplons notre roi dans sa faiblesse et dans sa force, dans sa tristesse et dans son sourire dont ont si bien parlé nos pères cisterciens. « Il a éprouvé une vraie tristesse mais il était heureux de la porter » nous dit le cistercien Baudouin de Ford.
C’est en le contemplant ainsi que nous pourrons avoir la grâce de retenir les enseignements de sa passion pour nous laisser transformer par eux. Tous, nous devons faire avec lui et par sa grâce un saut dans la confiance et dans l’abandon suivant les traces de ceux qui nous ont précédé. Les foules des disciples l’ont acclamé pour tous les miracles qu’il avait fait et se sont évanouis, s’en retournant en se frappant la poitrine. Les chefs et les soldats se sont moqués de lui et seul est resté le centurion capable de rendre gloire à Dieu devant la mort du crucifié et de dire contre les apparences : « Celui-ci était réellement un homme juste ». L’un des malfaiteurs l’injuriait tandis que l’autre contre l’évidence se mit à supplier : « Jésus, souviens toi de moi quand tu viendras dans ton royaume ». Et Joseph d’Arimathie alla trouver Pilate pour demander le corps de Jésus et le déposer au sépulcre comme un trésor caché.

Oui Seigneur nous nous remettons entre tes mains, souviens toi de nous quand tu viens comme chaque jour dans ton royaume.

 


4ème dimanche de Carême, lectures de l’année A, homélie de frère Bartomeu

 

Jean 9, 1-41 — Éphésiens 5, 8-14

Chers frères et sœurs, voici que nous avons dépassé déjà le moitié de ce temps saint du carême, et que – comme le disait la prière au commencement de cette liturgie – nous devons « nous hâter avec amour au-devant des fêtes pascales qui approchent ». Nous sommes plus proches de Jérusalem où nous fêterons la Pâque, et cela nous remplit e joie, car –comme nous l’avons chanté – nous qui étions dans la tristesse, nous serons consolés. (Chant d’entrée.
Et voici que, sur notre chemin, nous avons rencontré aujourd’hui cet aveugle de naissance qui, après que Jésus avec la salive eut fait de la boue et l’eut appliquée sur ses yeux et que, comme il le lui avait dit, il se fut lavé à la piscine de Siloé, il en était revenu en y voyant. « Jamais encore on n’avait entendu dire qu’un homme ait ouvert les yeux à un aveugle de naissance », avait-il fait remarquer aux pharisiens qui lui disaient : « Nous savons, nous, que cet homme est un pécheur ». Et certains de ceux qui avaient vu le miracle leur avaient répliqué eux aussi : « Comment un homme pécheur pourrait-il accomplir des signes pareils ? »
Des signes. En effet, selon le vocabulaire de l’évangile selon saint Jean, il s’agit ben de signes, desquels nous devons comprendre le sens. Remarquons que l’évangéliste, pour ses lecteurs qui ne connaissaient pas l’hébreu, traduit le nom de la piscine : « Siloé –dit-il - signifie : Envoyé ». Il nous indique ainsi que cette guérison a une signification qu’il nous faut nous efforcer à comprendre. Qui est en effet l’Envoyé sinon Jésus lui-même, lu qui nous dit : « Je suis venu en ce monde pour une remise en question : pour que ceux qui ne voient pas puissent voir, et que ceux qui voient deviennent aveugles » ? Lui qui avait dit : « Moi, je suis la lumière du monde. Celui qui me suit aura la lumière de la vie. » (Jean 8,12). Lui qui était « la lumière des hommes, et la lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont pas arrêtée, la vraie lumière, qui éclaire tout homme en venant dans le monde » (Jean 1,4-5.9).
Alors qu’en ce temps du carême toute l’Église accompagne ceux qui se préparent au baptême, et que nous-mêmes nous nous préparons à faire mémoire de notre propre baptême, la guérison de l’aveugle de naissance st un signe de l’illumination de a foi que nous avons reçue. Oui, avec l’aveugle de naissance, nous pouvons dire nous aussi : « Je me suis lavé, et maintenant je vois. » Et le matin de Pâques nous revivrons son dialogue avec Jéss : « —Crois-tu au Fils de l’homme ? —Je crois, Seigneur ! »
Quelle grande responsabilité que cette illumination ! « Autrefois, vous étiez ténèbres – nous a dit saint Paul –, mais maintenant, dans le Seigneur, vous êtes devenus lumière ; vivez donc comme des fils de lumière. Or – a-t-il poursuivi – la lumière produit tout ce qui est bonté, justice et vérité. »
C’est la grâce de chaque célébration de la Pâque – célébration qui va du début du carême à la Pentecôte – de faire revivre en nous l’illumination que nous avons reçue et de laquelle nous devons vivre ; l’apôtre nous faisait entendre encore l’écho d’un chant de la liturgie des tout premiers temps de l’Église ; « C’est pourquoi l’on chante : Réveille-toi, ô toi qui dors, relève-toi d’entre es morts, et le Christ t’illuminera. » Et le jour de Pâques nous entendrons : « Si donc vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez les réalités d’en haut : c’est là qu’est le Christ, assis à la droite de Dieu » (Colossiens 3,1). C’est cela être chrétien.

 


1er dimanche de Carême, homélie du P. Abbé Vladimir Gaudrat

 

Chers Frères et Sœurs,

Dans l’Esprit, Jésus est conduit au désert. Il récapitule ainsi en lui toute l’histoire d’Israël conduit au désert par Dieu et par le peuple élu toute celle de l’humanité. Rempli d’Esprit Saint, il quitte les bords du Jourdain pour être tenté par le diable. Il fait ainsi le parcours inverse de celui de Jean Baptiste qui quitte le désert pour aller baptiser au Jourdain. Et au désert où la Parole de Dieu fut adressée à Jean, c’est celle du diable que Jésus entend. Mais le désert n’est pas que cela pour Jésus. La solitude est aussi le lieu de l’intimité de Jésus avec son Père lorsqu’il se retire la nuit pour prier. Il y a une ambivalence du désert que les premiers moines soulignaient aussi. Et cela ne doit ni sous surprendre, ni nous sembler contradictoire. Dans le désert, comme lieu où ne restent plus que les choses essentielles, il n’y a plus que deux voix qui ont de l’importance, celle de l’ami des hommes et celle de l’adversaire quelle que soit la manière dont elles nous parviennent. Car nous aussi, nous sommes conduits au désert que ce soit comme en sacrement par l’Église en ce temps de carême où lorsque la vie par ses épreuves qui en sont une part inévitable nous met dans une solitude où ne reste que l’essentiel. Il nous faut alors choisir quelle voix écouter et c’est ce qu’on appelle la tentation. Elle fait partie de nos vies, elle n’est pas une anomalie ni le signe d’une erreur.

Au bout de quarante jours, Jésus eut faim et c’est alors qu’il fut tenté par la Parole. N’allons pas croire que la tentation du Sauveur puisse se superposer aux nôtres de manière adéquate, qu’elle ne soit qu’un guide pour nous apprendre comment bien nous comporter comme l’ont dit certains pères de l’Église. Il est vrai que nous expérimentons tous en nous même ce que peuvent être la faim des biens matériels, la vanité et la soif de pouvoir et les connivences que nous pouvons avoir avec ces passions qui nous tentent. L’actualité nous montre d’ailleurs comme elles ravagent l’Église aujourd’hui, celle dont nous sommes les membres. C’est parce que les hommes d’Église n’écoutent pas toujours la voix de l’ami des hommes mais aussi celle de l’adversaire qu’il y a tant de pourriture dans l’Eglise et que nous devons prier pour elle non avec l’orgueil de ceux qui se croient justes mais dans l’humilité de ceux qui savent qu’ils sont aussi tentés. Au désert, Jésus est tenté de manière beaucoup plus radicale de prendre ses distances par rapport au Père en attribuant au diable une puissance qui n’appartient qu’à Dieu ou en étant poussé à se servir de celle-ci dans son propre intérêt. En refusant d’écouter la voix de l’adversaire, il fait ce que décrit si bien la lettre aux Philippiens, il s’anéantit en refusant toute possession et toute maitrise, en acceptant le manque et la faiblesse et en choisissant de dépendre entièrement du Père. Dieu s’est fait homme pour prendre et nous montrer la voie de la croix et c’est sur cette voie que la voix du diable vient se dresser comme un obstacle dès le désert. Et c’est encore pour essayer de barrer la voie de la Croix que le diable reviendra au moment fixé comme nous le dit la fin de notre évangile.

Chers Frères et Sœurs,
Cet Évangile n’est pas une leçon de morale mais de théologie mystique. À la suite du Christ, c’est par le sacrement de la Croix que nous fermons nos oreilles à la voix du diable pour les ouvrir à celle du Père plein de miséricorde. Nous devenons pleinement chrétiens et humains en acceptant de ne rien posséder, ni le pain, ni les royaumes de la terre et leur gloire, ni notre vie, ni notre mort. Que ce temps de carême soit pour nous le temps de redécouvrir que dans notre vie comme dans notre mort, nous appartenons au Seigneur.

 

 


Mercredi des Cendres 2019, homélie du P. Abbé Vladimir Gaudrat

 

Chers Frères et Sœurs,

« Déchirez vos cœurs et non pas vos vêtements » nous dit le prophète en nous invitant à revenir au Seigneur notre Dieu. Et ce qui est présenté par l’Écriture comme un oracle nous dit quelque chose de nous-mêmes en ce début du temps du carême.

Si nous devons déchirer nos cœurs, c’est donc qu’il y a dans notre cœur une déchirure possible, une déchirure souhaitable parce que celle-ci est bénéfique. Nos cœurs sont blessés par le péché, la convoitise, le refus de l’autre et tout un monde de passions qui nous agite et nous bouscule et le remède ne serait pas un cataplasme pour masquer le mal mais une déchirure. La blessure qui nous rend malade nous endurcit. Comme si nous avions un abcès, la guérison ne peut venir que d’une blessure d’humilité qui crève l’abcès de notre orgueil et de notre superbe. Elle est aussi cette blessure d’amour, de charité dont parlent nos pères cisterciens en commentant le Cantique des Cantiques. Elle seul peut en nous ouvrant la porte de la miséricorde guérir la blessure du péché. Cette blessure d’amour nait de celle du Christ qui bien que n’ayant pas connu la péché a été identifié par Dieu au péché pour que nous devenions juste. Si la blessure qui nous rend malade nait de la multiplicité des passions, celle qui nous guérit nait d’un regard unifié qui nous fait prier le Père dans le secret. D’un seul œil, pendant ce temps de carême regardons vers le Père tendre et miséricordieux, lent à la colère et plein d’amour. Laissons nous toucher et blesser par l’Esprit qui nous ouvre à la connaissance de nous-mêmes.

Je ne sais pas très bien dans quel sens il convient de parler de cette déchirure. Ce qui est dit de nous convient à l’Église à moins que le prophète ne parle à l’Église pour parler à chacun d’entre nous. Aujourd’hui, en priant pour notre Église blessée par le péché et les passions, soyons convaincu que le remède n’est pas uniquement dans le discipline, le discernement voir le jugement mais dans cette déchirure du cœur que seul l’Esprit peut donner.
Nous allons recevoir les cendres. Que sont-elles sinon que le peu, le presque rien qui reste de nos passions lorsqu’elles passent dans le feu de l’amour de Dieu. Qu’elles soient pour nous une invitation à l’humilité qui est la vérité.

 


8ème dimanche ordinaire- C, homélie de frère Marie

 

Le disciple n’est pas au-dessus du maître, mais une fois bien formé, chacun sera comme son maître.
Le Maître, le Christ, n’a pas donné à ses amis, disciples, des paroles à répéter ; il s’est donné à eux comme Parole vivante, comme Parole-semence. Parole-semence destinée à faire germer et pousser de bons arbres qui donnent de bons fruits. De bons fruits qui manifestent la parenté qui nous unie au Maître.
Cette Parole-semence chaque communauté chrétienne la porte en elle, elle est au cœur de la foi que nous proclamons en tant que baptisés en Christ ; et cette Parole vivante, si nous l’accueillons, si nous l’écoutons, si nous nous y livrons humblement et amoureusement, est un trait de lumière qui nous pose en vérité devant Dieu, face à nous-même et dans notre relation aux autres. Cette Parole-semence n’est pas pour nous juger, mais pour nous aider, nous accompagner sur notre chemin de disciples.
Lors du don de la Loi, la Parole avait un caractère impératif et demandait l’obéissance, avec le Christ et l’annonce de l’Evangile la Parole devient dynamisme de croissance dans nos cœurs, elle interpelle chacun. La communauté de Jésus vit de sa parole, elle la découvre comme un dynamisme de croissance qui modèle peu à peu tout son agir, dans un chemin d’amitié vraie, dans un chemin de communion.
Il est de grande importance aujourd’hui de nous remettre à la découverte et à l’écoute de cette Parole-semence, afin que, pour reprendre l’image du Sage, que nous passions nos manières de vivre et de penser au tamis afin de trier ce qui en nous va vers le bien et l’authenticité de notre vie chrétienne, ou ce qui au fond est mensonge.
Pour reprendre l’image, l'arbre représente la structure de notre vie.
Dans l'ordre naturel, nous choisissons l'arbre que l'on veut planter, nous en choisissons l'espèce et la variété, nous nous renseignons pour savoir comment le cultiver au mieux. Dans l'ordre de la vie humaine notre vie se structure en fonction de l’idée que nous nous en faisons, en fonction des choix et des actes que nous mettons en œuvre. Si nous creusons la vie du Christ en nous par les nourritures spirituelles, les temps de prière, la réflexion éthique face aux défis d’aujourd’hui, notre vie trouvera le goût d’une bonne structure et nos choix éclairés nous donneront l'enracinement nécessaire pour pouvoir porter de bons fruits qui se manifesteront par les fruits de l'Esprit Saint, surtout ces fruits qui nous font fils et filles du Père, les fruits de la miséricorde et de la compassion.
St Paul nomme cette croissance, grandir vers l'âge adulte en Christ.
Le juste grandira comme un palmier, nous dit le psaume, planté dans les parvis du Seigneur, il grandira dans la maison de notre Dieu. Vieillissant il portera encore du fruit…
La miséricorde a deux aspects, nous rappelle le Pape François : elle consiste à donner, à aider, à servir les autres, et aussi, à pardonner et à comprendre. Donner et pardonner c’est essayer de reproduire dans nos vies un petit reflet de la perfection de Dieu qui donne et pardonne en surabondance. L’humble connaissance de nous-même à la lumière de la Parole-semence et la miséricorde nous ouvrent les yeux du cœur afin de ne pas nous poser en juge les uns envers les autres, mais en vrai compagnon de vie, avec discernement et dans l’acceptation de nos limites.
Regarder et agir avec miséricorde c’est cela la sainteté, nous rappelle encore le Pape François.
Oui, nous devons nous laisser interroger par l'Evangile, nous mettre à l'écoute de l'Esprit Saint qui habite en nos cœurs, entretenir notre amitié avec le Christ, y croire, l'accueillir, y persévérer avec patience. Oui, alors nous serons comme un bon arbre qui porte de bons fruits.

 


6ème dimanche du tempsordinaire - C, homélie de frère Bartomeu

 

Jérémie 17, 5-8 — Psaume 1 — Luc 6, 17.20-26

L’évangile de Jésus est l’évangile des « béatitudes », l’évangile du « bon-heur » : « Heureux, vous les pauvres, vous qui avez faim maintenant, vous qui pleurez maintenant, quand les hommes vous haïssent et vous excluent… à cause du Fils de l’homme. » Et l’évangile selon saint Luc y oppose : « quel malheur pour vous, les riches, pour vous qui êtes repus maintenant, pour vous qui riez maintenant, pour vous lorsque tous les hommes disent du bien de vous ! »
Ce contraste nous l’avons trouvé déjà dans la lecture du livre du pro-phète Jérémie : « Maudit soit l’homme qui met sa foi dans un mortel, qui s’appuie sur un être de chair, tandis que son cœur se détourne du Seigneur... Béni soit l’homme qui met sa foi dans le Seigneur, dont le Seigneur est la confiance… » Les paroles de Jérémie et celles de Jésus se font écho et s’illuminent réciproquement.
Le psaume aussi chantait comment l’homme est-il « heureux » selon le Seigneur : « Heureux est l’homme qui n’entre pas au conseil des méchants, qui ne suit pas le chemin des pécheurs, ne siège pas avec ceux qui rica-nent… mais se plaît dans la loi du Seigneur et murmure sa loi jour et nuit ! » Et, comme Jérémie, il comparait le bonheur de cet homme à « un arbre plan-té près d’un ruisseau, qui donne du fruit en son temps, et jamais son feuil-lage ne meurt. » De l’homme « qui met sa foi dans un mortel » Jérémie disait qu’il « sera comme un buisson sur une terre désolée, il ne verra pas venir le bonheur. » Et le psaume disait : « Tel n’est pas le sort des méchants. Mais ils sont comme la paille balayée par le vent. »
La fin du psaume peut être aussi le résumé des béatitudes : « Le Sei-gneur connaît le chemin des justes, mais le chemin des méchants se per-dra. » Cependant, l’évangile ne parle pas de l’homme « juste » ou de l’homme « injuste », mais simplement du pauvre, de celui qui a faim, de celui qui pleure, de celui qui est haï, bien sûr, « à cause du Fils de l’homme ».
Avec l’antienne du psaume, prise exceptionnellement d’un autre psaume, nous avons chanté : « Heureux est l’homme qui met sa foi dans le Seigneur » (Ps 39,5a). Or, le Seigneur, pour nous, est Jésus-Christ. C’est pourquoi dire : « qui met sa foi dans le Seigneur » est une autre manière de dire : « à cause du Fils de l’homme ». Toute notre vie, dans la pauvreté, la faim, le pleur, la haine, est pleine de bonheur parce que « Le Seigneur con-naît le chemin des justes. »
Nous les chrétiens nous sommes un peuple heureux « dans le Sei-gneur », en Jésus-Christ.


Fête de l'Epiphanie, homélie de frère Marie

Epiphanie signifie : manifestation. Une manifestation qui met en lumière une espérance, une œuvre de salut. Dans l’antiquité ce mot s’appliquait à l’avènement de personnages illustres qui interféraient comme des dieux dans le cours de l’histoire.
Dans le langage biblique, épiphanie désigne la manifestation de l’œuvre de Dieu au cœur de l’attente de son peuple, en faveur des hommes. Plus précisément ‘épiphanie’ désigne l’avènement décisif du Christ en notre monde, celui en qui repose l’onction de Dieu. Le Verbe de Dieu qui vient habiter, illuminer et transformer notre humanité. Nous avons fêté son avènement à Noël.
Notre culture a surtout retenu de la fête de l’Epiphanie une imagerie plus près du conte avec les fameux rois mages, que du message évangélique. Mais le véritable centre de cette fête est bien le Christ lumière et espérance pour tout homme, pour les croyants et pour tous ceux qui recherchent la vérité, la paix, la justice, la dignité humaine, et qui s’opposent à tout ce qui déchire l’homme. Il s’agit bien avant tout d’une rencontre, une rencontre qui remue le cœur et ouvre un autre chemin.
« À l’origine du fait d’être chrétien il n’y a pas une décision éthique ou une grande idée, mais la rencontre avec un événement, avec une Personne, qui donne à la vie un nouvel horizon et par là son orientation décisive ».
Le récit de Matthieu nous présente deux rois : celui que recherchent les mages, le roi des Juifs annoncé par une étoile, et le roi Hérode avec toute sa duplicité qui craint pour son pouvoir.
L'Enfant-Dieu n'a pas choisi la Ville sainte pour naître, mais "Bethléem, le moindre des clans de Juda" (Matthieu 2, 6). Jésus le roi messie a choisi de venir loin des malversations du pouvoir, il vient près des humbles, les proches de Dieu.
Ainsi, les mages découvrent déjà le chemin choisi par Jésus, qui jamais n'utilisera le pouvoir ou l'argent pour annoncer le Royaume ni la recherche frénétique des honneurs et du luxe.
L'Épiphanie est la manifestation concrète du mystère du salut, révélé non seulement aux juifs, mais à tous les hommes : "Les païens sont admis au même héritage, membres du même Corps, bénéficiaires de la même Promesse en Jésus-Christ, à cause de l'Évangile" nous rappelle St Paul (Éphésiens 3, 6). Nous sommes dépositaires de ce "secret" qu'il nous faut accueillir et manifester par notre vie au cœur de notre monde, et cela dans une ouverture aux autres quelle que soient leur culture ou leur religion. C'est une véritable révolution spirituelle, difficile à admettre tant on est instinctivement replié sur soi, sur ses racines familiales, sociales, religieuses.
Bethléem qui se traduit : maison du pain, devient le lieu de rencontre du pain vivant, du pain offert à tous. Je suis le pain de vie, nous dira Jésus, le pain de Dieu c’est celui qui descend du ciel et qui donne la vie au monde.
Que faisons-nous de cette richesse qui nous est donnée, de cette richesse destinée à toute l'humanité ? Ce n’est plus seulement de l’or, de l’encens et de la myrrhe que nous devons offrir, mais comme le dit St Paul : Offrez vos personnes en hostie vivante, sainte, agréable à Dieu.
La rencontre des sages païens avec le Sauveur est un premier pas dans la grande révolution silencieuse d'un Amour sans frontières, proposé à chaque être humain. L'étoile qui les guide est celle qui doit briller dans chacune de nos vies, chacune de nos communautés. Pour que nous devenions "ces porteurs d'espérance", qui vont de l'avant par les chemins de l’Evangile, sans jamais s'arrêter ou se laisser décourager par le mal ambiant, par les chemins de l’Evangile et de la foi, au cœur des défis qui traversent notre humanité.
Les mages ne retournent pas à Jérusalem auprès d’Hérode, après avoir rencontré Jésus ils repartent par un autre chemin. Un autre chemin est une nouvelle direction de vie. C’est un autre chemin, qui nous fait vraiment retourner chez-nous, c’est à dire qui nous fait habiter le sens profond de notre humanité : ce sont les sentiers que trace l’Evangile. Les sentiers de l’amour, de paix et justice qui font de notre terre une maison commune dans laquelle se manifeste la lumière du Christ, comme une étoile du matin qui annonce un jour nouveau et se lève en nos cœurs.


St Etienne, martyre, homélie de frère Marie

 

Hier nous fêtions la naissance d’un enfant, le Verbe de Dieu en notre chair, aujourd’hui à travers St Etienne nous fêtons l’Eglise naissante qui témoigne de sa foi en Christ. Le sang des martyrs est semence de chrétiens, disait Tertullien au 2ème siècle. Cette semence est toujours d’actualité.
Il y a peu de temps l’Eglise vient de béatifier des témoins de la foi, des sœurs, des frères qui parmi tant d’autres anonymes ont semés leur vie dans la terre d’Algérie. Ce sont d’autres Etienne, mais baptisés, temple de l’Esprit Saint, ne sommes-nous pas aussi des témoins de la foi, de notre enracinement en Christ, au jour le jour ?
L’Evangile reste un signe de contradiction qui vient éveiller nos consciences de chrétiens au cœur d’un monde tiraillé par les soifs d’avoir ou de pouvoir ou de son propre ‘bien-être’, au détriment ou au mépris de la dignité fondamentale de tout être humain pour qui le Christ a versé son sang.
Etienne rempli de l’Esprit Saint, avait son regard tourné vers le ciel, nous dit le récit des Actes des apôtres, et il contemplait les cieux ouverts et le Fils de l’homme debout, vivant, à la droite de Dieu. Ce qui nous est décrit là, est le regard de foi, le regard de foi au cœur de la vie chrétienne, regard qui contemple les cieux ouverts par le Christ, ancre de notre espérance. Mais ce regard dirigé vers le Haut, ne nous arrache pas aux réalités de la terre, au contraire il nous les fait aimer comme Dieu les aime pour les élever, vers son Fils, son Unique.
Ce ne peut être que la foi qui nous rend capable de contempler dans l’enfant de la crèche le Verbe de Dieu fait homme, comme ce n’est que la foi qui nous fait contempler dans le mystère pascal ce même Verbe de Dieu qui s’anéantit jusqu’à la mort sur une croix, pour briser les murs de séparations, briser la haine, et qui est exalté dans la gloire du Père, d’où nous est communiqué toutes grâces.
Car Dieu n’a de cesse de nous rejoindre, de vouloir nous relier, non seulement à lui, mais aussi nous relier au mystère de toute femme, tout homme, dont Dieu en son Fils s’est fait solidaire. La vie du Christ nous fonde sur le Roc, elle nous construit en humanité et en enfants de Dieu, elle nous rend témoins de la vie offerte.
L’évangéliste Matthieu nous dit que si nous témoignons de la foi, c’est l’Esprit Saint qui parle en nous.
L’Esprit est l’Esprit de vérité, qui nous enseigne et nous fait comprendre et intégrer la vie de Jésus. Cette vie du Christ s’intègre en nous par la charité, une charité active : une charité qui se fait partage et fraternité comme nous l’a rappelé le Pape François.
Comprendre et intégrer la vie de Jésus c’est aussi ouvrir un dialogue constant avec le monde, au-delà des clivages identitaires, idéologiques ou religieux. Et en bien des contextes nous savons que c’est un dialogue risqué, voire au risque de sa vie.
L’amour est l’essence-même de Dieu, Dieu est Amour nous dit St Jean, et l’amour a été répandu en nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné, nous rappelle St Paul. Esprit Saint qui ne cesse de gémir en nous, car cet amour est en quête de partage, en quête de communion et de fraternité, en quête d’échanges. Comme nous le rappelle l’apôtre Paul, cet amour est folie aux yeux des pouvoirs de ce monde, car il est accueil et don de soi aux autres, don et pardon. N’éteignions pas l’Esprit. N’ayons pas peur d’être signes de contradiction au cœur de ce monde.
St Etienne que nous fêtons en ce jour a laissé naître le Christ en lui, il est devenu temple de l’Esprit du Christ et il est devenu expression de son amour pour l’humanité, cette humanité qui a besoin de lumière, de compassion et de miséricorde.


Nuit de Noël, homélie du P. Abbé Vladimir Gaudrat

 

« Aujourd’hui vous est né un Sauveur qui est le Christ Seigneur »

Chers Frères et Sœurs,

Cette annonce de l’ange aux bergers retentit encore en cette nuit, toujours actuelle et réalisant ce qu’elle dit pour chacun d’entre nous. Comme le dit Saint Bernard, ce n’est pas seulement à Bethléem que le Christ nait mais aussi dans nos cœurs si nous adhérons de toute notre foi à cette parole. Nous marchions dans les ténèbres et le Seigneur nous a visité et c’est au signe de la crèche que nous le reconnaissons. Il y a ce que les yeux peuvent voir : un nouveau né dans une mangeoire sur qui veillent Marie et Joseph. Il y a ce que la foi découvre : Le Verbe s’est fait chair, Dieu se fait vulnérable. Le Fils Unique du Père est devenu premier né, il s’est fait notre frère. Dieu vient rejoindre l’homme, le Verbe se fait chair et c’est par une parole qu’il est reconnu lui qui s’est fait bébé vagissant. Cette parole nous invite à changer notre regard. Cette parole nous transforme. Cette parole nous sauve.

Contemplant cet enfant, nous voyons par quel chemin l’image de Dieu est en nous restaurée. L’amitié avec Dieu est restaurée par l’humilité puisque c’est l’orgueil qui nous avait fait perdre la ressemblance. Les langes du Sauveur sont plus précieux pour nous que n’importe quel bien sur terre et la crèche du Christ Seigneur plus glorieuse que les trônes des puissants qui se succèdent dans la vanité depuis l’empereur Auguste. En cette nuit où le Christ nait pour nous, il n’y a plus de crainte à avoir. Si Dieu est amitié comme le dit le cistercien Aelred de Rielvaux, il vient dans l’humilité comme pour nous accoutumer de nouveau à lui. Le Verbe de Dieu s’est fait fils de l’homme pour accoutumer l’homme à obéir à Dieu jusqu’à le saisir et lui devenir semblable. La grâce de Dieu s’est manifestée pour le salut de tous les hommes, rétablissant cette paix que les anges chantent sur le monde en cette nuit. Mon âme est en moi comme un enfant, comme un petit enfant contre sa mère nous dit le psaume. Contemplant l’enfant de la crèche, nous apercevons ce que Dieu veut restaurer en nous au plus profond du cœur, cette image et ce désir de communion que le mal peut obscurcir sans jamais l’effacer.

Seigneur, nous voici devant toi comme les bergers, les mains vides et sans défense en écoutant la voix des anges dont notre liturgie est l’écho. Seigneur en cette nuit, fais que notre foi grandisse pour te reconnaître dans les pauvres et les humiliés, pour te reconnaître agissant en nous là où nous aussi nous sommes pauvres. Seigneur, fais grandir notre amour et notre désir de partager parce qu’en cette nuit tu as donné une dignité infinie à tous les pauvres que nous sommes. Et fais grandir aussi notre espérance, cette bienheureuse espérance dont parle Paul et qui nous fait déjà toucher un monde réconcilié.


4ème dimanche de l'Avent-C, homélie de frère Marie

 

A la veille de Noël, l’évangile de ce jour nous présente deux femmes, Marie et Elisabeth, deux femmes qui portent la vie.
Elisabeth âgée et stérile porte en elle le fruit de la miséricorde divine, fruit qui ouvre au cœur d’un monde éprouvé une lueur d’espérance, le signe de la fidélité et de la bienveillance de Dieu.
Marie jeune et vierge porte en elle le fruit de la grâce, signe d’un monde nouveau. Marie porte en son sein le prince de la Paix, porte en elle cette bonne-nouvelle annoncée aux pauvres, à ceux qui ne savent plus ni d’où ni comment surgira le Dieu qui sauve, mais qui gardent foi et espérance. Ces pauvres de cœur qui sont ceux qui n’adhèrent pas aux injustices et aux violences de ce monde, qui en souffrent et aspirent à la justice et à la paix.
A la salutation de Marie, salutation de paix, Jean le Baptiste, la voix des prophètes, dans le silence tressaille de joie dans le sein d’Elisabeth. A travers le sein de Marie c’est la bénédiction que transmet le Verbe de Dieu, tout l’Evangile se forme en elle, se fait corps dans le secret. La lettre aux Hébreux met ce psaume dans la bouche de Jésus : « tu m’as fait un corps, alors j’ai dit voici je viens, pour faire ô Dieu ta volonté. »
Oui, la rencontre de ces deux femmes porteuses de vie, fait émerger un dialogue caché. Fait émerger ce mystère de Dieu, son dessein merveilleux caché depuis les siècles qui se fait jour à travers des tout-petits.
A travers Jean le Baptiste Dieu valide les prophéties, à travers Jésus Dieu confirme sa volonté de sauver tous les hommes. Le corps du Christ est destiné à l’offrande, l’offrande qui nous sanctifie et qui nous sauve. Marie qui a reçu gratuitement, se laisse elle-même portée par cette offrande, elle y unit sa volonté et nous-mêmes dans cette offrande nous sommes sanctifiés, nous sommes appelés à y unir notre volonté.
Oui, tout l’Evangile est en elle sur le point d’être enfanté, et en nous aussi par la puissance de l’Esprit Saint tout l’Evangile est en nous. En Marie il se fait corps, en nous il nous fait membres de son corps.
Sommes-nous vraiment porteurs de cet Evangile de Paix ? Avons-nous soif de la justice ? Allons-nous avec empressement, comme Marie, à la rencontre du proche et du lointain, du nécessiteux ou de l’immigré, ou de notre voisin de palier, pour porter une bénédiction, une simple présence, une aide ? Savons-nous aussi comme Elisabeth accueillir une salutation de paix, une réconciliation, savons-nous reconnaître avec joie la bénédiction que l’autre peut nous offrir ? Sommes-nous désireux les uns pour les autres de cette bénédiction et de cette paix ?
Comme le dit St Paul la création toute entière est en attente de la révélation des fils de Dieu, la création entière gémit dans les douleurs de l’enfantement et nous aussi qui possédons les prémices de l’Esprit nous gémissons intérieurement. Le mystère de Noël et de Pâques sont liés. La croix se profile au cœur même de l’amour et de la joie, non comme une défaite mais comme une victoire, celle d’un enfantement nouveau pour notre monde fatigué.
Tant de violences dans le monde, d’injustice, d’indifférence, le constat même de nos limites physiques, morales, spirituelles, le constat de toutes nos impuissances pourraient avoir raison de cet Evangile de la Paix, mais c’est justement aux pauvres que nous sommes qu’il est annoncé, offert, livré.
C’est dans cette réalité que non seulement nous recevons et annonçons l’Evangile de la Paix mais aussi et surtout que nous avons à le vivre et l’espérer. Laissons-nous aujourd’hui rejoindre et envahir par la joie et la bénédiction de ces deux femmes Marie et Elisabeth qui portent en elles l’annonce et les prémices de notre vie.

 

 


Fête de l'Immaculée Conception, homélie du P. Abbé Vladimir Gaudrat

Chers Frères et Sœurs,

La lettre de Saint Paul aux Romains dont nous avons lu des passages ce matin nous dit qu’il n’en va pas du don comme de la faute, de la grâce comme du péché. Ce don et cette grâce que nous contemplons en Marie, elle qui a été comblée de grâce, ne sont pas sans utilité, ni sans signification pour nous.

