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Homélie pour les obsèques 1er décembre de notre familier oblat Pierre, par P.Abbé Vladimir

Chers Frères et Sœurs,

Comme au moment du baptême, lorsque le ciel s’ouvrit et que l’Esprit saint descendit sur lui, Jésus exulte de joie. C’est que nous sommes parvenus au noyau dur de l’Évangile si l’on peut s’exprimer de cette manière. Tu es mon fils, moi aujourd’hui je t’ai engendré dit la voix venant du ciel lorsque jésus prie au Jourdain. « Ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits » nous dit Jésus avec joie encore une fois aujourd’hui.
Il y a un mystère caché aux uns et dévoilés aux autres, celui de la révélation du Dieu, Père, Seigneur du Ciel et de la Terre non pas dans la puissance mais dans l’humilité, non aux grands mais aux petits. La Bonne Nouvelle est révélée aux petits c’est à dire à ceux qui sont socialement moins bien placés, culturellement moins savants, à ceux qui ne sont pas les destinataires logiques d’une chose si précieuse qu’est une révélation, à David plutôt qu’à Goliath pour reprendre une image prophétique.

Nous risquons toujours de réduire ces paroles du Sauveur à une image, une allégorie alors qu’elles nous disent le renversement total des valeurs que la naissance, la mort et la résurrection du Christ ont opéré dans le monde. Déjà Marie le prophétisait en chantant avec l’ange : « Il renverse les puissants de leur trône, il élève les humbles ». Et c’est accompagné, consolé par ces paroles ainsi que par celle du prophète annonçant le monde nouveau que nous accompagnons en ce début d’Avent, Pierre notre frère et familier qui s’en va vers le Père comme le petit qu’il était en vérité.

C’est en 1972 qu’il arriva sur cette île qui n’a plus quitté depuis, sauf les derniers mois, lorsque la maladie ne lui a plus permis de rester parmi nous. Avant son arrivée, deux évènements l’ont marqué pour toute la vie. D’abord comme tous les gens de sa génération (Pierre était né en 1935) la guerre puisqu’il fit son service militaire en Algérie d’où il revint traumatisé. Puis le désir du sacerdoce et du ministère, désir inaccompli puisque les personnes qui étaient responsables de lui au séminaire de Toulon jugèrent et sans doute à raison qu’il n’avait pas les capacités pour devenir prêtre. Ces deux souffrances, celle de la guerre et celle de ne pouvoir être prêtre l’ont accompagné pendant toute sa vie le plus souvent dans le silence même si à la fin de sa vie, il en reparlait beaucoup plus. Et c’est ainsi, comme un petit qu’il fut accueilli dans notre communauté quand il ne lui resta plus aucun espoir d’accéder au sacerdoce suite à un accord entre Monseigneur Barthe l’évêque de Toulon et Dom Bernard l’abbé de cette époque.
Il se mit au service de l’accueil à la porterie et en répondant au téléphone. C’était peut-être ainsi comme une réalisation du ministère qu’il souhaitait tant accomplir. Les nombreux témoignages que nous avons reçus ces jours-ci, en particulier des anciens Jals, disent la qualité de cet accueil, non dans la forme – qui ne se souvient du retentissant « Allo les moines » avec lequel il décrochait le téléphone – mais dans le fond, avec bonté, avec chaleur, comme seul un pauvre peut le faire . Il fut ainsi, pendant des années, comme le visage de l’abbaye, un visage de pauvre et de petit, mais un visage souriant et plein de gentillesse. Que notre cœur sourisse un peu avec lui ce matin alors qu’il s’en va rejoindre tous les petits et les simples que Dieu aime.
En 1984 ou 1985 (car nous avons deux certificats à des dates différentes en témoignage) il émit des vœux privés et devint suivant une expression à laquelle il tenait beaucoup, et que l’on trouve sur un de ces certificats, familier-oblat. Ce n’est pas canoniquement très précis mais c’était pour lui un engagement très important auquel il tenait absolument à être fidèle, d’une fidélité sans détour et sans calcul. Demandons au Seigneur de l’accueillir comme le bon serviteur qu’il était. Avec l’arrivée d’autres familiers, il dut diminuer son service à la porterie mais continua à rendre service à la communauté en travaillant à l’agriculture, en aidant pour les courses et pour le bateau. Renoncer à une partie de son service à la porterie fut une souffrance, mais il l’accepta avec le sourire et sans se plaindre. Car c’est ce qui caractérise les petits dont parle l’Evangile : jamais on ne les entend se plaindre ni critiquer ou dire du mal des autres, et cela nous fait déjà gouter quelque chose du monde nouveau.
Avec l’âge, les ennuis de santé physique et psychique se sont multipliés. Tant qu’il a pu notre Pierre, car il avait décidé d’être un parmi nous, à sa manière a rendu des services, pliant les draps à la lingerie, car pour lui travailler était un signe de fidélité.
Et puis la maladie a pris le dessus et Pierre est devenu à plein temps pensionnaire de l’infirmerie, objet des soins attentifs de Frère Gian Carlo, jusqu’à ces derniers mois. Après le grave malaise qu’il fit le jour de Pâques, il séjourna à l’hôpital puis dans ce que nous appelons aujourd’hui une EHPAD car après avoir essayé un retour sur l’île nous nous sommes rendus compte qu’il ne nous était plus possible de nous occuper de lui.
Ses derniers mois de vie furent difficiles. Le prophète Isaïe nous décrit le monde nouveau réconcilié que nous goutons parfois déjà. Mais comme l’enfant dont nous nous préparons à célébrer la naissance qui bien qu’étant Dieu gouta de la mort sur la croix pour nous, il nous faut nous aussi passer par l’abaissement.
Et les petits le font parfois sans gloire, avec peine, mais c’est pour nous donner une dernière leçon qui est la dignité infinie de notre humanité à l’image du créateur, mais toute petite à tel point que parfois la conscience s’obscurcit.
Et nous voilà rassemblés autour de notre frère pour prier ensemble pour lui :
« Dieu délivrera le pauvre qui appelle
Et le malheureux sans recours »
Heureux sommes nous qui un jour le contempleront.