Marie est comblée de grâce, préservée du péché parce que choisie par Dieu pour donner au monde son Fils. Si Dieu nous a prédestinés à être des fils adoptifs par Jésus le Christ, c’est Marie qui met au monde Celui par qui nous sommes appelés à devenir saints, immaculées, devant lui dans l’amour. Tout cela Marie l’accomplit librement comme nous venons de l’entendre dans l’Évangile mais avec une liberté préservée, une liberté que rien ne restreint, une liberté libérée puisqu’il n’y a en elle aucune connivence, aucune attirance pour le mal. La liberté véritable, c’est de pouvoir choisir le bien puisque c’est ce qui correspond à notre nature. Ce dont nous faisons mémoire aujourd’hui est bien le commencement de notre salut.

Ce don et cette grâce nous sont d’une utilité d’une deuxième manière puisque, contemplant en Marie l’humanité dans son épanouissement telle que Dieu l’a voulue en la créant, nous recevons en elle un modèle. Elle est modèle de notre foi puisqu’elle croit mais en interrogeant. Elle est modèle d’une obéissance qui n’est pas sans intelligence. Tous, comme elle, nous désirons que la parole advienne en nous pour que nous la mettions en pratique et que nous soyons transformée par elle. Contemplant Marie dans les Écritures, lors de l’Annonciation, de la Visitation, à Cana ou au pied de la Croix, nous sommes conduit par son intercession à grandir dans la foi et l’obéissance pour pouvoir nous aussi nous donner.

Mas contempler la Vierge Immaculée n’est pas pour nous sans signification parce qu’en elle nous comprenons mieux qui nous sommes. Il y a au fond de notre cœur si nous descendons en nous même, bien au delà des passions et des tentations, bien au delà des actions et des désirs mauvais, bien au delà de toute cette violence dont les hommes sont capables et la longue histoire des siècles en est remplie, bien au delà d’Adam qui a peur puisqu’il se découvre nu dans le jardin, comme un présomption d’innocence et non de culpabilité. Il y a, à la racine de notre être, comme une image inaltérable de Dieu dans le Christ puisque nous avons été créé à son image et à sa ressemblance. Et cette image peut être déformée ou recouverte, elle ne peut disparaître et en tout homme, elle appelle même à tâtons et dans le paradoxe le Sauveur. Contemplons cette image en Marie pour savoir vraiment qui nous sommes. Le Puissant fit pour elle des merveilles comme il en fait pour nous. Bénissons le et soyons dans l’action de grâce.

Tout nous est donné gratuitement pour rendre grâce :
- Le monde et tout ce qu’il contient pour que nous le respections
- Le salut et la vie nouvelle dans le Christ
- La communion fraternelle que nous pouvons créer et qui est image de la communion divine.

 


Fête de la Toussaint, homélie du P. Abbé Vladimir Gaudrat

Chers Frères et Sœurs,

En ce jour, l’Église nous invite à contempler la multitude des saints. C’est ce à quoi nous invite l’Apocalypse en parlant de cette foule immense que nul ne pouvait dénombrer, une foule de toutes les nations, tribus, peuples et langues. C’est ce que célèbre aussi la première lettre de Jean en nous disant que le bonheur, la vie, la vie véritable, celle dont parle saint Benoît dans sa règle viennent de l’amour du Père. Et tout cela est déjà commencé même si ce n’est pas encore manifeste. Voilà pourquoi le monde ne nous connaît pas car il ne connaît pas cette joie même s’il aspire lui aussi au bonheur mais à tâtons. Et pourtant nous avons en cette fête la promesse du bonheur, de la joie sans fin et sans limite puisque nous sommes tous par la miséricorde du Père appelés à la sainteté. Et pourtant nous sommes déjà bienheureux en ce jour puisque la gloire des saints, la gloire du Royaume, l’amour de Dieu est déjà présent parmi nous agissant pour la transformation du monde jusqu’à ce qu’il passe. Les saints nous désirent, ils nous attendent, ils comptent sur nous pour que cette bonne nouvelle se répandent.

Cette gloire, le monde ne la connaît pas. Il dit bienheureux les riches, ceux qui possèdent, qui accumulent jusqu’à risquer de tout détruire et il célèbre ce pseudo évangile de la prospérité et du bien être par une fête à base de citrouilles. Il dit aussi bienheureux les violents, ceux qui gagnent, ceux qui réussissent, ceux qui dominent et il a transformé la fête des vivants en une mémoire des morts. Mais, sans doute, il est aussi difficile pour nous de gravir la montagne avec Jésus, là où Dieu se révèle. Nous devons ouvrir l’oreille de notre cœur pour entendre de sa bouche non une quelconque prédication mais la loi du nouvelle du Royaume dans toute sa radicalité. Les saints sont des chrétiens radicaux. Les béatitudes que nous venons d’entendre ne sont pas des modèles que nous devrions imiter, elles nous parlent des sentiments du Christ Jésus que nous devons faire notre, chacun suivant les dons reçus. Nous ne sommes pas appelés au bonheur qui est celui des saints à cause de nos mérites mais en vertu de la grâce du pardon. Ce bonheur est à la fois déclaré, promis à tous et communiqué par le Christ qui nous sauve en donnant sa vie sur la croix. Notre gloire, notre bonheur et notre joie, c’est la croix du Christ, c’est le mystère pascal. Contemplant le Christ qui dans l’abside de cette église sourit mystérieusement en tendant les bras vers tous les hommes, nous pouvons alors unir pour conduire nos vies, la pauvreté et la persécution, l’affliction et la paix, la douceur et la pureté, la justice et la miséricorde comme autant de degrés sur cette échelle où l’on monte en descendant par l’humilité. C’est par la Croix du Christ que nous devenons bienheureux. Notre joie en ce jour, c’est de pouvoir nous présenter devant lui les mains vides, délivrés du souci de la performance, comme des pauvres que Dieu aime avec la foule immense de ceux qui ne sont ni des héros, ni des vedettes mais des petits, fils bien-aimés du Père acceptant de se laisser configurer par la Croix.


25e dimanche du temps ordinaire – B, homélie de frère Bartomeu

 

Marc 9, 30-37
Sagesse 2, 12.17-20

Voici que Jésus enseigne aux disciples : « Le Fils de l’homme est livré aux mains des hommes ; ils le tueront et, trois jours après sa mort, il ressus-citera. » Et nous avons entendu d’abord la lecture d’une page du livre de la Sagesse qui nous a évoqué la passion : « Attirons le juste dans un piège, car il s’oppose à notre conduite. S’il est vraiment le fils de Dieu, Dieu le délivrera de nos mains. Condamnons-le à une mort infâme. »
Chaque dimanche, ce premier jour de la semaine où, rassemblés dans la communion de toute l’Église, nous célébrons le jour où le Christ est res-suscité d’entre les morts – comme nous l’entendrons dans la Prière Eucharis-tique.
Et la célébration de l’Eucharistie est l’accomplissement de la parole de Jésus : « vous ferez cela en mémoire de moi », lorsque, avant sa passion, il prit le pain et, en rendant grâces au Père, le rompit et le donna à ses dis-ciples en disant : « Prenez, et mangez-en tous : ceci est mon corps livré pour vous », et ensuite il prit la coupe et, en rendant grâces au Père, il la donna à ses disciples, en disant : « Prenez, et buvez-en tous, car ceci est la coupe de mon sang, le sang de l’Alliance nouvelle et éternelle, qui sera versé pour vous et pour le multitude en rémission des péchés. »
Le célébrant qui préside notre Eucharistie rendra grâces au Père comme Jésus. Écoutons-le attentivement. Alors nous pourrons conclure la Prière Eucharistique avec l’acclamation de l’Amen. Déjà au IIe siècle saint Justin, le philosophe martyr, écrivait : « Quand celui qui préside l’assemblée des frères a terminé les prières et actions de grâces, tout le peuple présent exprime son accord par des acclamations, en disant : Amen. »
Cet Amen fera que l’annonce de Jésus à ses disciples : « Le Fils de l’homme est livré aux mains des hommes ; ils le tueront et, trois jours après sa mort, il ressuscitera », ne soit pour nous seulement un fait de l’histoire passée mais la réalité toujours actuelle qui nous sauve.
Mais ce « mystère de la foi » que nous proclamons, nous devons le tra-duire en vie concrètement, et Jésus lui-même nous a dit comment : « Si quelqu’un veut être le premier, qu’il soit le dernier de tous et le serviteur de tous. » Et encore : « Quiconque accueille en mon nom un enfant comme ce-lui-ci, c’est moi qu’il accueille. Et celui qui m’accueille, ce n’est pas moi qu’il accueille, mais Celui qui m’a envoyé. » Cet enfant représente en fait tous les petits, les pauvres, les migrants. Si nous les accueillons, nous accueillons Jésus lui-même. Et si nous accueillons Jésus, nous accueillons Celui qui l’a envoyé, le Père.
C’est cela ce qui nous fera comprendre les paroles de Jésus.

 


St Bernard de Clairvaux, homélie de frère Marie

 

« De tout mon cœur, je te cherche ; toi, Seigneur tu es béni : apprends-moi tes commandements ». Ces versets du psaume 118, caractérisent ce qui a animé la vie de St Bernard, sa quête incessante. Il n’a eu de cesse de plonger ses racines dans le cours d’eau vivifiant des Ecritures, pour en irriguer sa vie, pour se laisser saisir par le Christ et tenter de le saisir.
St Bernard de Clairvaux, ce moine et abbé cistercien du 12ème siècle, mort le 20 août 1153 au milieu de ses frères dans son monastère de Clairvaux, a incontestablement marqué son siècle, comme maître spirituel et homme d’Eglise. St Bernard a surtout légué à l’Ordre Cistercien naissant une doctrine spirituelle qui va fortement contribuer à l’identité de cette forme de vie monastique. Une doctrine spirituelle qui cherche à retranscrire au cœur de l’homme la simplicité de l’image de Dieu, dans toute sa pureté. Cette simplicité qui se traduira concrètement à travers l’architecture, la liturgie, la forme de vie. Dans notre société actuelle, cette expérience de simplicité est une richesse à redécouvrir pour l’apaisement du cœur et de l’esprit, pour retrouver le goût de Dieu. Ce maître spirituel peut encore nous transmettre une saveur de vie évangélique, une espérance et une orientation de vie au cœur de notre monde d’aujourd’hui.
A l’occasion du neuvième centenaire de la naissance au ciel de st Bernard, le Pape Jean Paul II avait mis l’accent sur ce qu’il appelait le noyau spirituel de la doctrine de st Bernard pouvant être utile à nos contemporains ; « La voie du triple amour ».
Cette voie du triple amour, qui balise un chemin de retour vers Dieu, s’opérant à travers ce que les premiers cisterciens ont surnommé la « schola caritatis », c’est-à-dire « l’école de la charité ».
De cette unique source de l’amour de Dieu, découle la restauration de la dignité humaine, la purification de la vie personnelle, le devoir de s’aimer soi-même comme Dieu nous aime ainsi que d’aimer son prochain comme Dieu l’aime. Cette notion de dignité humaine et de dignité de toute vie, est un véritable défi aujourd’hui.
Pour st Bernard la grande source de cet amour qui rend Dieu, soi-même et l’autre aimable, est l’humilité de Dieu. Cette notion a de quoi nous toucher au cœur, dans un monde ou le modèle phare est la quête de puissance et où l’humble, le petit, le vulnérable est le perdant, celui qui gêne.
Cette humilité de Dieu s’exprime en plénitude dans l’Incarnation du Verbe de Dieu. L’Incarnation du Verbe a bouleversé la vie de Bernard. Dieu par amour pour lui, par amour pour l’homme, par amour pour chacun de nous a incliné les cieux et est descendu jusqu’à nous, mieux encore, c’est fait l’un de nous.
Ce Verbe divin qui soutient la terre, le ciel et l’univers entier, ce Verbe incommensurable, insaisissable, inconnaissable et invisible, c’est fait petit, saisissable, vulnérable, connaissable et visible, il s’est abrégé. Le Christ est ce tout petit qui rend le Royaume de Dieu présent parmi nous. « Père juste, tandis que le monde ne t’a pas connu, je t’ai connu,…je leur ai fait connaître ton nom,…afin que l’amour dont tu m’as aimé soit en eux et moi en eux », nous dit Jésus.
Ce Verbe abrégé est aussi le Verbe abrégeant. Il est abrégé car il s’est fait tout petit pour ce rendre accessible à l’homme, pour faire entendre à l’homme la voix de l’amour divin, et il est abrégeant car il a tracé une voie accessible à l’homme pour se diriger vers Dieu, il est le raccourci par lequel l’homme peut sortir de l’impasse de sa quête infructueuse et désordonnée.
Pour Dieu l’homme, tout homme, est aimable jusqu’à donner sa vie pour lui. Ce faisant, Dieu se montre tel que l’homme puisse l’aimer.
C’est dans cette théologie que s’élabore la discipline de l’école de charité.
Pour st Bernard l’homme est avant tout une noble créature, une créature éminente, en qui demeure l’image de Dieu, et cette image ne peut être effacée, mais cette image est blessée.
L’homme s’est enfoncé dans la région de la dissemblance. Cependant l’homme reste toujours capable de Dieu, c’est à dire qu’en tout être humain demeure toujours un espace intérieur, une capacité où Dieu peut l’atteindre.
La grâce de la conversion est toujours possible, car même dans son péché l’homme est toujours capable de Dieu.
Voici ce qu’écrit St Bernard :
« Tout âme, même chargée de péchés, empêtrée dans le vice, collée à la boue, enfoncée dans la fange…toute âme dis-je, même en proie au désespoir, tout âme peut retrouver en elle de quoi respirer dans l’espoir de la miséricorde, mieux encore, de quoi oser aspirer aux noces du Verbe…de quoi ne pas hésiter à porter le joug de l’amour avec le Roi des anges »
L’humain est un être de désir, il désire sans cesse ce qui lui manque, et il est souvent insatisfait de ce qu’il possède déjà. Nous comprenons cela aisément nous qui sommes dans une société qui exploite à fond, de manière bien peu scrupuleuse, toutes les facettes de nos désirs.
St Bernard nous dit que le désir en l’homme, dans son fond n’est pas négatif, il est cet appel assoiffé de l’image de Dieu en lui vers la plénitude de son modèle.
Ainsi le Christ, ce Verbe abrégé et abrégeant est ce raccourci qui nous sort de ce cercle épuisant d’une quête stérile du sens de la vie, pour orienter notre désir vers la joie et la vision de Dieu.
Oui, laissons-nous redresser, orienter par le Verbe abrégé, et laissons-nous entraîner à sa suite à l’odeur de ses parfums.

 


19e dimanche du temps ordinaire – B, homéliede frère Bartomeu


(Éphésiens 4, 30 – 5, 2 — Jean 6, 41-51)

« Cherchez à imiter Dieu » – nous disait tout à l’heure l’apôtre – « Cherchez à imiter Dieu, puisque vous êtes ses enfants bien-aimés. » — C’est ce rapport de fils que nous avons avec Dieu, notre Père, qu’exprimait aussi la prière au commencement de cette liturgie : « toi que nous pouvons déjà appeler notre Père, fais grandir en nos cœurs l’esprit filial ». — « Toi que nous pouvons déjà appeler Père » ! C’est, en effet, « comme nous l’avons appris du Sauveur et selon son commandement, que nous osons dire : Notre Père… »
Père est le nom que Jésus donne toujours à Dieu : « Mon Père et votre Père », dit-il (Jean 20,17). En ajoutant souvent : « votre Père qui est aux cieux ». Dans l’évangile que nous venons d’entendre, en quelques lignes, nous l’avons entendu quatre fois : « Personne ne peut venir à moi, si le Père qui m’a envoyé ne l’attire. » « Quiconque a entendu le Père et reçu son enseignement vient à moi. » « Certes, personne n’a jamais vu le Père, sinon celui qui vient de Dieu : celui-là seul a vu le Père. »
Saint Paul explique : « voici la preuve que vous êtes des fils : Dieu a envoyé l’Esprit de son Fils dans nos cœurs, et cet Esprit crie “ Abba ! ” » (Galates 4,6). Et encore : « vous avez reçu un Esprit qui fait de vous des fils ; et c’est en lui que nous crions “ Abba ! ” » (Romains 8,15). Abba ! Les premiers chrétiens, même ceux dont la langue était le grec, ont conservé le mot araméen abba, qui signifie père, parce que c’est avec ce nom que Jésus s’adressait à Dieu dans sa prière : « Il disait : « Abba… Père, tout est possible pour toi. Éloigne de moi cette coupe. Cependant, non pas ce que moi, je veux, mais ce que toi, tu veux ! » (Marc 14,36).
C’est donc – nous disait l’apôtre – parce que nous sommes ses enfants bien-aimés que nous devons chercher à imiter Dieu. Mais en quoi pouvons-nous, devons-nous, imiter Dieu ? Jésus lui-même nous le dit : « Aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent, afin d’être vraiment les fils de votre Père qui est aux cieux ; car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, il fait tomber la pluie sur les justes et sur les injustes » (Matthieu 4,44-45).
Dans l’Ancienne Loi Dieu disait : « Soyez saints, car moi, le Seigneur votre Dieu, je suis saint » (Lévitique 19,2). Et là où dans l’évangile selon saint Matthieu Jésus nous dit : « Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait » (Matthieu 5,48), dans l’évangile selon saint Luc nous lisons : « Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux » (Luc 6,36). Voici donc que la sainteté de Dieu, la perfection de Dieu, c’est sa miséricorde.
« Cherchez à imiter Dieu, puisque vous êtes ses enfants bien-aimés. » C’est-à-dire : « Vivez dans l’amour, comme le Christ nous a aimés et s’est livré lui-même pour nous, s’offrant en sacrifice à Dieu, comme un parfum d’agréable odeur. N’attristez pas le Saint Esprit de Dieu, qui vous a marqués de son sceau – cet Esprit qui crie dans nos cœurs Abba ! – Pardonnez-vous les uns aux autres, comme Dieu vous a pardonné dans le Christ. » Seulement si nous nous pardonnons les uns les autres pourrons-nous oser dire la prière des enfants bien-aimés de Dieu : Notre Père qui es aux cieux.
Nous qui ne devons donner à personne sur terre le nom de père, car nous n’avons qu’un seul Père, celui qui est aux cieux (Matthieu 23,9), nous demandons au Dieu éternel et tout-puissant, que nous pouvons déjà appeler notre Père, qu’il fasse grandir en nos cœurs l’esprit filial, afin que nous soyons capables d’entrer un jour dans l’héritage des fils qui nous est promis.

 

 


Fête de la Transfiguration du Seigneur, homélie du P. Abbé Vladimir Gaudrat 

(homélie prononcée à l'occasion des 20 ans d'abbatiat de l'Abbé Vladimir, et de la consécration de la chapelle St Sauveur)

 

Chers Frères et Sœurs

Comme nous y invite la deuxième lettre de Pierre : « Fixons notre regard sur la parole, comme sur une lampe brillant en un lieu obscur ». Et voici qu’à l’écart, sur la montagne, Jésus est transfiguré devant Pierre, Jacques et Jean. Ceux qui sont aussi les témoins du retour à la vie de la fille de Jaïre et de l’agonie au jardin des oliviers le voient aujourd’hui transfiguré sur la montagne. C’est un moment unique et singulier dans la vie du Sauveur. Dans aucun autre passage de l’Évangile, Il ne se manifeste ainsi même lorsqu’il apparaît à ses disciples après sa résurrection. Il reçoit de Dieu le Père l’honneur et la Gloire : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en lui, j’ai toute ma joie ».
« Tu t’es transfiguré sur la montagne montrant à tes disciples ta gloire autant qu’il leur était possible de la voir » avons-nous chanté pendant les laudes. La tradition des Pères est unanime pour nous dire qu’il a fallu aux 3 disciples être transformés eux aussi pour pouvoir voir la gloire. Mais quelle est donc cette gloire qui se laisse percevoir dans la Lumière, la Nuée et la Parole, Gloire manifestée et en même temps cachée, Gloire de l’indivisible Trinité rendue visible en ce jour. Cette gloire, Moïse et Élie l’avaient comme vu de loin en préfiguration. Seul dans les Écritures, Paul sur le chemin de Damas en perçut quelque chose lorsqu’une lumière venue du ciel l’enveloppa de son éclat et qu’il entendit une voix qui lui disait : « Saoul, Saoul pourquoi me persécuter ». Pendant trois jours il en perdit la vue comme Isaac si l’on en croit la tradition juive, lui qui sur la montagne de l’oblation vit les cieux ouverts et ses yeux s’obscurcirent. Et voici que le nouvel Isaac, le fils unique et bien aimé est transfiguré avant d’être offert et de s’offrir pour le salut du monde.

« Pour nous aussi pécheurs, fais briller ta lumière éternelle »
Chers Frères et Sœurs, que cette célébration soit aussi une invitation
Si nous cherchons à percevoir cette lumière qui transforme, voici que Paul nous révèle la voie la plus excellente, celle qui est infiniment supérieure, la voie de l’amour. « Il excuse tout, il croit tout, il espère tout, il endure tout. L’amour ne disparaît jamais ». Si Dieu est amour, cette gloire manifestée aujourd’hui est celle de l’amour. Il est cette lumière sans forme qui nous transforme.
Chers Frères et Sœurs,
Si nous suivons la voie de l’amour, alors nous serons lumière dans le christ.
Si nous suivons la voie de l’amour, alors nous serons comme notre Père Saint Honorat dont nous allons déposer une relique dans l’autel. Hilaire nous dit que tout lieu où il passe était illuminé par sa présence.
Si nous suivons la voie de l’amour, alors nous pourrons comme lui inculquer en aimant l’amour du Christ et du prochain, faire naître la joie et nous enflammer sans cesse du désir du Christ comme au premier jour.
Si nous suivons la voie de l’amour, nous n’aurons pas besoin que nos doigts deviennent comme des flammes comme ceux d’Abba joseph de Panepho dans les sentences des Pères du désert mais notre cœur sera tout brulant en méditant les Écritures.
Si nous suivons la voie de l’amour, alors nous verrons le cosmos tout entier avec le regard du Christ comme le don merveilleux que Dieu nous fait et que nous devons protéger et sanctifier.
Si nous suivons la voie de l’amour, dans la douceur de cet amour même, nous gouterons la joie de ce Royaume caché.
Si nous suivons la voie de l’amour, le joug du Christ nous sera facile à porter et son fardeau léger.

Chers frères et sœurs,

Dans ce lieu où ont vécu et prié tant de générations de moines. Là où tant d’entre eux ont été déposé en terre pour pouvoir entrer dans la gloire, confions nous à leurs prières et prions les uns pour les autres comme une grande famille pour que ce royaume vienne en nous. Dans cette chapelle dédiée au Christ dans sa transfiguration, recevons cette invitation à la gloire qui dans cette vie se manifeste souvent sous l’apparence des contraires. Et puisque nous allons consacrer cet autel, où nous nous offrirons dans l’unique oblation du Christ, croyons qu’alors il nous sera donné de voir Jésus seul, lui qui fait miséricorde à tout ce qui vit.
Qu’il nous bénisse tous.
Je vous demande de prier pour moi.


St Benoît, patron de l'Europe, homélie du P. Abbé Vladimir Gaudrat 

 

Chers Frères et Sœurs,

Dans cette église, il nous arrive deux fois par an de faire mémoire de Notre Père Saint Benoît. Le 21 mars, alors que nous fêtons son passage vers le monde nouveau, celui de la lumière et de la résurrection, nous avons avant tout présent à l’esprit sa vie comme modèle de celui qui a tout quitté pour suivre le Christ comme le dit l’Évangile de ce jour. Aujourd’hui alors que nous le fêtons comme patron de l’Europe, nous regardons l’autre figure que nous avons de lui par sa règle dont sa vie nous dit qu’elle est à la fois pleine de discernement et de clarté. C’est, en effet, les différentes interprétations de la règle de Saint Benoît qui ont donné naissance au monachisme occidental tellement important dans l’élaboration de la culture occidentale au moyen âge.
Alors que nous vivons dans un monde très différent, nous pouvons retenir deux aspects de la règle que l’on retrouverait aussi dans la vie de saint Benoît et qui peuvent avoir du sens aujourd’hui non seulement pour les moines mais pour tous les chrétiens voir pour tous les hommes en recherche.
La règle de saint Benoît présente la vie monastique comme un appel. Il est très significatif qu’elle commence par le mot « Écoute ». Cet appel qui est un appel à la vie et au bonheur est en même temps un appel à tout quitter pour suivre le Christ. « Voyez comme le Seigneur lui-même, dans sa bonté, nous montre le chemin de la vie » nous dit saint Benoît. Il fait écho en cela à l’Évangile où Jésus dit à Pierre : « Celui qui aura quitté à cause de mon nom des maisons, des frères, des sœurs, un père, une mère, des enfants, ou une terre recevra le centuple, et il aura en héritage la vie éternelle ». Cette vie éternelle est ce que la règle nous demande de désirer de toute l’ardeur de l’esprit. Le temps de la règle, le temps des moines est le temps de la réponse dans le présent à un appel mais aussi le temps eschatologique du royaume qui vient et qui est le centuple de l’Évangile déjà goûté. Quoi de plus doux que cette voix qui nous appelle dit saint Benoît. Mais quoi de plus important de croire et d’affirmer que toute vie humaine est une vocation, une réponse à un appel, la possibilité de se dépasser elle-même et donc qu’elle a une dignité que rien ne peut retirer. Et quoi de plus urgent que d’essayer de bâtir un monde où chacun puisse vivre sa vie comme une réponse, comme un choix. Chacun et pas seulement les riches, chacun et pas seulement les intelligents où ceux qui se croient tels, chacun et pas seulement les européens ou les occidentaux. Non rien n’est à mettre en premier, il n’y a aucune préférence à avoir sinon celle du Royaume.
Et cela est vrai parce que cet appel, et c’est une deuxième chose que peut nous dire la règle en harmonie avec l’Écriture, nous rend hospitalier, nous faisant nous porter et nous supporter les uns les autres avec humilité, douceur et patience comme le dit le passage de la lettre aux Éphésiens que nous venons d’entendre. Le temps des moines est aussi celui de l’hospitalité. Cet appel réunit des personnes très différentes d’origine mais aussi de dons, de caractères et d’âges. Il y a dans la règle des enfants et des vieillards, des doux et des turbulents, des opiniâtres et des patients, des obéissants et des désobéissants et au moins à l’époque de saint Benoît des hommes libres et ceux venant de l’esclavage. Mais dans le Christ qui nous appelle, nous sommes tous un, nous appliquant à conserver l’unité par ce lien qu’est la paix. C’est ce que dit saint Benoît à la fin de sa règle lorsqu’il nous invite à supporter avec une très grande patience les infirmités d’autrui tant physiques que morales alors que le Christ nous conduit tous ensemble à la vie éternelle.
Oui frères et Sœurs, de Saint Benoît retenons que la paix se construit par l’hospitalité. Et puisqu’en toutes choses Dieu doit être glorifié, apprenons encore de lui que cette hospitalité s’édifie sur la certitude de tout recevoir comme un don à partager et à élever vers Celui qui est le donateur de tout bien. C’est ce qu’exprime la liturgie qui est si importante pour le monachisme issu de la règle de Saint Benoît. À son écoute, faisons de nos vies une liturgie et dans l’eucharistie que nous allons célébrer offrons nous nous-mêmes, les uns les autres et toute notre vie au Christ notre Dieu.


14ème dimanche B, homélie de frère Marie

 

Jésus revient dans son pays, à Nazareth où il a grandi.
Et l’évangéliste Marc nous présente Jésus à la synagogue, le jour du Sabbat, comme étant le maître des lieux. Jésus instruit, enseigne, comme il le fait aujourd’hui pour nous, en Eglise, à travers sa Parole. Cette Eglise voulue par le Maître et qui malgré ses raideurs, malgré son péché et ses faiblesses a su conduire jusqu’à nous le murmure de la source, cette parole vivante du Maître qui nous anime aujourd’hui.
D’où lui vient tout cela ?
Telle est la question que se posent les habitants de Nazareth. D’où vient à Jésus qui a grandi dans sa famille au milieu d’eux, d’où lui viennent sa sagesse et ses miracles ?
C’est dans ce milieu habituel de vie que Jésus fait entendre une parole inhabituelle, une parole qui étonne et qui vient provoquer la foi : cette sagesse qui veut nous rapprocher de Dieu et nous libérer de nos infirmités de l’âme.
C’est au cœur de notre milieu habituel de vie que Jésus nous fait entendre une parole inhabituelle, une sagesse qui nous appelle à nous ouvrir, à nous présenter devant Dieu avec un cœur de pauvre, un cœur et un esprit qui attendent de lui lumière et guérison, qui nous achemine dans une compréhension de ce qui tisse notre vie humaine.
La parole que nous célébrons au jour le jour est présence de Jésus qui nous accompagne et nous guide.
C’est à partir de notre disposition à l’écoute que Jésus nous sort de nos aveuglements et nos entraves. Disposition à l’écoute qui forme en nous un être relationnel, qui nous rend attentifs à Dieu et attentifs aux autres. Cette disposition à l’écoute de la sagesse du Christ, est un ajustement à la sainteté de Dieu, notre chemin de croissance, et un ajustement aux autres si différents de nous, mais enfants d’un même Père.

Dans l’évangile de ce jour, la principale question posée est celle de la fiabilité et de l’autorité de la parole de Jésus.
Il serait plus facile de porter crédit à quelqu’un qui vient d’un ailleurs que l’on ne connaît pas, que de porter crédit à quelqu’un qui fait partie de nos habitudes de vie et qui bouscule les habitudes. La parole de Jésus est une parole qui le plus souvent nous dérange, pour notre bien.
Car cette parole nous resitue dans une même origine, fils et filles nés de l’amour de Dieu et qui nous oblige les uns envers les autres.

Jésus se retrouve confronté au milieu des siens à la défiance, il devient même cause de scandale. Ce qui est frappant dans ce passage de l’évangile de Marc, c’est qu’il n’y a pas de dialogue, les critiques à son égard sont un monologue, un jugement. La sagesse qui sort de la bouche de celui qui est connu par tous comme un petit artisan, est reçue comme un scandale.
Pour écouter il faut être sur ses ‘mégardes’ disait Péguy, c’est la condition pour être atteint et rejoint par tout ce qui peut être un peu plus haut, par ce qui peut nous faire grandir en humanité et en sainteté.
Dans nos communautés, dans nos églises, peut-être sommes-nous trop souvent sur nos gardes les uns envers les autres, juger les autres sur les habitudes peut nous rendre sourds à la sagesse inspirée et inattendue qui peut s’exprimer à travers tout un chacun. Il nous faut peut-être cultiver le regard de l’enfant, sa capacité d’émerveillement.
Au fond nous pouvons pratiquer notre religion, nous définir comme chrétiens, ou catholiques, mais qu’en est-il de notre relation à l’Evangile ? de notre relation avec cette parole du Christ qui vient nous déranger ou nous inviter à ouvrir un peu plus grands nos cœurs et nos esprits, à nous laisser entraîner par cette sagesse et tendresse de Dieu.
Le jardin de la foi est inépuisable, et pourtant tout s’y tient à la frontière de nos corps, de notre communauté, de nos lieux de vie, le Christ s’y tient comme promesse et déjà là, c’est ce qui nous permet de pouvoir nous ouvrir à l’autre, à tout-autre, au nom de notre commune origine et de notre commune destinée.

Le Fils qui nous partage son Esprit Saint nous enseigne, nous apprend à avancer sur le chemin de sa sainteté et de sa gloire, mais avec cette conscience des tout-petits, car notre lucidité comprend que ce n’est pas notre puissance qui nous fait progresser : ma puissance se déploie dans la faiblesse, dit Jésus à Paul. Et ailleurs : ce trésor nous le portons dans des vases d’argile.
Notre confiance est dans l’autorité et dans la puissance du Fils, car son autorité est aimante et sa puissance est juste. C’est dans cette confiance que nous vivrons et porterons sa Parole et sa sagesse au monde.

 


10ème dimanche - B, homélie de frère Bartomeu

 

Chers frères et sœurs, au long de l’année, les dimanches, nous écoutons une lecture suivie d’un évangile, cette année celui de Marc. Mais nous écoutons aussi la lecture suivie de morceaux choisis des lettres de saint Paul et il est important que nous y prêtions attention.
Aujourd’hui, dans la lecture de la deuxième lettre aux Corinthiens, l’Apôtre nous parlait de son ministère apostolique. Mais en fait, ce qui a été son expérience personnelle – unique bien sûr – il nous le proposait comme ce qui est, ce qui doit être, aussi notre vie.
Il commençait en s’appuyant sur une parole de l’Écriture, concrète-ment d’un Psaume : J’ai cru, c’est pourquoi j’ai parlé, et il disait : « Nous croyons, et c’est pourquoi nous parlons. » Et ce « nous parlons » comprenait ici évidemment tout ce que nous vivons en tant que chrétiens.
Or, le point de départ, le point d’appui de notre foi, de notre vie, n’est autre que la résurrection de Jésus Christ. « Car, nous le savons, celui qui a ressuscité le Seigneur Jésus nous ressuscitera, nous aussi, avec Jésus, et il nous placera près de lui avec vous. »
C’est pour cela que le dimanche, le jour du Seigneur, est le centre de notre vie. P. Abbé, qui préside notre célébration de l’Eucharistie, dira dans la Prière eucharistique : « …dans la communion de toute l’Église, en ce premier jour de la semaine nous célébrons le jour où le Christ est ressuscité d’entre les morts. » C’est pourquoi le dimanche et la célébration de l’Eucharistie le dimanche est ce qui nous fait vivre en tant que chrétiens.
Car, comme poursuivait l’Apôtre, « si en nous l’homme extérieur va vers sa ruine, l’homme intérieur se renouvelle de jour en jour. » Et c’est pour cela que « nous ne perdons pas courage ». L’homme intérieur, ce qui nous est intérieur, est ce que nous sommes vraiment, non pas l’homme extérieur, ce qui nous est extérieur. Et Paul expliquait encore : « ce qui se voit est provi-soire, mais ce qui ne se voit pas est éternel. » Et c’est l’homme intérieur qui se renouvelle de jour en jour, au long de notre vie de chrétiens.
C’est ce qui lui faisait dire que « notre détresse du moment présent est légère par rapport au poids vraiment incomparable de gloire éternelle qu’elle produit pour nous. » « Nous le savons, en effet, même si notre corps, cette tente qui est notre demeure sur la terre, est détruit, nous avons un édifice construit par Dieu, une demeure éternelle dans les cieux qui n’est pas l’œuvre des hommes. » Et, en participant par la patience aux souffrances du Christ, nous mériterons d’avoir part à son royaume.
Nous vivons sur la terre, mais nous avons une demeure éternelle dans les cieux. Ne disons-nous pas : « Notre Père qui es aux cieux » ? Et n’avons-nous pas entendu Jésus dans l’évangile nous dire : « Celui qui fait la volonté de Dieu, celui-là est pour moi un frère, une sœur, une mère » ?
Chaque célébration du dimanche nous fait revivre ce que nous sommes vraiment. Et lorsqu’à la fin de la célébration nous entendons l’invitation « Allez dans la paix du Christ », toute notre vie devient une continuation de ce que nous avons vécu dans cette célébration.

 

 


Fête du Sacré Coeur de Jésus, homélie P. Vladimir Gaudrat

 

Chers Frères et Sœurs

« Un des soldats avec sa lance lui perça le côté ; et aussitôt, il en sortit du sang et de l’eau ». Par ce coup de grâce, le soldat s’assure de la réalité de la mort du Christ et nous, jusqu’à aujourd’hui nous sommes convaincus par le sang et l’eau de la réalité de l’humanité du Sauveur qui donne sa vie pour nous. Le sang et l’eau renvoient à ce qui est pour nous aujourd’hui et jusqu’à la fin source de vie, le sang à l’Eucharistie et l’eau au baptême. Ce n’est pas seulement la mort de Jésus dont nous avons l’attestation mais le fait que celle-ci nous donne la vie. Elle est le lieu où la communauté chrétienne nait par le baptême et le lieu où elle trouve la nourriture qui lui est nécessaire dans l’Eucharistie. Tout cela est l’œuvre de l’amour de Dieu qui est nous est révélé dans toute sa plénitude lorsque nous levons les yeux vers celui qu’ils ont transpercé.
L’amour de Dieu qui veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité se révèle dans un amour humain dont le cœur transpercé est le symbole. Cet amour, que nous célébrons aujourd’hui, que nous contemplons aujourd’hui dans la blessure du cœur demande de nous une réponse tout en rendant celle-ci possible. Comme le dit Saint Paul dans la lettre aux Philippiens, nous sommes invités à avoir en nous et entre nous les sentiments du Christ, ayant un même amour, un même cœur, recherchant l’unité. C’est cela notre identité chrétienne, rester enracinés dans l’amour, établis dans l’amour qui est l’amour même de Dieu manifesté en Jésus Christ et répandu dans nos cœurs par l’Esprit.
Et pourtant, l’amour n’est pas aimé, car nous le réduisons trop souvent à une question de sentiments, de sensations. L’amour est volonté, l’amour est action qui nous porte vers l’autre. Celui qui n’aime pas son frère, son prochain qu’il voit comment pourrait-il aimer Dieu qu’il ne voit pas.
L’amour n’est pas aimé, même dans nos communautés où nous avons tant de mal à accueillir ceux qui nous gênent, ceux dont nous considérons qu’ils sont des brebis égarées ou perdues. L’amour n’est pas aimé, il est méprisé dans les pauvres, les faibles sans défense, les enfants qui ne pourront même pas naître. L’amour n’est pas aimé, il n’est ni vu ni discerné dans les vieillards que l’on rend invisibles, les étrangers que l’on bloque à nos frontières et qui se noient ici, au large dans la mer et dans l’indifférence. L’amour n’est pas aimé, il n’est pas reconnu dans ceux par qui le Christ vient à notre rencontre. Et cet amour blessé qui veut donner la vie à tous, qui se comporte avec nous comme un Père avec son fils nouveau né comme le dit le prophète Osée, il attend juste de nous que nous commencions humblement, faiblement, en trébuchant, à notre mesure à lui répondre pour nous laisser ensuite transfiguré par lui.
L’amour n’est pas aimé. Peu importe que ce cri soit de saint François d’Assise ou de saint Claude La Colombière. Faisons le pourtant un peu notre en ce jour pour convertir nos cœurs et celui de nos frères.

 


Fête de la Visitation de la Vierge Marie, homélie du P. Abbé Vladimir

 

Chers Frères et Sœurs,

Comme le dit St Ambroise en commentant le passage de l’Évangile que nous venons d’entendre, la grâce du Saint Esprit ignore les lenteurs. Elle pousse à la rencontre, elle fait se hâter pour le service, elle provoque la louange. Marie se rend en hâte chez sa cousine Elizabeth et le souffle de l’Esprit provoque une double rencontre d’où nait la louange. Il y a un lien entre Marie et Elizabeth par une double intervention divine. Elizabeth a conçu dans sa vieillesse et Marie a conçu de l’Esprit Saint. L’Évangile nous dit aussi qu’il y a un lien entre leurs deux enfants. Et de ce double lien nait la louange et le service.
Les psaumes nous apprennent que lorsque l’homme supplie, il crie des profondeurs dans le cœur à cœur du tutoiement avec un Dieu semblant absent, mystérieux et qui pourtant est là, présent, plus intime que son intime. Mais lorsqu’il loue Dieu, il ne peut le faire que par un appel à la rencontre, à la communion et au service. « Venez, crions de joie, Louez le Seigneur, invoquez son nom. Il est grand au milieu de toi le Saint d’Israël ». Et Marie, porteuse de celui qui est la Bonne Nouvelle peut louer Dieu en invitant toute l’humanité à se joindre à elle : Mon âme exalte le Seigneur. . . Désormais tous les âges me diront bienheureuse ». Comme nous le dit la lettre aux romains, elle ne peut le faire qu’en se rendant disponible, en devenant pleinement servante du Seigneur, de sa cousine et par elle des autres.

Et nous pouvons nous joindre à Marie, et d’une certaine manière nous sommes déjà avec elle en cet instant, elle qui est à la fois la première des sauvés et la mère de l’Église. En cette Visitation, nous pouvons nous laisser conduire par l’Esprit à la rencontre des autres hommes pour les servir et les convier à la louange en leur annonçant le salut. Chacun suivant notre vocation propre, nous sommes envoyés en visite, gratuitement par Celui qui nous a tout donné, par celui dont la miséricorde s’étend d’âge en âge. Accompagnons nos frères et sœurs en humanité dans leurs joies comme dans leurs peines. Laissons nous envahir par l’action de grâce comme Marie, devant les merveilles de Dieu pour les partager avec un cœur grand ouvert.

 


Dimanche de Pentecôte, homélie du P. Abbé Vladimir 

 

Chers Frères et Sœurs,

Lorsque Luc dans les Actes des Apôtres entreprend de raconter ce qui est arrivé à Jérusalem 50 jours après la Résurrection du Christ, il se situe dans le cadre de la fête juive de la Pentecôte qui achève le temps commencé avec la célébration de la Pâque et qui fait se rassembler dans la ville sainte des juifs de toute la diaspora. À l’époque de Jésus, cette fête était devenue de plus en plus une fête de l’alliance, voir une fête célébrant le don de la loi. Quelques années après le récit des Actes, un rabbin ira jusqu’à affirmer pour résumer l’opinion commune : « La Pentecôte est le jour où la Loi fut donnée ». Toutes les images que Luc utilise, le bruit, le feu, la voix qui parle d’autres langues se trouvent déjà dans le livre de l’Exode lorsque Dieu se révèle et donne la loi sur le mont Sinaï. Philon d’Alexandrie, un auteur juif antérieur de quelques dizaines d’année à notre texte fait un commentaire de l’Exode qui peut nous sembler très proche : « Alors du sein du feu qui s’épanchait du ciel, retentit une voix absolument saisissante, la flamme devenant langage articulé familier aux auditeurs ». Ce commencement de l’Église que Luc évoque est dans la continuité de la révélation au Sinaï et du don de la loi comme il est l’aboutissement, l’achèvement de la mort et de la résurrection du Christ. Dans son vocabulaire propre, Paul dans le passage de la lettre aux Galates que nous venons d’entendre ne veut rien dire d’autres lorsqu’il dit que lorsqu’on se laisse conduire par l’Esprit, la loi n’intervient pas. L’Église naît avec le don de l’Esprit, avec ce que St Thomas d’Aquin appelle la loi de l’Esprit de Vie et elle nait universelle. C’est ce que dit les deux faces de ce que Luc décrit : Ceux qui sont rassemblés tous ensemble dans l’unité se mettent à parler dans d’autres langues que les leurs et chacun les comprend dans sa langue maternelle.

Si la loi qui nous unit est celle de l’Esprit de vie, de l’Esprit de communion et d’amour. Si cette loi, c’est la Charité qui seule subsistera, ce n’est pas que marcher sous la conduite de l’Esprit soit la voie de la facilité. Dans l’Évangile, avant de subir sa passion, Jésus nous promet que cet Esprit qu’il va nous envoyer nous conduira vers la vérité toute entière pour que nous rendions témoignage. On sait combien ce mot de témoignage se conçoit dans un contexte de persécution dans l’Évangile de Jean. Cette vérité tout entière n’est pas quelque chose de nouveau mais le déploiement de ce qui est révélé par le Sauveur dans toute sa vie, par sa mort et sa résurrection. Si l’Église nait de l’Esprit, chacun de ses membres nait en elle comme un témoin livré jusqu'au bout par cet amour qui se donne. L’amour de Dieu s’est donné dans la Loi, il se donne par la mort et la résurrection agissant en nous par l’Esprit que nous avons reçu au baptême. Amour dont nous pouvons témoigner par les fruits de l’esprit : « amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, fidélité, douceur et maîtrise de soi. Amour dont nous devons témoigner jusqu’au martyr qui est le témoignage par excellence et qui ne requiert pas forcément le sang. Amour qui nous comble au delà de ce qui est imaginable.

Chers Frères et Sœurs, pour que notre Église soit toujours plus universelle, comme les apôtres apprenons à parler la langue des autres, apprenons à les rencontrer.


7ème dimanche de Pâques-B, homélie de frère Marie

Chers frères et soeurs,

L’apôtre st Jean nous dit : « Nous reconnaissons que nous demeurons en Dieu, et Dieu en nous, à ce qu’il nous donne part à son Esprit ». C’est l’Esprit Saint nous dira encore St Paul, qui seul peut agir en nos cœurs et nous faire reconnaître que Jésus Christ est Seigneur. C’est par le don de son Esprit que l’amour de Dieu a été répandu en nos cœurs. L’Esprit de Dieu nous ouvre au don de Dieu. Dieu a tant aimé le monde qu’il lui a donné son Fils, son Unique, afin que le monde soit sauvé et reçoive la vie en plénitude.
L’apôtre Jean nous le définit en un mot : « Dieu est Amour ».
En disant cela, l’apôtre Jean ne nous dit pas seulement ce qu’est Dieu, il nous dit aussi ce que nous devons, ou sommes destinés à être : « Mes bien-aimés, puisque Dieu nous a tant aimés, nous devons aussi nous aimer les uns les autres ». C’est cela que Jésus nous enseigne, c’est cette parole que Jésus nous fait entendre, c’est cette parole dont il missionne ses disciples à faire entendre au monde, car elle exprime le nom de Dieu, son être, sa nature. Qu’est-ce que cet amour ? Cette notion d’amour que l’on risque de prendre comme un tout indifférencié, ou dans l’autre extrême comme une relation du ‘donnant-donnant’.
L’amour dont nous parle Jésus n’est pas une idée et ne s’arrête pas à la forme du sentiment, l’amour dont nous parle Jésus, qu’il nous enseigne, n’est pas une ‘doctrine’. L’amour dont nous parle Jésus est avant tout une présence, une présence qui se manifeste et qui se donne.
Dieu est vie et l’essence de la vie est l’amour qui se donne.
Comme le dit si bien St Bernard : « En se donnant il se révèle et en se révélant il se donne » (S. sur Ct, 8, 5). L’acte de cet amour, c’est que Dieu a voulu dans la chair se faire voir, dans tout ce qu’il est, il a voulu se faire connaître et se communiquer, il a voulu se lier d’amitié avec le genre humain, ce genre humain dont il est la source. Et si Dieu veut se faire reconnaître de nous, ce n’est pas dans l’esprit d’un donnant-donnant, mais c’est par le don gratuit de lui-même pour nous élever au bonheur de le connaître, de partager sa vie en amitié.
Il a voulu se révéler ainsi, en sorte que la parole du Christ, qui est puissance et sagesse de Dieu, soit pour nous force de salut.
Aimer Dieu et son prochain, comme le Christ a aimé, c’est manifester cette force de salut en nous, la manifester en nous rendant présent à Dieu et présent à l’autre.
Un jour un jeune converti au judaïsme vint trouver le Rabbi Hillel, et il le mit au défi de lui expliquer tout l’enseignement de Dieu le temps qu’il tiendrait en équilibre sur un pied. Le Rabbi lui répondit « aime ton prochain comme toi-même » comme étant la réponse unique, et complète, incarnant l’essence de tous les ordres de Dieu. Oui, c’est bien cela qui exprime en nous et à travers notre vie l’image de Dieu.
Aimer est une présence, selon ses différents modes, une présence qui sait se faire proximité de vie, de reconnaissance, une présence qui sait se faire, sollicitude et miséricorde, compassion, par la prière, par des petits gestes et des actes généreux, par des décisions solidaires.
Aimer c’est aussi discerner, discerner ce qui rend vraiment compte de notre dignité et ce qui fait mal à notre vivre ensemble, discerner de ce qui rend compte de notre solidarité et de notre engagement pour construire une civilisation plus juste. Même Freud constatait à partir de son angle de vue : « L’appel à aimer son prochain comme soi-même, est l’un des préceptes fondamentaux de la vie civilisée. Ce précepte est l’un des plus contraire à la forme de raison que la civilisation promeut : cette raison de l’intérêt personnel et de la recherche du bonheur pour soi. »
Jésus nous le dit de façon plus profonde en reliant l’humanité à sa source, aimer comme Dieu nous l’enseigne est appel à la sainteté, cette sainteté qui est contre-pied du fonctionnement égoïste du monde.
Certes nous sommes faibles et limités, mais comme le dit St Paul, la force de Dieu peut se manifester au cœur même de notre faiblesse, par le don de l’Esprit Saint et par l’enseignement et la présence vivante de Jésus.

 


Fête de l'Ascension, homélie du P.Abbé Vladimir

 

Chers Frères et Sœurs,


Nous venons d’entendre ce passage qui termine l’Évangile de Marc. En conclusion de son récit, comme c’était le cas à son commencement, nous retrouvons ce mot Évangile auquel nous sommes tellement habitués que nous risquons d’oublier qu’il signifie Bonne Nouvelle, d’oublier la nouveauté quasi révolutionnaire qu’il introduit dans le monde. Aux premières lignes du récit de Saint Marc: « Commencement de la Bonne Nouvelle touchant Jésus Christ Fils de Dieu » correspondent ces 2 phrases: « Allez dans le monde entier. Proclamez la Bonne Nouvelle à toute la création » et « Quand à eux, ils s’en allèrent proclamer partout la Bonne Nouvelle ».

Pour les apôtres, cette bonne nouvelle s’exprime dans un paradoxe. Celui qui les envoie va désormais devenir invisible, c’est à dire non pas absent mais présent d’une autre manière qui renvoie au mystère même de Dieu. C’est ce que décrit Luc dans les actes des apôtres lorsqu’il parle de la nuée qui vient soustraire Jésus aux yeux des apôtres. C’est l’expérience des disciples d’Emmaüs lorsqu’après avoir écouté le Ressuscité leur expliquer les Écritures, Celui-ci disparaît lorsqu’ils le reconnaissent à la fraction du pain. Le Ressuscité par l’Esprit Saint se fait proche des hommes pour se faire connaître tout en restant caché. C’est ce qui était déjà manifesté à Moïse sur le Sinaï lorsque le Seigneur parlait à Moïse dans la nuée. C’est, dans le fond notre expérience à tous. C’est le mystère de notre foi. C’est ce qui nous libère du risque de l’idolâtrie d’un Dieu unique et tout puissant qui ne peut engendrer que violence. Cette bonne nouvelle tout en nous engageant nous rend libre.

Le christ nous confie sa parole, son Évangile, sa Bonne Nouvelle pour qu’elle soit proclamée à toute la création. Contrairement à ce que certains s’imaginent ou du moins disent, être disciple du Christ, ce n’est pas défendre une identité chrétienne. Non que la question de l’identité ne pourrait, dans certains cas, être sérieuse mais il me suffit en tant que moine cistercien de rencontrer mes frères et sœurs moines et moniales du Vietnam, de l’Érythrée, du Canada ou du Brésil et de tant d’autres pays avec leurs richesses et leurs différences culturelles pour comprendre que ce qui nous réunit, ce n’est pas une identité commune à défendre mais cette bonne nouvelle de la victoire du Christ sur le mal et la mort qui engendrent la haine et la division, victoire dont nous devons être les témoins. Être disciple du Ressuscité, ce n’est pas d’avantage défendre un catalogue de valeurs, c’est se laisser conduire vers la sainteté comme vient de le rappeler le Pape François dans sa dernière exhortation apostolique. Celle-ci n’est ni dans l’observance de normes déterminées, ni dans un fidélité inébranlable à un certain style de vie que l’on voudrait appeler catholique en se trompant de sens sur ce mot puisqu’il signifie universel et donc ouvert et pouvant s’adapter à chaque culture. La sainteté, c’est chercher à marcher en présence de Dieu, humblement reconnaissant et partageant son amour. La sainteté à laquelle le Christ appelle ses disciples, c’est vivre en communion avec Dieu, avec les autres hommes et toutes les créatures. Et cette communion appelle le service, le respect, l’accueil et le partage. Proclamer l’Évangile du Christ, c’est proclamer une solidarité totale qui jaillit du mystère de la Trinité qui est la source ultime de tout. C’est prier pour tous les hommes et toute la création comme le faisait déjà le moine Isaac le Syrien au VII° siècle dans cette région où s’exprime aujourd’hui tant de haine et de violence et qui a un besoin urgent de notre fraternité et de notre solidarité.

Car le Christ ne nous laisse pas orphelin et isolé. Il nous laisse sa parole avec les exemples des saints connus et inconnus pour la comprendre et la vivre. Comme il les a laissé toucher à ses disciples après sa résurrection, il nous laisse aujourd’hui ses mains et ses pieds. Comme il le dit lui-même dans son Évangile juste avant de subir sa passion : « J’ai eu faim et vous m’avez donné à manger, j’ai eu soif et vous m’avez donné à boire, j’étais un étranger et vous m’avez accueilli, nu et vous m’avez vêtu, malade et vous m’avez visité, prisonnier et vous êtes venus me voir ».
Alors que nous célébrons l’Ascension qui inaugure ce nouveau mode de présence du Christ, ouvrons nous toujours d’avantage, même si ce n’est pas de tout repos, à l’Évangile pour nous ouvrir à plus d’humanité et plus de vraie fraternité.


Fête de l'Annonciation, homélie de frère Marie

 

C’est dans la lumière de la Pâque et de la résurrection que nous célébrons aujourd’hui la fête de l’Annonciation, comme pour revenir au premier élan, au premier oui qui a tout mis en chemin. Le oui de Jésus, le oui de Marie.
En entrant dans le monde le Christ déclare : « Me voici, je suis venu pour faire ta volonté » Ps 39 ; He 10, 9. A l’annonce de l’Ange Marie répond : « Que tout m’advienne selon ta parole » Lc 1, 38
En entendant à nouveau résonner dans l’évangile de ce jour la salutation de l’Ange à Marie : « Réjouis-toi, comblée de grâce, le Seigneur est avec toi. », nous entendons les pas de celui qui s’approche, qui vient pour combler le monde de sa paix, de sa justice et de sa vie et de son amour.
Nous comprenons que si cette salutation est portée par un Ange, elle ne vient pas portée par le bruit des médias, ou le bruit des mille et une rumeurs de ce monde. Non elle résonne dans un espace de silence, d’écoute attentive, elle résonne dans un cœur éveillé, un cœur qui espère, un cœur qui désire, un cœur rempli et nourri de promesses séculaires, un cœur qui croit que tout est encore possible à Dieu, le cœur de Marie.
Les promesses, les alliances, la Loi, Marie de Nazareth était toute pétrie de cet héritage. En Marie tout cet héritage se fait l’écho d’une nouveauté tout aussi radicale qu’impensable. Tout comme Abraham qui eut foi en Dieu et qui se mit en route sans savoir où il allait et qui offrit son fils en ayant foi en la promesse divine, ainsi Marie pleinement préparée par l’Esprit de Dieu fut bien plus qu’un prophète ou un ami de Dieu, elle s’engagea sur ce chemin unique et inconnu de la maternité du Verbe divin, du Prince de la Paix.
Celui qui vient, qui s’approche et qui se tient là à la porte et qui frappe est le Prince de la Paix, le fils du Très-Haut, celui qui gouverne l’univers avec douceur.
La paix de ce Prince n’est pas celle du monde faite d’équilibre de compromis, toujours fragiles, calculés et pas toujours justes. La paix de ce Prince désigne elle, une plénitude, plénitude de vie, une plénitude d’amour, une plénitude de communion. Cette plénitude que nous célébrons en ce temps de pâques, qui resplendit dans le Christ Jésus mort et ressuscité, cette plénitude qui nous est communiquée dans le don de l’Esprit Saint, comme première avance de l’héritage de notre filiation en Christ. Esprit Saint qui nous entraine dans les voies du oui de Jésus et de Marie.

Pour la fête de ce jour le père cistercien St Aelred de Rievaulx écrit ceci :
« Par la conception du Seigneur et sa naissance, le monde entier a commencé à émigrer et à passer du pouvoir du diable au Royaume du Christ. » Aelred de Rievaulx, sermons pour l’année, S 38, 2

Ainsi cette fête nous invite à émigrer, à nous mettre en chemin par l’écoute amoureuse de la Parole de Dieu, à émigrer par notre adhésion à la lumière du Christ ressuscité, à émigrer par les chemins de la foi et de l’amour sur la terre des vivants, terre des vertus du Christ et de la sainteté. A émigrer vers nos frères et sœurs en humanité, à émigrer vers tous ceux qui souffrent et qui cherchent une vie meilleure. Le oui de Jésus, le oui de Marie nous met en route vers la terre de l’offrande de nous-mêmes, en esprit et en vérité, en confiant nos vies au dessein bienveillant du Père.


Lundi de Pâques, homélie de frère Marie

Toutes tremblantes de crainte et joyeuses, les femmes quittent le tombeau vide.
Et Jésus vint à leur rencontre : « Soyez dans la joie, ne craignez pas ! »
La foi en Jésus est le fruit d’une rencontre.
Cette rencontre peut être préparée par une quête de sens, par une succession de témoignages, mais elle est surtout présence du Christ en nos vies.
Par l’Esprit Saint Jésus se rend présent à nos vies comme une évidence, à la fois incontournable et insaisissable.
Ce que l’œil ne peut voir, ce que l’oreille ne peut entendre, ce que notre imagination ni notre intelligence ne peuvent concevoir, voilà ce que Dieu nous dévoile de son existence en son Fils Jésus-Christ lorsque celui-ci touche nos vies.
Dans la 1ère lecture des Actes des apôtres Pierre s’adressant à la foule proclame ce dont il a été témoin, ce qu’il a vu, entendu, ce qu’il a côtoyé du Verbe de vie, ce qu’il a aussi douloureusement éprouvé aussi devant la passion de Jésus et au cœur de sa peur et de son reniement.
Pierre avait rencontré l’homme de Nazareth, avait cru à son message sans vraiment le comprendre, avait été témoin de ses miracles. Et cependant devant la passion et la mort de Jésus, Pierre a vacillé, il a perdu pied, sa logique s’en est trouvée complètement déstabilisée. Sa foi n’était pas complète. Il a fallu que Jésus vienne à nouveau à sa rencontre, de par-delà le mystère du tombeau vide, après avoir ouvert un passage dans l’inconcevable, un passage de vie au travers de la mort.
Jésus est venu à la rencontre de Pierre et des apôtres, comme à la rencontre des femmes, comme il vient dans notre aujourd’hui à notre rencontre et nous dit : « Ne crains pas ! Je ne viens pas pour juger tes faiblesses, tes doutes, je ne viens pas pour t’accuser d’avoir pris part au mensonge, non je viens à ta rencontre par ce que j’ai ouvert pour toi un passage ! »
« Je viens à ta rencontre car j’ai ouvert pour toi le chemin de la vie. Ne crains pas, je suis venu à toi pour que tu mettes tes pas dans les miens. Pour t’apprendre le chemin de la vie. » Ps 15, 11
Que par l’Esprit Saint cette présence du ressuscité se plante en nous comme une graine indéracinable. Combien de chrétiens aujourd’hui encore, victimes de persécutions de toutes sortes sont témoins de cette semence. Et combien nous devons être nous aussi témoins de cette semence pour lui faire porter du fruit de sainteté, de charité et de sollicitude pour ce monde, que Dieu a tant aimé, jusqu’à lui donner son Fils, son unique.

 


Dimanche de Pâques, homélie du P. Abbé Vladimir

Chers frères et Sœurs,

En ce matin de Pâques, nous voici au tombeau avec Marie Madeleine, Pierre et l’autre disciple celui que Jésus aimait et dont la tradition dit qu’il s’agit de Jean. Marie Madeleine arrive la première et voit une chose extraordinaire : la pierre a été enlevée du tombeau. Sans doute elle ne comprend pas tout à fait ce qui se passe mais elle comprend au moins que quelque chose d’inattendu, d’extraordinaire s’est produit puisque la pierre n’est plus là. Elle ne peut garder cette nouvelle pour elle-même et court trouver Simon Pierre et l’autre disciple. Elle n’est pas entrée mais elle en a vu suffisamment pour pouvoir annoncer à ces deux hommes que non seulement la pierre est enlevée mais que le corps de Jésus n’est plus là.
Et voici qu’à leur tour les 2 disciples courent au tombeau l’un après l’autre et c’est celui qui est arrivé en dernier, le plus âgé, qui entre en premier. Ils voient et ils croient. Et nous c’est à travers ce qu’ils voient le linge et les bandelettes et à travers ce qu’ils ne voient pas, le corps de Jésus qui n’est plus là, que nous croyons. Comme eux qui représentent à ce moment l’Église, nous sommes invités à nous laisser surprendre, à nous laisser transformer. Nous sommes invités nous aussi à courir pour nous dépasser, pour nous dégager de ce qui pourraient nous empêcher de croire en la résurrection. Il vit et il crut nous dit l’Évangile du disciple bien aimé. Il vit et il crut, c’est à dire que toute sa vie en est bouleversée et transformée. Ce bouleversement que les catéchumènes baptisés cette nuit ont éprouvé, nous devons aussi désirer le retrouver, le renouveler. Si le christ est vraiment ressuscité, notre vie, notre regard sur le monde et sur les hommes doit en être complètement transformé. Si le Christ est ressuscité, le bonheur n’est pas dans la performance mais dans le fait de s’abandonner à l’amour et de se donner comme le Ressuscité qui jaillit du tombeau après être passé par la mort. Le bonheur est dans le service, dans le partage et dans l’accueil. Il est dans le fait de ne pas nous préférer à nos frères, dans l’absence d’avarice. Nos morts, nos faiblesses, nos échecs, nos limites sont comme de la paille dans la lumière de la Résurrection. Il nous faut passer par là comme les apôtres qui s’enfuient pour pouvoir ensuite être rencontrés par le sauveur et lui dire, je t’aime. C’est ce que Pierre a vécu et nous devons passer par un chemin semblable qui est celui de la conversion. Il nous faut nous laisser appeler par notre nom, tel que nous sommes, par le Ressuscité pour que notre vie soit transformée. Fêter le résurrection, c’est vivre en ressuscité, c’est rechercher les réalités d’en haut là où est notre patrie. Et puisque nous sommes d’une certaine manière étranger à ce monde puisque c’est la vocation de tout chrétien d’avoir une autre patrie que celle de cette terre, puisque nous entendrons dans cette semaine de Pâques comment le Christ se manifeste sous un aspect différent, étranger à ses apôtres, demandons la grâce de savoir accueillir tous ceux qui aujourd’hui dans leur faiblesse sont pour nous les mains et les pieds du ressuscité que Thomas voulait tellement toucher. Touchons la gloire du monde qui vient dans les enfants, les pauvres, les immigrés, les réfugiés et tous ceux que le monde méprise.

 


Nuit de Pâques, homélie du P. Abbé Vladimir

Chers Frères et Sœurs,

Ce qui est donné n’est jamais perdu et combien cela est vrai dans le cas du Christ qui donne sa vie par amour des hommes. Il a le pouvoir de la donner et le pouvoir de la reprendre mais s’il la reprend, c’est aussi en nous la communiquant. Hier nous avons été mis au tombeau avec le Sauveur et en cette nuit, il ressuscite pour que nous soyons unis à lui par une résurrection semblable à la sienne.
Le sabbat terminé, de grand matin, les femmes se rendent au tombeau. C’est de ce sabbat que le sauveur avait dit qu’il en était le maître et qu’il était fait pour l’homme. C’est par ce sabbat qu’est achevée, sanctifiée et bénie toute la création. Elle est désormais renouvelée, orientée, finalisée par la résurrection et nous devons en prendre soin. C’est avec toute la création que nous célébrons la vie qui éclate dans l’abîme de la mort. C’est ce que les femmes voient. Elles ne font pas que constater, elles contemplent : le soleil déjà levé image du soleil de justice qui ne connaît pas de déclin, la pierre déjà roulée et avec elle tout ce qui enchaine l’homme, le jeune homme vêtu de blanc comme un néophyte au sortir de la piscine baptismale. Elles cherchent et ce qu’elles découvrent est au delà de tout ce qu’elles peuvent imaginer. Celui qu’elles voulaient embaumer comme pour conserver ce qui est du passé n’est plus ici, il est ressuscité, le tombeau est vide. Et nous, nous voyons à travers le regard de ces femmes qui contemplent. Nous contemplons avec les yeux de la foi ce qui n’est compréhensible que dans la foi.
Et pourtant la fin de cet Évangile retentit comme une surprise. Les femmes s’enfuirent et ne dirent rien à personne. Elles n’arrivent pas à surmonter leur première grande frayeur comme devant quelque chose qui est encore trop nouveau pour elles. Comme au jardin des oliviers, ces trois femmes témoins s’enfuient devant ce qui est encore trop grand pour elles et dont pourtant elles seront les témoins. Célébrer la résurrection, c’est déjà avoir part au monde nouveau dont nous avons reçu le commencement au jour de notre baptême. Cela engage toute notre vie dans ce mouvement de don qui est celui du Christ. Cela nous engage à nous laisser renouveler, à nous laisser conduire par l’Esprit. Nous savons désormais que notre patrie n’est pas ici et que notre vie est cachée avec le christ en Dieu. Tout autant que les premiers chrétiens, nous devons cultiver la vertu de l’état d’étranger. Alors que nous allons faire mémoire de notre baptême, demandons au Ressuscité de renouveler toutes choses en nous.

 

 


Vendredi Saint, homélie du P. Abbé Vladimir 

Chers Frères et Sœurs,

Puisque tout est achevé, levons nos yeux vers Celui qui est suspendu au bois pour nous donner la vie. Voici l’homme, familier de la souffrance devant qui on se voile la face. C’est ce qu’avait annoncé Isaïe le prophète. « Il justifiera les multitudes et se chargera de leurs fautes ». Levons les yeux vers celui que nous avons transpercé. Il rejoint chacun d’entre nous dans sa faiblesse et son péché ; il s’est fait péché pour nous. Voici l’homme qui récapitule en lui tout l’humanité pour la présenter au Père. De lui seul on peut dire en vérité : « Heureux est l’homme qui n’entre pas au conseil des méchants. . . Mais se plait dans la loi du seigneur et murmure sa loi jour et nuit ». Cette loi, c’est celle du don et de l’amour. « Ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, c’est lui qui nous a aimé et qui a envoyé son fils en victime de propitiation pour nos péchés ». Comme le dit saint Bernard, il est venu pardonner à ceux qui le condamnaient, à des gens qui ne savaient pas ce qu’ils faisaient. En le contemplant, nous pouvons chanter avec lui : Heureux ceux qui ont une âme de pauvre, les affligés, les miséricordieux et les artisans de paix. Voici qu’il s’est fait notre paix.
Voici notre roi couronné d’épines et revêtu d’un manteau pourpre. « Il est comme un arbre planté près d’un ruisseau qui donne du fruit en son temps. Jamais son feuillage ne meurt, tout ce qu’il entreprend réussira ». Voici l’unique vie pleinement réussie comme le prophétisait Isaïe. En vérité dans cette admirable passion, rien ne s’est passé qui n’ait été prédit et rien n’a été dit qui ne se soit complètement réalisé. Le temps du fruit, c’est l’heure de la Croix. Elle est, à la fois, plongée dans le mystère impénétrable du mal par lequel, tous, nous l’avons mis à mort et bois qui porte le salut du monde. « O toi qui seul fut jugé digne de porter la rançon du monde et de lui préparer un havre ». Nous sommes invités au banquet des noces et du Royaume. « Jésus, le Fils, conduit à sa perfection dans l’obéissance de la Croix est devenu pour tous ceux qui lui obéissent la cause du salut éternel ». Suspendu comme un malfaiteur, il règne du haut du bois le Sauveur du monde. Le Seigneur connaît le chemin du juste. En le contemplant, nous pouvons chanter pour toute l’humanité : « Souviens-toi de nous quand tu entreras dans ton royaume ».

 


Messe du Jeudi Saint, homélie du P. Abbé Vladimir

« J’élèverai la coupe du salut,

Je t’offrirai le sacrifice d’action de grâce »

Chers Frères et Sœurs,

Ce que le psaume annonçait, nous en célébrons l’accomplissement en faisant mémoire du dernier repas que le Christ partage avec ses disciples. Nous rendons grâce dans l’aujourd’hui que Dieu nous donne pour ce qui est comme un double sacrement à l’image de ce qui est représenté sur le tabernacle de cette église et que la liturgie nous donne d’entendre. La coupe du salut est celle du corps livré et du sang versé pour nous donner la vie et nous allons y avoir part lorsque nous allons communier. Elle nous fait communier à l’amour du Sauveur lui qui versant son sang nous a donné son amour jusqu’à la dernière goutte. Le sacrifice d’action de grâce est celui de l’humilité et du pardon manifesté dans le lavement des pieds et donné en plénitude sur la Croix. Cette mémoire nous fait entrer aujourd’hui dans le mystère du Christ qui se donne par amour jusqu’au bout comme le dit Saint Jean. Alors qu’il était Dieu, sorti de Dieu et s’en allant vers Dieu, il a pris sur lui jusqu’au bout la condition de serviteur pour nous laver les pieds et manifester le pardon du Père. Il s’est fait péché pour nous sans cesser d’être le Dieu tout puissant qui fait de nous des vivants. Il vient nous rechercher pour nous tourner vers lui. Il a affronté toute la puissance du mal pour la faire disparaître dans l’immensité du bien.

« Comment rendrai-je au Seigneur

Tout le bien qu’il m’a fait »

Mangeant ce pain et buvant cette coupe, nous devenons les frères du Christ, ses amis et donc des serviteurs comme lui, à son image. Pour avoir part à la joie du Christ qui est celle de Dieu même, il nous faut prendre la tenue du serviteur, de celui qui s’abaisse, de celui qui pardonne. À la lumière du dernier repas que le Christ nous partage, il est impossible de regarder qui que ce soit de haut. Nous pourrons alors avec lui élever la coupe du salut où est réunie toute l’humanité pour la présenter au Père. Cette heure dont le Christ dit qu’elle est venue pour lui est aussi notre heure. Elle nous invite à nous donner en acceptant d’avoir les pieds lavés par lui pour nous laver les pieds les uns aux autres. C’est Dieu lui-même qui se manifeste dans le service, le don de soi, l’engagement au service des autres mais surtout dans l’humilité qui fait de nous des frères. Si nous ne pouvons ce soir tous nous laver les pieds les uns les autres comme l’Évangile semble nous le demander puisque tous nous sommes disciples du Christ, que la célébration de ce rite soit pour chacun d’entre nous un engagement à suivre l’exemple du Christ qui nous a tout donné en acceptant d’être le dernier de tous.

 


Dimanche des Rameaux, homélie du P. Abbé Vladimir

Chers Frères et Sœurs

Voici que symboliquement, nous sommes entrés avec le Seigneur à Jérusalem, criant : « Hosanna, béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ». Monté sur un ânon et non sur les nuées du ciel, le Seigneur entre comme un roi et c’est pour nous un signe et un appel. Dans un monde de justice, non marqué par le péché comme est le notre, il serait venu sur les nuées du ciel mais, pour nous pécheurs, il vient en roi pacifique sur cet ânon que personne n’a encore monté et qu’il restituera juste après. Il y a ceux qui marchent devant, il y a ceux qui marchent derrière, il y a ceux qui ne sont pas encore venus mais tous nous sommes invités à le suivre.
« Béni soit le règne qui vient celui de David, notre père, Hosanna au plus haut des cieux », avons-nous encore chanté. En écoutant le long récit de la Passion tel que Marc nous la raconte, nous voyons se réaliser ce qui était annoncé dans le récit de l’entrée à Jérusalem. Nous entendons comment le Règne de dieu arrive et comment nous sommes tous invités à y prendre part comme à la table d’un festin.
Comme l’annonce le psaume : « la terre entière se souviendra et reviendra vers le Seigneur, chaque famille de nations se prosternera devant lui. Oui au Seigneur la royauté ». Mais le chemin par lequel le Christ y parvient et où nous sommes invités à le suivre est celui où il est triste à en mourir, livré aux mains des pécheurs, accusé par de faux témoins, tourné en dérision et insulté. C’est sur cette voie du salut qu’il donne sa vie après avoir fait sienne la prière de tous ceux qui se sentent abandonnés par Dieu.
C’est le même psaume qui dit en effet :
« Mon Dieu, Mon dieu, pourquoi m’as tu abandonné ?
Ils me percent les mains et les pieds,
Je peux compter tous mes os,
Ils partagent entre eux mes habits et tirent au sort on vêtement »
Oui Frères et Sœurs,
Voici comment le règne de Dieu a été révélé, voici comment la joie est entrée dans le monde, voici comment la louange universelle peut éclater lorsque Jésus poussant un grand cri expira et que le voile du temple se déchira. Jésus, le Christ, le Messie, Dieu fait homme nous a tous rejoint dans la détresse pour que resplendisse la croix comme arbre de la rédemption universelle et que le centurion, premier fruit de toutes les nations s’écrie : « Vraiment cet homme était Fils de Dieu »
Voilà le chemin, où nous sommes invités, non avec nos propres forces mais par la grâce de Dieu, ceux qui marchent devant, ceux qui marchent derrière et ceux qui ne sont pas encore venus. C’est le chemin de la vie qui se donne, qui se partage pour en sauver d’autres comme le gendarme qui s’échange contre un otage, le bateau qui recueille un migrant en mer et comme dans d’autres gestes de dons qui sont invisibles. D’une certaine manière nous n’avons pas à chercher ce qu’il faut faire, cherchons juste à suivre le Christ.
« Et moi je vis pour lui
On annoncera le Seigneur aux générations à venir »


Solennité de Saint Joseph, homélie de frère Marie

Joseph, malgré sa discrétion rejoint les grandes figures bibliques des hommes de la migration, à la suite d’Abraham. Joseph est un pèlerin de la foi, cette foi qui comme son lointain ancêtre Abraham en fait un juste. Tout en lui manifeste une capacité intérieure de déplacement, son grand déplacement consiste à accueillir de façon inattendue la réalisation des promesses de Dieu dans son aujourd’hui.
L’évangile selon Matthieu nous montre à quel point il a su se déplacer intérieurement pour prendre sa part dans la réalisation du dessein de Dieu, pour ouvrir en lui un espace d’accueil à une situation inattendue et déroutante en découvrant Marie sa fiancée déjà enceinte de Jésus. Situation en tout cas qui bouleverse ses propres projets familiaux. Il devra les élaborer dans une autre optique. Joseph a cette capacité de l’homme de foi qui accepte de se laisser déposséder de ses projets préconçus pour les voir autrement, pour s’ouvrir à l’inattendu de l’Esprit de Dieu.
L’enfant et sa mère lui seront donnés comme un don de Dieu, et comme une mission; Joseph, lui dit l’Ange du Seigneur, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse…, « ne crains pas », nous devrions nous-mêmes laisser souvent retentir en nous cette parole de l’Ange. Joseph est l’homme qui a la capacité de se laisser guider dans la foi et la confiance comme nous le montre les situations qu’il devra affronter. L’homme qui est à l’écoute intérieure. Le moine peut s’y reconnaître pour être aussi pèlerin de la foi. Mais pas seulement le moine, tout croyant et toute croyante est invité à écouter, à se laisser inviter par Dieu, sans crainte.
Joseph nous invite à cultiver en nous cet espace d’écoute et de déplacement, d’accueil et d’engagement dans la confiance et la foi, à cultiver une forme de dépossession pour être plus libres de laisser agir en nous la fécondité de la Parole de Dieu, la fécondité surprenante de l’Esprit Saint.
Comme Joseph sachons aussi accueillir tous ceux qui nous sont confiés, comme un don de Dieu mais aussi comme une mission.

 


4ème dimanche de Carême-B, homélie de frère Marie

Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique.

Notre histoire humaine ne peut plus se lire en dehors de ce désir fou de Dieu de nous rejoindre.

Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pour juger le monde, mais pour que le monde par lui soit sauvé.

Dieu est riche en miséricorde, nous dit st Paul, car aucune de nos œuvres ne peut générer l’abondance de la grâce, aucune de nos œuvres ne peut générer, ni nous faire atteindre la vie de Dieu. Oui, c’est bien par grâce, par le moyen de la foi que nous sommes sauvés, et cela ne vient pas de nous mais c’est le don de Dieu[1].

Dieu est don et l’amour de Dieu est premier en tout. C’est la mission du Fils, de l’Unique de nous le révéler. L’évangéliste Jean insiste beaucoup sur le fait que l’amour est lié à la foi, au ‘croire’, à une adhésion à la parole de Jésus qui est lumière. « Celui qui garde ma parole, celui-là je l’aimerai et mon Père l’aimera ». Jésus ajoute que c’est par le don de l’Esprit de vérité, cette source d’eau vive qu’il répand en plénitude, que sa parole devient en nous vivante et féconde, nous fait naître d’en-haut.

Dieu nous aime en venant au cœur d’une blessure, au cœur d’une fracture, Dieu s’y investit dans ce qu’on appelle une histoire sainte, une histoire de salut qui nous raconte la volonté de Dieu de sauver tous les hommes, cette volonté qui en appelle à notre adhésion.

Cette fracture qui déchire l’humanité St Jean la désigne en termes radicaux, ténèbres et lumière. Le mot ténèbres, désigne un monde où Dieu n’a pas sa place, un monde qui produit du mal, lumière désigne la vérité qui dénonce le mal sous toutes ses formes, mais désigne aussi la reconnaissance de l’œuvre de Dieu en tant qu’amour et vie. Faire la vérité c’est devenir participant de l’œuvre de Dieu.

Par cette répartition qui nous paraît si radicale, ténèbres/lumière, l’évangéliste nous dit que le monde ne peut se sauver par lui-même. Et pourtant dans son prologue l’évangéliste Jean dit bien que la lumière brille dans les ténèbres, et que les ténèbres ne peuvent l’arrêter.

Au cœur des ténèbres l’amour peut briller, cela nous dit que rien n’est perdu, que toute situation peut être sauvée. Ce qui peut sembler perdu aux yeux des hommes ne l’ai pas aux yeux de Dieu. Personne n’est destiné à rester dans le fossé, au bord du chemin.

Il faut tenir ferme que Dieu aime le monde, non la part ténébreuse qui est contraire à sa vie, Dieu ne peut aimer le mal et la mort, mais il aime le monde que nous sommes, ce monde que Dieu veut et désire vivant, au point de donner son Fils, son Unique engendré, son Verbe de vie.

Cette victoire de l’amour et de la vie passe par l’élévation de Jésus, son élévation en croix. Bien qu’en Jean l’élévation de Jésus en croix désigne autant sa mort que sa royauté et sa glorification, c’est du haut de la croix que Jésus remet l’Esprit. Les plaies glorieuses du Christ seront la signature de son amour et de sa victoire.

L’évangile de ce jour se réfère au passage du serpent de bronze élevé sur un mât dans le désert, ceux qui étaient mordus par les serpents brûlants dans le désert étaient sauvés en regardant vers le serpent de bronze. Ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé pour que quiconque croît ait par lui la vie éternelle. Nous changeons de registre. Le serpent dans la Bible n’est pas un animal neutre, il évoque le premier serpent de la Genèse, le diviseur, sa sinuosité évoque la langue menteuse, le mensonge. Ce mensonge qui provoque cette fracture entre l’humanité et Dieu. Le serpent évoque le péché. Or, sur la croix, le Christ sera élevé de terre comme le serpent, mis à la place du serpent. Sur la croix, le Christ sera accusé, identifié au péché, assimilé aux pécheurs.[2] Comme le dit St Paul : « Celui qui n’avait pas connu le péché, il l’a fait péché pour nous, afin qu’en lui nous devenions justice de Dieu ».[3]

En prenant la place du serpent, il prend toute la place du péché, il n’y a plus de place pour le péché. Il l’a vaincu puisqu’il a pris toute la place. La lumière est là pour occuper toute la place. C’est bien à cela que l’évangile de Jean nous invite, croire en cette lumière de vérité du Christ qui prend toute la place.

Voir dans l’évangile de Jean, c’est croire, avancer dans la lumière et les œuvres de la foi, laisser la lumière dissiper nos ténèbres.

Nous sommes invités à contempler cette œuvre merveilleuse de l’amour de Dieu pour nous, à la contempler à travers l’œuvre du Christ et l’intelligence de l’Esprit Saint, contempler pour nous laisser attirer. Contempler pour mieux œuvrer à la manifestation de la lumière.

 


[1] Ep 2, 4-10

[2] Anne Lécu, Marcher vers l’innocence, p. 58…

[3] 2 Co 5, 19-21


2ème dimanche de Carême - B, homélie de frère Bartomeu

 

Chaque année, après avoir suivi Jésus au désert le premier dimanche du Carême, en ce deuxième dimanche nous l’accompagnons, avec Pierre, Jacques et Jean, sur une haute montagne. Et là nous entendons à nouveau la voix qui dit : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé », que nous avions déjà en-tendue au Jourdain (Marc 1,11). Avec cette fois-ci une invitation pressante : « Écoutez-le. »
Et voici qu’en descendant de la montagne, Pierre, Jacques et Jean se demandaient entre eux ce que voulait dire : “ressusciter d’entre les morts”. Souvent, en particulier dans l’Évangile selon saint Marc, nous voyons que les disciples ne comprennent pas ce que fait et dit Jésus (cf. Mc 6,52 ; 7,18 ; 8,17-18,21). Mais, est-ce que nous comprenons, nous, ce que veut dire “res-susciter d’entre les morts” ?
Il faut, peut-être, que nous oublions un peu la fête de la Transfigura-tion du Seigneur, du 6 août, fête particulièrement chère aux moines, fête où nous contemplons Jésus-Christ, « rayonnement de la gloire de Dieu, expres-sion parfaite de son être » (Hébreux 1,3), et où nous voudrions, comme Pierre, dresser trois tentes.
La plus ancienne tradition liturgique de l’Église de Rome est de lire cet évangile en ce deuxième dimanche du carême, alors que nous nous achemi-nons vers la Pâque. Jésus avait commencé à enseigner aux disciples qu’il fallait que le Fils de l’homme souffre beaucoup, qu’il soit rejeté par les an-ciens, les chefs des prêtres et les scribes, qu’il soit tué, et que, trois jours après, il ressuscite (Marc 8,31). Dans ce contexte, quand il défend à Pierre, Jacques et Jean de raconter à personne ce qu’ils avaient vu sur la mon-tagne, c’est qu’on ne peut le comprendre qu’après avoir vécu avec lui la pas-sion et la croix.
Et voici que, « soudain, regardant tout autour, ils ne virent plus que Jésus seul avec eux. » Comme l’écrivait Paul aux Philippiens, alors qu’il se trouvait lui-même en prison à Éphèse, « il s’agit de connaître le Christ et la puissance de sa résurrection, de communier aux souffrances de sa passion, en reproduisant en nous sa mort, dans l’espoir de parvenir, nous aussi, à ressusciter d’entre les morts » (Philippiens 3,10-11).
Nous ne pouvons pas vraiment comprendre ce que veut dire “ressusci-ter d’entre les morts”. Mais nous savons que si nous avons été baptisés en Jésus-Christ, « nous avons été baptisés – c’est-à-dire immergés – dans sa mort pour que nous menions une vie nouvelle, nous aussi, de même que le Christ, par la toute-puissance du Père, est ressuscité d’entre les morts » (Romains 6,3-4).
« Je marcherai en présence du Seigneur sur la terre des vivants », avons-nos chanté avec le psaume. Nous ne voyons plus que Jésus seul. Nous le verrons même dans la solitude de la croix. N’oublions pas la voix du Père : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé. », et écoutons-le. Et marchons en sa pré-sence sur la terre des vivants. « Si Dieu est pour nous, qui sera contre cous ? Il n’a pas refusé son propre Fils, il l’a livré pour nous tous : comment pourrait-il avec lui ne pas nous donner tout ? »
C’est sur la croix qu’il nous a remis l’esprit (Jean 19,30). C’est en vi-vant de cet esprit que nous commençons à comprendre ce que veut dire “ressusciter d’entre les morts” : « Nous savons que nous sommes passés de la mort à la vie, parce que nous aimons nos frères » (1 Jean 3,14).

 


Mercredi des Cendres, homélie du Père abbé Vladimir

 

Chers Frères et Sœurs,

« Déchirez vos cœurs et non pas vos vêtements ». Cette invitation du prophète Joël que nous entendons aujourd’hui est d’abord une invitation à l’intériorité. La conversion, si elle doit bien sûr s’exprimer par des actes est d’abord une transformation intérieure poussée par un élan du cœur qui vient de Dieu. C’est pour cela que tout ce que l’on fait pour devenir des justes c’est à dire pour se laisser transformer par la justice de Dieu au moyen du jeûne, de la prière et de l’aumône doit se faire dans le secret. Notre conversion se joue d’abord dans le secret du cœur.

Si nous devons déchirez nos cœurs, quel peut être un sens plus précis de cette image. Dans le psautier et notamment dans le psaume 50 dont nous venons de chanter une partie, on trouve assez souvent une expression voisine. Si nous demandons à Dieu de créer en nous un cœur pur, nous affirmons aussi qu’il ne repousse pas un cœur brisé et broyé. D’autres psaumes disent que Dieu est proche du cœur brisé et qu’il va le guérir. Dans le psaume, le cœur est brisé par le péché, par l’épreuve et par la contrition. S’il faut déchirer nos cœurs, c’est qu’il y a dans le cœur de l’homme, au plus profond de lui une présomption d’innocence. Elle n’est pas à prouver, elle est à retrouver, à dégager. Elle n’est pas dans le passé mais vers l’avenir. « C’est ainsi que le Dieu et Père de Notre Seigneur Jésus Christ nous a élus en lui, dès avant la fondation du monde pour être saints et immaculés en sa présence dans l’amour » nous dit la lettre aux Éphésiens. Au plus profond de nos cœurs, il y a chez tout homme quel qu’il soit une image de celui qui l’a fait, une disposition à l’amour, une convocation aux noces comme dirait notre Père Saint Bernard.

C’est pour la retrouver, pour la faire surgir que nous devons déchirer nos cœurs comme on retirerait l’emballage d’un cadeau. Il peut être brillant et décoré, il n’est pas la réalité. Le cœur brisé et broyé c’est l’opposé du cœur de pierre. Il est donné par Dieu lui-même et s’accompagne d’un esprit nouveau. Il fait de nous comme un seul cœur guérissant toute division dans la communion de l’amour. Ce que le prophète Ézéchiel avait annoncé, Dieu le réalise : « Je leur donnerai un seul cœur et je mettrai en eux un esprit nouveau, j’extirperai de leur chair leur cœur de pierre et je leur donnerai un cœur de chair ». L’aumône, le jeune et la prière sont là pour faire fondre la glace de notre cœur comme le dit le Pape François dans son message pour le carême. Le trône du diable est fait de glace. Laissons nous bruler par le feu de la Pâques qui vient dont les cendres sont le signe.


Fête de St Honorat, homélie du Père Abbé Vladimir

Mes Frères,

« Gardez vos lampes allumées » nous dit l’Évangile alors que nous faisons mémoire de Notre Père Saint Honorat. Ce matin, nous avons entendu Saint Ambroise commentant le psaume 118 nous dire que parce qu’il y a beaucoup de ténèbres, il faut aussi beaucoup de lampes pour que la lumière continue encore à briller. Cette métaphore de la lumière, nous la retrouvons dans tous les textes anciens qui nous parlent du fondateur de la vie monastique sur cette île. « La retraite est illuminée, tandis que s’y cache la lumière. L’obscurité d’un lieu d’exil jusque là ignoré cède à l’éclat d’un exilé volontaire » écrit par exemple Hilaire d’Arles pour décrire l’installation d’Honorat et de ses compagnons sur l’île qui porte aujourd’hui son nom. Mais plus s’éloignent les jours de la vie d’Honorat, plus cette évocation de la lumière, qu’Hilaire assimile aussi à la grâce du Saint Esprit répandue dans le monastère par les prières de ce maître spirituel, devient une exhortation à ce que chacun d’entre nous fasse aussi briller cette unique lumière qu’est le Christ. Et puisque la lumière brille dans les ténèbres et que les ténèbres n’ont pu l’atteindre, si nous avons devant nous les reliques du corps d’Honorat, efforçons comme déjà Fauste de Riez incitaient nos prédécesseurs à le faire à « garder son âme avec ses vertus, à imiter ses mérites, à conserver ce qui appartient au ciel, à vénérer ce qui se trouve au paradis ». Soyons nous mêmes ces lampes par le don de Dieu si nous nous efforçons de l’accueillir. Veillons à l’image d’Honorat qui avait tellement le Christ présent à son cœur que sa bouche répétait son nom lorsqu’il dormait.

Et pour ce temps qui est le notre, comme un encouragement dans le combat, je voudrai juste souligner deux vertus d’Honorat que nous pourrions prendre pour modèle.
- Hilaire nous montre Honorat et son frère Venance se séparer de tous leurs biens avant de quitter leur pays pour un voyage vers l’Orient qu’ils ne feront d’ailleurs pas jusqu’au bout. Ils se montrent ainsi nous dit-il de vrais fils d’Abraham quittant leur pays, leur maison et leur famille. La vie monastique mais même la vie chrétienne en général comme nous l’a rappelé la lettre aux hébreux c’est toujours quitter et se détacher puisque nous n’avons pas ici de cité permanente. Pour avoir cet extraordinaire amour du Christ qui faisait la joie d’Honorat, qui lui faisait dire que le Christ était son trésor, il faut quitter, nous détacher, se faire étranger pour être pleinement ouvert et disponible. Comme son exemple nous le montre, il est possible de vivre cela sans s’éloigner au bout du monde mais pas sans renoncement. C’est ce qu’Hilaire fait dire à notre Saint dans son discours d’adieu : « Que nul ne soit retenu par l’amour excessif de ce monde, que personne ne se perde dans l’opulence, que nul ne soit esclave de l’argent ». En ces temps, où un petit nombre accapare injustement le nécessaire qui manque aux autres, efforçons de connaître la joie que donne le détachement et non cette caricature de bonheur que le monde promet avec ses richesses et sa gloire.
- L’intimité avec le Christ que vivait Honorat entretenue par le détachement et la prière continuelle, notamment des psaumes, lui permettait de le reconnaître présent non seulement dans les frères mêmes faibles et pécheurs d’une communauté qui rassemblait des hommes d’origines très diverses mais aussi dans les étrangers, les hôtes et les pauvres. « S’il fallait donner un visage à la charité nous dit encore Hilaire, c’est le visage d’Honorat que, plus que tout autre, on devrait peindre pour le représenter ». « Persévérons dans l’amour fraternel, n’oublions pas l’hospitalité nous dit encore la lettre aux hébreux ». En ces temps où l’hospitalité tend à devenir un délit, non une vertu efforçons nous comme Honorat d’écouter le Christ présent dans sa parole afin de le reconnaître.
Qu’il puisse ainsi nous présenter au Seigneur en se réjouissant : « Me voici Seigneur et voici les enfants que tu m’as confié »

 


 

2ème dimanche b, homélie de frère Marie

Chers frères et sœurs,

Nous avons chanté avec le psaume : En ma bouche il a mis un chant nouveau, une louange à notre Dieu. A chaque eucharistie, comme à chaque rencontre de la Parole, qu’elle soit communautaire ou plus personnelle, le Seigneur vient à notre rencontre pour renouveler nos cœurs. Un cœur de disciple ne peut vieillir, ce n’est pas une question d’âge, c’est une mise en disponibilité, un désir et un élan vers cette nouveauté permanente de la vie en Christ.
A travers les textes de ce jour nous pouvons découvrir ce qui exprime les attitudes du disciple.

Nous y trouvons le langage de l’écoute. L’écoute qui se joue à deux niveaux comme pour le jeune Samuel. Il entend d’abord une voix qui l’appelle par trois fois par son nom jusqu’à ce que le vieux prêtre Elie comprenne que c’est le Seigneur qui appelait, qui avait une parole à délivrer. Ainsi dit-il au jeune Samuel : S’il t’appelle tu diras, parle Seigneur, ton serviteur écoute.
Cette écoute est l’attitude fondamentale qui nous pose devant Dieu. La profession de foi d’Israël commence par : Ecoute !
L’écoute, plus qu’une capacité auditive, est une attitude intérieure, une disponibilité du cœur. Comme avec un cœur d’enfant, le cœur tout neuf du petit Samuel, écouter c’est se laisser surprendre et captiver par Dieu, goûter et être attentif à sa parole. L’écoute établit la relation.
« Mon cœur m’a redit ta parole, cherchez ma face » Ps 26
Les deux disciples de Jean Baptiste entendirent aussi ce que Jean disait de Jésus, ils écoutèrent cette parole qui résonna en leur cœur : Voici l’Agneau de Dieu.
Ils se sentirent attirés et voulurent en savoir plus, ils suivirent Jésus.
Ce qu’ils avaient entendu les mit en marche, et là encore c’est le début d’une relation : Que cherchez-vous, leur demanda Jésus – Où demeures-tu ? répondirent-ils. L’écoute exprime le désir de connaître, ‘d’être avec’.
Le psaume de ce jour nous dit encore : Tu m’as ouvert mes oreilles,…alors j’ai dit : Voici je viens…Ps 39

Nous trouvons aussi dans nos textes le langage de la vue. La vue exprime l’attention. Jean Baptiste regarde avec attention Jésus qui passe, qui va et vient, il contemple Jésus qui s’offre au regard pour être reconnu en vérité pour ce qu’il est, l’Agneau de Dieu.
Voir, ce n’est pas seulement regarder et se faire une opinion, en attendant que Jésus fasse ses preuves. Non, ici, voir c’est contempler, c’est en nous comme une part de cœur d’enfant, un cœur neuf qui se laisse atteindre par la lumière de l’autre avant même de bien le connaître.
« Heureux les cœurs purs, ils verront Dieu », nous disent les béatitudes. Ainsi voir, c’est suivre la lumière qui donne sens à nos vies, c’est nous laisser modeler par la réalité des promesses de bonheur dans laquelle Dieu nous entraîne. Le regard prend tout son sens dans une rencontre, un vis-à-vis, aussi Jésus se retourna pour voir les deux disciples qui le suivaient, il sonde le désir de leur cœur et ils les invitent à venir et à voir, à entrer dans une intimité de relation.
Ici voir ne peut se faire que dans une connaissance à travers un partage de vie. Ce n’est pas une théorie, comme le répètera l’évangéliste Jean, connaître c’est apprendre à aimer.

Nous trouvons aussi à travers nos textes, un autre langage, celui de la stabilité. Le petit Samuel demeure dans le Temple, il y dort même. Jean Baptiste se tient là, comme une lampe fidèle à son poste, il guette. Les disciples demandent à Jésus : Où demeures-tu ? Jésus les invite à demeurer avec lui ce jour-là. Pour bien écouter, voir, contempler, il faut demeurer.
Il est fort utile de se donner du temps pour se poser, de se mettre au calme, de se couper des occupations qui nous dévorent, ‘faire retraite’ pour se rendre intérieurement plus disponible. Mais plus profondément que cela demeurer c’est entretenir une relation, l’approfondir et y être fidèle.
Nous pouvons facilement nous laisser disperser, troubler et finalement perdre de vue ou devenir un peu sourd à cette présence du Christ à nos vies, et ceci se répercute dans la façon dont nous vivons les uns avec les autres, l’utile prend facilement le pas sur le primat de l’amour et de la paix.
Aussi, demeurer, c’est poursuivre un chemin, un chemin avec celui qui nous entraîne dans son chant nouveau, qui nous fait découvrir avec un cœur neuf, avec un esprit nouveau, la véritable beauté de nos vies, de notre humanité, celle que nous devons partager ensemble, mettre en œuvre, exprimer. Et cette nouveauté passe par Celui qui se donne sans cesse à nous, cet Agneau de Dieu qui nous enseigne et nous ouvre les yeux par son Esprit.
Dernier point que nous enseigne ces textes, la nouveauté de Dieu manifestée en Christ, passe et se transmet par nos humaines médiations. Nous sommes témoins et passeurs. Le vieil Elie apprend à Samuel à bien écouter. Jean Baptiste désigne l’Agneau de Dieu à ses disciples, les disciples eux-mêmes deviennent passeurs.
Aujourd’hui dans une période marquée par un manque de transmission, tout comme au temps du petit Samuel, période troublée en Israël, nous pourrions nous défendre que la parole du Seigneur se fait rare et qu’il n’y a pas de vision qui perce. Mais si nous inclinons un tant soit peu l’oreille de notre cœur, si nous ouvrons un tant soit peu les yeux de notre cœur et entretenons de façon durable cette relation avec l’Agneau de Dieu, alors nous serons les transmetteurs et les témoins d’un ‘chant toujours nouveau’, d’une louange à notre Dieu qui atteindra bien d’autres cœurs.


Fête de St Etienne, protomartyr, homélie de frère Marie

 

Hier nous fêtions la naissance d’un enfant, le Verbe de Dieu en notre chair, aujourd’hui à travers St Etienne nous fêtons l’Eglise naissante. Le sang des martyrs est semence de chrétiens, disait Tertullien au 2ème siècle. Cette sentence que viennent mettre en lumière les lectures de ce jour, ne s’est jamais démentie jusqu’aujourd’hui.
L’Evangile reste un signe de contradiction qui vient éveiller nos consciences de chrétiens au cœur d’un monde si préoccupé par sa réussite ou son propre ‘bien-être’, au détriment ou au mépris de la dignité fondamentale de tout être humain pour qui le Christ a versé son sang.
Etienne rempli de l’Esprit Saint, avait son regard tourné vers le ciel, et il contemplait les cieux ouverts et le Fils de l’homme debout, vivant, à la droite de Dieu. Ce qui nous est décrit là, est le regard de foi, le regard de foi au cœur de la vie chrétienne, regard qui contemple les cieux ouverts par le Christ, le Fils de l’homme et Fils de Dieu, ancre de notre espérance passée au-delà du voile, mais qui ne nous arrache pas aux réalités de la terre, au contraire qui nous les fait aimer comme Dieu les aime, jusqu’à donner son Fils, son Unique.
Ce ne peut être que la foi qui nous rend capable de contempler dans l’enfant de la crèche le Verbe de Dieu fait homme, comme ce n’est que la foi qui nous fait contempler dans le mystère pascal ce même Verbe de Dieu qui s’anéantit jusqu’à la mort sur une croix, pour briser les murs de séparations, briser la haine, et qui est exalté dans la gloire du Père, d’où nous est communiqué toutes grâces.
Car Dieu n’a de cesse de nous rejoindre, de vouloir nous relier, non seulement à lui, mais aussi nous relier au mystère de toute femme, tout homme, dont Dieu en son Fils s’est fait solidaire.
Cette foi nous est donnée par l’Esprit Saint, Esprit du Père et du Fils : « Nul ne peut dire Jésus Christ est Seigneur, si ce n’est par l’action de l’Esprit Saint », nous dit St Paul.
Et l’évangéliste Matthieu nous dit que si nous témoignons de la foi, c’est l’Esprit Saint qui parle en nous.
L’Esprit est l’Esprit de vérité, qui nous enseigne et nous fait comprendre et intégrer la vie de Jésus. Cette vie du Christ s’intègre en nous par la charité, une charité active : ce que nous rappelle avec force et urgence en ces jours-ci le Pape François.
Comprendre et intégrer la vie de Jésus c’est aussi ouvrir un dialogue constant avec le monde, au-delà des clivages identitaires, idéologiques ou religieux. Et en bien des contextes nous savons que c’est un dialogue risqué, voire au risque de sa vie.
L’amour est l’essence-même de Dieu, Dieu est Amour nous dit St Jean, et l’amour a été répandu en nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné, nous rappelle St Paul. Esprit Saint qui ne cesse de gémir en nous, car cet amour est en quête de partage, en quête de communion et de fraternité, en quête d’échanges. Comme nous le rappelle l’apôtre Paul, cet amour est folie aux yeux des pouvoirs de ce monde, car il est accueil et don de soi aux autres, don et pardon. N’éteignions pas l’Esprit.
St Etienne que nous fêtons en ce jour a laissé naître le Christ en lui, et il est devenu expression de son amour pour l’humanité, cette humanité qui a besoin de lumière, de compassion et de miséricorde. N’ayons pas peur d’être signes de contradiction au cœur de ce monde.

 


Jour de Noël, homélie du Père Abbé Vladimir 

 

Chers Frères et Sœurs,

Ce que nous avons célébré cette nuit devant la crèche, contemplant un Dieu qui se fait pauvre pour notre salut, nous le célébrons aujourd’hui le regard du cœur fixé sur la gloire de celui qui, bien que portant l’univers par sa parole puissante, est venu rejoindre tous les hommes de toutes les époques et de tous les pays.
La gloire de Dieu se révèle dans cet enfant, la gloire de Dieu se révèle dans la parole, la gloire de Dieu se révèle dans l’histoire de cet homme qui vient au monde comme un étranger. « Il est venu dans le monde, et le monde était venu par lui à l’existence mais le monde ne l’a pas reconnu ».
Après nous avoir parlé de bien des manières, Dieu nous a parlé par son Fils. Et cette parole qui est comme son dernier mot nous donne la lumière et la vie. Elle nous donne le pouvoir de devenir enfants de Dieu. Regardons cet enfant qui ne parle pas encore mais dont le silence est tellement éloquent. La Parole qui a créé les mondes s’est faite silencieuse pour rejoindre tous les sans – voix. Regardons l’homme qu’il deviendra parcourant les chemins de son peuple, messager de la paix et de la bonne nouvelle dont les pas sont si beaux. Le Fils unique – engendré qui est héritier de toutes choses a partagé les routes des hommes pour leur enseigner la voie du salut par ses gestes et ses paroles. Regardons le lorsqu’il se donne totalement sous le signe du pain et du vin ainsi que sur la croix. Dieu n’a pas d’autre visage pour les hommes et pour le monde que celui du Verbe fait chair dont la Parole se termine par un grand cri réconciliant tout le cosmos avec le Père lorsqu’il rendit l’Esprit puisque tout était achevé.
Il fait de nous ses fils, porteurs de sa parole puisque nous en vivons. Et là dans l’obscurité de ce monde qui n’a ni parole, ni place pour l’étranger qui vient de loin ou le pauvre qui est à côté, laissons nous guider par cet enfant. Il vient pour nous délivrer de la crainte. Et là dans la froideur d’un système qui ne semble se construire qu’en tournant le dos aux autres sous prétexte d’identité ou de sécurité, soyons les porteurs d’une parole vivante de réconciliation qui sait s’accompagner de gestes. Entrons avec le Verbe fait chair jusque dans cette grande peur de la vieillesse, de la maladie, de la différence et de la mort pour trouver Dieu dans toutes ces situations où nous le croyons absent. N’ayons pas peur, ouvrons grande nos portes à cet enfant parce que la vie, notre vie est en lui.
Dieu personne ne l’a jamais vu, le Fils unique, lui qui est Dieu, lui qui est dans le sein du Père mais est venu converser avec nous dans un éternel rendez-vous, c’est lui qui l’a fait connaître.


Messe de la nuit de Noël, homélie du Père Abbé Vladimir 

 

Chers Frères et Sœurs,

« Rien n’est impossible à Dieu ». Ce que nous avons entendu l’ange annoncer à Marie au matin, nous en voyons la pleine réalisation en cette nuit. « La grâce de Dieu s’est manifestée pour le salut de tous les hommes ».
Elle s’est manifestée dans un enfant qui ne parle pas, dans sa faiblesse et sa fragilité. Dieu s’est fait pauvre et faible. Il nous fait comprendre que tous les pauvres quelle que soit leur pauvreté ont une place de choix dans son cœur. Il s’est humilié, il s’est anéanti pour manifester qu’il est venu, qu’il a dressé sa tente parmi les hommes non à cause de leurs prétendues richesses mais parce qu’ils étaient des pauvres. Il vient nous enrichir de sa pauvreté. Ce bébé vagissant, veillé par ses parents, entouré par deux animaux, sur qui se penchent les anges est reconnu par les bergers, ces gens de peu. C’est vers lui que les mages, ces étrangers se mettent en route. Il nous montre le chemin avec ce que Notre Père Saint Bernard appelle une humilité brûlante : « Il y a en effet écrit-il une humilité qui est le fruit brûlant de la charité ; et il est une humilité qui est le produit de la vérité et qui n’a aucune chaleur. La deuxième relève de la connaissance, la première du sentiment amoureux. . . Le Christ s’est anéanti, prenant la condition de serviteur et nous laissant l’exemple de l’humilité. Il s’est humilié non pas poussé par la nécessité de son jugement mais par charité pour nous ». En cette nuit, voici que nous sommes invités à passer de la honte, de la dureté du cœur dont il reste toujours quelque chose en nous à cette brûlure de l’humilité qui est celle de la charité. Ce Dieu si petit dont Thérèse de l’Enfant Jésus passée au creuset de l’épreuve affirmait que nul ne pouvait le craindre, voici qu’il est encore là en cette nuit tendant les bras vers nous et par nous vers toute l’humanité. Voici qu’il est là au milieu de nos peurs, des peurs de notre monde et elles sont légions. Voici qu’il cherche à atteindre tous les hommes jusqu’à ceux qui seraient tentés de se prendre pour Dieu ou plus exactement de se prendre pour la fausse image d’un Dieu tout puissant à la manière d’un homme. Voici qu’il est là pour nous désarmer comme l’annonçait le prophète : « Les bottes qui frappaient le sol, et les manteaux couverts de sang, les voilà tous brûlés, le feu les a dévorés ». Chers Frères et Sœurs, en cette nuit paisible, rendons les armes.

Et puisque nous sommes en Provence, nous voici ce soir autour de lui comme des santouns, des santons, ces petits saints puisque c’est ce que ce mot signifie. Ils entourent et se mettent en marche vers l’enfant dans la crèche.
Tous ensemble, nous ne sommes que de petits saints et même sans doute de drôles de saints mais cela n’aucune importance. L’important, c’est cet enfant pour qui il n’y avait pas de place dans la salle commune. Il nous rassemble et nous fait entrer dans la communion que seul l’amour peut donner. Cet enfant sans défense nous invite à la conversion. Ces petits saints que nous sommes, s’ils reconnaissent Dieu dans l’enfant, comme l’ont fait les bergers en repartiront tout autre. Puisque dans ces petits saints, même le bohémien et la bohémienne, figure de l’étranger trouvaient leur place ; puisque nous célébrons ce soir un salut donné à tous et qui fait de nous un seul corps, portons en cette nuit dans notre prière ceux qui sont aujourd’hui cette figure de l’étranger. Cette nuit, ils pourraient être l’érythréen ou le sud soudanais mais ils ne sont pas encore arrivés ici car ils sont encore bloqués à la frontière. Et ils nous manquent . . .

« Seigneur que ta lumière brille en nos cœurs. »


4ème dimanche de l'Avent,B, homélie de frère Bartomeu

 

Chers frères et sœurs, voici que, alors qu’en ce dimanche nous sommes déjà à la veille de la solennité de Noël, nous venons d’entendre dans la lecture de l’évangile l’annonciation de l’ange Gabriel à une jeune fille vierge, dont le nom était Marie. Les paroles de l’ange Gabriel s’adressent aujourd’hui à nous, pour nous dire que celui dont nous attendons la naissance – non pas dans le temps mais dans la célébration liturgique – « sera grand, il sera ap-pelé Fils du Très-Haut ; le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père ; il régnera pour toujours sur la maison de Jacob, et son règne n’aura pas de fin. »
« Son règne n’aura pas de fin. » Tout à l’heure, dans la profession de foi, nous reprendrons cette formule : « Il reviendra dans la gloire, pour juger les vivants et les morts et son règne n’aura pas de fin. » Nous sommes ainsi pla-cés dans une perspective qui va bien plus loin qu’une réduction de la fête de Noël aux scènes aimables de la crèche. Ce que nous nous préparons à célé-brer c’est que « le Verbe s’est fait chair, il a habité parmi nous, et nous avons vu sa gloire, la gloire qu’il tient de son Père comme Fils unique, plein de grâce et de vérité » (Jean, 1,14), comme nous l’entendrons demain à la lec-ture de l’évangile de la messe de Noël.
C’est que notre célébration n’est pas une simple mémoire d’un fait his-torique, pour important qu’il soit. La célébration liturgique nous fait entrer dans le mystère de Jésus Christ. Selon l’expression de saint Léon le Grand : « Ce qu’on avait pu voir de notre Rédempteur est passé dans les sacre-ments », c’est-à-dire dans la célébration de la liturgie (Sermon sur l’Ascension II,2).
C’est ce qu’exprimait aussi la prière au commencement de cette litur-gie lorsque nous demandions : « Que ta grâce, Seigneur notre Dieu, se ré-pande en nos cœurs : par le message de l’ange, tu nous as fait connaître l’incarnation de ton Fils bien-aimé, conduis-nous par sa passion et par sa croix jusqu’à la gloire de la résurrection. » Le message de l’ange nous intro-duit déjà, par la passion et la croix, jusqu’à la gloire de la résurrection. C’est que ce que nous célébrons avec la liturgie c’est toujours le mystère pascal.
Et ce que nous célébrons doit transformer notre vie. Comme le dit la première lettre de saint Jean, « celui qui déclare demeurer en lui doit, lui aussi, marcher comme Jésus lui-même a marché » (1 Jean 2,6). Ce que saint Benoît dit aux moines est vrai aussi pour la vie de tous les chrétiens : « Ne nous écartons jamais de l’enseignement de Jésus, et persévérant jusqu’à la mort dans sa doctrine au sein de la communauté chrétienne, participons par la patience aux souffrances du Christ pour mériter d’avoir part à son royaume. » (Règle de saint Benoît, Prologue, 50)
Alors, nous qui, par le message de l’ange, avons connu l’incarnation du Fils bien-aimé, conduits par sa passion et par sa croix jusqu’à la gloire de la résurrection, nous vivrons en l’attendant lorsqu’il reviendra dans la gloire, pour juger les vivants et les morts et son règne n’aura pas de fin. Que cette nouvelle célébration de la naissance de Jésus Christ renouvelle notre vie.

 


Dimanche du Christ Roi de l'univers, homélie de frère Marie

 

La liturgie d’aujourd’hui nous porte à célébrer un règne, non pas la nostalgie d’une structure de société révolue, mais le règne du Christ.
La préface de la messe définit la nature de ce règne, sans équivoque : règne de vie et de vérité, règne de grâce et de sainteté, règne de justice, d’amour et de paix.
Jésus est le Roi pacifique, Réconciliateur universel, venu non pour être servi mais pour servir, Lui qui est Maître de toute créature et qui manifeste cependant aux hommes l’exemple de l’humilité. Cette humilité qui va de pair avec la compassion et la miséricorde. Lui qui nous a aimé et nous a délivré de nos péchés par son sang.
« Nous enseignons aux chrétiens, nous dit st Paul, la sagesse de Dieu, mystérieuse et demeurée cachée, que Dieu avant les siècles, avait d’avance destinée à notre gloire. Aucun des princes de ce monde ne l’a connue, car s’ils l’avaient connue, ils n’auraient pas crucifié le Seigneur de gloire.»
La royauté du Christ met en lumière la Sagesse de Dieu qui redonne à l’homme son entière dignité, en l’introduisant à nouveau dans sa communion de vie et d’amour. La royauté du Christ dessine la royauté de l’homme, celle des fils de Dieu. Cette Sagesse s’est incarnée pour se faire notre berger, ce berger qui nous conduit par les justes chemins, ceux qui conduisent à la vie.
Notre berger a traversé les ravins de la mort, ces ravins de la mort que sont les chemins dangereux et sinueux de notre humanité défigurée, désorientée. Humanité désorientée qui se fait souffrir elle-même ainsi que la création qui l’entoure et qui cependant est en quête de bonheur. « Qui nous fera voir le bonheur ? » interroge un psaume. Cette quête de bonheur qui peut éveiller des gestes de solidarité et de miséricorde là où on ne les attend pas, au cœur de la violence ou de l’indifférence, comme se laisser interpeller par un étranger, venir en aide à quelqu’un dans le besoin, immigré ou voisin. Ces gestes sont comme de petites graines cachées du Royaume qui manifestent la quête et le désir de l’humanité face à l’absurde ou la violence.
Le Christ bon berger nous ouvre sur les profondeurs et les grandeurs de notre humanité, celles qui resplendissent en lui dans sa totale communion avec le Père.
Un Roi, un royaume, a besoin de serviteurs. Ses serviteurs le Christ les appelle amis, car il leur fait connaître tout ce qu’il tient de son Père. Il nous partage tout.
Prendre sur nous son joug, c’est mettre nos vies dans son éclairage, nous laisser imprégner par l’Esprit Saint qui l’anime, nous laisser interpeller par ses enseignements. Quiconque écoute ma voix, dit-il, appartient à la vérité, vérité qui n’est pas une théorie, mais un appel, un appel qui touche les profondeurs de l’homme à se tourner vers la bonté et la lumière divine. Qu’est-ce que la vérité ? répondait Pilate à Jésus.
Cette vérité se trouve dans la clarté de la vie de Jésus, vie sans aucun pacte avec le mensonge, sans aucun pacte avec la violence ni avec toute forme de mal. Clarté dans une vie sans fermeture sur le don, une vie manifestant la bonté divine tournée vers le bien de l’autre, telle est la vérité dont Jésus est le témoin et l’envoyé.
L’évangile de ce jour nous exhorte, à manifester un cœur de chair et non de pierre ou d’indifférence, envers nos frères et sœurs en humanité, surtout envers ceux qui sont dans le besoin et la peine. A la lumière de cet évangile nous pouvons en écho rapprocher cette parole de Jésus : « Ce n’est pas moi qui vous jugerai, mais c’est la parole que je vous ai dite qui vous jugera. » La manière dont nous l’aurons incarnée en vérité dans nos vies.
C’est par ce chemin de vérité que le Christ nous achemine vers la Gloire, qu’il fait de l’Eglise, dont nous sommes les membres, la manifestation même de son Règne.
L’Eglise n’est pas avant tout cette structure de pouvoir sur laquelle les médias focalisent , mais une vie à vivre, appel de tout homme, femme unis par la foi à la vie du Christ. Et nous savons à quel engagement, à quel labeur cela nous entraîne, c’est à l’amour que vous aurez les uns pour les autres que tous vous reconnaîtrons comme mes disciples.
Oui, le règne du Christ opère en chacun de nous une division salutaire, il sépare lumière et ténèbres, haine et amour, mensonge et vérité, et ce ne sera jamais par nos seules forces que le règne du Christ s’établira en nous, mais bien par la puissance de sa grâce et de son amour, par sa puissance de réconciliation, œuvre du patient labeur de son Esprit Saint en nous.


30ème dimanche A, homélie de frère Bartomeu 


Voici qu’un docteur de la Loi pose une question à Jésus – pour le mettre à l’épreuve, précise l’évangéliste – et il le fait dans le langage formel des discussions entre les docteurs de la Loi : « Maître, dans la Loi, quel est le grand commandement ? » Et Jésus lui répond : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit. Voilà le grand, le premier commandement. » — Le docteur de la Loi connaissait bien ce com-mandement, que l’on trouve dans la profession de foi des Juifs « Écoute, Israël », dans le Deutéronome (Dt 6,5). — Mais voici que Jésus, qui a dit de ce commandement qu’il “le grand” et “le premier”, enchaîne : « Et le second lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même », commande-ment tiré du Lévitique (Lv 19,18). Et il ajoute encore : « De ces deux com-mandements dépend toute la Loi, ainsi que les Prophètes. »
Cette deuxième partie de la réponse de Jésus n’a pu qu’étonner le doc-teur de la Loi. D’abord, l’association au premier d’un deuxième commande-ment, tout en le disant semblable au premier. Mais aussi l’affirmation que « de ces deux commandements dépend toute la Loi, ainsi que les Prophètes », en mettant de la sorte les Prophètes au même plan que la Loi, ce qu’aucun pharisien n’aurait fait. Jésus donne ainsi une portée inouïe au grand et premier commandement d’aimer Dieu de tout notre cœur, de toute notre âme et de tout notre esprit.
La lecture du livre de l’Exode que nous avons entendue tout d’abord a mis devant nos yeux les figures, ô combien actuelles, de l’immigré, la veuve et l’orphelin, le pauvre, notre frère : « un pauvre parmi tes frères ». Ce sont eux le prochain à aimer comme nous-mêmes. Et voici que Jésus dit de ce deuxième commandement qu’il est semblable, pareil, au commandement qui fait partie de la profession de foi juive. Il enseigne ainsi que « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » fait aussi partie de « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit. » Et lorsqu’il dit ensuite que « de ces deux commandements dépend – littéralement “est suspendue” comme une porte est suspendue à deux gonds – toute la Loi, ainsi que les Prophètes », il fait de ces deux commandements la clé de lecture de toute l’Écriture : c’est à partir de ces deux commandements que nous de-vons lire toute l’Écriture, et toute la Loi et les prophètes donnera alors à ces commandements une profondeur et une richesse que nous devons creuser toujours.
En écho à ces deux commandements – qui n’en sont en fait qu’un seul – nous avons entendu trois strophes d’un psaume qui commence par ce cri insolite : « Je t’aime, Seigneur, ma force ». « Je t’aime, Seigneur ! » On pourrait traduire « Je t’aime tendrement », car le verbe hébreu employé pour dire « Je t’aime » exprime la compassion, un verbe employé habituellement pour dire la pitié, la miséricorde de Dieu envers nous, un verbe qui dit un amour plein de sentiment. Ainsi avec ce cri du cœur qui ouvre ce psaume nous disons notre amour pour le Seigneur notre Dieu, et pour notre pro-chain comme nous-mêmes, de tout notre cœur, de toute notre âme et de tout notre esprit. Qu’il nous en soit toujours un rappel.


27ème dimanche A, homélie de frère Marie

La Bible aime bien utiliser les images de la nature pour enseigner et exprimer le mystère de l’homme et de Dieu. Aujourd’hui nous sommes dans une ambiance bien connue car les textes nous parlent de vigne.
Les textes de ce jour nous posent devant deux volets étroitement liés d’un diptyque qui nous parle de l’avènement du Royaume de Dieu : le premier volet à travers le poème d’Isaïe dirige notre regard vers ce qui nous est confié de la part de Dieu : le don de sa parole à garder et cultiver pour découvrir notre humaine vocation d’enfants de Dieu. Vocation à découvrir, promouvoir, cultiver le mystère de la vie. Le second volet nous oriente dans le lien entretenu avec le donateur de tout bien dans une filiation aimante qui passe par la reconnaissance et l’action de grâce.
« En toute circonstance, dans l’action de grâce priez et suppliez pour faire connaître à Dieu vos demandes. Et la paix de Dieu, qui dépasse tout ce qu’on peut imaginer, gardera votre cœur et votre intelligence dans le Christ Jésus », nous dit St Paul.

En recevant la mission de ‘garder et cultiver’, l’homme est appelé à une œuvre qui trouve son sens dans la prolongation de l’œuvre créatrice de Dieu, mais cette ‘mission’ l’amène à se cultiver lui-même, et pour cela il a besoin d’une Sagesse qui ne vient pas que de lui-même, une Sagesse qui lui vient de la source de toute vie, de la source de lui-même.
Le don de la vie est lié à une parole, une parole fondatrice : « Dieu dit : « Faisons l’homme à notre image, selon (vers) notre ressemblance… » Gn 1, 26
Le don est porteur d’une promesse : une fécondité, une liberté, et le bonheur d’une relation qui comble la vie.
Fécondité et bonheur s’expriment à travers un jeu de relations. Un jeu de relations avec notre prochain, avec Dieu, avec l’environnement dans lequel nous sommes posés et qui nous est confié.
Dieu pose l’humain comme un autre lui-même, appelé en liberté à jouer sa vie comme un être responsable. La parabole de la vigne de ce jour, pourrait être rapprochée de la parabole des talents, pas tant pour ce qu’il y a faire, mais surtout pour cet engagement à partager la joie du Maître, à partager la joie et l’aventure du Royaume de Dieu. Là est bien la mission de l’Eglise.
Mais pour jouer sa vie, il faut tout d’abord l’accueillir. Il faut se sentir nommé, aimé. Dieu impose sur chacun de nous le Nom du Fils, dans le souffle de son Esprit d’amour et de vie.
Saint Jean-Paul II a rappelé que l’amour très particulier que le Créateur a pour chaque être humain lui confère une dignité infinie.
Le Créateur peut dire à chacun de nous :
« Avant même de te former au ventre maternel, je t’ai connu » Jr 1, 5. Nous avons été conçus dans le cœur de Dieu, et donc, « chacun de nous est le fruit d’une pensée de Dieu. Chacun de nous est voulu, chacun est aimé, chacun est nécessaire ».dans Laudato si, 65

La perception et la reconnaissance du don nous libère de la tentation d’une appartenance exclusive et d’une prise de possession. Le don de Dieu, le don de la grâce est pour tous. Avant de nous demander si nous avons des dons, est nécessaire la prise de conscience que la vie est un don. Le fait que nous-mêmes sommes ou pouvons être un don, nous ouvre à la prise de conscience de l’importance de tout ce jeu de relations dans lesquelles nous somme engagées. S’il y a bonheur, il n’y a de vrai bonheur que partagé.
Plus profondément encore la prise de conscience que nous sommes reliés à une source.
Quand les relations avec Dieu, avec notre prochain, avec notre environnement sont négligées, quand la justice n’habite plus la terre, la Bible nous dit que toute la vie est en danger. Nous rappelle le Pape François dans Laudato si, 70

L’expression propre de cette vie qui me fait être, se découvre dans une histoire, dont je suis acteur et que les autres jouent avec moi, et que Dieu joue avec moi et nous. Comme dans ce passage du livre des Proverbes dans lequel, la Sagesse créatrice du Très-Haut prend plaisir à jouer avec les enfants des hommes. Pr 8
Notre vie est faite pour une symphonie, un hymne à la vie.
Cet hymne à la vie, le Christ le fait résonner et nous l’apprend, par le don suprême et constant de sa vie.
La parabole de ce jour se termine par la proclamation pascale : « La pierre qu’ont rejeté les bâtisseurs est devenue la pierre angulaire. C’est là l’œuvre du Seigneur, une merveille devant nos yeux. » Cette œuvre nous dit que personne n’est à mettre de côté.
Oui, cette merveille répond à l’appel du psaume de ce jour : « Fais-nous vivre et invoquer ton nom ! Dieu de l’univers fait nous revenir, que ton visage s’éclaire, et nous serons sauvés ! » Ps 79
Dans le Christ Jésus Dieu nous a dévoilé son visage, visage qui illumine le nôtre, qui illumine celui de tout homme et toute femme, qui nous ouvre à la connaissance du Royaume auquel tous sont invités.
Nous élèverons tout-à l’heure à l’autel les fruits de la terre et de la vigne pour célébrer ensemble l’action de grâce et nous unir au Fils et nous écrier avec lui, sous l’action de l’Esprit Saint, Merci, Abba ! Père ! pour le don que tu nous fait.

 


15ème dimanche A, homélie de frère Bartomeu

 

Chers frères et sœurs, même si habituellement l’homélie offre un commen-taire de la lecture de l’évangile ou des autres lectures de l’Écriture Sainte, je voudrais aujourd’hui attirer votre attention sur le bref texte de l’oraison que nous avons entendue en conclusion des rites d’ouverture de cette célébra-tion, oraison à laquelle nous avons dit notre assentiment en répondant Amen.
Ces oraisons sont toujours brèves et denses, ce qui demande que nous y prêtions bien attention. Mais leur brièveté pourrait faciliter que nous les retenions et qu’elles puissent ainsi nourrir notre prière au-delà de la célé-bration liturgique.
Je commence donc par rappeler celle d’aujourd’hui : « Dieu créateur et maître de toutes choses, regarde-nous, et pour que nous ressentions l’effet de ton amour, accorde-nous de te servir avec un cœur sans partage. »
À une invocation : « Dieu créateur et maître de toutes choses » – qui exprimait notre dépendance totale de Dieu – suivait un appel vibrant : « re-garde-nous ». Nous ne pouvons vivre hors du regard de Dieu. C’est pourquoi saint Benoît, lorsque, dans sa Règle des moines, décrit le chemin de l’humilité qui est celui du moine, il nous exhorte à être persuadés que Dieu nous regarde du haut des cieux à tout instant (Règle de saint Benoît 7,13).
C’est dans la confiance que nous donne ce regard de Dieu, que l’oraison demandait alors qu’il nous accorde de le servir avec un cœur sans partage, pour que nous ressentions l’effet de son amour.
Le servir avec un cœur sans partage. Lorsqu’un docteur de la Loi, pour mettre Jésus à l’épreuve, lui posa la question : « Maitre, dans la Loi, quel est le grand commandement ? », Jésus lui répondit : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit. Voilà le grand, le premier commandement » (Matthieu 22,35-38). Il reprenait ainsi le commandement que nous lisons dans le livre du Deutéronome : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force » (Deutéronome 6,5).
« Avec un cœur sans partage », disait l’oraison, traduisant le latin « toto corde », de tout cœur ! Et dans le langage de la Bible – c’est bien connu – le cœur ne désigne pas seulement, comme dans notre langage actuel, le siège des sentiments, mais tout l’homme intérieur, sa pensée, sa volonté.
Saint Paul, dans le bref passage de sa lettre aux Romains que nous avons entendu, disait cela d’une autre manière : « Aucun d’entre nous ne vit pour soi-même, et aucun ne meurt pour soi-même : si nous vivons, nous vi-vons pour le Seigneur ; si nous mourons, nous mourons pour le Seigneur. Ainsi, dans notre vie comme dans notre mort, nous appartenons au Sei-gneur » (Romains 14,7-8). Voilà ce que veut dire servir Dieu avec un cœur sans partage, sous son regard.
Et le servir avec un cœur sans partage nous donne l’assurance de res-sentir l’effet de son amour. Jésus avait dit aux disciples pendant le dernier repas avec eux : « Celui qui reçoit mes commandements et les garde, c’est celui-là qui m’aime ; et celui qui m’aime sera aimé de mon Père ; moi aussi, je l’aimerai, et je me manifesterai à lui » (Jean 14,21).
Voilà ce qu’est la vie chrétienne.

 


Natvité de la Bienheureuse Vierge Marie, homélie de frère Marie

 

Chers frères et sœurs,
Certes, nous ne connaissons par aucun registre civil ni la date, ni vraiment le lieu de naissance de Marie. Ce que nous disent les évangiles c’est qu’elle est une jeune fille de Nazareth. Mais ce que nous célébrons c’est un point dans l’histoire humaine où la longue patience de Dieu, nous pourrions dire où l’espérance de Dieu en l’humanité trouve le lieu de son repos, Dieu trouve en cet être venant au monde, en Marie, cette personne non seulement en qui sa confiance ne sera pas déçue mais de plus une vraie collaboratrice dans son plan de salut.

La longue généalogie du Christ que nous venons d’entendre selon l’évangile de St Matthieu nous introduit dans ce lien ineffablement amoureux que Dieu a tissé avec l’humanité depuis les origines, pour faire de cette humanité le réceptacle de sa gloire en son Fils unique et premier né. Ce Fils, premier-né d’une multitude de frères, qui assume toute cette humanité pour la conduire vers le plein achèvement de sa destinée qu’est la gloire de Dieu. Ce Fils, Verbe de Dieu, qui s’est fait pour nous, par le don total de lui-même, chemin, vérité et vie. Comme le dit l’Ange Gabriel à Joseph : le fils naît de Marie s’appellera à la fois Jésus, ce qui veut dire ‘Dieu sauve’ et Emmanuel, qui se traduit ‘Dieu avec nous’.

Cette longue généalogie nous dit que depuis les commencements le Verbe et l’Esprit, les deux mains du Père comme les nomment St Irénée, préparent le chemin des cœurs pour espérer contre toute espérance la semence divine. La semence divine est cette Parole de Dieu qui se déploie pour ouvrir les yeux du cœur de l’homme à la connaissance divine, une connaissance qui accompagne une histoire, une histoire sainte, ou peut-on dire en cours de sanctification, à travers laquelle l’humanité apprend aussi à se tourner vers Dieu et à espérer et désirer en lui et de lui le plein sens de son existence, de son humaine vocation. La semence divine, Parole de Dieu, ensemence largement le champ de l’humanité, le semeur sème à tous vents et en tout terrain. La généalogie que nous avons parcourue est un terrain mêlé, d’élus et d’étrangers, d’habitants et d’émigrés, un terrain mêlé de bons grains de fidélité à l’alliance et de l’ivraie d’infidélité, d’amour du pouvoir, d’adultères et de meurtres, de l’ivraie de l’idolâtrie aussi.
C’est à travers cette humaine histoire que Dieu s’est engagé, qu’il a sans cesse réitéré ses promesses et sa fidélité, sa miséricorde, son amour.
Les promesses, les alliances, la Loi, Marie de Nazareth était toute pétrie de cet héritage. Marie pleinement préparée par l’Esprit de Dieu fut bien plus qu’un prophète ou un ami de Dieu, elle s’engagea sur ce chemin unique et inconnu de la maternité du Verbe divin qui se fit son fils selon la chair par l’accueil inconditionnel de sa foi amoureuse en Dieu : Qu’il m’advienne selon ta parole. Joseph, comme un bon grain caché, deviendra pour nous aussi le modèle du juste qui accueillera le mystère du plan de Dieu, en accueillant le premier en sa vie d’homme et de foi la Mère et le Fils pour les prendre en charge.

Fêter ainsi la naissance de la Vierge Marie nous apporte un certain éclairage pour nous-mêmes. Cet éclairage, c’est que Dieu nous espère, il nous désire, Dieu ne lâche pas notre histoire. Si nous, nous aurions tendance à désespérer de nous-mêmes ou des autres, Dieu lui ne désespère pas de son œuvre. Cette porte ouverte en Marie laisse passer le Verbe divin qui devient notre guide, notre berger, celui qu’annonce le prophète Michée, celui qui par le don humain et divin de lui-même est devenu notre Paix, c’est-à-dire notre plénitude de vie.


Assomption de Marie, homélie de frère Marie

 

Chers frères et sœurs,
Heureuse ! Bienheureuse celle qui a cru !
Oui toutes les générations la diront bienheureuse.
C’est bien l’achèvement de tout un chemin de foi, d’une vie de foi, que nous célébrons aujourd’hui dans la glorification de Marie, la mère de Jésus.
Si le centre le plus profond de Marie est son humilité c’est qu’elle s’est laissée rejoindre et imprégner par l’amour du Père pour l’humanité. Elle s’est rendue obéissante à l’action de l’Esprit Saint. Elle a accepté que le Verbe divin trouve sa place en elle, en son corps, en son cœur, en sa foi.
C’est cette humilité qui rapproche Marie du Ciel.
Autant l’orgueil détruit tout, éloigne de Dieu et fait souffrir l’humanité, autant l’humilité de Marie rend la beauté à notre humanité et en exprime ce qu’il y a de meilleur, le désir profond de la paix véritable.
Cette humilité qui fait que Marie vivait de plein pied dans son humanité. Les évangiles nous en disent peu de choses, mais suffisamment pour deviner la stature de cette jeune fille de Nazareth. Marie est une éveillée, son esprit est tourné vers la Sagesse de Dieu, elle cherche à comprendre le sens de sa vie, elle se laisse enseigner et guider par la mission de son fils, par le Verbe divin qui par elle est entré dans notre monde. L’humilité de Marie la situe de façon juste dans sa relation à Dieu, avec l’audace aussi que lui donne sa compassion pour ses frères et sœurs en humanité, comme aux noces de Cana où elle implorera son fils Jésus de manifester sa mission et sa gloire. Cette mission qu’elle accompagnera en contemplant la vie de son Fils, jusque dans la douleur au pied de la croix, mais debout dans la force de l’espérance et de la foi, blessée mais aimante, dans une confiance dont elle ne sera pas déçue.
Bienheureuse celle qui a cru !
Non, aujourd’hui nous ne vénérons pas une nouvelle déesse, perchée sur un croissant de lune, mais nous vénérons celle qui a cru, qui a médité les paroles et gestes de Jésus, celle qui a exalté le Seigneur de tout son être, qui a exulté en Dieu son Sauveur.
La fête de ce jour alimente notre espérance théologale, cette espérance dont on a tant besoin pour ne pas tomber dans le piège de la désespérance de nos impuissances ou de nos fausses puissances. En Marie, glorifiée en son âme et en son corps, en qui rayonne la plénitude de l’acte rédempteur du Christ, nous contemplons la pleine réalisation de la vocation humaine à laquelle nous sommes tous prédestinés.
Oui, en Marie l’image du Fils est magnifiquement reproduite et la vocation maternelle de Marie la met au service de l’enfantement et de la croissance de cette image en nous, la met au service de cette révélation des fils de Dieu à laquelle toute la création aspire, comme le dit si bien St Paul :
« La création en attente aspire à la révélation des fils de Dieu : Nous le savons en effet, toute la création jusqu'à ce jour gémit en travail d'enfantement. »
Cet enfantement dans la douleur que nous décrit l’Apocalypse et qui symbolise l’Eglise mettant au monde le corps du Christ que nous sommes par le baptême et l’annonce de l’Evangile. Cette humanité rachetée par la mort et la résurrection du Christ, cette humanité qui reçoit les prémices de l’Esprit Saint, pour participer à la victoire du Christ.
Marie est l’image accomplie de cette Eglise, de cette humanité rachetée. Elle fait briller notre foi et notre espérance. Marie nous entraîne sur le chemin du beau combat de la foi, cette lutte spirituelle qui nous fait désirer les choses d’en haut, là où se trouve le Christ, désir qui nous élève et par lequel nous acquérons notre vraie liberté, celle des enfants de Dieu.
Comme la Sagesse au carrefour des chemins, Marie se tient là pour nous indiquer le chemin du « bonheur » : « Toutes les générations me diront bienheureuses ». Marie ne garde pas pour elle son bonheur, car il n’est de véritable bonheur que partagé, et il n’est de véritable connaissance de Dieu que dans son amour universel et au service de tous ceux que Dieu aime.
Marie ne peut posséder Jésus comme fils, que si elle reconnaît en lui « le frère aîné d’une multitude de frères ». « Femme voici ton fils », dira Jésus à sa Mère du haut de sa croix, en désignant son disciple.
Oui, Marie nous apprend à conjuguer en vérité, et l’amour des réalités d’en haut, et l’amour de notre condition terrestre. A conjuguer en vérité et l’amour de Dieu, et l’amour de nos frères et sœurs en humanité.
Oui, bienheureuse celle qui a cru, et bienheureux ceux qui ont cru, qui croient, et qui croiront ! Le royaume de Cieux est à eux.

 

 


La Transfiguration du Seigneur, homélie de frère Bartomeu

Matthieu 17,1-9

 

« Jésus prit avec lui Pierre, Jacques et Jean son frère, et il les emmena à l’écart, sur une haute montagne. » « Une haute montagne », les évangiles ne précisent pas laquelle. Mais très tôt, déjà – à ce qu’il semble – depuis le IIIe siècle, on a identifié cette montagne avec le mont Tabor, qui se dresse au cœur de la Galilée. Et la fête d’aujourd’hui pourrait avoir son origine en la consécration de la basilique sur le mont Tabor.
Dans l’Ancien Testament, est appelé « montagne de Dieu » le mont Sinaï, où d’abord Moïse a vu la gloire du Seigneur (Exode 24,16-17), et où, plus tard, Élie a entendu « le murmure d’une brise légère » (1 Rois 19,12). Et voici que, lorsque Jésus est transfiguré, ce sont Moïse et Élie, la Loi et les Prophètes, qui apparaissent et qui s’entretiennent avec Lui. Et l’évangéliste Luc précise : « Ils parlaient de son départ qui allait s’accomplir à Jérusa-lem » (Luc 9,31). C’est que la transfiguration de Jésus anticipe sa résurrection, comme il devient clair lorsque Jésus dit aux trois apôtres : « Ne parlez de cette vision à personne, avant que le Fils de l’homme soit ressuscité d’entre les morts. » L’évangéliste Luc confirme que « les disciples gardèrent le silence et, en ces jours-là, ils ne rapportèrent à personne rien de ce qu’ils avaient vu » (Luc 9,36). Marc pourtant ajoute : « tout en se demandant entre eux ce que voulait dire : ressusciter d’entre les morts » (Marc 9,10).
Ce n’est qu’après la résurrection de Jésus que les apôtres comprendront le sens de sa transfiguration de laquelle ils avaient été témoins. Et nous avons entendu tout à l’heure saint Pierre le rappeler, dans la lecture de sa lettre : « Notre Seigneur Jésus Christ a reçu de Dieu le Père l’honneur et la gloire quand, depuis la Gloire magnifique, lui parvint une voix qui disait : Celui-ci est mon Fils, mon bien-aimé ; en lui j’ai toute ma joie. Cette voix venant du ciel, nous l’avons nous-mêmes entendue quand nous étions avec lui sur la montagne sainte » (2 Pierre 1,16-19).
Quant à nous, la liturgie nous aide à comprendre la transfiguration lorsque nous en-tendons cet évangile chaque année le deuxième dimanche du carême, alors que nous avons entamé notre marche vers la Pâque.
En cette célébration d’aujourd’hui, au cœur de l’été, avec son caractère particulière-ment festif, nous pourrions retenir surtout que lorsque les apôtres – qui saisis d’une grande crainte étaient tombés face contre terre – levèrent les yeux, « ils ne virent plus personne, sinon lui, Jésus, seul. » Ce que soulignent pareillement Marc et Luc : « Soudain, regardant tout autour, ils ne virent plus que Jésus seul avec eux », dit Marc (Marc 9,8). Et Luc : « Et pendant que la voix se faisait entendre, il n’y avait plus que Jésus, seul » (Luc 9,36). Que pour nous aussi, il n’y ait plus que Jésus, seul !
Lorsqu’il avait été baptisé par Jean, au Jourdain, nous avions entendu déjà une voix qui, des cieux, disait : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je trouve ma joie » (Mat-thieu 3,16-17). Aujourd’hui, lorsqu’une nuée lumineuse couvrait les trois apôtres de son ombre, la voix qui disait : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je trouve ma joie », a ajouté : « écoutez-le ! » Il ne nous est pas donné de voir avec nos yeux, comme les trois apôtres, Jésus transfiguré, mais l’invitation à l’écouter nous est adressée comme à eux. Que le Christ ait donc toujours la première place dans notre vie, lui seul. Que nous soyons ceux qui « ne préfèrent absolument rien au Christ » (Règle de saint Benoît 72,11), « ceux qui n’ont rien de plus cher que le Christ » (Règle de saint Benoît 5,2).


Fête des Saints apôtres Pierre et Paul, homélie de frère Bartomeu

 

Voici que la profession de foi de Simon fils de Yonas : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ! », lui a valu recevoir de Jésus le nom de Pierre, avec une promesse : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église ; et la puissance de la Mort ne l’emportera pas sur elle. » Et en français le jeu de mots est parfait : Pierre est bien une pierre.
Mais ce qui est important c’est l’Église bâtie sur cette pierre. Et c’est dans cette page de l’évangile que nous trouvons pour la première fois, dans le Nouveau Testament, ce nom « Église » pour désigner la communauté de ceux qui croient en Jésus Christ. Nous le trouvons ensuite, des Actes des Apôtres à l’Apocalypse, plus de cent fois pour désigner l’Église en chaque lieu et l’Église qui rassemble toutes les communautés.
« Église » est un terme grec, dérivé du verbe qui signifie « appeler », et qui veut dire « assemblée ». Le Nouveau Testament l’a trouvé dans la version grecque de l’Ancien Testament, où il traduit le terme hébreu qui désigne l’assemblée du peuple d’Israël.
Mais, alors que Jésus promet à Simon – appelé désormais Pierre – une Église pleine de force : « la puissance de la Mort ne l’emportera pas sur elle », la lecture des Actes des Apôtres nous en a donné une image de grande fai-blesse. Il est important donc que nous comprenions bien ce qu’est vraiment cette Église bâtie sur la pierre de la foi de Pierre.
Voici que, après avoir supprimé Jacques, en le faisant décapiter, le roi Hérode a fait mettre Pierre en prison. Et c’est dans cette situation de dé-tresse que nous trouvons une autre mention de l’Église : « tandis que Pierre était ainsi détenu dans la prison, l’Église priait Dieu pour lui avec insis-tance. »
Déjà avant Jacques, le premier des apôtres à être mis à mort, Étienne, le premier des Sept (Ac 6,5 ; cf. Ac 21,8), avait été lapidé par la foule des Juifs (Ac 7,57-60). Et « ce jour-là, éclata une violente persécution contre l’Église de Jérusalem. Tous se dispersèrent dans les campagnes de Judée et de Sama-rie, à l’exception des Apôtres » (Ac 8,1).
En effet, l’Église, sur laquelle la puissance de la Mort ne l’emportera pas, a connu la persécution depuis ses premiers jours. Et de nos jours aussi, de nos jours encore, l’Église est appelée à prier Dieu avec insistance pour tous ceux qui, parce qu’ils sont chrétiens, sont détenus dans les prisons, pour tous ceux qui sont « supprimés » – selon l’expression forte employée pour la décapitation de Jacques. Et il nous vient tout de suite à l’esprit le souvenir d’un autre Jacques, le P. Jacques Hamel, « supprimé » il y aura bientôt un an. Et nous avons bien vu l’étonnante réaction qu’a suscitée sa mort violente, qui est devenue en fait un vrai « martyre », un témoignage de ce qu’est l’Église.
Voici l’Église sur laquelle la puissance de la Mort ne l’emportera pas.

 


 Fête de la Nativité de St Jean le Baptiste, homélie de l'Abbé Vladimir

Chers Frères et Sœurs

En célébrant la naissance de Jean Baptiste, c’est la naissance du plus grand des prophètes que nous célébrons. Dans les temps précédant la naissance du sauveur, il n’y avait plus de prophètes mais de simples commentateurs de la loi et des prophètes. Dans le meilleur des cas, ils étaient des sages mais souvent ils étaient comme les scribes et les pharisiens que Jésus dénoncera empilant des commentaires creux et imposant des fardeaux qu’ils n ‘étaient même pas capables de porter eux-mêmes. Jean sera la voix prophétique annonçant la Parole toujours nouvelle, le verbe fait chair. Il montrera aux hommes l’Agneau de Dieu, celui qui est la lumière des nations. Prophète, il l’est déjà dans le sein de sa mère lorsqu’il la fait parler lors de la Visitation ; il l’est aussi au moment de sa naissance lorsqu’il rend la voix à son Père. Prophète, il l’est enfin par son nom qui signifie que Dieu est celui qui fait grâce. Il le sera par toute sa vie au désert, avec ses disciples ou rendant son dernier témoignage devant Hérode. Comme prophète, il transforme le sens de l’histoire en la faisant passer d’une mémoire du passé à une annonce de l’avenir pleine de confiance et d’espérance. Nous qui sommes un peuple de prophètes selon ce qu’annonçait à l’avance le livre des nombres, il est notre modèle pour annoncer que Dieu a fait toute chose nouvelle et qu’il veut rassembler tous les hommes. Le sauveur a détruit le mur de séparation et créé en lui un seul homme nouveau en établissant la paix. Si Dieu est celui qui fait grâce, nous devons nous aussi faire grâce.
Nous ne devons pas être de simples commentateurs de la Parole mais à la suite de Jean, nous devons nous mettre à l’école de celui dont nous chantions hier qu’il était doux et humble de cœur. Nous devons devenir des serviteurs de la Parole de paix et de réconciliation pour la mettre en pratique, pour la faire resplendir dans toute sa vérité. Et cela nous ne pouvons le faire qu’en étant comme Jean des hommes simples, totalement donné. Le prophète est celui en qui il n’y a pas de duplicité, celui dont le cœur n’est pas partagé, qui est tout entier à Dieu. Cela ne vient pas que de lui, c’est aussi un don de Dieu qu’il laisse porter du fruit en lui.
Demandons au seigneur d’unifier notre cœur afin que nous puissions chanter son nom.

 


Dimanche de la Trinité, homélie de frère Marie

 

Chers frères et sœurs

En célébrant en ce jour la fête de la Trinité nous proclamons notre foi. Toute prière chrétienne, à commencer par le signe de la croix nous plonge au cœur de la Trinité, nous plonge au cœur de son mystère.

C’est à la fois une réalité et un mystère qui nous enveloppe et nous fait vivre. Un mystère à qui on ne peut que s’offrir dans la prière, la supplication, le silence, l’adoration et l’action de grâce.

Pour parler de la Trinité nous sommes confrontés à la radicale pauvreté de  notre expérience, à la limite du langage et des idées, car Dieu est l’Être transcendant, le Tout Autre, le Saint par excellence, le toujours au-delà, un abîme de vie et d’amour insondable.

Cependant Dieu n’est pas resté inaccessible, inconnaissable, Dieu s’est révélé, c’est-à dire qu’il ouvre en nous un espace divin, son Royaume. C’est ce que nous enseignent les Saintes Ecritures et ce que la théologie essaye d’exprimer. La communion entre elles des trois personnes divines Père, Fils et Saint Esprit, n’est pas un mystère fermé comme pourrait le faire penser l’image du cercle, c’est un mystère ouvert, une communion qui s’ouvre à nous. Ce caractère ouvert est de grande importance pour nous, car il fonde la vocation et la mission de l’Eglise, de chacun de nous, sommes-nous un cercle ou bien ouvrons-nous l’espace à l’autre ?

Dieu a investi notre histoire et notre vie, bien plus il en est la source et le terme. Personne n’a jamais vu Dieu, nous dit St Jean, Dieu Fils unique qui est dans le sein du Père, nous l’a fait connaître.[1] Il nous l’a fait connaître par des paroles et par des actes, jusqu’au don total de lui-même. Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils, son Unique, nous dit St Jean. En nous offrant son unique, Dieu nous appelle à lui.

A travers une histoire de salut Dieu s’est révélé Créateur et Père. C’est par son Fils, le Verbe de Vie, et par le souffle de son Esprit que le Père a tout créé. Tout procède et dépend de Dieu et tout tend vers Lui. Et c’est à l’image de ce qu’il est en lui-même relation, don et communion qu’il a créé l’homme pour en faire un être appelé à partager sa vie.

On dit en théologie que Dieu en sa perfection de vie et de béatitude se suffit à lui-même, mais là est bien le mystère de l’amour que nous montre la révélation et que nous dévoile Jésus Christ, c’est d’un amour désintéressé et totalement donné, gratuit, que la Trinité a créé les libertés que nous sommes. Dieu ne nous crée pas par besoin, mais c’est nous qui avons besoin de lui. Nous n’existons donc que dans la mesure où nous sommes aimés. L’humain pense trop souvent la vie en termes de mérite ou de droit ou d’arbitraire, le Dieu trinité nous la fait penser en don gratuit et aimant.

Lorsque le seigneur proclame lui-même son nom à Moïse, il se nomme ainsi : « Dieu tendre et miséricordieux, lent à la colère, plein d’amour te de fidélité. » Ce qui fait dire à Moïse : « oui, nous sommes un peuple à la tête dure, mais tu pardonneras nos fautes et nos péchés, et tu feras de nous un peuple qui t’appartienne. »[2]

Oui, c’est bien la reconnaissance de cet amour et de cette fidélité qui est passé par la croix, qui nous fait naître à Dieu. La reconnaissance de cet amour qui a traversé nos aveuglements et nos résistances, cet amour qui guérit les infirmités et les blessures de nos âmes, cet amour qui rétablit nos cœurs dans la paix d’une relation vivante, dans un chemin de communion. Que tous soient un comme nous sommes un, disait le Christ dans sa prière et St Paul en sa lettre en tire directement la conséquence : « Soyez en accord entre vous, vivez en paix et le Dieu d’amour et de paix sera avec vous. »[3]

Notre vie de chrétien, est constamment placée au cœur du mystère de la Trinité, au cœur de ce chemin de communion. A chaque acte de foi, nous sommes replacés dans le don du Fils au Père, et l’Esprit Saint anime par ses gémissements ineffables notre désir et notre prière.

Car la mise en œuvre de cette vie Trinitaire nous entraîne dans un combat spirituel, le combat entre l’homme nouveau renaît de l’Esprit et le vieil homme obéissant aux tendances égoïstes, selon l’image de St Paul.

C’est au cœur de ce combat spirituel que la toute puissance de Dieu est puissance de vie qui se met au service de l’homme afin que non seulement nous advenions à l’existence, mais aussi que nous effectuions notre pleine et véritable croissance humaine, afin de parvenir à la pleine stature en Christ.

Cette croissance est croissance en liberté, cette liberté nourrie et éclairée par l’amour divin et qui nous mène au travers et au-delà des épreuves, des contradictions, qui nous mène à travers le pardon sans cesse renouvelé. Croissance en liberté qui nous mène aussi dans la reconnaissance et l’action de grâce de pouvoir participer à cette vie divine et surtout, avec la conscience de nos humbles forces, de pouvoir  participer au projet divin, à l’avènement de son Règne. Liberté en puissance d’amour et de vie qui nous fait désirer et tendre à vivre avec les autres à l’image de la Trinité bienheureuse.

Certes pour nous cela représente un combat spirituel à travers lequel l’amour nous blesse, nous révélant que nous ne sommes pas aussi libres et fidèles que nous le voudrions, mais cette blessure-là est l’ouverture par laquelle la Trinité en son mystère peut trouver place en nous et y faire sa demeure. C’est à travers cette blessure d’amour que l’Amour véritable peut nous guérir et nous transformer.

Oui, c’est grâce au Christ, que les uns et les autres nous avons l’accès auprès du Père dans l’Esprit Saint, ainsi nous ne sommes plus des étrangers, ni des émigrés ; nous sommes concitoyens des saints, nous sommes de la famille de Dieu.

Ainsi célébrer le mystère de la Trinité nous invite à changer notre regard, nous invite à repenser la teneur et la qualité de nos relations avec tout ce qui nous entoure, la teneur et la qualité de nos relations avec nos proches et nos lointains, la teneur et la qualité de nos relations avec Dieu et nous-mêmes.


[1] Jn 1, 18

[2] Ex 34, 4-9

[3][3] 2 Co 13, 11-13

 


Dimanche de la Pentecôte, homélie de l'Abbé Vladimir

Chers Frères et Sœurs,

« Cinquante jours après Pâques, ils se trouvaient réunis tous ensemble ». De même, « après la mort de Jésus, les disciples étaient ensemble même si les portes étaient verrouillées par crainte ». L’Esprit saint vient en eux pour faire toute chose nouvelle. Ce n’est pas par hasard qu’ils sont ensemble. La nouveauté de l’Esprit consiste prècisément en ce qu’annonçait le psalmiste lorsqu’il s’écriait : « Qu’il est bon, qu’il est doux pour des frères de vivre ensemble et d’être unis ». Aelred de Rievaulx, l’un de nos Pères cisterciens, prêchant le jour de cette fête va jusqu’à dire : « Je dirais si j’osais, ou plutôt j’ose et je dis avec assurance que l’Esprit Saint ne serait pas descendu aujourd’hui sur les disciples s’il ne les avait pas trouvés réunis tous ensemble ». Au Sinaï, le Seigneur est descendu dans le feu et le bruit du tonnerre pour instituer la première alliance. Aujourd’hui, avec un bruit comme un violent coup de vent et dans le feu, l’Esprit qui est Seigneur et qui donne la vie vient graver dans le cœur des disciples la nouvelle alliance qui est l’amour jusqu’au don de soi-même. « Dieu, nul ne l’a jamais contemplé. Si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous et son amour, en nous, est accompli. . . Il nous a donné de son Esprit ».

Hier soir, pour commencer cette fête, à la fin des vêpres, nous demandions que « les hommes, en proie, aux divisions de toute sorte, soient rassemblés par l’Esprit Saint ». Et cette nuit et ce matin encore, cette division et cette violence sont manifestes partout où règnent non seulement la violence aveugle mais aussi l’oppression des pauvres, le refus des étrangers et la destruction de la nature. Mais c’est pour cela que le Seigneur Ressuscité nous envoie son Esprit Consolateur pour nous laver, nous guérir, nous assouplir, nous réchauffer, nous rendre droit comme nous l’avons chanté. Par lui, nous sommes tous les membres d’un seul corps. L’Esprit descend sur les apôtres et ils se mettent à parler et tous jusqu’à aujourd’hui les comprennent dans leur langue maternelle. S’il y a des mots qui sont un bavardage ou des masques, c’est dans une parole de louange, de communion et de paix que nous devenons pleinement humain. Le silence n’est là que pour permettre cette parole. Ce qui guérit la division, ce n’est pas l’uniformité mais l’unité et la communion dans la diversité des langues qui sont comme une symphonie. « Les dons de la grâce sont variés mais c’est le même Esprit ». Les hommes seront rassemblés, non par une violence qui voudrait tous les rendre semblables à un unique modèle mais dans la lumière de l’Esprit qui est amour et communion.
Chers Frères et Sœurs,
En célébrant cette fête, nous sommes invités à vivre cela de manière très humble et très concrète dans nos communautés, dans nos familles, dans nos relations avec tous ceux que d’une manière ou d’une autre le Seigneur nous envoie ou vers qui il nous envoie. Car nous sommes tous envoyés. C’est seulement de cette manière que l’œuvre de l’Esprit qui est une œuvre d’amour s’accomplira en nous.

 


 7ème dimanche de Pâques A, homélie de frère Bartomeu

 

Chers frères et sœurs, dans le Nouveau Testament nous trouvons trois fois le nom “chrétien”.
Tout d’abord nous lisons dans les Actes des apôtres que « c’est à An-tioche que, pour la première fois, les disciples reçurent le nom de “chré-tiens” » (Actes 11,26). Antioche était une grande ville – la capitale de la Syrie romaine – et c’est là surtout que la communauté des disciples s’était ou-verte, au-delà des seuls Juifs, aussi aux gens de langue grecque (Actes 11,19-20).
C’est depuis l’« Église d’Antioche » – comme elle est appelée, toujours dans les Actes des Apôtres – que Saul et Barnabé seront envoyés dans leur premier voyage missionnaire (Actes 13,1-3) à Chypre et en Asie Mineure. Et, de retour à Antioche, « ayant réuni l’Église, ils rapportèrent tout ce que Dieu avait fait avec eux, et comment il avait ouvert aux nations la porte de la foi » (Actes 14,27).
Le nom de “chrétiens” donné aux disciples à Antioche s’est répandu rapidement, si bien que lorsque Paul, prisonnier, présentera sa défense de-vant le roi Agrippa, à Césarée, celui-ci réagira : « Encore un peu, et tu me persuades de me faire chrétien ! » Ce à quoi Paul répliquera : « Plaise à Dieu que, tôt ou tard, non seulement toi, mais encore tous ceux qui m’écoutent aujourd’hui, vous deveniez tel que je suis – sauf les chaînes que voici ! » (Actes 26,28)
La troisième fois que nous trouvons le nom de “chrétien” c’est dans le passage de la lettre de saint Pierre apôtre que nous avons entendu lire tout à l’heure : « Si quelqu’un d’entre vous a à souffrir comme chrétien, qu’il n’ait pas de honte, et qu’il rende gloire à Dieu pour ce nom-là » (1 Pierre 4,16).
Depuis le commencement, en effet, le nom de “chrétien” est associé à un témoignage qui trouve souvent contradiction et persécution. Et ceci en-core de nos jours où tant de chrétiens de par le monde, à cause de ce nom, soufrent la persécution et jusqu’à la mort. Tout près de nous, la mort vio-lente du P. Jacques Hamel, il y aura bientôt un an, a été un témoignage qui nous a révélé une vie, autrement discrète, de telle façon que pour son procès de béatification, commencé exceptionnellement tout de suite, c’est toute sa vie de “chrétien” qui est venue en lumière.
Être connus comme “chrétiens” est en fait pour nous une grande res-ponsabilité, en même temps qu’une immense grâce. À l’Évangile nous avons entendu le commencement de la prière de Jésus pendant son dernier repas avec les disciples avant sa passion, où il priait le Père « pour ceux que tu m’as donnés, car ils sont à toi » (Jean 17,9). « Désormais, je ne suis plus dans le monde ; eux, ils sont dans le monde, et moi, je viens vers toi » (Jean 17,11). Ainsi, tant que nous sommes dans le monde, notre vie de “chrétiens” nous la vivons portés par la prière de Jésus.
Que ce nom exprime toujours vraiment ce que nous sommes. Ou plu-tôt, devrions-nous dire, ce que nous travaillons à devenir. C’est lorsqu’il était conduit à Rome pour y souffrir le martyre, que saint Ignace, évêque d’Antioche justement, au début de deuxième siècle, écrivait : « C’est mainte-nant que je commence à être un disciple. Que rien ne m’empêche de trouver le Christ » (Romains 5,2).
Faisons nôtres les paroles d’une prière de la liturgie : « Donne Seigneur à tous ceux qui se déclarent chrétiens de rejeter ce qui est indigne de ce nom, et de rechercher ce qui lui fait honneur » (Oraison du 15e dimanche du Temps Ordinaire ).


2ème dimanche de Pâques (2017), homélie de frère Marie

 

« Voici le jour qu’a fait le Seigneur, nous dit le psaume, qu’il soit pour nous jour de fête et de joie. »
C’est ce jour qui, dans la Pâques du Christ, inaugure la création nouvelle. Ce jour c’est le Christ lui-même qui nous éclaire, soleil de justice qui nous réchauffe de ses rayons de paix et de joie.
« Je suis la lumière du monde. Celui qui vient à ma suite ne marchera pas dans les ténèbres ; il aura la lumière qui conduit à la vie. »Jn 8, 12

Dimanche dernier l’évangile s’ouvrait sur un tombeau vide qui n’avait pu retenir un corps, un corps perdu qui échappait à toute emprise des hommes, un corps qui déjà partageait la gloire du Père. L’évangile s’ouvre aujourd’hui sur un corps retrouvé, transfiguré. Jésus se manifeste au milieu de ses disciples, avec pour signature les marques de sa passion, marques glorieuses : « Jésus vint et il était là au milieu d’eux ». Jésus se manifeste dans un lieu, semble-t-il, aussi hermétique qu’un tombeau : « Par crainte des juifs les portes de la maison où se trouvaient les disciples étaient verrouillés. ». Jésus roule à nouveau la pierre de ce tombeau, lourde pierre qui se tient à la porte des cœurs : pierre de doute, de peur et de solitude.
La première chose que fait Jésus : « Il donne sa paix », signe d’une véritable réconciliation entre Dieu et les hommes.
En voyant le Seigneur les disciples furent tout à la joie : avec la paix, la joie, cette joie de la présence du Christ. Joie de cette relation que Jésus établit avec ses disciples, durable et sans fin.
Ces récits de résurrection ne parlent pas que d’évènements passés, ils nous parlent de nous, de notre Eglise aujourd’hui. Ils nous invitent à quitter nos raideurs, nos peurs, pour nous laisser habiter par cette joie et cette paix véritable du Christ qui nous rend témoins d’espérance, au milieu d’un monde sans cesse agité, troublé.
Le Christ ressuscité prémices d’une création nouvelle souffle sur ses disciples et leur envoie l’Esprit Saint. Le Christ associe ses apôtres à l’expansion de cette nouvelle création par le renouvellement des cœurs, par le don de l’Esprit et le pardon des péchés.
La présence du Christ établi un nouveau corps, celui des croyants, l’Eglise dont nous sommes membres.
Chaque fois que nous approchons des sacrements de l’Eglise, nous approchons de ses plaies vivifiantes et du don de l’Esprit de Vie. En soufflant l’Esprit Saint sur ses disciples au jour de Pâque Jésus accomplit l’Alliance définitive. La communication de l’Esprit Saint ouvre aux hommes de tous les lieux et de tous les temps la porte du pardon et de la réconciliation.
Mais le défi est grand pour les disciples, ils sont appelés à représenter le Maître, ils sont envoyés par lui au même titre que le Père l’avait envoyé. Ils sont convoqués et ils convoquent par leur mission à une attitude de vérité, à un choix entre lumière et ténèbres, accord exigeant avec l’amour de Dieu que l’Esprit répand en nos cœurs.
Cet Amour duquel nous sommes renés entraine un autre regard sur l’homme, un autre regard sur l’autre. Dès lors tout ce qui nourrit la haine, l’exclusion, la non-reconnaissance de l’autre, la division, est privation de vie : « Quiconque hait son frère est un homicide, et aucun homicide n’a la vie éternelle demeurant en lui » nous avertit St Jean.1 Jn 4, 19-21
La haine, les calculs égoïstes et le mensonge empêchent la vie, illuminée par le souffle de l’Esprit, de croître et de se manifester. Le disciple est en chemin pour ressembler à son Maître.
« Vous avez revêtu l’homme nouveau, nous dit St Paul, celui qui s’achemine vers la vraie connaissance en se renouvelant à l’image de son Créateur. » Col 3, 10
C’est cette réalité, idéal de l’Eglise, que la première communauté de Jérusalem essaie de mettre en œuvre à travers le souci des uns des autres, par la communion dans le pardon et le partage des biens, à travers la communion dans la fraction du pain, l’Eucharistie, la communion dans le partage de la prière et de la parole de vie par le témoignage des apôtres. Cette image de la première communauté, est comme une graine semée à tout vent de l’Esprit, en tout terrain de ce monde, semée dans tout ce qui habite et compose le cœur des hommes. Mais semence du royaume qui ne cesse de continuer sa croissance, à travers même les divisions, car elle est fondée sur le Christ vainqueur, qui sans cesse attire et provoque à l’unité.
L’évangile de ce jour nous présente l’apôtre Thomas voulant vérifier les plaies du Sauveur, s’assurer par lui-même de la réalité de ce Jésus ressuscité.
Nous avons beaucoup de points communs avec Thomas, entendre ne nous suffit pas, nous voulons éprouver, comprendre, pour risquer la foi. Mais paradoxalement ce dialogue entre Jésus et Thomas nous dégage du danger de l’emprise des signes, ou de la restriction des preuves sensibles. « Heureux ceux qui croient sans avoir vu. »
C’est le Christ qui témoigne de lui-même dans le cœur de ceux qui désirent le connaître, et l’Esprit Saint lui-même, sans se lasser, anime notre désir.
Ce qui fait signe c’est la longue chaîne des témoins à travers les âges et les diverses nations, qui incarnent l’Eglise et les appels de l’Esprit au cours des temps et pour qui le Christ est une réalité vivante au cœur de leur vie et de leurs engagements. A nous de continuer cette longue chaîne de témoins.

 


Jour de Pâques, homélie du Père Abbé Vladimir

Chers Frères et Sœurs,

En ce dimanche de Pâques, alors que depuis cette nuit nous célébrons la Résurrection du Christ, il ne nous reste plus qu’à vivre l’essentiel pour devenir des hommes nouveaux. Si le Christ est vraiment ressuscité, alors notre vie ne peut plus être la même. Si la résurrection du Christ n’est pas qu’une image, une allégorie, un mythe ou une légende mais l’irruption de la plénitude de la vie dans la chair du Christ, lui qui est passé par la mort, alors nous ne pouvons plus regarder le monde, notre vie et notre propre corps lui aussi destiné à la gloire de la même manière.

Voici qu’en ce matin de Pâques, Pierre et l’autre disciple courent au tombeau à l’annonce de Marie Madeleine pour trouver celui-ci vide. Ils voient et ils croient. A leur suite et sur leur témoignage nous croyons que le Christ est victorieux de la mort et que la vie éternelle nous est donnée puisque par le baptême, nous sommes passés par le mort et que notre vie reste cachée avec le Christ en Dieu. Si le christ est vraiment ressuscité, nous n’avons plus aucune crainte à avoir puisque plus rien ne peut nous séparer de l’amour de Dieu. Demandons au Ressuscité d’ouvrir notre cœur à cette nouveauté pour que plus rien ne puisse nous troubler. Depuis les origines les disciples du Christ n’ont cessé de se rassembler parfois au péril de leur vie en ces jours mais aussi chaque dimanche pour célébrer cette vie qui leur est donnée. Sans célébrer la résurrection, sans nous réunir pour communier à sa vie, sans partager la Parole et le Pain, nous ne pouvons pas vivre en plénitude. En ce matin où nous célébrons la vie, sentons nous en communion avec toute l’Église répandue sur la surface de la terre qui célèbre la résurrection au milieu des épreuves dans de nombreux endroits. Il n’y a rien de plus urgent, de plus essentiel que de nous engager sur cette voie tracée par le Christ qui nous pardonne nos péchés. Tous les instants de notre vie, toutes les réalités de ce monde, tous les liens que nous tissons sont appelés à être pénétrés et transformés par cet amour plus fort que la mort, par la puissance du don total. Nous devons sortir d’une logique de consommation et le monde où nous vivons voudrait nous persuader que tout même notre corps ou nos relations interpersonnelles sont des biens consommables pour entrer dans la logique de la communion qui est celle de la Résurrection. C’est cela rechercher les réalités d’en haut. Ce n’est pas vivre dans un monde irréel mais dans le monde de la vie donnée et partagée, dans le monde où chaque instant de notre vie nous ouvre sur l’éternité à cause du Christ.

Alors plus rien ne peut nous troubler car, en contemplant celui était mort et qui est vivant nous comprenons que tout même le péché, même la mort peut être grâce à lui un chemin vers le Père.


Nuit de Pâques, homélie du Père Abbé Vladimir

Chers frères et Sœurs,

« Voici la nuit où le Christ, brisant les liens de la mort, s’est relevé victorieux des enfers ». « O nuit du vrai bonheur, nuit où le ciel s’unit à la terre, où l’homme rencontre Dieu ».
Ce que le diacre a chanté devant le cierge pascal, nous sommes invités à le vivre. Puisque le Christ est ressuscité des morts, nous sommes unis à sa mort par le baptême pour vivre d’une vie nouvelle. Le Dieu vivant est à nos côtés pour renouveler nos vies et faire de nous ses témoins. Cette nuit, nous rendons grâce pour la lumière de la résurrection qui donne sens à nos vies. Cette lumière nous est parvenue par le témoignage des femmes et des apôtres. Elle nous est parvenue par le témoignage de Paul, le dernier auquel le Seigneur s’est manifesté comme à l’avorton. Elle nous parvient par le témoignage d’une nuée de témoins qui dans leur vie comme dans leur mort ont manifesté la toute puissance de l’amour de Dieu qui est plus fort que la mort. Ce témoignage peut sembler fragile et menacé mais c’est dans sa faiblesse, comme le Christ sur la croix, qu’il est fort. C’est à cette lumière que nous lisons les Écritures pour discerner le chemin de nos vies à la suite du Christ. Il nous a fait renaître par l’eau et par l’Esprit Saint comme nous allons en faire mémoire en renouvelant notre profession de foi baptismale. Ce que nous célébrons en cette nuit, c’est notre engagement à vivre d’une vie nouvelle, celle du royaume en abandonnant ce qui, en nous, peut encore être force de mort. Nous rendons grâce avec toute l’Église pour les eaux du baptême où beaucoup vont renaître cette nuit.
Seigneur ressuscité, renouvelle notre vie à sa source dans ces mêmes eaux. Seigneur regarde avec amour en cette nuit ton Église et chacun d’entre nous pour que nous portions ton témoignage jusqu’aux extrémités de la terre, cette Galilée des nations dont parlent les Écritures.
Contemplons l’Agneau véritable. En mourant il a détruit notre mort, en ressuscitant il nous a rendu la vie. Nous sommes invités à suivre l’Agneau partout où il va. Il nous conduira jusqu’aux festins des noces dont cette nuit est une anticipation. Rendons grâce pour le pain et le vin. C’est sous ces apparences que le Seigneur Ressuscité va se donner à nous pour nous transformer. Offrons nous à lui avec tout ce qui est déjà lumière en nous mais aussi avec tout ce qui est encore obscur. Comme le chante le psaume : « Si je traverse les ravins de la mort, je ne crains aucun mal. Tu prépares la table pour moi, ma coupe est débordante ». Voici que le seigneur, en cette nuit sainte, nous invite à la table du Royaume, au banquet de la foi. Alors qu’il se donne à nous, lui le Vivant pour les siècles des siècles, Lui qui s’est déjà donné dans sa mort, répétons ses paroles pour nous inviter à les mettre en pratique : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime ». Oui cette nuit est celle du don. Rendons grâce à Dieu pour tous ses dons.
Que le Christ, le Fils de Dieu ressuscité, revenu des enfers répande sur les humains sa lumière et sa paix lui qui règne pour les siècles des siècles.

 


Vendredi Saint, homélie du P. Abbé Vladimir

Chers Frères et Sœurs,

Puisque tout est accompli et que le sauveur a remis l’esprit, restons dans la contemplation du côté percé d’où sont sortis l’eau et le sang. Soyons comme la colombe au creux du rocher, celle dont parle le Cantique des Cantiques qui prophétisait ce moment où s’accomplirent les Écritures quand tous les hommes regarderont celui qu’ils ont transpercé.
« Ma colombe, cachée au creux des rochers. Montre moi ton visage, fais-moi entendre ta voix ». Saint Bernard contemplant cette scène avec les yeux du cœur nous dit que ces creux du rocher sont les plaies du Christ par lesquelles s’écoulent la miséricorde :
« Pour ma part, ce qui manque en moi, je le puise hardiment dans les entrailles du Seigneur car elles débordent de miséricorde et les trous ne manquent pas, par où cette miséricorde peut se répandre. Ils ont percé ses mains et ses pieds, ils ont transpercé son côté d’un coup de lance. Par ces ouvertures, il m’est facile de goûter et de voir combien le Seigneur est doux ». Voici que, par la Croix, nous pouvons librement nous tourner vers Dieu.
Un seul et le même pour tous a été trahi et livré, jugé et condamné, juste par des injustes. Un seul a subi pour tous la flagellation, la couronne d’épines et le manteau pourpre. Ils ont tiré au sort son vêtement et l’ont abreuvé de vinaigre. Il a été percé au côté pour faire jaillir un torrent de miséricorde. « De son sein coulent des fleuves d’eau vive ». Oui cette Passion qui est une passion d’amour est assez puissante pour abolir tous les genres de péchés.
Le Christ prend sur lui l’universelle misère humaine et c’est à travers elle qu’il nous ouvre un accès au Père. Il rejoint dans sa passion tous les hommes, ceux qui se croient abandonnés par Dieu, ceux qui ne le connaissent pas, ceux qui le rejettent pour leur offrir le salut. Nous contemplons l’Église née du côté du Christ endormi sur la Croix offrant ce salut puisé à sa source.
Comme une épouse, l’Église par la voix de chacun d’entre nous répond au Christ en le priant pour tous les hommes. Élargissons notre prière aux dimensions du monde avant de vénérer le bois qui a porté le salut du monde et qui devient pour tous les hommes et pour chacun d’entre nous comme un pont pour nous permettre de sortir de notre enfermement, de notre violence, de nos passions. Oui rien ne peut nous séparer de l’amour du Christ auquel nous sommes invités à communier par tout nous-même.

 


Jeudi Saint, homélie du P. Abbé Vladimir

 

Chers Frères et Sœurs,

Les 3 lectures que nous venons d’entendre ont en commun de nous inviter non à une simple répétition mais à une célébration et une actualisation du salut. Elles nous invitent à nous ouvrir au salut qui nous est donné à travers des gestes et des paroles du Christ que nous rapportent les Écritures. Elles nous proposent de recevoir la charité et la vie qui viennent de Dieu.
« Ce jour-là sera pour vous un mémorial » dit déjà le passage de l’Exode que nous venons d’entendre. « Vous devez vous laver les pieds les uns les autres » dit le Seigneur Jésus dans l’Évangile et Saint Paul nous rappelle les mots mêmes du Christ instituant l’Eucharistie : « Faîtes cela en mémoire de moi ». Nous ne sommes pas réunis ce soir en communion avec toute l’Église pour célébrer le passé mais pour vivre une grâce toujours nouvelle, toujours vivante et agissante.

Et voici que ce soir nous célébrons la chose la plus étonnante du monde, celle qui renverse toutes les barrières et abat tous les murs de séparation. La nuit où il était livré, alors que le diable avait déjà mis dans le cœur de Judas l’intention de le livrer, au moment où la puissance du mal semblait atteindre son maximum, le Seigneur Jésus aimant jusqu’au bout se donne totalement pour unir les hommes à lui et les rassembler. Au cœur de la célébration de la Pâque que la lecture de l’Exode évoque, il accomplit la loi, il fait toutes choses nouvelles et vient pour libérer définitivement les hommes de la haine, de la violence et de toutes les passions. Il donne son corps qui est pour nous. Il institue la nouvelle Alliance en son sang puisque c’est par amour pour nous qu’il va le verser. Il dépose ses vêtements et manifeste pleinement qu’il est serviteur, prêt à déposer sa vie pour ses amis, pour tous les hommes. C’est bien le même mystère qui est révélé par l’institution de l’Eucharistie et celle du lavement des pieds. En rétablissant la communion le Christ fait de nous un corps, son corps. En déposant son vêtement, le sauveur annonce qu’il est déjà en train de passer par la mort pour nous donner la vie. Et c’est cette vie donnée par Dieu qui nous unit à lui et les uns aux autres . Voilà ce qui surgit au cours de cette nuit où le Seigneur va être livré à ceux qui croient pouvoir le détruire. Voilà ce que nous, les chrétiens, célébrons à chaque eucharistie en en recevant le fruit, proclamant la mort du Seigneur comme gage de son amour jusqu’à ce qu’il revienne.
Mais ce soir, nous le célébrons d’une manière toute particulière en y associant le lavement des pieds qui est à la fois sacrement du service et du pardon des péchés. Avoir part avec Jésus, c’est à la fois accueillir la réconciliation qui vient de Dieu et nous mettre au service les uns des autres dans le même élan d’amour total que lui. Il y a dans l’eucharistie, un exemple, une règle de vie qui est celle du don de soi-même pour le service et celle du partage. « Si nous savons cela, heureux sommes-nous pourvu que nous le mettions en pratique ». Voilà que le Sauveur nous montre le chemin pour résister au mal, le chemin de l’amour partagé jusqu’au bout. C’est ce que nous allons signifier par le lavement des pieds.

 


Semaine sainte lundi, homélie frère Marie

Jean 12, 1-11 ; Isaïe 42, 1-7
A l’orée de sa passion, lors d’un repas dans la maison de Lazare, Marthe et Marie, Marie s’approche de Jésus avec un flacon de parfum précieux, un nard très pur pour oindre les pieds de Jésus et les essuyer avec ses cheveux ; ce n’est peut-être pas pour rien le mot grec utilisé par Jean pour désigner cette pureté, a la même racine que le mot foi.
A travers ce geste Marie exprime non seulement la reconnaissance envers Jésus d’avoir relevé son frère Lazare d’entre les morts, mais exprime aussi en anticipation la profondeur de sa foi et de son amour envers lui. Lui qui ne faiblira pas et établira le droit sur la terre, annonce Isaïe.
Judas se scandalise de ce que ce parfum très coûteux soit ainsi gaspillé, alors qu’on pourrait en tirer un bénéfice utile en le vendant.
Ce nard très pur nous dit quelque chose de la gratuité de l’amour, le cœur de Marie discerne et exprime cette gratuité. Cela nous parle aussi dans une société où tout doit-être utile, rentable, efficace et marchand, jusqu’à la notion de service qui devient un éventail de prestations monnayables.
Jésus donne un sens prophétique à cette onction : Laissez-la observer cet usage en vue du jour de mon ensevelissement.
Car le véritable flacon de nard pur qui va être bientôt brisé, c’est Jésus lui-même.
Lui qui ne brise pas le roseau froissé, va être brisé sous les coups de la passion, écartelé sur la croix et mis au tombeau. De ce vase pur va se répandre sur l’humanité le parfum très pur de l’amour divin, un parfum sans prix, un parfum gratuit qui donne vie à travers la foi en sa résurrection.
Oui, que notre foi dans la célébration de ces jours saints se laisse imprégner par la bonne odeur du Christ qui va se répandre sur nous. Et devenons nous-mêmes onction fraternelle les uns pour les autres.

 


Dimanche des Rameaux A, homélie du Père Abbé Vladimir

Chers Frères et Sœurs,

Voici que nous étions avec le sauveur sur les pentes du mont des Oliviers. Le prophète Zacharie avait annoncé qu’aux derniers temps, les pieds du Seigneur se poseraient sur le mont des oliviers qui fait face à Jérusalem à l’Orient et que celui-ci se fendrait pour devenir une immense vallée[1]. Mais Zacharie prophétisa aussi comme le rappelle le texte de Mathieu que nous venons d’entendre: « Exulte avec force, fille de Sion ! Crie de joie Jérusalem ! Voici que ton roi vient à toi. Il est juste et victorieux, humble, monté sur un âne, sur un ânon, le petit d’une ânesse [2]». Au début de cette célébration,  nous sommes descendus avec des cris de joie accompagnant notre Roi et notre Dieu, en union avec toute l’Église pour célébrer le salut et la réconciliation, pour en faire mémoire puisqu’aucun des évènements de la Passion du Christ n’est pour nous sans sens ni efficacité.

Nous contemplons Celui que l’Écriture appelle le plus beau des enfants des hommes. Ici on l’acclame : « Hosanna au Fils de David ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! Hosanna au plus haut des cieux ». Là son âme est triste à en mourir : « Mon Père, si cette coupe ne peut passer sans que je la boive, que ta volonté soit faite ». Là encore, les foules réclament sa mort, les soldats crachent sur lui, les passants l’injurient lorsqu’il est sur la Croix ; jusqu’au deux crucifiés avec lui qui l’insultent.

Ici, on le reçoit dans Jérusalem comme le roi juste et sauveur ; là il en est chassé comme un criminel et un imposteur. Mais il est bien du commencement à la fin Un et le Même, Notre Dieu, le Verbe fait chair, le Fils bien aimé, venu chercher la brebis perdue et malade pour la prendre sur ses épaules.

Saint Paul nous a décrit cela avec d’autres mots dans la lettre aux Philippiens : « Le Christ Jésus ayant la condition de Dieu s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort et à la mort de la Croix ». Et pour nous apprendre que l’on descend par l’élèvement et que l’on monte par l’humilité[3], il est Roi sur un petit âne symbole de paix et il resplendit jusqu’à aujourd’hui du haut de la croix.

Seigneur Jésus que ton visage apparaisse glorieux ou humilié, toujours on y voit luire la sagesse, dans les tristesses comme dans les joies. Tu es la joie et le salut de tous qu’ils te voient monté sur l’âne ou suspendu au bois de la croix.

En célébrant ta Passion qu’elle soit pour nous un exemple. Fais nous bruler du même désir que toi du salut de tous, de la réconciliation de tous, du partage et de la communion avec tous.

Exultons de joie avec Jérusalem. Beaucoup de voix se font entendre pour parler de division, de différences irréconciliables, de guerres et de haine. Écoutons encore ce que Zacharie avait annoncé après t’avoir montré humble, monté sur un âne : «  L’arc de guerre sera retranché. Il annoncera la paix aux nations [4]» En te contemplant défiguré en ces jours, faisons résonner dans notre chair toutes les souffrances des hommes.


[1] Zacharie 14, 4

[2] Zacharie 9, 9

[3] Règle de Saint Benoît 7, 7

[4] Zacharie 9, 10

 


5ème dimanche de carême – A, homélie de frère Bartomeu

 

Chers frères et sœurs, est-ce que nous voyons, ou sommes-nous aveugles ? Parce que Jésus est venu en ce monde pour rendre un jugement : que ceux qui ne voient pas puissent voir, et que ceux qui voient deviennent aveugles.
L’erreur des pharisiens qui écoutaient Jésus c’est que, du moment qu’ils disent : ‘Nous voyons !’, leur péché demeure.
Voici que les homes qui avaient voulu être comme des dieux, connaissant le bien et le mal (Genèse 3,5), maintenant disent : « Serions-nous aveugles, nous aussi ? »
Il faut donc plutôt que nous reconnaissions que nous ne voyons pas, pour que nous puissions voir.
Dans une hymne de ce temps de carême, nous chantons : “Comme à l’aveugle, ouvre mes yeux / Afin que je voie ta lumière.” (Hymne aux Vigiles le dimanche)
Voici qu’un aveugle de naissance nous montre le chemin ! « Afin que je voie ta lu-mière. » C’est seulement “sa” lumière, la « lumière du Christ » que nous acclamerons au commencement de la Veillée pascale, ce qui peut faire que nous voyions.
Mais quelle est cette lumière ? Saint Paul écrit : « Dieu qui a dit : Du milieu des té-nèbres brillera la lumière, a lui-même brillé dans nos cœurs pour faire resplendir la con-naissance de sa gloire qui rayonne sur le visage du Christ » (2 Corinthiens 4,6).
Ce n’est donc pas la connaissance du bien et du mal ce qui peut faire que nous voyions, mais la connaissance de la gloire de Dieu qui rayonne sur le visage du Christ. N’est-ce pas sur le visage du Christ que se sont ouverts les yeux de l’aveugle de naissance ?
Mais, comment pourrons-nous accéder à cette connaissance ? Il faut que, comme l’aveugle, Jésus nous voie sur son passage. Il nous faut être près de Jésus, comme le larron crucifié avec lui.
La même hymne où nous chantons : “Comme à l’aveugle, ouvre mes yeux / Afin que je voie ta lumière”, dit aussi : “Comme du larron, prends pitié, / Dans ton royaume, sou-viens-toi.”
Il était bien lui de ceux qui ne voient pas, pour lesquels Jésus est venu en ce monde. C’est pourquoi, crucifié avec Jésus, il disait : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton Royaume. » Et Jésus lui déclara : « Amen, je te le dis : aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis » (Lc 23,42-43). Voici qu’il entrait au Paradis dont avait été chassé Adam, qui voulait connaître le bien et le mal.
Jésus est venu en ce monde pour que ceux qui ne voient pas puissent voir, et que ceux qui voient deviennent aveugles, comme il est venu non pas appeler des justes, mais des pé-cheurs (Matthieu 9,13).
Cherchons la compagnie de l’aveugle de naissance et du larron. C’est le chemin qui même à l’illumination du baptême. C’est le chemin du carême par lequel nous nous hâtons avec amour au-devant des fêtes pascales qui approchent. C’est toujours notre chemin, avec les pécheurs et les publicains dont Jésus était accusé d’être l’ami (Matthieu 11,19 ; Luc 7,34).
« Sous la conduite de l’Évangile, avançons dans ses chemins, afin de mériter de voir Celui qui nous a appelés dans son royaume » (Règle de saint Benoît Prologue, 21).

 


21 mars – Trépas de saint Benoît, fête, homélie de frère Bartomeu

 

Chers frères et sœurs, bien que, dans le calendrier général, saint Benoît soit fêté le 11 juillet – avec une solennité spéciale en Europe dont il est la saint Patron – dans les monastères nous avons gardé aussi la date traditionnelle depuis l’antiquité en laquelle nous faisons mémoire de son trépas. Et cette célébration nous accompagne d’une façon spéciale dans notre chemin vers la Pâque.
Dans sa mort, comme nous la reporte saint Grégoire le Grand, nous le voyons rendre le dernier souffle à l’oratoire du monastère, ayant reçu le Corps et le Sang du Seigneur, en-touré de ses disciples qui soutenaient de leurs mains ses membres affaiblis, et prononçant des paroles de prière. Tout est important : rendre le dernier souffle à l’église, ayant reçu le Corps et le Sang du Seigneur, être débout soutenu par ses disciples, mourir en priant. C’est bien là la mort d’un moine. Et la vision qu’ont eue deux frères qui n’étaient pas présents à sa mort nous parle d’une voie par laquelle Benoît, le bien-aimé de Dieu, est monté au ciel, toute illuminée de lampes innombrables, vers l’Orient (Grégoire le Grand, Dialogues II cha-pitre 37). L’Orient, d’où nous vient la lumière, a été vu par les chrétiens comme un symbole du Christ. Rappelons-nous l’antienne que nous chantons à l’approche de Noël : « Ô Orient, splendeur de la lumière éternelle, Soleil de justice, viens éclairer ceux qui se tiennent dans les ténèbres et à l’ombre de la mort. » Orient qui, alors que nous avançons vers la Pâque, se fait de plus en plus présent par la lumière croissante des jours.
C’est dans cet ensemble de signes qu’aujourd’hui nous avons écouté dans la lecture de l’évangile un morceau de la prière de Jésus lors de la dernière cène, comme déjà un avant-goût de la célébration de plus en plus proche de la Pâque. Et cette prière était un appel pressant à l’unité : « Que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi. »
Un appel qui trouve un écho spécial dans la Règle de saint Benoît, qu’il a écrite pour ce qu’il appelle la si puissante catégorie des cénobites, c’est-à-dire les moines qui vivent en commun, et combattent sous une règle et un abbé (Règle de saint Benoît 1,13 et 2). Et à la fin de la Règle, comme le sommet de notre vie au monastère, il nous exhorte à pratiquer avec un très ardent amour le bon zèle qui sépare des vices et mène à Dieu, et qui consiste à nous honorer mutuellement avec prévenance, à supporter avec une très grande patience les infirmités d’autrui, tant physiques que morales, à nous obéir à l’envi, à ne rechercher ce que nous jugeons utile pour nous, mais bien plutôt ce qui l’est pour autrui… C’est ainsi que nous craindrons Dieu avec amour et que nous ne préférerons absolument rien au Christ, qui nous amènera tous ensemble à la vie éternelle (Règle de saint Benoît 72). Oui, tous ensemble !
Alors nous pourrons comprendre que c’est aussi pour nous que Jésus a prié : « Qu’ils deviennent ainsi parfaitement un, afin que le monde sache que tu m’as envoyé, et que tu les as aimés comme tu m’as aimé. Père, ceux que tu m’as donnés, je veux que là où je suis, ils soient eux aussi avec moi, et qu’ils contemplent ma gloire, celle que tu m’as donnée parce que tu m’as aimé avant la fondation du monde. »
Avec cet idéal, à la suite de saint Benoît, portés par la prière de Jésus, attendons la sainte Pâque – comme nous y invite encore saint Benoît – avec la joie du désir spirituel (Règle de saint Benoît 49,7).

 


1er dimanche de Carême, homélie du Père abbé Vladimir

« Si tu es Fils de Dieu, ordonne que ces pierres deviennent des pains »

Chers Frères et Sœurs,
La liturgie de ce dimanche nous invite à progresser dans la connaissance de Jésus Christ lui qui est l’Unique par qui nous vient le salut et nous pouvons le faire en marchant pas à pas avec l’Évangile.
Jésus qui a été proclamé Fils bien aimé au Jourdain alors que l’esprit descendait sur lui comme une colombe est conduit au désert par ce même Esprit pour être tenté. C’est comme Fils de Dieu qu’il est tenté et ses tentations nous révèlent, nous qui sommes des fils par le baptême, sur quel chemin nous devons avancer.
« Si tu es Fils de Dieu, ordonne que ces pierres deviennent des pains »
Comme fils, le Sauveur reçoit tout du Père. C’est dans son lien avec son Père qu’est sa vie. C’est par un don du Père que vient toute vie. Au désert, Israël avait reçu la manne pour apprendre que l’homme ne vit pas seulement de pain mais de tout ce qui sort de la bouche de Dieu. Jésus manifeste que sa nourriture est de faire la volonté du Père, que sa vie est dans l’obéissance. Il nous montre ainsi le chemin. Comme le dit la Règle de Saint Benoît, nous sommes des fils qui retournent par le labeur de l’obéissance à celui dont nous nous étions éloigné par la lâcheté de la désobéissance. La vraie nourriture est celle de l’écoute qui nous révèle que nous ne sommes pas le centre de tout et nous délivre de la convoitise. Ouvrons nous à l’écoute de Dieu, l’écoute de sa parole et l’écoute de nos frères.
« Si tu es fils de Dieu, jette toi en bas »
Jésus, comme Fils, nous enseigne à imiter le Père qui fait lever le soleil sur les bons et sur les méchants et tomber la pluie sur les justes et les injustes. Nous ne pouvons le faire, comme lui, que par la miséricorde et l’humilité. Le Seigneur s’abandonne au Père qui le tient dans sa main tout au long de sa vie pour donner la vie nouvelle, la vie éternelle à l’homme par le don de lui-même. C’est ce qu’explique la lettre aux hébreux : « Tout Fils qu’il était, il apprit, de ce qu’il souffrit l’obéissance. Après avoir été rendu parfait, il est devenu pour tous ceux qui lui obéissent principe de salut éternel ». Jésus manifeste qu’il est le Fils Unique en refusant une toute puissance illusoire. Comme il le dit aux apôtres en leur apparaissant une dernière fois après sa résurrection, il recevra du Père tout pouvoir au ciel et sur la terre mais ce sera après avoir gouté de la mort pour nous. Son royaume n’est pas de ce monde et il n’y a en lui rien de commun avec cette fausse autorité proposée par celui qui divise. Apprenons du Sauveur à être doux et humbles de cœur, non pas exactement comme lui, mais en assimilant son exemple pour le faire notre et pour en vivre.

Chers Frères et Sœurs,
Dans le combat du Christ au désert, nous recevons comme un sacrement c’est à dire un signe efficace pour avancer dans le désert. Mettons nous à son école pendant ce temps de carême pour rendre en nous plus vivante la grâce de notre baptême, celle des fils, dans l’écoute, l’humilité et la miséricorde

 


Mercredi des Cendres, homélie du Père abbaé Vladimir

Chers Frères et Sœurs,

Il y a trois colonnes qui soutiennent le monde, l’aumône, la prière et le jeune. C’est ce que nous venons d’entendre réaffirmer par le Sauveur dans l’Évangile. Lui qui vient non pas abolir mais accomplir reprend ce qui est déjà dans la tradition juive, la loi, les prophètes et les psaumes. C’est d’ailleurs ce que proposent avec des nuances toutes les traditions religieuses et en elles nous pouvons nous rencontrer, collaborer entrer en communion.
Mais Celui qui fait toutes choses nouvelles, nous fait aussi le don de ces fondements de notre vie de manière nouvelle : « Ne soyez pas comme les hypocrites qui cherchent à se faire remarquer. Ton Père est là dans le secret ». L’aumône, la prière et le jeune sont comme un don pour nous relier au Père, la manifestation d’un amour qui ne vient pas de nous mais qui donne sens à tout. Laissons nous réconcilier avec Dieu, gratuitement pour soutenir le monde.
Recevons l’Écriture comme un don où nous rencontrons le Christ vivant, un don d’où jaillit la prière. Recevons le jeune comme un don pour manifester que nous sommes tous sous la miséricorde, et que pécheurs nous sommes sauvés par Celui qui n’a pas connu le péché et a pourtant été identifié à lui pour que nous devenions justes de la justice même de Dieu. Le jeune devient ainsi un merveilleux instrument de communion qui nous fait accueillir les autres et le monde tels qu’ils sont dans leur fragilité avec action de grâce et respect. Recevons les autres comme un don, une invitation à ouvrir notre cœur, une bénédiction non une menace. L’aumône, c’est comme une dette que nous remboursons. C’est comme le dit le Pape François se mettre dans les souliers des autres et regarder une misère que j’ai aussi en moi.

Voici le temps favorable comme le dit la liturgie pour ouvrir notre cœur aux dimensions du monde.

 


8ème dimanche ordinaire A, homélie de frère Marie


Is 49, 14-15 ; Ps 62, 2-3.8.9 ; 1 Co 4, 1-5 ; Mt 6, 24-34


De notre évangile de ce jour je retiendrai ce verset comme base de notre méditation :
« Cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice »Mt 6, 33
Ce sur quoi nous interpelle Jésus en cet évangile, c’est bien sur cette notion de primauté, de ce qui vient d’abord et qui donne sens et finalité à notre vie. Pour signifier cela que nous dit-il ? Vous ne pouvez servir deux maîtres, vous ne pouvez servir Dieu et l’Argent. Ou bien on haïra l’un et aimera l’autre, ou bien on s’attachera à l’un et on méprisera l’autre.
L’idée biblique de service renvoie à une appartenance, à une disponibilité totale envers celui que l’on sert. Appartenir c’est être attaché à quelqu’un, et aimer, dans le sens biblique, avant d’être une affaire de sentiment est une mise à disposition totale dans le service de l’autre, une attention qui nous engage. De même la notion de haïr, ne signifie pas d’abord une réaction passionnelle, mais signifie premièrement l’idée de se détacher, de devenir indifférent à l’égard de quelqu’un. Donc ne plus l’aimer , ne plus s’en occuper ; haïr c’est dénier l’existence de l’autre, on le rejette hors de notre horizon de vie.
On comprend mieux ainsi le choix que Jésus pointe quand il nous dit, vous ne pouvez aimer deux maîtres.
Ce que nous dit encore Jésus, c’est que pour choisir et s’engager il faut sortir de la confusion, et pour cela il faut en premier lieu prendre, ou reprendre, conscience du don merveilleux qui nous est fait : le don de la vie et le don de la création qui nous entoure, le don aussi que nous sommes, ou que nous devrions être, les uns pour les autres. Il se trouve d’ailleurs que bien souvent cette prise de conscience passe par des confrontations à nos fragilités ou à nos impuissances. Une prise de conscience qui, de façon parfois obscure nous fait aspirer à Dieu, dans l’espérance d’un secours et d’une libération comme cette parole du Psaume : « Je n’ai de repos qu’en Dieu seul car mon salut vient de lui. Lui seul est le rocher qui me rendra inébranlable » Ps 62

Il nous faut sortir de la confusion entre la fin et le moyen ; l’évangile remet clairement les choses à l’endroit, l’argent est un moyen et non une fin en soi. Dieu est notre fin, la vie qu’il nous donne est le véritable chemin de notre bonheur. L’argent, comme tout ce que nous pouvons posséder, est un moyen pour servir la vie et non pour l’asservir.
Si l’argent, comme le bien-être matériel, devient une fin en soi, il devient une idole redoutable aux pieds de qui on immole, et les créatures, et la création. Car les créatures et la création deviennent des moyens pour servir la convoitise de l’argent et du pouvoir. D’aucuns nous diront qu’à travers cela nous fuyons l’angoisse de la mort, mais la réalité c’est que nous sommes par nous-mêmes bien impuissants à l’enrayer et on use de bien des substrats pour nous anesthésier.
Par ce genre de soucis, nous dit Jésus, nous n’ajouterons pas une longueur à notre vie. Les publicités et les propositions alléchantes de tous bords, comme bien d’autres choses, nous chantent cela à longueur de jour, santé, insouciance, bonheur : « Confiez vos placements à tel ou tel banquier et vous vivrez tranquille et heureux », le tout illustré d’une poignée de main et d’un sourire béat et confiant. Un philosophe répondait avec humour et justesse lors d’un débat sur cette science montante du transhumanisme : « Admettons que la technologie supprime l’angoisse de mourir, restera l’angoisse de tomber en panne ».
Le paradoxe c’est que dans tout cela la vie, ou l’engagement envers la vie devient gênant, contraignant, et donc on en vient à un bonheur égoïste, individuel, qui finalement rejoint la notion de haine, on exclue ce qui nous demande trop de nous-mêmes pour le bien d’autrui. Et pourtant c’est par autrui que notre vie se révèle et prend du sens.
Il y a vraiment un hiatus entre une vision d’un bonheur matériel et éphémère et un bonheur qui puise sa richesse dans la présence et la promesse du Christ, mort et ressuscité pour nous et qui achemine notre humanité vers sa plénitude. « Je suis venu non pour être servi, mais pour servir, nous dit-il…et il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis ». Voici l’engagement du Christ envers l’humanité, envers son Père des Cieux et envers nous. Nous transmettre la vie pour laquelle nous sommes faits.
Cependant à l’écoute de notre évangile, ne nous y trompons pas, Jésus ne nous demande pas de vivre comme l’oiseau sur la branche, ou d’amour et d’eau fraîche. Les paroles de Jésus ne nous enseignent ni une confiance passive, ni le mépris des besoins du corps, ni un optimisme insouciant, mais il nous oriente vers l’essentiel, découvrir les trésors cachés de notre humanité, telle qu’elle est voulue et désirée par Dieu, une humanité qui trouve son origine et sa plénitude dans le don. La merveille des merveilles que l’homme doit à Dieu seul, c’est la vie.
Rechercher le royaume de Dieu et sa justice, c’est nous porter, tendre sans cesse, vers ce que le Christ nous a révélé de la beauté et de la profonde dignité de notre humaine condition, car nous sommes inscrits dans le cœur et les entrailles de Dieu, le Christ nous y a inscrits à jamais.
Notre justice est vraiment de nous servir les uns les autres, par tous les dons et les moyens que Dieu nous a procurés, notre justice est de nous aimer les uns les autres, par l’amour du Christ que l’Esprit Saint répand en nos cœurs, et qui nous enseigne à bien user de la création comme moyen de manifester et œuvrer à la manifestation du Royaume de Dieu, semé ici-bas et pleinement achevé avec le Christ, dans le partage de sa gloire, avec notre Père dans les Cieux.

 

 


6ème Dimanche du temps ordinaire A, homélie de frère Bartomeu


1 Corinthiens 2,6-10

 

Chers frères et sœurs, dans la célébration de l’eucharistie nous prêtons une attention spéciale à la lecture de l’Évangile, laquelle, bien sûr, a la plus grande importance. Cependant, la lecture des lettres de l’apôtre Paul est aussi très importante et nous devons l’écouter avec beaucoup d’attention. Depuis cinq dimanches, et encore jusqu’au commencement du carême, nous entendons la lecture de sa première lettre aux Corinthiens, en laquelle nous avons un enseignement très important sur notre vie de chrétiens.
Il y a deux dimanches, nous avons entendu : « regardez bien : parmi vous, il n’y a pas beaucoup de sages aux yeux des hommes, ni de gens puis-sants ou de haute naissance. Au contraire, ce qu’il y a de fou dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi, pour couvrir de confusion les sages. » Et il con-cluait : « C’est grâce à Dieu que vous êtes dans le Christ Jésus, lui qui est devenu pour nous sagesse venant de Dieu, justice, sanctification, rédemp-tion » (1 Corinthiens 1,26-31).
Et pour nous faire comprendre comment le Christ Jésus est cette sa-gesse venant de Dieu, dimanche dernier il disait : « je n’ai rien voulu con-naître d’autre que Jésus Christ, ce Messie crucifié », « pour que votre foi re-pose, non pas sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu » (1 Corinthiens 2,1-5). Voilà ce qui donnera sens à toute notre vie, quand elle pourra apparaitre comme une folie aux yeux des hommes.
Et tout à l’heure nous avons entendu que « la sagesse du mystère de Dieu », qui guide et soutient notre vie de chrétiens, sagesse de laquelle Dieu, par l’Esprit, nous a fait la révélation, est, « comme dit l’Écriture : ce que l’œil n’a pas vu, ce que l’oreille n’a pas entendu, ce qui n’est pas venu à l’esprit de l’homme, ce que Dieu a préparé pour ceux dont il est aimé. » Voici la sagesse de ceux qui ne veulent rien connaître d’autre que Jésus Christ crucifie.
Dans la lettre de l’Église de Smyrne sur le martyre de son évêque saint Polycarpe, mort brûlé vif vers 155, nous trouvons ces paroles appliquées aux martyrs : « Bienheureux tous ces martyrs… Attentifs à la grâce de Dieu, ils méprisaient les tortures de ce monde… et des yeux de leur cœur ils regar-daient les biens réservés à la patience, biens que l’oreille n’a pas entendus, que l’œil n’a pas vus, auxquels le cœur de l’homme n’a pas songé, mais que le Seigneur leur a montrés, à eux qui n’étaient plus des hommes, mais déjà des anges » (Lettre de l’Église de Smyrne : martyre de saint Polycarpe II, 3).
Pourtant ces biens ne sont pas réservés exclusivement aux martyrs mais à nous tous, comme nous le dit saint Benoît lorsque, dans sa Règle des moines, après avoir proposé les instruments de l’art spirituel, il conclut : « Si, jour et nuit, sans relâche, nous nous en servons, quand, au jour du juge-ment, nous les remettrons, le Seigneur nous donnera la récompense qu’il a promise lui-même : Ce que l’œil n’a pas vu, ce que l’oreille n’a pas entendu, ce que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment » (Règle de saint Benoît 4,75-77).
Il nous faut donc, comme l’apôtre, « ne rien vouloir connaître d’autre que Jésus Christ, ce Messie crucifié ». Il faut que rien ne détourne de lui notre regard, que rien ne nous décourage, comme le disait un des Pères du désert des premiers temps du monachisme : « Celui qui cherche le Christ Seigneur garde sans cesse les yeux fixés sur la croix et passe par-dessus les scandales qu’il rencontre, jusqu’à ce qu’il parvienne au Crucifié » (Sentences de Pères du désert VII 35).

 


3éme dimanche A, homélie de frère Marie

Un écrivain a sorti il y a quelque temps un livre reprenant le titre : Le guide des égarés. Une méditation sur la longue quête humaine à travers les âges, de la pensée sur le sens de notre existence.

« Je suis là, j’existe – Nous sommes là, nous existons….c’est un étonnement, une stupeur, mais c’est comme ça. »[1] Nous participons tous à cette évidence qu’est la vie. Cette vie fragile, cette vie belle ou confuse, avec ses heurs et malheurs, avec ses lumières et ses ombres. Cette vie avec son bien et son mal, ses espoirs et ses désespérances. Cette vie à laquelle nous tenons tous et qui reste cependant un mystère, cette vie qui souvent semble nous échapper entre les doigts comme du sable, tout comme d’ailleurs la course de cet univers immense dont nous faisons partie. Si nous rejoignons la réflexion de notre penseur, qui reprend le titre d’un philosophe juif du moyen-âge[2] ; nous sommes des égarés, ou du moins c’est l’impression qui nous habite quand nous essayons de déchiffrer tout ce qui agite l’humanité dans le monde qui nous entoure.

Les égarés ont besoin de sens et de lumière.

C’est ainsi que commence l’évangile de ce jour : sur les égarés que nous sommes une lumière s’est levée, une lumière a resplendi qui a prodigué la joie. Une lumière qui a jeté ses premiers rayons sur le peuple d’Israël, mais sans dévoiler tout son mystère, et maintenant lumière révélé aux nations, à l’humanité entière.

Celle lumière confère à notre vie un don précieux qui se nomme l’espérance. Car autant notre vie et notre monde demeure en soi comme un mystère qui passe, autant le mystère de Dieu ne passe pas.

Ce mystère qui ne passe pas Jésus le nomme royaume des Cieux, un autre monde qui cependant s’approche et s’installe en ce monde. L’évangéliste St Jean jouera beaucoup sur ces mots, Jésus dit : « Père saint, désormais je ne suis plus dans le monde, eux, mes disciples restent dans le monde, tandis que moi je vais à toi…ils ont reçu ta parole, ils sont à toi, ils ne sont plus du monde mais je ne te demande pas de les ôter du monde, mais de les garder du Mauvais ». Mieux encore : « Comme tu m’as envoyé, je les envoie dans le monde, afin qu’ils soient un comme nous sommes un »[3].

Et pourtant ce royaume Jésus l’instaure en passant. Nous pouvons être frappé par la dynamique de notre évangile, Jésus passe le long de la mer, tout semble aller vite, il passe, il voit Simon et André, il les appelle, ils le suivent. Il continue sa route, il passe près de Jacques et Jean, il les regarde, il les appelle, ils le suivent.

Oui, Jésus passe dans nos vies comme une lumière qui emporte tout.

Le feu de l’espérance qu’il allume dans le cœur de Simon, André, jacques et Jean, est le même feu qu’il allume dans nos cœurs, un feu qui nous fait changer de statut, nous ne sommes plus des égarés mais des pèlerins, des migrants. Il est vrai qu’en cette ‘migrance’ nous sommes souvent pris de la dance de St Guy[4]. Il faut toute la patience et la miséricorde du Christ pour nous tirer et nous relever, et les incessants gémissements de l’Esprit Saint pour nous pousser, et parfois il faut le dire, un peu malgré nous.

Jésus passe en ce monde, il est venue lumière dans d’en haut, dans le mystère de la naissance, dans le mystère de la chair, et il ressort dans le passage de la Pâque, dans la lumière de l’Esprit.

Mais Jésus ne passe pas comme le monde passe, ou comme nos vies semblent passer, non, Jésus demeure en nos vies, en nous faisant passer avec lui. Là se trouve toute la dynamique de ce royaume des Cieux auquel nous participons en tant qu’acteurs, et qui nous fait passer de la mort à la vie.

Comme le dit si bien, la 4ème prière eucharistique : « notre vie n’est plus à nous-mêmes, mais à celui qui est mort et ressuscité pour nous ». C’est lui le gage de notre vie, le gage de ce mystère qui nous habite et qui fait que nous ne sommes plus des égarés, mais des porte-parole en ce monde.

En recevant la parole d’Evangile, comme parole de vie, non seulement nous ne sommes plus des égarés, mais nous devenons à la suite des apôtres, pêcheurs d’hommes.

Pêcheurs d’hommes, en gardant présente à nos vies la vivante espérance qui nous habite et nous anime, cette vivante espérance de la folie de l’amour de Dieu qui se manifeste à nous en son Fils, qui sera lui-même pour toujours notre seul point d’unité.

Oui, Jésus passe, il nous regarde, il nous appelle, il nous met en route avec lui afin que nos vies ne soient pas stériles, que nous portions des fruits en abondance dont il est lui la vivante sève. Des fruits d’amour, de paix et d’unité, au cœur des fractures de notre humanité, de notre monde.


[1] Jean D’Ormesson, Le guide des égarés

[2] Maïmonide

[3] Jn 17

[4] Deux pas en avant, un pas en arrière

 


Fête du Baptême du Seigneur, homélie de frère Bartomeu

 

Isaïe 42, 1-4.6-7 — Actes 10, 34-38 — Matthieu 3, 13-17

Chers frères et sœurs, la fête d’aujourd’hui est comme l’aboutissement de la fête de Noël et de celle de l’Épiphanie, même s’il y en aura encore une der-nière, non moins importante : la Présentation du Seigneur au Temple, le 2 février.
Aujourd’hui ce ne sont plus les anges qui annoncent aux bergers la bonne nouvelle qu’un Sauveur nous est né, qui est le Christ, le Seigneur (Luc 2,9-11). Ce n’est plus une étoile qui guide les mages venus d’Orient jusqu’à Bethléem se prosterner devant le roi des Juifs qui vient de naître (Matthieu 2,1-11). C’est l’Esprit de Dieu qui descend comme une colombe et vient sur lui, et des cieux une voix dit : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui je trouve ma joie. »
Ces paroles sont un écho de celles du prophète Isaïe que nous avons entendues dans la première lecture : « Voici mon serviteur que je soutiens, mon élu qui a toute ma faveur. » Ce que nous confirme un autre passage de l’évangile selon saint Matthieu, où l’évangéliste nous dit : « Ainsi devait s’accomplir la parole prononcée par le prophète Isaïe : Voici mon serviteur que j’ai choisi, mon bien-aimé en qui je trouve mon bonheur » (Matthieu 12,17-18).
Les expressions « …en qui je trouve ma joie », « …qui a toute ma fa-veur », « …en qui je trouve mon bonheur », dans ces différents textes, tradui-sent en fait toutes la même idée, veulent exprimer les sentiments du Père pour son Fils bien-aimé et nous manifestent ainsi qui est celui qui est « venu de Galilée jusqu’au Jourdain auprès de Jean, pour être baptisé par lui », « Jésus de Nazareth, à qui Dieu a donné l’onction d’Esprit Saint et de puis-sance » – comme nous avons entendu Pierre le dire à Césarée.
Or le baptême de Jésus par Jean annonçait le baptême de celui qui al-lait baptiser « dans l’Esprit Saint et le feu ». « Moi – disait Jean –, je vous bap-tise dans l’eau, en vue de la conversion. Mais celui qui vient derrière moi est plus fort que moi, et je ne suis pas digne de lui retirer ses sandales. Lui vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu » (Matthieu 3,11).
Et un jour Jésus dira : « Je suis venu apporter un feu sur la terre, et comme je voudrais qu’il soit déjà allumé ! Je dois recevoir un baptême, et quelle angoisse est la mienne jusqu’à ce qu’il soit accompli ! » (Luc 12,49-50). C’est que le baptême de Jésus dans le Jourdain était un sacrement qui an-nonçait sa mort et sa résurrection et qui en même temps préfigurait notre propre baptême en son nom (cf. Actes 2,38 ; 8,12.16 ; 10,48 ; 19,5 ; 22,16), car c’est aussi de nous qu’il s’agit lorsque Jésus est baptisé par Jean dans le Jourdain et que la voix du Père dit : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui je trouve ma joie. »
La prière au commencement de cette liturgie résumait ce que nous cé-lébrons aujourd’hui en disant : « Dieu éternel et tout-puissant, quand le Christ fut baptisé dans le Jourdain, et que l’Esprit Saint reposa sur lui, tu l’as désigné comme ton Fils bien-aimé ». Et – en passant alors de lui à nous – la prière demandait : « accorde à tes fils adoptifs, nés de l’eau et de l’Esprit, de se garder toujours dans ta sainte volonté. » Nés de l’eau et de l’Esprit, nous sommes devenus fils adoptifs avec celui qui est le Fils bien-aimé et nous sommes les « hommes qu’il aime », comme le chantaient les anges (Luc 2,14). Et c’est en notre condition de fils adoptifs nous demandons qu’il nous garde toujours dans sa sainte volonté, afin qu’en nous aussi il trouve sa joie, avec celui qui est son Fils bien-aimé.


Fête de l'Epiphanie, homélie du père abbé Vladimir

Chers Frères et Sœurs,

Voici que nous nous mettons en route avec les mages à la recherche de Celui qu’ils appellent le roi des juifs, que les grands prêtres et les scribes appellent le Christ ou Messie et qui est enfant dans une pauvre maison de Bethléem. Ce cheminement que nous faisons à leur suite, guidés par l’étoile est une marche dans la foi et une conversion. « Nous avons vu son étoile à l’orient et nous sommes venus nous prosterner devant lui ». Se prosterner, ce mot revient comme une antienne qui rythme ce récit, dans le désir des mages, dans la fausse promesse de ce tyran menteur et sanguinaire qu’est Hérode et dans la réalisation de la promesse dans la maison à Bethléem. Se prosterner. Dans l’épisode de la tentation au désert, un peu plus loin dans l’Évangile de Mathieu, Jésus s’opposera au diable en disant que cet acte est réservé pour Dieu seul. Nous aussi, comme le dit la collecte de cette messe, par la foi nous sommes amenés à reconnaître cet enfant comme la lumière pour toutes les nations, comme l’accomplissement de toutes les promesses et de toutes les attentes, comme le Fils Unique du Père éternel, lumière né de la lumière, vrai Dieu né du vrai Dieu. Nous le reconnaissons dans l’obscurité en attendant d’être conduits à la claire vision de sa splendeur qu’on ne perçoit maintenant que par l’amour. Prosternons nous devant lui.

« Nous avons vu son étoile à l’orient et nous sommes venus nous prosterner devant lui ». Si cette étoile peut évoquer la prophétie de Balaam où ce que dit Jésus de lui-même dans l’Apocalypse : « Je suis le rejeton de David, l’étoile radieuse du matin », elle évoque aussi la naissance des grands personnages dans beaucoup de récits de l’antiquité. Ici, il n’y a pas de grands personnages hormis peut-être Hérode, tyran trompeur et menteur. C’est par le chemin de l’humilité que les mages devront passer pour reconnaître le roi des juifs dans cet humble enfant qui ne manifeste aucun des signes de la puissance et de la royauté.
Nous aussi, par la foi, en adhérant au seul Verbe devenu petit enfant, nous le reconnaissons le Roi des Juifs, le Messie, le Dieu fait homme qu’il soit dans l’humilité de la crèche ou sur l’ignominie du bois de la Croix. Hérode ne l’a pas reconnu car il ne peut le voir que comme un rival et est trop jaloux de son pouvoir. Les soldats ne l’ont pas reconnu eux qui se moquaient de lui en crachant et en frappant disant : « Salut, roi des Juifs ». Les passants ne l’ont pas reconnu eux qui passaient en l’insultant voyant le panneau où était écrit en vérité le motif de sa condamnation et de notre salut : « Celui-ci est Jésus, le roi des Juifs ».
Avec toute l’humilité et la douceur possible prosternons nous devant lui et devant ceux qui lui ressemblent, qui sont comme lui sans défense, rejetés, méprisés.
Nous qui, comme les mages, avons accédé à la foi, faisons comme eux et prenons avec eux un autre chemin. Il y a le chemin d’Hérode, des scribes et des grands prêtres, celui de la violence, du pouvoir et de la domination, celui de tous les royaumes du monde et de leur splendeur dont le diable dira au Sauveur lors de la tentation qu’ils lui appartiennent. Il y a l’autre chemin, celui des mages qui est aussi celui de cet enfant sans défense qui fait se faire étranger pour fuir Hérode, celui du service et du don, celui de l’humble confiance.

Parfois, nous voudrions tant qu’il y ait un autre chemin ou un mélange des deux, un peu de violence et un peu de don ; un peu de splendeur et un peu d’humilité. Mais il nous faut choisir. Alors demandons aux mages de nous conduire sur leur chemin qui est celui de la vraie sagesse et de la vraie connaissance.

 


Pour l'entrée au noviciat de frère François, homélie de Père abbé Vladimir

Cher Francis,

Lorsque le moine ouvre le psautier, ce livre qui par sa méditation dans la liturgie des heures structure notre vie, il lit à la première ligne cette promesse qui est comme une invitation:

« Heureux est l’homme [1]»

« Ô Bonheur de l’homme » dirait une traduction plus littérale en pensant que la racine hébraïque de ce mot évoque les sentiments de celui qui marche droit vers un but.

Alors que nous terminons ce soir la lecture du prologue de la Règle de Saint Benoît, son premier mot : « Écoute [2]» résonne en nous en faisant retentir la même invitation. « Heureux l’homme qui se plait dans la loi du Seigneur et murmure sa loi jour et nuit » nous dit le psaume que semble commenter le prologue de la Règle nous invitant à répondre chaque jour par nos œuvres aux saintes leçons du Seigneur[3], à avancer sur ses chemins sous la conduite de l’Évangile[4].

« Ô bonheur de l’homme »

Saint Bernard qui commente plusieurs fois le psaume un le fait en utilisant un autre psaume que cite aussi le prologue : « Le premier verset de ce psaume revient à dire : ‘Détourne toi du mal’ et le deuxième : ‘Fais le bien’. Mais cette voie ne requiert pas de l’homme une suite de pas, elle requiert de l’esprit un élan d’amour[5].

Cher Francis,

C’est avec cet élan d’amour, à la suite du Christ qui est venu comme un petit enfant pour conduire toutes les nations à la justice, que tu es invité à entrer dans cette école où l’on sert le Seigneur[6] qu’établit la Règle. Saint Benoît t’assure que le cœur s’y dilate et que l’on y court dans la voie des commandements de Dieu avec la douceur ineffable de l’amour[7]. Cette école, il faut la comprendre comme la communauté des apôtres et des premiers disciples du Christ qui nait de son appel. C’est la voix de l’Esprit qui le fait retentir dans nos cœurs conformément à la parole de l’Évangile : « Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis . . . pour que vous portiez du fruit et que votre fruit demeure[8] ». Ce service dont parle la règle, il s’étend à toute notre vie. Bien sûr la liturgie est le service que les moines ont voué[9] mais l’on sert aussi par l’obéissance, par tous les travaux au service de nos frères, spécialement les plus faibles. Et ce service s’étend jusqu’aux hôtes et à tous ceux qui se présentent au monastère. C’est le même élan d’amour qui nous pousse vers le Christ tout autant que vers les frères et au moins par notre prière jusqu’aux extrémités du monde que représentent en ce jour les mages venus adorer le Christ. « Les Frères se serviront mutuellement[10] » nous dit la règle en parlant de la cuisine et du réfectoire. Tous nos repas où nous nous servons mutuellement dans la charité sont à cause de cela des images du banquet céleste où le maître lui même se mettra à servir comme il est dit dans l’Écriture : « Heureux ces serviteurs que le maître à son retour trouvera en train de veiller. En vérité, il prendra la tenue de service, les fera mettre à table et passera pour les servir[11] ». Oui, heureux sommes-nous.

« Le seigneur connaît le chemin des justes[12] » nous dit le psaume et le prologue lui répond en parlant de la voie du salut[13]. Notre Seigneur lui même nous dit qu’il est resserré ce chemin qui mène à la vie[14]. Il est resserré pour nous apprendre l’humilité qui nous rend semblable aux enfants dont parle l’Évangile pour qui la porte est toujours assez large. Il est resserré pour qui cherche à le parcourir par ses propres forces et non par l’amour qui est un don de l’Esprit et qui crée toujours plus d’espace. Il est resserré si nous le parcourons replié sur nous même alors qu’il devient large à la mesure de l’aide et de la communion que nous nous donnons les uns aux autres. Unis les uns aux autres, supplions le Seigneur pour qu’il nous conduise tous ensemble à la vie éternelle. Si du moins, c’est sur cette voie que tu veux t’engager.


[1] Ps 1, 1.

[2] RB, Prologue 1.

[3] RB Prologue 25.

[4] RB prologue 21.

[5] St Bernard, Sermons Divers 72, 4.

[6] RB Prologue 45.

[7] RB Prologue 49.

[8] Jean 15, 16.

[9] RB 18, 24.

[10] RB 35, 1.

[11] Luc 12, 37.

[12] Ps 1, 6.

[13] Prologue 48.

[14] Mt 7, 14.


Noël messe du jour, homélie du père abbé Vladimir

Chers frères et Sœurs,

« En ces jours où nous sommes, Dieu nous a parlé par son Fils qu’il a établi héritier de toutes choses et par qui il a créé les mondes ».
À bien des reprises, Dieu a parlé par les prophètes. Il a parlé par Moïse donnant la loi sur le Mont Sinaï, il a parlé par Jérémie appelant à la conversion, il a parlé par le prophète Isaïe annonçant la venue du Messie.
Aujourd’hui, dans un présent qui n’aura pas de fin, Il nous parle par son Fils, expression parfaite de son être, lui qui porte l’Univers par sa parole puissante.
Le verbe s’est fait chair, il a habité parmi nous. Mystère admirable, ce Verbe s’est abrégé. Il s’est fait enfant sans parole en se soumettant aux lois de la nature humaine. Ce n’est pas quelque chose d’accidentel mais l’incarnation nous révèle au delà des mots quelque chose de la nature profonde de Dieu, de sa manière de se communiquer aux hommes.
Déjà dans le judaïsme, on dit que Dieu dans son humilité, en créant le monde, d’une certaine manière, se retire pour laisser l’homme libre. Mais l’humilité de Dieu se manifeste de manière éclatante lorsqu’il vient parmi nous, lui la Parole, comme bébé vagissant. C’est ce que dit la lettre aux Philippiens en chantant que Dieu s’est anéanti prenant la condition d’esclave. Tout autant que sur la croix, la gloire de Dieu resplendit dans l’humilité par cet enfant livré à la main des hommes. C’est le même mystère qui resplendit dans toute la vie du Christ, qui nous donne la vie et qui nous fait renaître avec cet enfant. Contemplons cet enfant, Dieu qui n’est plus caché mais accessible dans la chair afin qu’il nous guérisse de l’orgueil et de la suffisance.

Chers Frères et Sœurs,
Autant dire qu’aux yeux du monde cela ne compte pas. Cette vérité n’est pas de celles qu’il reçoit lui qui aime compter et les recettes et les bénéfices et les forces en présence et le fracas des armes avec lesquelles il pense se rassurer alors que le prophète Isaïe nous a dit en cette nuit qu’elles sont destinées au feu. Une vérité sans parole, un enfant qui n’a pas de place si cela exprime pleinement la sagesse de Dieu n’est que folie aux yeux des sages de ce monde.
Laissons-nous conduire et instruire par cette sagesse. La grâce et la vérité nous sont venues par Jésus Christ. Modelons notre manière d’être les uns avec les autres sur cet enfant.
St Benoit parlant de l’humilité nous dit qu’elle est une échelle conduisant au ciel où l’on monte en descendant, la clef de la porte du Royaume. En ce jour dans l’humilité de la crèche, contemplons celui qui nous l’enseigne en vérité du commencement à la fin.


Nuit de Noël, homélie du père abbé Vladimir

 

Chers Frères et Sœurs,

En cette nuit bénie « tout est devenu ciel ». Ou plus exactement le Ciel s’est uni à la terre, le mur de séparation est détruit, l’univers est transfiguré et le Royaume est commencé. Comme le chante les psaumes, le ciel se réjouit est la terre est dans l’allégresse.
La liturgie nous fait chanter que la grotte est devenue le ciel. La grotte, la crèche, la mangeoire est devenue le Ciel puisqu’elle reçoit celui qui étant Dieu s’est fait faible et sans défense en prenant chair de la Vierge Marie.
De Marie, en cette nuit, nous disons aussi avec St Jean Damascène qu’elle est un ciel vivant. Lorsqu’arriva le temps où elle devait enfanter, elle mit au monde et coucha dans une mangeoire son fils premier né, le Sauveur, le Messie, le Seigneur que les anges adorent dans les cieux. Nous aussi nous sommes invités par la grâce de cette fête à renaître, à devenir des ciels vivants en nous ouvrant à l’action de grâce pour glorifier Dieu qui s’est donné pour nous afin de nous racheter et de faire de nous son peuple. Non, nous ne célébrons pas un événement du passé mais ce renouveau, cette révolution que Dieu ne cesse jamais d’apporter en ce monde depuis qu’il s’est fait homme.
Tout est devenu ciel et nous sommes invités à prendre soin de cet enfant qui nous est donné en prenant soin de tous les hommes qui, à cause de lui, sont devenus en vérité nos frères et du monde qui nous est confié puisqu’il l’a fait sien.
En cette nuit, nous sommes invités à vivre ce mystère dans la simplicité et la pauvreté. Dieu, de riche qu’il était s’est fait pauvre pour nous enrichir de sa pauvreté. Nous sommes invités à construire la paix mais cette paix que Dieu donne. Elle a la fragilité de cet enfant qu’avec Joseph, Marie et les bergers, nous tenons presque dans nos mains. Nous le portons dans nos prières comme un oreiller où il puisse reposer.
Et s’il faut parler de notre identité comme chrétien, c’est de l’accueil de cet enfant, Verbe livré aux mains des hommes qui bientôt sera pourchassé par Hérode que nous la recevons. Accueillons cet enfant, accueillons ces enfants refusés, maltraités, réfugiés qui dorment au coin des rues jusque dans nos pays car aujourd’hui comme hier, il n’y a pas de place pour eux. Accueillons dans notre prière ceux qui ne sont même pas nés. Laissons nous humaniser par le Dieu enfant que les bergers en cette nuit reconnaissent, emmailloté et couché dans une mangeoire comme le Messie qu’ils attendaient.
Tout est devenu ciel, un royaume que pourtant nous avons encore à construire en tissant entre nous des liens renouvelés fraternels, chargés d’amitié et d’affection.
Le Christ, Dieu fait chair ne veut pas que nous soyons ses serviteurs mais ses amis, mais ses frères. Employons-nous de toutes nos forces à vivre cette nouvelle manière d’être entre nous. Cela sera beaucoup plus efficace pour le salut de ce monde pour qui le Verbe a donné sa vie que bien des discours apparemment porteurs de vérité mais en fait de condamnation.
Oui la grâce de Dieu s’est manifestée pour le salut de tous les hommes.

 


3ème dimanche de l’Avent – A, homélie de frère Marie

 

Is 35, 1-6.10 ; Ps 146, 7-10 ; Jc 5, 7-10 ; Mt 11, 2-11

 

La joie à laquelle nous sommes invités en ce 3ème dimanche de l’Avent, est la joie d’une rencontre, la joie d’une venue. « Ne craignez pas voici votre Dieu,…il vient lui-même et va vous sauver » . Le prophète annonce les signes de cette venue, et Jésus les réalise en réponse à la demande de Jean le Baptiste : « Devons-nous en attendre un autre ? » .
La venue de Dieu a pour effet la vue, « les aveugles voient », c’est-à-dire la transformation de notre regard sur le monde qui nous entoure, la transformation de notre regard sur la valeur de la vie et de l’humain. Dieu nous fait voir par son propre regard : « Dieu regarda et cela est bon », petit refrain de la Genèse. Qui dit transformation de notre regard, dit transformation de notre cœur, de notre intelligence et de nos intentions : « Heureux les cœurs purs, ils verront Dieu » .
Cette venue de Dieu a encore pour effet la transformation de notre écoute, « les sourds entendent ». L’écoute d’une parole qui nous enseigne les chemins de la vie, une parole qui nous enseigne « ce que l’œil n’a pas vu, ce que l’oreille n’a pas entendu, et ce qui n’est pas monté au cœur de l’homme » . Une parole que Dieu a préparée pour ceux qui l’aiment. Ecoute d’une parole qui nous entraine sur les chemins de la vie en faisant corps avec nous. Comme le dit si bien st Irénée, une parole, qui pleine de l’Esprit de Dieu, nous ‘plasme’, nous modèle, nous crée, en nous rejoignant dans les moindre fibres de notre humanité, dans nos questionnements, nos désirs, nos rêves, nos joies et nos peines.
Sur la montagne de la transfiguration la voix du Père s’est faite entendre : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé écoutez-le » . Dans cette écoute nous devenons des ‘bien-aimés’.
Cette connaissance qui transforme notre regard, notre écoute et notre cœur, rectifie notre marche, nos conduites de vie, elle nous entraine dans les œuvres de justice, de miséricorde et de bienveillance. « Soyez ainsi les fils de votre Père qui est aux cieux ».

Le paradoxe que soulignent nos textes, c’est que cette joie annoncée, cette joie de la rencontre, passe par le désert. Le désert apparaît comme un incontournable, voire une nécessité pour que le Seigneur se manifeste. C’est au désert et à la terre de la soif que le prophète annonce la joie et la fécondité.
« Qu’êtes-vous allés voir au désert, dit Jésus en parlant de Jean le Baptiste,…bien plus qu’un prophète, un messager envoyé en avant de moi pour préparer mes chemins, ma venue » .
Dans le projet monastique le désert fait partie intégrante de la forme de vie et du chemin spirituel. Tout comme pour le peuple de l’exode, ou pour Jean le Baptiste, ou comme Jésus au désert, le désert ouvre à une filiation confiante, libre et aimante. « Je la conduirai au désert et je parlerai à son cœur » nous dit le prophète Osée . Comme nous le dit le lérinnien St Eucher, au désert l’âme devient libre de dialoguer avec son Epoux, le Christ, nouvel Adam. Ce n’est pas réservé aux moines, c’est la marque de toute vie chrétienne authentique. C’est que le désert désigne en fait la séparation de tout ce qui aliène l’homme, ses assurances trompeuses qui lui donnent l’illusion d’exister ; la vanité du pouvoir, du culte de soi, la convoitise incessante de la possession, avec les frustrations que tout cela occasionne, car c’est le lieu de profondes injustices, de violences, d’exclusion et d’aveuglement, illusion d’exister qu’à travers ce que l’on peut maîtriser, posséder. La parole de Dieu, en quelque sorte nous dépossède pour nous faire entrer dans la connaissance de l’amour gratuit et du don, pour ouvrir nos yeux et nos oreilles sur l’existence de l’autre, de cet Autre qui nous habite et qui sans cesse vient à nous avec sa puissance de vie et d’amour, et des autres qui sont nos frères et sœurs en humanité, et dans lesquels nous pouvons nous reconnaître avec tout le mystère qui nous habite et qui est le lieu d’une évangélisation, de la mise en œuvre d’une ‘Bonne Nouvelle’.
Ainsi le plus petit dans le Royaume des cieux est plus grand que Jean le Baptiste, car le Christ transforme notre désert en jardin.
Mais comme nous le dit si bien St Jacques dans sa lettre, les pleins effets en nous de la venue du Seigneur réclament la patience et l’espérance du cultivateur ; aussi ne nous lassons pas de faire le bien. Ayons le cœur ferme, ouvrons nos yeux, nos oreilles, et laissons-nous envahir par une vraie joie, pure, car la venue du Seigneur est proche.
Is 35, 4
Mt 11, 3
Mt 5, 8
1 Co 2, 9
Mc 9, 7
Mt 11, 10
Os 2, 16

 


Solennité du Christ Roi - C, homélie de frère Bartomeu


« Quelle joie quand on m’a dit : « Nous irons à la maison du Seigneur ! » Maintenant notre marche prend fin devant tes portes, Jérusalem ! »
Chers frères et sœurs, en ce dimanche qui précède le commencement du temps de l’Avent dimanche prochain, notre regard est déjà tout tourné vers la venue de Jésus-Christ dans son Royaume. Le psaume a mis sur nos lèvres et dans nos cœurs la joie d’aller à la maison du Seigneur, de nous te-nir devant les portes de Jérusalem. Et pour marquer la continuité de notre marche, nous entendrons à nouveau ce même psaume dimanche prochain.
Nous avons entendu un des malfaiteurs suspendus en croix avec Jé-sus, le bon larron, lui dire : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton Royaume. »
Mais, quel est ce Royaume ? Quelle est cette Jérusalem devant les portes de laquelle notre marche prend fin ?
Jésus, qui avait dit à Pilate : « Ma royauté n’est pas de ce monde» (Jean 18,36), est maintenant suspendu à la croix, et au-dessus de lui il y a une inscription : « Celui-ci est le roi des Juifs. » Et, tandis que « le peuple reste là à observer, les chefs le tournent en dérision et les soldats aussi se moquent de lui, en disant : Si tu es le roi des Juifs, sauve-toi toi-même ! » Et c’est alors que le bon larron lui dit : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton Royaume. »
Dans la lecture de la Lettre aux Colossiens, l’Apôtre nous disait de ce Royaume : « Frères, rendez grâce à Dieu le Père, qui vous a rendus capables d’avoir part à l’héritage des saints, dans la lumière. Nous arrachant au pou-voir des ténèbres, il nous a placés dans le Royaume de son Fils bien-aimé : en lui nous avons la rédemption, le pardon des péchés. »
Et lorsque le malfaiteur lui a dit : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton Royaume », Jésus lui a déclaré : « Amen, je te le dis : aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis. » La croix est devenue ainsi la porte du Royaume devant laquelle sa marche prenait fin.
Le bon larron nous représentait, nous qui sommes aussi malfaiteurs, mais qui en Jésus-Christ nous avons la rédemption, le pardon des péchés. C’est pourquoi déjà ici nous vivons la réalité du Royaume, rendus capables d’avoir part à l’héritage des saints. Dans l’Église nous vivons devant les portes de Jérusalem et par notre vie nous devons contribuer à faire de ce monde les « portes de Jérusalem » pour tous les hommes.
« Quelle joie quand on m’a dit : « Nous irons à la maison du Seigneur ! » Maintenant notre marche prend fin devant tes portes, Jérusalem ! » Disons le psaume avec le bon larron. Il maintiendra vivante en nous l’espérance, puisque l’attente de la venue de Jésus-Christ dans son Royaume nous la vi-vons en sachant qu’à nous aussi il dira : « Amen, je te le dis : aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis. »
« Quelle joie quand on m’a dit : « Nous irons à la maison du Seigneur ! » Maintenant notre marche prend fin devant tes portes, Jérusalem ! »

 

La visitation de Marie à Elisabeth est la figure de toute vraie rencontre.

Mystère de l’hospitalité réciproque la plus complète.

Chacune porte en elle un mystère caché à l’intérieur. Marie la vierge porte le fruit d’un consentement à une parole divine, et Elisabeth la stérile porte en elle le fruit d’une miséricorde.

Marie pleine de la Parole de vie s’élance vers la maison d’Elisabeth, car elle a appris que Dieu lui avait fait miséricorde.

Est-ce que la miséricorde de Dieu ne plane pas sur tous ?

Marie est aussi porteuse de bénédiction, porteuse de la bénédiction de Dieu  incarnée en elle et destinée au monde entier. La bénédiction est venue à la rencontre de l’espérance des pauvres de cœur, de ceux qui abritent la petite flamme de la foi, et elle devient manifestation pour tous, épiphanie.

En tant que chrétiens ne sommes-nous pas appelés comme Marie à cette mission d’apporter cette présence du Verbe qui éclaire et qui appelle l’Esprit Saint à la croisée de nos rencontres ?

Marie n’a rien entre les mains, pas de leçon à donner, ni de connaissances apprises ni de projet pastoral. Elle souhaite la paix à Elisabeth. La Paix est la première salutation de l’apôtre :

« Voici que je vous envoie…N’emportez rien pour la route…Dans toute maison où vous entrerez dites ‘ Paix à cette maison’ »

Cette ‘paix’, ‘shalom’ en hébreu ou dite en grec sur le registre de la joie ‘réjouis-toi’, exprime l’accomplissement de la promesse divine, l’horizon d’une plénitude.

Nous approchons-nous de l’autre, du voisin comme de l’étranger avec ce désir dans le cœur ?

La vraie rencontre est dépendante de la gratuité.

Dans cette gratuité s’exprime un non-désir de puissance, une abstention d’emprise, s’exprime une identification à la figure du ‘serviteur’.

La rencontre est aussi une véritable expérience de l’humilité dans toute sa fécondité. Ainsi nous faisons nôtre chaque jour, pour nous en imprégner le chant de Marie :

« Le Seigneur s’est penché sur son humble servante…le puissant fit pour moi des merveilles ; Saint est son nom ».